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Les `nouveaux´ terroristes ont eu tort / Donald Rumsfeld n'a pas raison
by Patrick Gillard Wednesday September 18, 2002 at 03:56 PM

Suite au texte de D. Rumsfeld "Les `nouveaux´ terroristes ont eu tort", j'ai réagi en écrivant "Donald Rumsfeld n'a pas raison". Ce texte, qui ne sera pas publié en raison de l'abondance du courrier des lecteurs, était destiné à la Libre Belgique. Je vous le communique tel quel.

Les `nouveaux´ terroristes ont eu tort
DONALD H. RUMSFELD
Mis en ligne le 11/09/2002
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Ils ont cru que leurs réseaux financiers étaient à l'abri, que leurs sanctuaires les protégeraient et que le monde n'aurait pas le courage de lutter contre eux. Erreur sur toute la ligne! (1)

DONALD H. RUMSFELD. Secrétaire à la Défense des Etats-Unis d'Amérique

Cette semaine, les Etats-Unis et le monde prennent le temps de se souvenir des attaques du 11 septembre - les victimes innocentes, les héros inattendus, les courageux survivants, et les centaines de millions d'Américains dont l'unité et la détermination face à une agression sans précédent ont une nouvelle fois illustré ce qu'était l'esprit de l'Amérique.

Nous nous souvenons que le 11 septembre ne fut pas seulement une attaque contre les Etats-Unis, mais contre tous ceux qui dans le monde croient en la liberté, sont adeptes de la tolérance, et défendent les inaliénables droits de l'homme. Ces idéaux sont l'antithèse du terrorisme, qui cherche à intimider, subjuguer, et dominer les hommes et les femmes par la peur et la violence.

L'histoire du terrorisme est longue. Ce n'est pas un phénomène nouveau, comme de nombreux pays le savent. Mais ce qui est nouveau, c'est l'ampleur que les terroristes sont prêts à donner à leurs crimes pour qu'ils causent un nombre de victimes toujours plus grand. Ce qui est nouveau, comme nous l'avons vu en Afghanistan, c'est la capacité qu'a une organisation terroriste de prendre le contrôle d'un pays, de l'occuper, de détruire sa culture, et d'en opprimer sa population. Ce qui est également nouveau, c'est le lien entre les réseaux terroristes, les états terroristes, et les armes de destruction massive. Ce lien, combiné avec la technologie des missiles, peut transformer un petit pays, un pays pauvre, ou même un petit groupe d'individus, en un redoutable adversaire. Dans un monde où la nature globale de la finance, des communications, et des transports permettent même à des organisations ou individus isolés d'avoir un impact global, le terrorisme représente un potentiel de déstabilisation sans précédent.

Telle est la nature du terrorisme aujourd'hui. C'est une menace que nous ne pouvons ignorer et que nous ne pouvons laisser dominer notre futur.

L'année dernière, reconnaissant l'effroyable potentiel du terrorisme, le président Bush lui a déclaré la guerre - pas seulement contre ceux qui avaient commis l'innommable le 11 septembre, mais contre tous les terroristes, leurs organisations, et leurs sponsors partout dans le monde.

Ce fut une décision que les citoyens américains approuvèrent et qui reconnaissait le rôle et la responsabilité des Etats-Unis. Et du monde entier, des pays se sont joints à nous. A ce jour, 90 pays - presque la moitié des pays du globe - ont choisi le camp de la liberté, bloquant les avoirs des terroristes, partageant des renseignements, fournissant du transport aérien, déminant, et engageant des troupes - et certains en ont déjà payé le prix ultime.

Bien entendu, il y en a qui demandent si une telle guerre est nécessaire. Ils espèrent, contre toute évidence du contraire, que les terroristes ne soient pas nombreux, que la menace ne soit pas si grande, que les attaques n'augmentent pas en nombre et en intensité, que les armes que les terroristes utiliseront dans le futur ne soient pas plus effroyables encore, et que la diplomatie - ou pire encore, la conciliation - nous mettra à l'abri, alors que cela a déjà échoué.

Toutes les indications montrent que, au contraire, les conséquences de l'inaction face au terrorisme sont bien plus terribles que l'action, même si l'action signifie la guerre.

Il y a certaines choses qui ne font aucun doute. Nous savons que les armes de destruction massive portent malheureusement bien leur nom. Nous savons que nous vivons dans un monde où ces armes non seulement existent mais où elles prolifèrent. Nous savons qu'il y a des Etats terroristes qui possèdent ces armes de destruction massive et d'autres qui cherchent activement à les produire ou à les acquérir. Nous savons que ces pays ont des relations avec des groupes et réseaux terroristes. Et nous savons que des groupes ou des Etats terroristes n'auraient pas la moindre hésitation à utiliser ces armes de destruction massive s'ils le jugeaient dans leur intérêt.

Nous savons aussi que les armes de destruction massive peuvent être fabriquées en secret et déployées sans avertissement, ne laissant au pays qui en est la cible que peu de temps pour s'en rendre compte ou formuler une réponse.

Avec un tel risque et une marge d'erreur aussi réduite, quelle est l'attitude responsable pour les pays libres? Devons-nous attendre que des milliers ou des dizaines de milliers d'innocents perdent la vie, ou devons-nous agir en légitime défense pour empêcher de telles attaques?

Le 11 septembre, les terroristes qui ont frappé les Etats-Unis ont réussi une opération extrêmement complexe et parfaitement minutée mais, en dépit de leur précision, ils ont fait une énorme erreur de calcul. Ils ont cru que les Américains allaient se cacher et que le gouvernement des Etats-Unis n'allait pas entreprendre de répondre à ces actes odieux en utilisant tous les moyens diplomatiques, économiques, financiers, et militaires dont il dispose. Les terroristes ont cru que leurs réseaux financiers étaient à l'abri, que leurs sanctuaires les protégeraient, et que le monde n'aurait pas le courage d'entreprendre une telle lutte.

Ils avaient tort sur toute la ligne.

(1) Titre et sous-titre sont de la rédaction. Le titre original est `Message et Souvenir du 11 septembre´

© La Libre Belgique 2002

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DONALD RUMSFELD N'A PAS RAISON

Dans une toute récente page "Débats", le Secrétaire à la Défense des États-Unis profite volontairement de la présente vague émotionnelle créée, en Occident, par le battage médiatique sans précédent qui a entouré les commémorations du premier anniversaire des attentats du 11 septembre 2001, pour tenter de justifier, sans preuve, la légitimité d'une action militaire, c'est-à-dire d'une guerre préventive contre l'Irak, jugé implicitement, mais péremptoirement, coupable d'appartenir aux « États Terroristes [qui] n'auraient pas la moindre hésitation à utiliser [des] armes de destruction massive s'ils le jugeaient dans leur intérêt » (1).

Que les "kamikazes" du 11/9 et leurs commanditaires se soient rendus coupables d'un odieux carnage humain dont la société aurait pu faire aisément l'économie et que, dans ce sens et dans ce sens seulement, les "terroristes" aient eu effectivement « tort sur toute la ligne » (1), n'implique cependant pas automatiquement que Donald H. Rumsfeld ait, lui, raison sur toute la ligne.

Serait-ce dû, pour lui aussi, à de piètres connaissances géographiques ? Non. Serait-ce plutôt la conséquence d'une malencontreuse généralisation ? C'est possible, mais ne serait-ce pas davantage le résultat de la fâcheuse habitude qu'auraient certains "Américains" de réduire l'étendue du monde à la superficie des États-Unis ? Certainement. En tous cas, il est un fait certain que le Secrétaire à la Défense se trompe lorsqu'il écrit, par exemple, que « les États-Unis et le monde prennent le temps de se souvenir des attaques du 11 septembre » (1), puisqu'on a pu lire dans la presse des titres très évocateurs prouvant le contraire, comme par exemple : « Indifférence ou hostilité. Au Proche-Orient, en Afrique [où l'anniversaire est passé inaperçu ou presque] et en Asie, certains s'en sont pris aux États-Unis » (2) ou encore « Les Arabes entre frustration et introspection » (3).

Est-il permis d'accorder davantage de crédit aux allégations, pour le moins un peu trop optimistes, de Donald H. Rumsfeld disant que, d'une part, « les terroristes ont cru que leurs réseaux financiers étaient à l'abri » (1) et que, d'autre part, « à ce jour, 90 pays [...] ont choisi le camp de la liberté, bloquant les avoirs des terroristes, [...] » (1) alors qu' « un rapport d'experts mandatés par l'ONU révèle que l'Occident [malgré ses efforts] n'est en tout cas pas parvenu à juguler les circuits financiers du terrorisme mondial, déjà reconstitués et prêts à servir à nouveau la cause des mêmes fanatiques » (4).

Le Secrétaire à la Défense des États-Unis, ne détourne-t-il pas, enfin, le sens des mots de l'expression "légitime défense" lorsqu'il s'interroge publiquement : « devons-nous attendre que des milliers ou des dizaines de milliers d'innocents perdent la vie, ou devons-nous agir en légitime défense [sic] pour empêcher » (1) les attaques des groupes et des États terroristes, en général, et de l'Irak, en particulier ? Le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, craignait sans doute ce détournement sémantique de la part des autorités étasuniennes, puisqu'il prit soin de rappeler, le 12 septembre dernier, à la tribune des Nations unies, que « si un État a parfaitement le droit de se défendre s'il est attaqué [art. 51], quand les États décident de recourir à la force pour faire face à des menaces plus larges contre la paix et la sécurité internationales [art. 42], il n'y a, par contre, aucun substitut à la légitimité unique que procurent les Nations unies » (5), ce qui limite donc sérieusement la marge de manoeuvre légitime et légale des États-Unis.

Si les preuves de la culpabilité de Saddam Hussein en matière de détention et de production d'armes de destruction massive ainsi que de son implication dans le "terrorisme international" « ne font aucun doute » (1) pour Donald H. Rumsfeld et pour les "faucons" américains, qu'ils livrent, dans ce cas, leurs arguments de manière détaillée au monde entier. Sinon les bombardements illégitimes, voire "illégaux", de l'Irak rappelleront terriblement « la décision américaine de lâcher deux bombes [atomiques] sur le Japon, au moment où [le] risque [de voir des chercheurs allemands produire les premiers des armes atomiques] n'existait plus » (6).

Les États-Unis et leurs alliés auraient-ils quelque autre intérêt dans le déclenchement d'une guerre soi-disant préventive contre l'Irak ? C'est en définitive la question centrale du dossier "Irak", une question d'ailleurs soigneusement évitée par les responsables américains. Or « une guerre qui serait un pur acte de justice, serait [justement] une action militaire que des États pourraient entreprendre même s'ils n'avaient aucun intérêt à le faire » (7).

Patrick Gillard,
Historien

NOTES

(1) Donald H. RUMSFELD, Les "nouveaux" terroristes ont eu tort, dans La Libre Belgique, jeudi 12 septembre 2002, p. 16
(2) Libération, jeudi 12 septembre 2002.
(3) Le Soir, jeudi 12 septembre 2002, p. 4.
(4) Philippe BERKENBAUM, Une litanie de noms..., dans 9/11 Nine Eleven. Le Soir, mardi 10 septembre 2002, p. 3.
(5) Philippe PAQUET, Une dernière chance donnée à l'Irak, dans La Libre Belgique, vendredi 13 septembre 2002, p. 10.
(6) John BERGER, De Hiroshima aux Twin Towers, dans Le Monde diplomatique, septembre 2002, p. 32.
(7) Stéphane CHAUVIER, Y a-t-il de justes guerres ? dans Penser la guerre, penser la paix, actes du colloque organisé par la Société Angevine de Philosophie, 18 mars 2000, Éditions Pleins Feux, 2001, p. 120.