Joyeux anniversaire ! by Sami El Saudi Thursday September 05, 2002 at 01:12 PM |
Mardi 03 septembre
A Jéricho, les geôliers américains et anglais de Fouad Choufkhi, le lampiste de l'affaire du Karine A et des assassins du ministre israélien des transports, Rehavam Zeevi, ont reçu des menaces de mort de la part de miliciens locaux. La présence des anglo-saxons sur place fait suite à l'accord qui était intervenu entre Yasser Arafat et les Israéliens afin de trouver une issue au confinement de ces personnes à la Moukata de Ramallah. Il faut aussi rappeler que ces gens ont été jugés par le même Arafat, constitué cette fois en tribunal, et qu'ils ont été condamnés par la justice palestinienne à de lourdes peines de prison.
Les Américains et les Britanniques ont fait savoir que si les menaces se répétaient, ils évacueraient leur personnel de Jéricho. Pour les observateurs que nous sommes, cela signifie, en clair, qu'ils remettraient leurs prisonniers aux Israéliens, soit que les Israéliens viendraient les chercher tous seuls. Jéricho, ça n'est pas Gaza, et en plus, la petite ville est entièrement encerclée par l'armée de l'Etat hébreu, ils n'auraient ainsi, de toutes façons, aucune peine à appréhender les prisonniers.
Cette semaine aussi, une jeune femme de 18 ans a été exécutée d'une balle entre les yeux par les Brigades d'El Aksa. Elle aurait aidé les juifs à mettre la main sur Raad Karmi. Il y a une semaine, c'est la tante de l'adolescente qui avait déjà subi le même sort et pour les mêmes raisons.
On meurt pour un rien, ces jours, dans la rue palestinienne. On peut se prendre un obus perdu d'un tank israélien et perdre toute sa famille en l'espace de quelques secondes – 14 personnes en fin de semaine sont décédées des erreurs israéliennes ! -, à moins que ce ne soit la balle égarée d'un milicien intégriste. Personne n'est non plus à la merci du mouchardage d'un voisin avec lequel vous êtes en mauvais termes. C'est si facile, d'être accusé d'intelligence avec l'ennemi, il suffit, par exemple, que l'on ait vu des Israéliens chez vous avant l'Intifada pour que vous soyez déjà suspect et de suspect à pendu par les pieds au coude d'un lampadaire, la cascade des événements fâcheux n'est malheureusement pas bien longue.
Des milliers de Palestiniens, innocents de tout acte d'espionnage, craignent ainsi de voir déboucher chez eux une bande de miliciens, vociférant un savant mélange d'insultes et de versets du Coran, et d'être suppliciés sans avoir eu la moindre chance de s'expliquer.
Voilà où on en est. On craint, on souffre et on a faim. Rien n'est sûr, chaque acte banal de survie nécessite désormais des trésors d'imagination et des montagnes de patience. En plus, dans les rues, règne une atmosphère d'exaltation malsaine. On attend tous que quelque chose se passe, on comprend bien que les choses ne peuvent pas continuer comme cela indéfiniment, mais rien ne se passe jamais – comme Juffa me le disait il n'y a pas si longtemps, dans notre région, il n'y a toujours que des mauvaises surprises - . Il n'y a pas de gouvernement, pas un centimètre d'activité qui ne soit pas basé sur des sables mouvants, sur des accointances avec des chefs de bandes influentes, un imam, ou un pacha improvisé, profiteur de l'Intifada.
A Gaza et à Bethlehem, nos policiers se sont déployés dans les rues et du côté palestinien des barrages avec l'armée israélienne. Mais il n'y a pas grand-chose à attendre de ces gens en uniforme, à peine peut-être d'organiser un peu mieux la circulation. A Gaza, pour l'instant, il regardent passer, sans réagir, les camions qui transportent peut-être des missiles improvisés Kassam ou des obus de mortier, eux aussi de fabrication maison. Comprenez, ils n'ont pas l'envie, ni les moyens d'imposer l'accord Gaza d'abord et surtout, il n'en ont même pas reçu l'ordre. Pour le moment on leurs a dit de se déployer, alors ils se sont déployés.
N'entendez pas que notre côté n'a pas les moyens de faire respecter l'accord, car je n'ai pas dit cela. Au contraire, il est clair que les forces de la Sécurité Intérieures, sous le contrôle désormais indirect de Muhammad Dahlan à Gaza et de Rajoub en Cisjordanie, peuvent faire ce qu'elles veulent. Les intégristes connaissent à la fois la force – ils n'ont pratiquement pas souffert de l'Intifada – et les méthodes des hommes des la Sécurité Intérieure et ils n'ont pas du tout l'intention de se mesurer à eux dans une bataille ouverte. Il semble dès lors que Dahlan entende reprendre possession de la rue graduellement, en monnayant chacun de ses actes au maximum avec tout le monde, que ce soit avec Arafat, les Israéliens ou les Américains ! Notre petit monde est devenu une aire de business, où toutes les choses normales et naturelles sont désormais à vendre.
Il n'en demeure pas moins que cela fait vingt et un jours qu'il n'y a pas eu d'attentats-suicides. Certes, l'accord n'est qu'un des facteurs auxquels on peut attribuer ce résultat. Il faudrait y ajouter les succès des Israéliens à appréhender ou à éliminer des chefs miliciens. Notre réservoir en bons organisateurs – quel que soit le but dans lequel il investissent leur talent – est tout sauf inépuisable et le Hamas et le Djihad sont certainement gênés par les opérations israéliennes. Il y a aussi eu des attentats déjoués, lorsque des jeunes gens ont soit été empêchés par leurs familles de se faire exploser en Israël, soit que leurs projets ont été déjoués par les soldats avant qu'ils ne se réalisent. Dans tous les cas du deuxième type, ce sont les renseignements qui ont mis la main sur les shahyds en puissance et pas des recherches mécaniques laborieuses.
Mais il y a aussi l'accord ! Il serait aussi erroné de compter sur lui pour résoudre immédiatement tous les problèmes, que malvenu de croire qu'il est mort-né. Le nouveau ministre de la sécurité intérieure, Abdellrazek al-Yahya a appelé les organisations palestiniennes à cesser les attaques suicides, dans une initiative qui est certainement plus que symbolique. Yahya a également déclaré : "Cessez les attaques et les meurtres sans raison. Revenez à la lutte légitime et sans violence contre l'occupation !".
C'est nouveau et ça n'est pas tout ce qu'il y a de neuf. A Gaza et à Bethlehem des observateurs égyptiens (on les reconnaît à leur accent) et jordaniens (on dit qu'il y aurait aussi des Saoudiens mais je n'en ai personnellement pas vus) sont arrivés pour aider à la mise en place du nouvel accord et leur présence se fait habilement sentir sur le terrain. A Bethlehem, depuis le départ des tanks, les incidents ont été rares et l'accord semble tenir. Les Tanzim, privés de leur chef Barghouti, en attente de procès dans une prison israélienne, n'ont pas réinvesti Bet Jala et les tirs contre le quartier de Gilo n'ont pas repris.
Jeudi, je suis allé traîner dans les locaux de la municipalité de Bethlehem, pas loin de la basilique de la Nativité. J'y ai vu des scènes que vous ne comprendriez pas ! Parmi les fonctionnaires municipaux, ceux de l'Autonomie Palestinienne (du gouvernement Ndlr.), les chefs de la police et des miliciens, tout le monde s'exprime contre l'accord Gaza et Bethlehem d'abord. C'est surtout qu'ils ne veulent pas renoncer à la promesse d'Arafat, au mythe de la bataille finale pour la libération de toute la Palestine (comprenez, la Palestine avec Tel Aviv, Haïfa etc. ça n'est pas la salle de rédaction du Monde ou de Libération ici. Personne n'essaie, lorsqu'on parle en arabe, de dissimuler les buts avoués de l'Intifada !).
Dans les discussions qui ont lieu à la municipalité de Bethlehem, comme partout ailleurs en Palestine, c'est être peureux et traître à la cause que de s'exprimer en faveur de la fin de l'Intifada. Et tout le monde comprend qu'il s'agit du vrai enjeu de ce nouvel accord. Mais tout le monde comprend aussi qu'à poursuivre un but inatteignable, contre un adversaire cent fois supérieur, on s'affaiblit et on souffre. Même ce sacré lyrisme chevaleresque arabe, qui voudrait que l'individu sacrifie tout à la nation et à la foi n'y peut rien. Alors, ils tonitruent et s'exaltent tous, mes frères, dans ce que vous auriez hâte d'appeler mensonges ou illogismes mais qui illustrerait seulement votre incompréhension du lyrisme arabe. Ce sont plutôt de grands enfants, qui veulent ainsi montrer leur patriotisme au ministre d'Arafat, venu leurs expliquer pourquoi il est dans notre intérêt de faire respecter l'accord.
Et le ministre prétend que notre respect du cessez-le-feu va mettre Sharon dans l'embarras, il va montrer à l'univers entier que les Israéliens sont bellicistes et tordus. C'est donc dans l'intérêt de la cause, de jouer ce mauvais tour au Premier ministre israélien.
C'est que l'Autorité Palestinienne et surtout son chef absolu font face à un problème insurmontable : Ils savent que l'Intifada est perdue et que sa poursuite ne fait que prolonger inutilement la souffrance et la destruction du peuple palestinien. Mais comment y mettre fin après un tel appauvrissement, après autant de morts ? Y mettre fin, pour Arafat, c'est reconnaître implicitement que la décision stratégique de commencer l'Intifada était erronée. Même si le lyrisme arabe peut excuser n'importe quoi, et même s'il s'est spécialisé à transformer les pires défaites en plus grandes victoires, s'il y a retour au calme, il y aura du même coup et indéniablement échec de la stratégie porte avion exposée par mon camarade Jean Tsadik – et ô combien indispensable pour comprendre cette guerre -. Et s'il y a échec de la théorie du porte-avions, on va au devant d'un vide vertigineux !
Car enfin, si c'était pour accepter le partage en deux terres pour deux Etats (la solution que je soutiens, avec Abou Ala et Nusseibeh notamment) pourquoi avoir déclenché l'Intifada ?
Il y avait, à l'époque, un premier ministre israélien favorable au partage et un président américain ami véritable des Palestiniens. Les deux ne sont plus en fonction, les conditions d'une négociation ont très largement empiré pour nous ; le déclenchement de la guerre a amené Sharon au pouvoir et ce changement de composition de la population israélienne à l'égard d'une paix de compromis est uniquement la résultante de la politique du porte-avions d'Arafat. Il faudrait avoir le cerveau d'un ver de terre pour nier cette évidence !
Alors, à quoi votre Intifada aura-t-elle servi, M. Arafat ? Si la stratégie, c'est l'art de coordonner des actions pour atteindre un but, c'est aussi l'art de ne pas se tromper ! Quatre choses sont sûres, au moins, dans cette débâcle que vous nous avez fait subir :
- Il était possible de créer rapidement un Etat palestinien sur la base d'un consensus avec les Israéliens. Le refus de la paix de Camp David - avec tout ce qu'elle avait de dur à avaler pour les Palestiniens – signifiait notre refus de créer notre Etat par consensus, signifiait lui préférer les approximations stratégiques d'un apprenti stratège !
- Les seules conditions négociables par consensus sont celles plus ou moins contenues dans le plan Clinton. Les détails encore irrésolus à l'époque de Camp David ne justifiaient EN AUCUN CAS le déclenchement de l'Intifada.
- Sharon et Bush ne veulent pas du plan Clinton. La situation a donc très nettement empiré pour les Palestiniens.
- C'est l'Intifada qui a porté Sharon au pouvoir – on l'a dit – mais c'est elle aussi qui a précipité le camp de la paix par consensus – qui était alors aux affaires – dans l'opposition en Israël. Arafat voulait, ce faisant, condamner tout retour de l'Intifada à la négociation. Il a mis tous ses œufs dans le panier de la solution du porte-avions, sans n'envisager de ligne de repli ou de solution alternative.
Voilà où on en est, deux ans exactement après le déclenchement de l'Intifada : Sans force militaire internationale d'interposition, sans recours politique, sans partenaires potentiels aux affaires en Israël, sans travail en Israël pour nos ouvriers, sans commerce, sans libertés et sans rien à manger.
Lorsque nous vous disions que les méprises stratégiques sont les plus terribles de toutes, il aurait vraiment fallu nous écouter ! Joyeux anniversaire !
tragédie palestinienne by Christophe R. Thursday September 05, 2002 at 02:07 PM |
Là, on est en plein dans la tragédie palestinienne... ou, quand le bien-être d'un peuple est sacrifié sur l'autel du pouvoir corrompu.
Triste.