arch/ive/ief (2000 - 2005)

L'affaire des Baka du Cameroun en Belgique
by Berhuse S. Thursday September 12, 2002 at 01:37 PM

Les huit pygmées BAKA du Cameroun et leur village exposés dans le parc animalier à Yvoir en Belgique depuis le 1er juillet 2002 ont finalement quitté la Belgique le samedi 24 août 2002, pourtant ils devaient comme l'indiquent les dépliants de l ‘organisateur (Asbl OASIS NATURE) mettre fin à leur exposition le 31 août 2002. Comment a été organisée leur présence à Yvoir ? Comment cela - a- t- il été possible ? Lumière sur le drame des pygmées du Cameroun.

Le feuilleton médiatique de l'été en Belgique continue d'alimenter les débats au sujet de la présence en Belgique des pygmées Baka, venus du Cameroun et exposés à Yvoir .Le Solidaire quant à lui revient sur toute les négociations qui ont entaché cette affaire.

L'initiative de faire venir les Baka en Belgique avait été prise par l'administrateur du domaine de Champalle M. Louis Raets, Administrateur de l'asbl OASIS NATURE, qui jusqu'ici ne cesse de soutenir avec véhémence que son inquiétude faisait suite au fait qu'il avait été frappé par le dénuement des Pygmées lors d'un récent voyage au Cameroun en octobre 2001. Il fut approché par les responsables de l'APAHC ( Association pour la Promotion des Actions humanitaires au Cameroun), association légalisée à la préfecture du Mfoundi le 24 mai 2002 et présidée par Madame Alem Marie. Ainsi, il promit à l'APAHC de les aider à récolter des fonds en Belgique pour la construction des hôpitaux, des points de captages d'eau et des écoles, ceci après que de multiples demandes d'aide adressées aux autorités civiles et morales de droit public belge n'aient pas abouti. Louis Raets se décidera ainsi de faire venir les bakas en Belgique. Proposition qui sera acceptée par les responsables de l'APAHC et les démarches seront entreprises dans ce sens .

Les négociations vont durer plusieurs mois et Madame Alem , se déplacera du Cameroun trois fois de suite pour la finalisation du projet. Il faudra noter que tous les chefs Bakas seront contacté par l'APAHC (l'Association pour la Promotion des Actions Humanitaires au Cameroun) et un protocole d'accord sera signé par ces derniers et les chefs locaux pour le déplacement des Bakas du Cameroun. Toutes les autorisations seront obtenues depuis les chefs traditionnels en passant par le canal du Sous- préfet de Djoum jusqu'au Ministre de la culture. Une sélection stricte des Bakas de l'expédition sera faite dans une ambiance compétitive indicible car, " c'est tous qui veulent aller au pays des blancs ", affirme Monsieur Nyate Raymond, le doyen d'âge de l'expédition. Sans tarder, les Bakas retenus vont se diriger à la mairie de Djoum pour la délivrance des actes de naissance et autres documents nécessaires. Ils se rendront ensuite à l'Emi- Emigration de Yaoundé pour leur passeport, ce qui s'obtiendra après une semaine de négociations avec le commissaire. C'est ainsi que l'ambassade du royaume de Belgique saisi du dossier, leur accordera des visas pour leur séjour en Belgique, tous ayant le statut d'artiste.

Arrivés en Belgique à la fin du mois de juin 2001, c'est dans la serre à papillons au pied de la falaise Mosane à Yvoir que le 1er juillet 2002, ces huit pygmées Bakas , encadrés par deux guides ,reconstituent un village composé d'une demi douzaine de leurs huttes traditionnelles et des mannequins conçues par les organisateurs .Ces derniers animaient les scènes de pêche, de chasse, de recherche de miel. "Ils chanteront et danseront pour vous remercier de votre présence", indique le prospectus de la visite et les spots de la radio télévision belge qui ne cessaient de les distiller à longueur des journées . Les touristes venus du monde entier qui avaient pour habitude de venir dans ce parc visiter une exposition de papillons, reptiles et d'autres animaux exotiques ont découvert plutôt des Hommes déplacés de leur forêts naturelles et installés dans un parc animalier situé à une heure quarante cinq minutes de Bruxelles dans la province du Namur.

Dans la cour du domaine de Champalle à Yvoir, un petit groupe de pygmées Baka joue du tam-tam, danse et chante sous un inhabituel soleil. " C'est pour remercier les touristes venus nous rendre visite ", renchérit Roger ZE OWONO, Commissaire aux Compte et porte parole de l'APAHC, invitée par l'asbl belge OASIS NATURE, soucieuse selon les affiches de l'Opération action humanitaire pygmées, de collecter des fonds pour les points de captage d'eau, des dispensaires et d'écoles.

Au delà de leur présence à Yvoir, faudra- t-il le rappeler, les pygmées de la forêt équatoriale sont victimes de la destruction de leur environnement suivant les besoins du marché mondial et les intérêts des multinationales qui s'y sont installées et sont en contradiction avec les structures sociales et les modes de vie des habitants de la forêt.
Dans tous les pays de l'Afrique centrale, l'impérialisme a façonné les territoires en imposant une infrastructure construite presque exclusivement autour des centres d'activités économiques dépendants du marché mondial. C'est sur cette base que sont choisis les "centres de matières premières", les centres d'affaires, les zones touristiques, les plantations et les pâturages pour une production orientée vers l'exportation. Les habitants de la forêt subissant ainsi les séquelles de cette exploitation. A ce jour, les pygmées en sont les principales victimes tout comme les autres peuples de l'Afrique sub-saharienne.. Mais là où le bas blesse, c'est que le domaine de Champalle à Yvoir où ils étaient logés est connu pour être un parc animalier où chaque année, les touristes viennent visiter des papillons et autres cultures "primitives". Tous dorment sur des matelas crasseux jetés au sol et au premier étage d'un bâtiment . Le plancher noirci par l'espace et le temps, présente des parties pourries, avec des risques évidents d'effondrement, ainsi que nous avons pu le constater sur place. Non loin de ce bâtiment du XVIè siècle, juste en face, se hisse le joyaux château de Louis Raets, qui est en parfaite contradiction avec les bâtiments où sont logés les pygmées.
C'est devant ces conditions manifestement inhumaines que le LIBERAL (Ligue Belgo-africaine pour le Rétablissement en Afrique des Libertés Fondamentales) et le MNM ( Mouvement des Nouveaux Migrants ) vont dénoncer ce qu'elles qualifient de "zoo-humain", suivies par la ligue des droits de l'homme, du CNCD (Centre National de la Coopération au Développement) et de plusieurs autres associations dirigées par des Africains, amenant l'ambassade du Cameroun à Bruxelles à sortir de son mutisme.
Pour le LIBERAL et le MNM, l'exposition de ces pygmées dans leur intimité est "une prolongation dégradante des temps coloniaux"et rappelle l'exposition universelle de 1897 à Bruxelles, où 267 Congolais avaient fait le voyage de Goma pour être exhibés au bon vouloir d'un million de spectateurs. Ils devaient, comme les Bakas à Yvoir, jouer leur vie quotidienne de "sauvages primitifs". « Tout ceci constitue une atteinte aux droits de l'homme » reprend le communiqué de LIBERAL publié à ce sujet le 27 Juillet 2002.

Louis Raets, responsable de l'association belge, Oasis Nature et initiateur de l'exposition, soutien qu' à : " aucun endroit, il n'y a de vrais Pygmées "exposés" dans le camp. On les voit seulement danser et chanter dans la cour d'une ferme carrée. Les huit Baka sont venus avec tous les vaccins, tous les papiers et tous les accords ministériels." Et d'ajouter : "Ce qui m'ennuie beaucoup, ce n'est pas la critique, mais que ces gens qui protestent aujourd'hui n'ont jamais rien fait pour la défense des Pygmées.".

Dans son rapport officiel, le Centre pour l'Egalité des Chances (CEC), organisme parapublic chargé de poursuivre les actes racistes le 6 août dernier a reconnue les "intentions louables" du projet. Mais critique en revanche le choix du lieu, "connu pour être un parc animalier et botanique", et un "modus operandi qui rappelle un passé colonial et paternaliste". Le CEC pointe également l'absence de contrats de travail et la liberté de mouvement restreinte du groupe.

Le samedi 10 Août passé, une marche de protestation a eu lieu devant l'ambassade du Cameroun à Bruxelles pour contester cette exposition, marche organisée par un collectif d'associations dirigé par le MNM(Mouvement des Nouveaux Migrants).Le LIBÉRAL quant à lui, avait convié le même samedi après midi (10 août) à se rencontrer au Centre National de la Coopération au Développement (CNCD) des représentants des associations camerounaises et africaines de Belgique et deux pygmées qui, devant un parterre de journalistes nationaux et internationaux ont présenté en substance l'objet de leur présence en Belgique et le contenu de leur projet .

Le vendredi 16 août 2002 le Collectif pour la Défenses des Bakas d'Yvoir (CDB: LIBÉRAL asbl, MUTI asbl, SANKOFA asbl, le CNCD ( Centre National de la Coopération au Développement) organise une conférence de presse au 9 Quai du commerce, 1000 Bruxelles au cours de laquelle la presse, la communauté nationale et internationale, une fois de plus a pris connaissance du projet Baka et de l'apport de CDB dans la recherche des solutions idoines à la réalisation de ce projet. C'est au cours de cette conférence de presse que plusieurs commissions mises sur pied le samedi 10 août par le CDB ont présenté leurs différents rapports. Toutes ces commissions sont pilotées par les volontaires, membres des différentes associations camerounaises et africaine en Belgique. Ces commissions fonctionneront jusqu'à l'aboutissement du projet Baka. Aujourd'hui, l'image de marque de l'Afrique en général et du Cameroun en particulier en as pris un coup.

Le samedi 24 août dernier, les Baka ont été rapatriés dans leur pays d'origine sous l'initiative de l'ambassade du Cameroun en Belgique. Départ qui a suscité une vive polémique…

Selon Moise ESSOH ETIA, porte parole du Collectif de Défense des Baka ,que nous avons rencontré dans le hall de l'aéroport de Zaventem "Avec le départ des Baka, le Collectif ne s'engage pas seulement à s'occuper des huit Baka, le Collectif continuera à engager une campagne de sensibilisation en concertation avec d'autres africains et volontaires à mobiliser l'opinion publique belge voire internationale et plusieurs ONG autour du problème généré par leur présence en Belgique sans oublier la recherche des solutions idoines aux besoins exprimés par les Baka lors de leur venue. " Aussi, ajoute-t-il, que " les autorités consulaires camerounaise sensées protéger la communauté camerounaise en Belgique n'ont en aucun cas sollicité l'avis de tous ceux à même d'aider les Baka après leur départ de la Belgique. "

De là il découle qu'avec ce retour, les Baka quittent le territoire Belge avec des espoirs pour leur famille qui les attendent auxquels ils n'auront pas pu répondre.
Monsieur ABOGSO, de la diaspora camerounaise déplore le fait que le collectif ait plutôt concentré ses actions vers les ONG Belge en lieu et place des organisations africaines. Il affirme avec ténacité que " le Collectif devrait normalement résoudre entre africains les problèmes soulevés par la présence des Baka en Belgique ".

Joseph Anganda, le responsable du MNM quant à lui s'estime heureux d'avoir joué avec son association un rôle positif dans le démantèlement de l'exposition des Baka à Yvoir et leur retour au Cameroun, car soutient-il, " les pygmées sont des Hommes et le drame qu'ils ont vécu à Yvoir en dit long sur le sentiment profond qui habitent certains de nos congénères ". Il souhaite en outre que les personnes impliquées dans ce qu'ils qualifient d'humiliation soient soumises à la justice afin que réparation soit faite. Du pain sur la planche pour les observateurs avertis….

Mélanie Z, membre de l'expédition Baka en Belgique s'est estimée mécontente car elle n'a pas eu le temps de découvrir la Belgique car, enfermée dans le domaine de Champalle depuis son arrivée en Belgique. Roger Ze Owono leur porte parole quant à lui rétorque avec ténacité au micro de la RTBF qu ‘il ne peut pas se prononcer sur l'issue de leur présence en Belgique tout en se justifiant qu'en tant que directeur d'école au Cameroun, son départ se justifie par le fait qu'il doit rentrer préparer la future rentrée scolaire au Cameroun.

Les Baka rentrent donc ce jour dans une ambiance mitigée à cause de leur exposition à Yvoir et de leur retour avec quelques colis collectés à la hâte par le collectif et plusieurs autres associations qui se sont mobilisés pour la cause. Ils rentrent ainsi bredouille et leur foret continuera ainsi a être dévastée. Espérons tout simplement que les actions engagées par une kyrielle d'ONG soucieuses des projets Baka ne s'essouffleront pas avec leur départ.


BERHUSE S.
Bruxelles