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Le Forum Social Belge et les syndicats
by Jo Cottenier* Tuesday September 24, 2002 at 07:05 PM
john.cottenier@euronet.be

Il n'y a pas plus d'un an, les structures syndicales étalaient encore leur scepticisme par rapport à la vague de nouveau militantisme qui secouait le monde, de Seattle à Gênes. Aujourd'hui ces mêmes structures applaudissent des deux mains un mouvement anti-mondialisation qui gagne de plus en plus en « maturité », comme au Forum Social Belge. Alors maturité ou récupération ?

Il n'y a pas plus d'un an, les structures syndicales étalaient encore leur scepticisme par rapport à la vague de nouveau militantisme qui secouait le monde, de Seattle à Gênes. Aujourd'hui ces mêmes structures applaudissent des deux mains un mouvement anti-mondialisation qui gagne de plus en plus en « maturité », comme au Forum Social Belge. Alors maturité ou récupération ?

Le séminaire au titre prometteur « Mondialisation, les syndicats en première ligne ! » devait peut-être y apporter un brin de clarification.
Beaucoup de syndicalistes, de délégués mais également de permanents, ont assisté au premier Forum Social Belge. Les quelques 200 présents dans l'auditoire bien rempli ont eu droit à toute la palette de positions sur ce que veut dire « les syndicats en première ligne ». Paul Lootens, secrétaire national de la Centrale Générale (FGTB) a démarré avec un discours poignant sur l'action de la centrale pour soutenir les syndicalistes persécutés en Colombie. Concret et précis sur la terreur que font régner les multinationales du pétrole et qui coûte la vie à 3 syndicalistes par jour. Tueries, disparitions, enlèvements dans des zones occupés par les militaires. Concret et précis également sur l'aide qu'essaie de procurer la centrale aux syndicalistes persécutés. Du syndicalisme réellement en première ligne. C'est tellement vrai qu'une délégation patronnée par la centrale qui vient de suivre comme observateurs sur place une grève des paysans a été arrêtée pendant 12 heures.

Projets syndicaux à l'étranger : au service de qui ?

Arlette Puraye, présidente de la CNE (CSC), enchaîne avec un discours plus général sur les politiques et pratiques néfastes des multinationales. Elle se fait applaudir car elle parle avec conviction de la révolution syndicale mondiale qu'il faudrait susciter, mais le contenu précis de cet élan oratoire reste dans le vague.
Ne faut-il pas également que les pouvoirs publics reprennent le contrôle de l'économie? Il est clair que la théorie des Etats impuissants qui ont perdu le contrôle trouble beaucoup d'esprits. Les Etats capitalistes ne sont nullement impuissants, ils soutiennent à fond l'économie de marché avec tout ce qu'elle suscite comme catastrophes.
Xavier Verboven, responsable de l'Interrégionale flamande de la FGTB, présente avec fierté son projet « en première ligne ». La FGTB flamande apporte son aide au syndicat CUT au Chili en instruisant les syndicalistes comment ils peuvent se protéger contre les nuisances… des pesticides.
Mondialisation oblige : tous les syndicats prêtent maintenant main forte à quelque projet à l'étranger. Mais cela mérite déjà un débat de fond : comment sont choisis les projets et les syndicats qui profitent de l'assistance financière ? Est-ce qu'elle sert à développer la résistance du peuple en vue d'abattre la dictature du capital ou à mettre du baume sur les cicatrices causées par le système ? Il y a même pire : au dernier congrès de la CMB, Herwig Jorissen a présenté son projet de soutien à Força Sindical au Brésil. Il ne raconte évidemment pas que c'est un syndicat de collaboration avec le gouvernement.


Pourquoi ne pas avoir fait avec Sabena le procès de la privatisation ?

Luk Amelinckx de la CCOD (CSC) aborde la question d'un autre point de vue. La vague mondiale de privatisation des services publics soumet ces entreprises à la loi du plus grand profit. Cela cause des dérapages au niveau mondial, mais également dans les esprits des gens.
L'individualisme prime. On ne peut y échapper sans une grande campagne d'information et de conscientisation. Il faut des actions style Greenpeace pour secouer l'opinion publique et contester le concept de base des privatisations, basé sur le « survival of the fittest » (« la survie du plus fort »).
Dommage que Luk Amelinckx n'a pas eu l'occasion de répondre à ma remarque : « Pourquoi les syndicats n'ont pas plutôt saisi la débâcle de la Sabena pour mener cette campagne de conscientisation et pour soutenir à fond ceux qui voulaient se battre contre la privatisation ? »
Il n'a pas eu l'occasion car le débat s'est surtout concentré sur la dernière intervention, celle de la représentante du syndicat européen CES (Confédération Européenne des Syndicats), une certaine Maria Helena. Un discours indigne de syndicaliste, un discours d'éloge sans scrupules sur la nature différente de l'Europe. Démocratie, progrès social, transparence, normes contractuelles, espace multiculturel, solidarité avec les régions pauvres : tout cela grâce au modèle européen que le monde tout entier nous envie. Pour la CES, le syndicat en première ligne de la mondialisation, c'est porter à la connaissance des syndicalistes du monde entier les bienfaits du modèle européen et surtout de sa base inébranlable : le dialogue, la concertation, la participation. Il faut arrêter le discours misérabiliste qui se braque sur les points faibles, il faut partir des points forts pour exporter le modèle !
Ce discours suscite d'emblée la tumulte dans la salle. Différentes interventions pointent du doigt un discours totalement étranger à ce que vivent les travailleurs. Mais l'avantage de cette intervention était sans doute qu'elle fait prendre conscience qu'il ne suffit pas de crier pour une « autre mondialisation ». L'autre mondialisation de madame Maria Helena est celle qui chante les mérites du système et propage la collaboration de classe. Il est le parfait exemple d'une aristocratie ouvrière qui végète sur les avantages que lui procure l'impérialisme européen. Ce syndicalisme là ne risque pas de se faire assassiner par le patronat européen, ni mondial.

Le dernier Porto Alegre était déjà marqué par l'entrée en force de la social-démocratie

Le dernier Forum Social Mondial à Porto Alegre était déjà marqué par l'entrée en force de la social-démocratie. Les Forums nationaux qui en sortent sont dans la plupart des pays dans les mains de grandes ONG, spécialisés dans le calfeutrage du système capitaliste. Leur rôle : briser le premier élan d'un mouvement contestataire, l'encapsuler dans un cocon de discours « acceptables », de réformes et de négociations avec le pouvoir. Tout cela pour éviter que soient mises en cause les bases mêmes de la dictature du profit, le système capitaliste et impérialiste. Le premier Forum Social Belge a attiré beaucoup de syndicalistes qui sont avides d'apprendre ce qu'ils n'apprennent plus dans leur syndicat : comment combattre ce système injuste. Au lieu de soulever ce débat de fond, les modérateurs Daniel Van Daele (FGTB) et Pino Carlino (CSC) ont tout fait pour réconcilier les visions opposées sur le rôle du syndicalisme face à la mondialisation. Occasion ratée. Mais les syndicalistes présents auront certes retenu qu'il faut se méfier sur le rôle de récupération « en première ligne » que comptent jouer des dirigeants syndicaux, modèle CES.

*Jo Cottenier est membre de la direction nationale du Parti du Travail de Belgique (PTB) et spécialiste des questions syndicales