Manifester sur la plate-forme de Verhofstadt ou pour la résistance des peuples? by Nadine Rosa-Rosso* Thursday October 17, 2002 at 05:00 PM |
Le débat fait déjà rage à propos des deux manifestations contre la guerre, du 10 et du 17 novembre. Et l'enjeu est sérieux si l'on comprend que la guerre annoncée conte l'Irak n'est que la première d'une longue série planifiée par l'administration américaine. Manifester, oui, mais sur quelle plate-forme? Celle de la résistance des peuples à l'impérialisme ou celle de «nos» gouvernants? Il ne s'agit pas de détails. C'est un débat de fond, tant aux Etats-Unis qu'en Europe.
Guy Verhofstadt, le Premier ministre belge, ouvre sa deuxième «Lettre ouverte aux alter-mondialistes» par les questions suivantes: «Alors que le monde entier a les yeux rivés sur l'évolution de la crise irakienne, des questions plus urgentes ont disparu des informations. (...) La pauvreté en tant que thème est-elle passée de mode? Ne s'agissait-il pas de la question du siècle: comment éviter une lutte des classes violente entre les plus pauvres et les plus riches de ce monde?»
Voilà que pour une fois, le Premier ministre de Belgique fait vraiment dans la transparence. Sauf qu'il serait encore plus pédagogique de formuler ainsi la question du siècle pour les gouvernements bourgeois: comment empêcher que des révolutions mettent fin à la domination des multinationales sur la toute grande majorité de cette planète? La pauvreté existe parce que les plus riches de la planète, les détenteurs des multinationales de l'énergie, de l'armement, des technologies les plus modernes, maintiennent leur domination sur les peuples du monde. Les deux cent vingt-cinq plus grosses fortunes du monde représentent un total de plus de 1000 milliards d'euros, soit l'équivalent du revenu annuel de 47% des personnes les plus pauvres de la population mondiale (2,5 milliards de personnes!) (Ignacio Ramonet, «les guerres du XXIe siècle»). La pauvreté s'aggrave parce que les USA et l'Europe maintiennent au pouvoir des régimes qui rapatrient le bénéfice de leurs ressources naturelles dans les économies impérialistes, en premier lieu américaine. Et la «crise irakienne», n'est pas une diversion au thème de la pauvreté. L'Irak est un symbôle pour les peuples arabes: un pays qui refuse la logique du pillage par les multinationales, qui réinvestit au moins une partie de ses richesses dans le dévéloppement de son infratsructure sociale, industrielle et culturelle. La crise irakienne est l'expression la plus aiguë de la question posée. Et la réponse des gouvernements bourgeois à cette question (comment empêcher les révolutions) est claire: par la guerre, c'est-à-dire par la forme la plus violente de la lutte des classes entre les riches et les pauvres.
La plate-forme de la manifestation du 17 novembre reprend comme un écho la préoccupation de Verhofstadt lorsqu'elle conclut: «Il convient de prendre des mesures qui allègent la vie de la population irakienne. Ce n'est que de cette façon que l'agressivité montante vis-à-vis du monde occidental peut s'amenuiser.» Ceci est l'application «non gouvernementale» de la «crise irakienne»: «comment éviter la lutte de classe violente entre les plus riches et les plus pauvres?» .
Le peuple irakien a subi une première guerre dévastatrice et vit depuis onze ans sous un embargo féroce imposé par le gouvernement américain, mais aussi par les gouvernements européens où siègent les relais politiques des responsables des ONG et des directions syndicales, socialistes et autres écolos. Tout naturellement l'état de pauvreté absolue du peuple irakien augmente sa haine, non pas de Saddam Hussein, but politique de l'embargo, mais de l'impérialisme américain et européen. En même temps, l'occupation et la guerre d'agression du plus fasciste des sionistes, Sharon, armé par les USA, la dénonciation des résistants palestiniens comme terroristes par les gouvernements européens, augmentent la haine des peuples arabes contre l'impérialisme américain et européen.
Cette conscience du caractère barbare de l'impérialisme se répand parmi les travailleurs arabes d'Europe, importés en masse par les patrons quand ils en avaient besoin. Cette conscience gagne la classe ouvrière des Etats-Unis et de l'Union européenne, dont tous les gouvernements sabrent dans les budgets sociaux pour leurs efforts de guerre. Des centaines de milliers de travailleurs et de jeunes descendent dans la rue, au sein même des métropoles impérialistes pour dénoncer ces plans.
Alors, la voix du Premier ministre belge s'élève au-dessus de la mêlée pour rappeler la question essentielle: «Comment éviter une lutte de classe violente entre les plus riches et les plus pauvres?», et quelques têtes pensantes des ONG concoctent vite en petit comité une réponse: «Soulagez l'embargo contre le peuple irakien, comme cela vous pourrez renverser Saddam sans provoquer une lutte de classe violente».
Comme première revendication, la plate-forme du 17 novembre appelle le gouvernement belge à faire appliquer la résolution 687 du conseil de sécurité de l'Onu. Vraiment, pourquoi faudrait-il manifester pour cela? Cela fait plus de dix ans que le gouvernement soutient la résolution 687, du 3 avril 1991, fixant les conditions du désarmement de l'Irak. En envoyant ses inspecteurs dans les missions d'enquête en Irak, le gouvernement belge a déjà bien participé au contrôle colonial d'un pays du tiers monde. Rappelons que ce même gouvernement n'hésite pas à arrêter en un seul jour mille pacifistes venus simplement constater la présence d'armes de destruction massive en Belgique!
Les revendications 2 et 3 demandent au gouvernement de rejeter l'invasion militaire de l'Irak. Inutile de manifester pour cela. «Le Premier ministre belge, Guy Verhofstadt, a, selon le Financial Times, envoyé il y a trois semaines une lettre à ses collègues allemands et français, Schröder et Chirac, où il appelle à une politique européenne de sécurité et de défense plus indépendante, maintenant que Washington part sur le sentier de la guerre. Tant Schröder que Chirac ont déjà fait clairement savoir qu'ils ne pensent pas à une participation européenne à une possible invasion de l'Irak.»
La plate-forme du 17 novembre partage le point de vue des gouvernants américains et européens sur la «menace d'une possible attaque de l'Irak», mais préfère la solution du gouvernement belge à ce conflit. Renverser le régime anti-impérialiste de Saddam Hussein oui, mais sans risquer de provoquer une insurrection générale contre l'impérialisme. Pourquoi dès lors aller manifester le 17 novembre? Pour appuyer le gouvernement belge dans ses divergences avec l'administration américaine? Qu'y a-t-il encore de «non gouvernemental» dans ce point de vue?
Les responsables de la plate-forme du 17 novembre refusent de répondre aux nombreuses critiques et d'en changer une lettre. Dans une réunion récente, ils ont également refusé de mentionner les Etats-Unis et Israël comme fauteurs de guerre. Sous la pression, ils avancent quelques mots d'ordre pour la manifestation mais le maintien à la lettre de la plate-forme vide ces mots d'ordre de tout contenu anti-impérialiste. Comme le dit la syndicaliste américaine Gloria La Riva, ceux qui disaient il y a dix ans «War, no; sanctions, yes», disent aujourd'hui: «War, no; inspections, yes». Et entre-temps, 1,6 million d'Irakiens sont morts de ces sanctions. Et comme l'embargo a préparé la guerre, les inspections préparent une nouvelle guerre. (Selon des sources russes l'inspection des « palais de Saddam » devrait servir uniquement à obtenir les coordonnées GPS de Saddam Houssein, ce qui serait inacceptable pour l'Iraq ».
Le peuple irakien n'attend pas des travailleurs de l'Union européenne ou des Etats-Unis qu'ils marchent derrière leur gouvernement pour exiger des USA une solution «non sanglante» de la soi-disant menace que serait l'Irak. Le peuple irakien attend de nous que nous défendions son droit à vivre indépendamment des multinationales du pétrole. Il attend de nous que nous réclamions l'arrêt total, immédiat et inconditionnel de l'embargo et que nous lui foutions la paix avec nos inspecteurs et avec toute forme d'ingérence coloniale. Il attend de nous que nous soutenions sa résistance, comme nous soutenons celle du peuple palestinien. Il attend de nous que nous arrêtons la menace Bush qui annonce des guerres « préventives » contre tous ceux qui n'acceptent pas l'hégémonie absolue américaine.
Le peuple irakien et tous les peuples arabes attendent des travailleurs européens et américains qu'ils soient leurs alliés dans la lutte contre l'impérialisme. C'est le système mondial qui se nourrit de leur exploitation et de leur oppression communes.
Nous manifesterons le 10 novembre parce que tant la plate-forme que l'engagement social et politique des principaux initiateurs garantissent le caractère clairement anti-impérialiste de la lutte ainsi que l'unité de la classe ouvrière européenne avec les peuples du tiers monde.
* secrétaire générale du PTB
les Irakiens, les premiers concernés by francoese Thursday October 17, 2002 at 05:43 PM |
C'est vrai qu'il faudrait qu'on défende le droit des premiers concernés, le peuple irakien. Bien vu de Nadine Rosa-Rosso quand elle écrit: « Le peuple irakien attend de nous que nous défendions son droit à vivre indépendamment des multinationales du pétrole. Il attend de nous que nous réclamions l'arrêt total, immédiat et inconditionnel de l'embargo et que nous lui foutions la paix avec nos inspecteurs et avec toute forme d'ingérence coloniale. » Mais bon si Saddam n'était plus là (car lui et sa clique a mis de l'argent du pétrole dans ses poches)ce serait encore mieux mais évidemment sans ingérence US…
pour mettre fin à une certaine confusion... by Muriel Degand Thursday October 17, 2002 at 05:47 PM |
J'ai apprécié cette contribution au débat car il y a beaucoup de confusion sur la plate-forme et les revendications du 17 novembre. En fonction des publics, les organisateurs adaptent leur discours. J'avoue que je m'y retrouvais plus et que Nadine Rosa-Rosso a éclairé ma lanterne.
Or l'examen du contenu de la plate-forme est édifiante : comment effectivement comme mouvement pacifiste peut-on accorder du crédit à la résolution 687 du conseil de sécurité de l'Onu, du 3 avril 1991, qui fixe les conditions du désarmement de l'Irak. C'est-à-dire qui est à la base de la justification de l'embargo et finalement de la guerre actuelle !
Ni le 17, ni le 10, ni les ONG, ni D'Orazio et Jajah by Alain Thursday October 17, 2002 at 05:50 PM |
C'est clair qu'il y a des différences entre la manif du 10 et le 17 novembre. Il y en a une qui dit que Saddam comporte un danger potentiel comme Bush est un danger réel, et que finalement ils sont les deux fautifs. L'autre (Stop USA) dit clairement que le problème c'est uniquement les Etats-Unis, ce qui veut dire que cette manif se fera aussi en soutien à Saddam ! Moi je ne me retrouve ni dans l'un ni dans l'autre.
le MAS-LSP veulent quoi enfette??? by Charles Legrand Thursday October 17, 2002 at 06:38 PM |
Enfette je me pose la question, qeu veulent les trotskyst. Ils veulent de l'unité entre les deux manifs. Mais comme Nadinnen a bien dit, c'est choissir entre le manif de Verhostadt ou le manif de la resistence anti-impérialiste.
Je crois que les Trotskyst veulent manifester pour Verhostadt parce-que ils veulent tous la même chose.
LSP, Bush, Verhofstadt disent la même chose:
Tout les trois sont contre Saddam, contre Arafat, contre le Cuba, contre le vietnam, contre le Koréa du nord, contre le PTB.....
Donc cher MAS va manifester avec vos amis le 17
manifester le 10, pas défiler le 17 by arty Thursday October 17, 2002 at 08:31 PM |
arty@ARTivisme.net |
aller à la manif du 10 novembre plutôt qu'au défilé de Verhofstadt ne veut pas dire qu'on soutient saddam
aller à la manif du 10, ça veut dire : ok, punissons les tyrans, mais alors TOUS les tyrans, pas seulement un tyran qui (comme par hasard ?) possède les plus grandes réserves de pétrole au monde
aller à la manif du 10, ça veut dire "résolvons les conflits internationaux en recourant au droit international", ce qui n'est pas le cas aujourd'hui puisque l'Europe a lâché la Cours Pénale Internationale sous la pression des USA, lesquels constituent à ce jour le seul Etat à avoir été condamné par la Cours de Justice Internationale pour emploi illégal de la force contre le Nicaragua (1986)
il faut aller à la manif du 10 et à AUCUNE ayant le soutient d'un gouvernement; une manif soutenue par un gouvernement, ça s'appelle un défilé
Bien parlé Arty by jpe Thursday October 17, 2002 at 08:44 PM |
,,,
la trouille des ONG et des syndicats by daniel Thursday October 17, 2002 at 09:09 PM |
Ce qu'écrit Nadine Rosa-Rosso est bien tapé:
"Les responsables de la plate-forme du 17 novembre refusent de répondre aux nombreuses critiques et d'en changer une lettre. Dans une réunion récente, ils ont également refusé de mentionner les Etats-Unis et Israël comme fauteurs de guerre. Sous la pression, ils avancent quelques mots d'ordre pour la manifestation mais le maintien à la lettre de la plate-forme vide ces mots d'ordre de tout contenu anti-impérialiste."
Oui maintenant que les ONG et les syndicats trouillent à mort du succès d'une manif plus radicale qui se pose en alternative à leur salade, ils ont concédé quelques mots d'ordre qui peuvent plaire aux gens de gauche sans retirer le moins du monde leur plateforme qu'ils vont vendre aux médias ça tu peux être sûr
la plateforme du 17: la plus à droite d'Europe by jeannot Thursday October 17, 2002 at 09:13 PM |
J'ai fait le tour des plateformes européennes et je crois que la belge du 17/11 est une des plus à droite, plus pro-occidentale de toute l'Europe, c'est tout dire.
Et dire que tous les groupes trots (POS-LSP-Mas) courent derrière les ONG: lamentable.
On a vu le poids des ONG dans les manifs de D14: 1500 sur 15000! Ne nous laissons pas impressionner par le nombre d'organisations signataires...
ensemble by Christine Pagnoulle Saturday October 19, 2002 at 05:57 PM |
cpagnoulle@ulg.ac.be |
Je viens de lire l'article de Nadine Rosa-Rosso et de relire les plateformes qu'elle s'efforce d'opposer. Certes, il y a des nuances, des tournures qui apparaissent dans l'une et pas dans l'autre, l'essentiel du message est pourtant bien le même. Celle de la manifestation du 17 novembre est effectivement plus opportuniste, essayant de renforcer ce qui risque fort de n'être qu'un vain effet de manches chez nos dirigeants (se montrer plus indépendants dans notre politique étrangère, etc. ) Je ne vois vraiment pas ce que cela peut avoir de répréhensible. Je ne vois pas non plus pourquoi il faut à toute force éviter le moindre vocable employé par Verhofstadt qui tente de récupérer ce qu'il peut. Enfin et surtout, je ne comprends pas, mais alors là, vraiment pas, pourquoi il ne faut pas demander que la population irakienne cesse de faire l'objet d'un embargo meurtrier et reçoive au contraire une aide internationale. en vertu du principe que plus les gens sont désespérés, mieux c'est et que c'est surtout bon pour les autres ?
Christine Pagnoulle
membre d'ATTAC-Liège