arch/ive/ief (2000 - 2005)

Trop politiques, les réfugiés népalais ?
by Georges B Friday September 06, 2002 at 11:43 PM
g.berghezan@euronet.be 02 520 72 51 rue Rabelais, 7 - 1070 Bruxelles

En violation de la loi sur le commerce des armes, des fusils-mitrailleurs « made in Herstal » devraient donc être livrés au Népal dès qu'un parlement y sera rétabli. Des réfugiés népalais racontent pourquoi ils ont dû fuir la « jeune démocratie » chère à Louis Michel et Guy Verhofstadt et comment ils ont été accueillis en Belgique.

Nabin Sapkota : Au Népal, j'étais militant du « Front de masse », un mouvement non-violent et alors légal, proche du CPN-M, le parti communiste maoïste qui dirige également la rébellion armée. Mon rôle était d'organiser les gens et de donner des conférences. Je suis originaire d'une famille paysanne et vivait à Kalikata, dans le centre du pays. Après un affrontement entre la police et la guérilla, en mai 1998, j'ai été accusé du meurtre d'un policier. Pour étayer son accusation, la police a placé un pistolet chez moi, avant de perquisitionner ma maison. Elle ne m'y a pas trouvé, car je craignais depuis plusieurs jours d'être arrêté. En la menaçant d'être elle-même arrêtée et même violée, ils ont forcé ma femme à déclarer que j'avais tué un policier et m'étais emparé de son arme. Il était hors de question que je me rende à la police, car j'y aurais été torturé, peut-être à mort. Il me restait dès lors deux options : entrer dans la clandestinité ou fuir le pays.
J'ai choisi l'exil, en me rendant d'abord à New Delhi. Contre paiement, j'ai obtenu un faux passeport indien et un faux visa, ce qui m'a permis d'embarquer pour Paris. Un passeur m'a ensuite amené à Anvers où je vis depuis octobre 1998. Ma demande d'asile a essuyé un double avis négatif de l'Office des étrangers (ministère de l'intérieur) et du Commissariat général aux réfugiés et apatrides (CGRA). Des documents arrivés ensuite du Népal, prouvant que j'étais un militant politique recherché par la police, ont amené le CGRA à suspendre sa décision. Cela fait maintenant trois ans et demi que j'attends une nouvelle interview. Tous les mois, je dois me présenter à la commune pour y recevoir un cachet. En 2000, j'ai également demandé à bénéficier de la loi de régularisation. Je viens d'apprendre que ma demande a été rejetée, sous prétexte que je ne travaillerais pas et n'aurais pas étudié le néerlandais. J'ai fait appel, car cela est tout à fait faux : j'ai travaillé dans des serres de tomates à Kontich et suivi des cours de néerlandais, bien qu'il est vrai que je ne parle pas encore couramment cette langue.

Tum Lal Simkhada :Pour ma part, j'ai quitté le Népal en octobre 2000. J'étais membre d'une organisation étudiante, interdite depuis l'instauration de l'état d'urgence à la fin 2001, car sympathisante du CPN-M. Je vivais à Dhading, près de Katmandu, et partageais mon temps entre mes études et un travail pour le département des routes. Nous étions en train de préparer une assemblée étudiante quand la police et même l'armée se sont mises à nous harceler. De nombreuses personnes, dont mon cousin, ont été arrêtées. La police a perquisitionné chez moi et j'ai appris que j'étais l'objet d'un mandat d'arrêt. J'ai alors immédiatement fui en Inde avec un faux passeport népalais et suis arrivé à Anvers en suivant le même trajet que Nabin. A l'Office des étrangers, l'interview a été interrompue par une dispute qui m'a opposé à l'interprète, que je soupçonne de travailler pour l'ambassade népalaise à Bruxelles. Je n'ai donc pas eu le temps de produire mes arguments, mais j'a quand même reçu un avis négatif. La seconde interview, au CGRA, a eu lieu en avril dernier, en compagnie de mon épouse qui m'avait entre-temps rejoint. Les fonctionnaires ont trouvé de légères contradictions entre nos récits, justifiant ainsi un nouveau refus. Il faut dire qu'il leur est très facile de nous piéger avec des dates. Notre calendrier est fort différent du vôtre : nous fêtons le Nouvel An vers la mi-avril et, au Népal, nous sommes en 2059. Il nous est dès lors difficile d'éviter de petites erreurs sur les dates précises de ce qui nous est arrivé. Mon dernier espoir est une demande de régularisation que je viens d'introduire, me basant sur le fait qu'il m'est impossible de retourner au Népal sans y risquer ma vie.

NS : La torture est une pratique courante et se termine souvent par la mort du détenu. La police kidnappe également des opposants, que l'on ne retrouve jamais vivants. Il y a moins de trois mois, un journaliste a encore été assassiné. Malgré l'introduction d'un système parlementaire de façade – d'ailleurs le parlement a été dissous par le premier ministre parce qu'il ne lui convenait pas -, le Népal reste une monarchie féodale comme l'Europe en connaissait il y a plusieurs siècles. Les droits des nombreuses minorités sont bafoués, l'hindouisme est religion d'état, alors qu'une grande partie de la population pratique le bouddhisme, le droit à la propriété est pratiquement interdit aux femmes, la caste dite supérieure des brahmanes accapare tous les pouvoirs, la population y est une des plus misérables de la planète. Alors que l'économie est en banqueroute, le gouvernement dépense des millions d'euros en armes pour écraser une révolte populaire et maintenir par la force un des régimes les plus rétrogrades au monde.

TLS : Nous venons d'introduire un recours au Conseil d'Etat pour empêcher la livraison des mitrailleuses belges. Selon la loi de 1991, il est interdit de vendre des armes aux pays connaissant de graves tensions, une guerre civile ou des violations massives des droits de l'homme, ce qui correspond exactement à ce qui se passe au Népal. La décision des autorités belges est donc totalement illégale. Au lieu d'encourager des négociations entre le pouvoir et la guérilla, le gouvernement belge pousse l'armée et la police à utiliser la manière forte. Nous pensons que les problèmes du Népal sont politiques et que la solution doit donc être politique. Comme la grande majorité de la population, nous sommes en faveur de l'abolition de la monarchie, l'instauration d'une république parlementaire, la promulgation d'une nouvelle constitution et la formation d'un gouvernement représentatif. Nous restons partisans du socialisme, mais notre combat immédiat vise à l'instauration d'un état de droit, respectueux des libertés et des droits de tous les Népalais, sur le modèle de l'Europe occidentale.

NS : Comme vous pouvez vous en rendre compte, nous ne cachons pas notre engagement politique. Il est la cause de notre exil Mais nous ne comprenons pas que, dans un pays se disant démocratique, on nous dénie le droit à l'asile, car nous avons été persécutés pour des raisons clairement politiques. Environ un millier de Népalais ont demandé l'asile ici, la plupart depuis 1996, et une bonne moitié durant la seule année 2001. Aucun n'a été reconnu comme réfugié. Quelques uns ont bénéficié de la loi sur la régularisation. Comme par hasard, parmi ces derniers, on ne trouve aucun militant actif. Serions-nous trop politiques au goût des autorités belges pour avoir droit au statut de réfugié politique ?

Propos recueillis par Georges Berghezan

NB interview commandée, puis refusée, par « Le Journal du Mardi »