arch/ive/ief (2000 - 2005)

Unité et fraternité. Ex-Yougoslavie
by Cécily Tuesday September 10, 2002 at 12:35 PM
cecilyfalla@wanadoo.be

En 1999, Pierre-Henri Bunel, militaire français travaillant dans les services de renseignement de l'OTAN pour la Yougoslavie, fut arrêté et condamné à une peine de prison pour trahison. L'Etat français l'accusa en effet d'avoir fourni des renseignements aux Serbes.

En 1999, Pierre-Henri Bunel, militaire français travaillant dans les services de renseignement de l'OTAN pour la Yougoslavie, fut arrêté et condamné à une peine de prison pour trahison. L'Etat français l'accusa en effet d'avoir fourni des renseignements aux Serbes. Une brève campagne de presse en rajouta, lui imputant des sympathies pro-serbes et pro-nazies.

Il protesta qu'il n'avait jamais voulu trahir, mais seulement intoxiquer. Qu'avait-il donc fait exactement? Eh bien, contacté durant l'automne 98 par un agent serbe du même genre de services que lui, et interrogé par cet agent sur les intentions et les moyens de l'OTAN contre Milosevic, il lui avait répondu, documents à l'appui, que les frappes étaient un principe admis par tous les Etats-membres de l'OTAN, ce qui était encore faux à l'époque; et que si elles avaient lieu, elles étaient prévues pour atteindre non seulement des objectifs militaires mais aussi des objectifs économiques, voire de service public, ce qui était vrai. Donc, elles désorganiseraient profondément ce qui restait de la Yougoslavie.

Bunel trouvait que le recours prévu à la force diffuse et aveugle des frappes aériennes serait catastrophique pour les habitants civils de Serbie et du Kosovo. Il était prêt à faire du zèle pour essayer d'empêcher les frappes. En répondant par cette intoxication à la demande de son homologue serbe, il espérait que ses informations inquiéteraient assez les Serbes pour qu'ils retirent leur troupes du Kosovo sans que l'OTAN n'ait besoin de recourir à la force.

Bunel fut bien ébahi de se voir arrêté et accusé. Il fut encore plus ébahi d'être condamné malgré ce qu'il avait à dire pour sa défense. Une fois en prison, il se révéla à l'administration pénitentiaire comme quelqu'un de tellement étranger à ce qu'on lui avait imputé, ainsi qu'à toute forme de délinquance, qu'il fut libéré au bout de quelques mois.

Il suppose que la France, pour se laver des accusations américaines de complicité avec les Serbes, devait trouver parmi ses militaires détachés à l'OTAN un espion pro-serbe, afin d'en faire un fusible, et que par hasard, cette dernière utile mission lui échut.


Témoignage de l'intérieur du système

Sorti de Saint-Cyr durant les années 70, Bunel comptait une quinzaine d'années de carrière dans les services de renseignement, où ses connaissances en Arabe et en Anglais faisaient de lui un spécialiste de l'islamisme moderne. Une fois brutalement déchargé de toute obligation à l'égard de l'administration française, il décida, tant qu'à faire, de devenir un vrai traître à la discrétion professionnelle et d'écrire sa carrière.

Son premier livre, « Crimes de guerre à l'OTAN » (Carnot, 2000), relate ses années 95 à 98 en Bosnie, suivies de ses fonctions à Bruxelles au siège de l'OTAN, de sa rencontre avec l'agent serbe, de son arrestation et de sa libération.
Le suivant, « mes services secrets » (Flammarion, 2001), raconte la partie antérieure de sa carrière. On y voit la guerre du Golfe et l'opération Restore Hope en Somalie, notamment.

Suite aux attentats du 11 septembre, Bunel a aussi collaboré avec Meyssan à la preuve que ce n'est pas un avion, mais un missile qui a atteint le Pentagone le 11 septembre. En se basant sur sa connaissance des explosions et des incendies, dont il avait fait son option pendant ses études, il confirme ce point précis des recherches de Thierry Meyssan. Bunel a écrit un chapitre du « Pentagate », le deuxième livre de Meyssan. Pour autant, Bunel, contrairement à Meyssan, se refuse à croire que les Américains ont eux-même programmé les attentats contre le WTC.

C'est grâce à leur collaboration que, m'intéressant aux recherches de Meyssan, j'ai trouvé les références aux deux ouvrages de Bunel. En effet, ces deux ouvrages sont mentionnés dans « L'effroyable mensonge », de Guillaume Dasquié et Jean Guisnel (La découverte, 2002).

Or, les auteurs de « L'effroyable mensonge » ont le parti-pris de se moquer de tout l'entourage de Thierry Meyssan. Ils veulent en effet démontrer que, pour rédiger « L'effroyable imposture », Meyssan a pris ses informations chez des personnages très folkloriques et peu crédibles. Des paranoïaques, des adeptes des soucoupes volantes, des pro-nazis révisionnistes... Mais quand les auteurs de « L'effroyable mensonge » évoquent Pierre-Henri Bunel, il y a soudain dans leur ton une neutralité, un respect extraordinaires vu leur parti-pris. Voilà qui est intrigant et on envie de mieux connaître quelqu'un d'aussi impressionnant.


OTAN contre USA ( !)

D'après « Crimes de guerre à l'OTAN », on a l'impression que Bunel n'a peut-être pas servi de fusible par hasard. Il n'a pas été accusé de trahison rien que parce que, sur le moment, les Français cherchaient un espion pro-serbe parmi leurs rangs à jeter en pâture aux médias et aux Américains. Il a peut-être été choisi parce que cela faisait depuis 1995 qu'en prenant au sérieux le rôle affiché de l'IFOR, la force de l'OTAN envoyée en Bosnie, il dérangeait du beau monde dont il ne voulait pas comprendre les intentions ineffables.

En 1995, il avait été envoyé en Bosnie pour faire partie du service de renseignement du corps de réaction rapide de l'OTAN, présent au pays pour désarmer les chefs de guerre et faire respecter les accords de Dayton. Ces accords prévoyaient une Bosnie fédérale, dont une partie serait serbe et l'autre croato-musulmane. Bunel resta dans le pays jusqu'en 1998, jusqu'à sa mutation à Bruxelles.

Pendant ces trois ans, il voulut que le service de l'OTAN où il travaillait se renseigne avec rigueur et objectivité sur les chefs de guerre, quelque soit leur bord. C'était un préalable nécessaire au désarmement de ceux-ci, quelque soit aussi leur bord. Un des objectifs de l'IFOR après les accords de Dayton était, par exemple, de débarrasser la Bosnie des check points qui constellaient le pays de « frontières » intérieures dont les tenants rackettaient les passants à qui mieux mieux. Si l'on pouvait aussi saisir les kalachnikovs de ceux qui tiraient à la cantonade sans s'inquiéter d'où les balles pouvaient retomber, ce ne serait pas mal non plus. Bref, c'étaient des opérations de gendarmerie, et de celles qui soulageraient franchement la population civile. Tel était l'objectif de l'IFOR et Bunel faisait partie du service de renseignement qui rendait ces actions possibles.

Or, à ce poste, il se rendit bien vite compte que certains Américains, placés à des postes à responsabilités dans l'IFOR, montraient un curieux penchant favorable aux milices du bord islamique.

Depuis des années, il y avait certaines influences islamistes en Bosnie, mais elles étaient restées très minoritaires jusqu'à la montée du nationalisme serbe à partir de 1986. Le nationalisme serbe, en effet, a entraîné par réaction le déchaînement des autres nationalismes. Izetbegovic, le président des Musulmans de Bosnie élu au début des années 90, avait entretenu depuis le début des années 80 de bonnes relations avec la révolution islamique d'Iran. En 1983, dans la tradition titiste de lutter contre les nationalismes, il avait été comdamné à une peine de prison pour avoir sensibilisé les Musulmans de Bosnie à la Charia à la mode de Khomeini.

Or, de 95 à 98, en violation des accords de Dayton qui prévoyaient la fin des milices et le désarmement, le gouvernement d'Izetbegovic continuait à entraîner dans des villages reculés du pays des Iraniens, des Saoudiens, des Pakistanais, des Afghans et des Algériens, qui affichaient à l'égard de l'IFOR une étrange arrogance, comme s'ils étaient protégés de plus haut.

Dès la fin de la mission de l'IFOR en Bosnie, les Etats-Unis entendaient poursuivre un plan de réarmement de la fédération croato-musulmane, afin, disaient-ils, que le rapport de force entre les Serbes et le nouvel Etat soit égal et que cela soit source de stabilité. Mais pratiquement, ils n'attendaient guère la fin de la mission de l'IFOR. De plus, leur action revenait curieusement à promouvoir des chefs de guerre qui importaient dans le pays un islam radical dont la population islamique de Bosnie, en réalité, ne voulait pas. L'islam et l'islamisme sont en effet deux choses fort différentes. Quand Bunel allait visiter les villes, quand il se promenait dans les rues et sur les marchés entre deux visites qu'il rendait à des centres islamiques sous divers prétextes et couverture, cela lui faisait un curieux effet, ce greffon islamiste artificiel sur un pays où la majorité des habitants étaient de religion islamique, mais habitués à vivre à l'occidentale, et où la religion avait été vécue, depuis des années, sur un mode laïc, individuel, tolérant.

Dans les montagnes, un village militaire, considéré par la communauté internationale comme un haut lieu représentatif de la nouvelle fédération croato-musulmane, était considéré par les habitants de la région, musulmans pourtant, comme un nid de guêpes dont ils auraient bien supplié l'IFOR de les débarrasser. Dans ce village, il s'avéra qu'on apprenait aux recrues à faire, en civil, des attentats à la mitrailleuse ou à la bombe en pleine ville. Bref, du terrorisme. Or, Bunel et ses services s'aperçurent aussi que de tels endroits étaient fournis par des avions qui ne pouvaient appartenir qu'à la CIA. L'IFOR de l'OTAN, ainsi, acquit des preuves que la CIA torpillait son travail, et toute perspective de démocratie en Bosnie, en armant et en entraînant les islamistes bosniaques et étrangers présents dans le pays.

Ce voyant, Bunel contourna, désinforma, neutralisa quelques infiltrés de la CIA dans l'OTAN. Il agit avec la franche complicité des Anglais, qu'il révèle comme des gens bien plus anti-américains qu'on nous les présente habituellement, ne serait-ce que par l'effet de quelques vieux dépits de fin de colonialisme. Il était aussi aidé par quelques Américains loyaux à l'OTAN. Ensemble, ils estimaient que l'OTAN, qui était en Bosnie en tant que force supranationale et force de paix, devait travailler contre quiconque armait et voulait la guerre, y compris les Américains qui se révélaient poursuivre ce but. Les Etats-Unis étaient en effet un Etat comme les autres et il n'y avait pas de raison de les considérer comme le gouvernement supranational implicite du monde.

Selon Bunel, la paix en Bosnie était réalisable s'il n'y avait pas ces hauts conspirateurs. Bunel suppose que ceux-ci arment les extrémistes islamistes simplement pour écouler des armes, mais peut-être aussi les entraînent au terrorisme pour faire grandir en Europe le même ennemi islamiste que celui qui harcèle l'URSS puis la Russie depuis belle lurette. Selon Bunel, les Américains craignent l'Euro, car l'Euro peut rendre le monde multipolaire et déranger la pax americana qui est le projet américain de l'après-guerre froide.

Peut-être que la mutation de Bunel à Bruxelles au siège de l'OTAN en 98 était déjà une mesure de précaution pour qu'il cesse de gêner en Yougoslavie. Mais à Bruxelles, il n'a pas fini de faire ses constatations gênantes. Au siège de l'OTAN, il découvre que le type d'Américains que sur place il identifiait comme acquis au département d'Etat, au Pentagone et à le CIA plutôt qu'à l'OTAN, est majoritaire. Les Européens, eux, non seulement occupent des postes accessoires, mais semblent plus soucieux d'avantages personnels que d'Europe et de paix en Europe.

C'est dans ce milieu-là que Bunel fait du zèle; qu'il tente d'empêcher les Serbes d'être assez fous pour offrir leur pays aux frappes de l'OTAN; qu'il intoxique son agent serbe, sans avoir eu l'occasion d'en parler à son supérieur trop peu disponible à ce moment. Bunel agit comme celui qui a vu de près les civils de Yougoslavie, reçu leur ras le bol des nationalismes et des chefs de guerre, entendu leur aspiration à quelque chose qui ressemblerait à la Yougoslavie multi-ethnique et à sa politique d'unité et de fraternité.

Cécily
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Source ?
by Gourbi Tuesday September 10, 2002 at 01:17 PM

C'est quoi la source de cet article ?

source
by Cécily Tuesday September 10, 2002 at 02:01 PM

"crimes de guerre à l'OTAN", Carnot 2000.

Source
by Cécily Tuesday September 10, 2002 at 04:14 PM

Auteur du livre "Crimes de guerre à l'OTAN": Pierre-Henri Bunel. Je le répète pour les pressés; pour les autres, c'est dans l'article.

Cool, cecily :)
by yannindy Tuesday September 10, 2002 at 07:30 PM
yannindy@yahoo.fr

Y'a toujours des gens qui lisent trop vite :))
N'empêche, c'est un excellent résumé. As-tu une idée d'où trouver le bouquin en Belgique?

A+
Y

Avalé café de travers
by Cécily Wednesday September 11, 2002 at 10:51 AM

Je l'ai commandé dans une librairie et reçu deux semaines plus tard.
Mais attention. Ce matin en commençant à lire le suivant ("mes services secrets"), j'ai avalé mon café de travers au moment où Bunel raconte en jubilant comment des collègues se sont fait embaucher en 1985 dans un atelier naval pour saboter le Greenpeace. Résultat,le navire s'est trouvé à la dérive en pleine mer pendant que les essais nucléaires pouvaient continuer à Mururoa pour la plus grande gloire de la France...
On est militaire ou on ne l'est pas!