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La démocratie totalitaire
by Tom Friday October 18, 2002 at 04:26 PM

La démocratie totalitaire

La victoire de l'économie de marché a entraîné celle de la démocratie. Lorsque le consommateur est roi, le citoyen l'est également. Le laissez-faire en économie implique la liberté en politique, c'est-à-dire les élections. Le bulletin de vote équivaut au billet de banque. Aujourd'hui, tous les grands pays sont démocratiques, ou en passe de le devenir. Le résultat s'étale sous nos yeux: la démagogie, la vulgarité et le mauvais goût recouvrent le monde d'une chape de plomb.

L'hypertrophie cancéreuse de l'Etat est un phénomène majeur de notre temps. Autrefois, l'Etat était au service de la classe dominante. Aujourd'hui, c'est toute la société qui est au service de l'Etat. Celui-ci emploie, directement ou indirectement, un quart de la population active, et le contribuable, ce serf taillable et corvéable, travaille trois mois par an, au moins, pour entretenir une bureaucratie qui réglemente la vie quotidienne dans ses moindres détails. On a coutume d'opposer la démocratie -- "l'Etat de droit" comme on dit aujourd'hui -- aux régimes totalitaires, et une littérature de pacotille nous vante sur tous les tons les mérites du gouvernement représentatif. Autant en emporte le vent. Jamais l'individu n'a été aussi asservi que dans les pays démocratiques. Nous avons la liberté de choisir notre marque de voiture ou de voter pour tel ou tel guignol, mais nous sommes fichés du berceau au tombeau par les spécialistes du marketing commercial et politique et par la police de la pensée. Le principe des ordinateurs communicants permet à l'Etat moderne d'exercer un contrôle absolu sur "sa" population. L'administration française est plus tyrannique, car plus efficace, que celle de Staline ou Ceaucescu. L'inquisition fiscale, les vérifications d'identité, les brutalités policières sont entrées dans les moeurs. En Belgique, les écoutes téléphoniques ont été autorisées par une loi portant le nom de "lois sur la protection de la vie privée". A. Huxley ou G. Orwell sont dépassés. Celui qui avait le mieux prévu l'avènement de la dictature démocratique est Bernanos, le dernier prophète*.

La démocratie est devenue une religion. En dehors d'elle, pas de salut. Ses principes et ses valeurs sont sacrés, au-dessus de toute discussion, et l'intolérance qu'elle secrète ne le cède en rien à celle de l'Eglise triomphante. Chaque fois qu'un groupe, un mouvement ou un parti contestant l'ordre établi prend de l'importance, on l'interdit au nom du principe "Pas de liberté pour les ennemis de la liberté". Les anarchistes, les communistes, l'extrême droite, les islamistes en ont fait l'expérience. "Assomme" dit le pouvoir, et les tribunaux frappent. A présent, c'est au tour des révisionnistes de connaître le même sort, bien que l'on voie mal en quoi le fait de nier l'existence des chambres à gaz dans les camps, il y a cinquante ans, constituerait une menace pour la liberté.

Remarquons que nos idéologues préfèrent parler de "la" liberté plutôt que "des" libertés. La première est un mot, une abstraction; les secondes sont des réalités tangibles. Or celles-ci sont toutes relatives. La liberté d'expression, inscrite dans la déclaration des droits de l'homme, n'existe plus depuis le vote de lois anti-révisionnistes dans la plupart des pays européens. Désormais, vous ne pouvez plus remettre en question l'histoire officielle de la seconde guerre mondiale, sous peine de prison. La police veille sur la vérité. Les manifestations sont soumises à autorisation et un bourgmestre peut interdire un défilé s'il estime qu'il menace l'ordre public. Un meeting, une réunion -- même privée -- , un rassemblement peuvent être interdits sous le même prétexte. Le droit d'asile n'existe plus dans "l'espace judiciaire européen". En principe la police n'a pas le droit de pénétrer chez vous pendant la nuit. Les gauchistes d'antan qui ont essayé d'empêcher la gendarmerie d'enfoncer leur porte à deux heures du matin en savent quelque chose. Un signe ne trompe pas: dans nos belles démocraties, les forces de l'ordre -- toutes polices confondues: police judiciaire, gendarmerie, polices communales,... -- dépassent, par leur budget, leurs moyens et leurs effectifs, celles des anciens pays communistes. Faut-il s'en étonner? Elles sont là pour protéger la liberté.

L'érosion des libertés fondamentales est un processus irréversible, lié au renforcement de l'Etat, et dont la responsabilité incombe, en dernier ressort, aux citoyens. Si chaque violation de domicile, chaque perquisition illégale, chaque "bavure" policière déclenchait un tollé général, le pouvoir devrait faire marche arrière. Or ce n'est pas le cas. De même qu'un gaz occupe tout l'espace disponible, le pouvoir, en démocratie comme ailleurs, a tendance à s'étendre sans limite. Il ne s'arrête que lorsqu'il rencontre des résistances.

L'écroulement du communisme a fourni à nos intellectuels un sujet de conversation apparemment inépuisable. Russes, Polonais et autres paysans du Danube allaient, nous promettaient-ils dans un premier temps, entrer au paradis démocratique après une période d'apprentissage plus ou moins longue. Car, attention, la démocratie se mérite! Or, premièrement, ce n'est pas l'amour de la liberté qui a abattu le mur de Berlin, mais l'amour des biens de consommation. Les peuples de l'Europe centrale et orientale perçoivent l'Occident comme un vaste supermarché. Deuxièmement, quand on dit qu'un peuple est mûr pour la démocratie, qu'entend-t-on par là? Très exactement qu'il est amorphe. Quand les masses ont renoncé à se mêler de leurs affaires, quand elles ne pensent plus qu'à consommer, elles remettent leur sort entre les mains de bonimenteurs professionnels et la démocratie est le règne du politicien. La démission des citoyens est une condition indispensable au fonctionnement d'une démocratie. Si les gens voulaient effectivement participer à la gestion de la chose publique, s'ils intervenaient à tout moment dans les affaires qui les concernent, les rouages de l'Etat se gripperaient. Du pain et des jeux: voilà la démocratie.

Toutes les sociétés sont en forme de pyramides, et la courbe des inégalités est la même aux USA et à Babylone avant Jésus-Christ. Il y a toujours eu des riches et des pauvres, et la démocratie ne fait pas exception à la règle. Certes, en démocratie, tous les citoyens sont égaux devant la loi, laquelle interdit aux pauvres comme aux riches de voler du pain, et autorise l'ouvrier comme le millionnaire à fonder un journal. D'autre part, la démocratie directe est impossible dès que l'on dépasse le cadre du village. Tous les régimes sont oligarchiques, et là encore, la démocratie n'a rien changé. Elle n'est qu'un mode particulier de sélection de la caste dirigeante. Les urnes ont remplacé la Sainte Ampoule, et les parlements ont hérité du droit divin des monarques. Comme disait l'autre: "En démocratie, tu votes... puis tu obéis. En dictature, tu ne perds pas ton temps à voter!" Vox populi, vox dei? Quand on considère l'insondable sottise de l'homme de la rue, on se demande si la dictature de la majorité sur la minorité représente un bien. Un individu peut avoir raison contre l'univers entier, et l'opinion publique n'est qu'un magma de réflexes primaires, de peurs irrationnelles et d'obscurantisme manipulés par les médiats. La bêtise est au pouvoir. Mais quand il s'agit de choses importantes pour le système, le gouvernement ne demande pas l'avis des électeurs. Les guerres sont déclarées d'autorité, sans consultation préalable, et la diplomatie secrète, l'activité des services d'espionnage ainsi que les opérations clandestines de toute nature continuent en temps de paix. Comme l'a dit fort justement un ministre de l'intérieur français: "La démocratie s'arrête là où commence la raison d'Etat". Autrefois, un général pouvait entrer au service d'un monarque étranger, et personne n'y trouvait à redire. Les Etats modernes n'admettent plus ce genre de fantaisie. Quand un Etat démocratique entre en guerre, ses ressortissants n'ont pas le choix de leur camp, ni même la possibilité de rester neutre. La première chose que fait un Etat démocratique quand la guerre est dans l'air? Coffrer les pacifistes! Durant la première et la seconde guerres mondiales, la mobilisation totale, l'embrigadement des consciences, le bourrage des crânes ne le cédait en rien dans les soi-disant démocraties.

La suite ?
by Christophe R. Friday October 18, 2002 at 04:56 PM

Bon, si la démocratie est un système pourri et corrompu, quel est le meilleur système politique à suivre ?

La dictature ?
L'état religieux fanatique ?

C'est bien de critiquer, mais encore faut-il avoir une solution viable et meilleure à donner...
Si c'est pour passer de Charybde en Scylla, je préfère, et de loin, nos démocraties imparfaites mais perfectibles.

(ps : cet article est-il d'inspiration personnelle ou provient-il d'une atre source ? merci de préciser)

Très bon article
by N.G. Friday October 18, 2002 at 05:31 PM

Mais comme le dit christophe , c'est bien de critiquer , mais ensuite ... , peut-être que la démocratie n'est q'une belle façade d'idéaux recouvrant l'édifice de l'éternelle exploitation humaine , peut-être ne valait-t-il mieux pas commencer par la façade , en tout cas je trouves que c'est déjà un bon début , même si pour rénover le tout on a encore du chemin à faire .