arch/ive/ief (2000 - 2005)

Lettre ouverte au Minsitre de la Justice
by Mustafa Sari Wednesday September 04, 2002 at 05:19 PM
mustafa.sari@yucom.be

Concerne le silence du Ministre de la Justice au sujet du courrier et de la lettre ouverte que je lui ai adressés le 30 juillet 2002

Monsieur le Ministre de la Justice
Monsieur Marc VERWILGHEN
Chaussée de Waterloo, 115
1000 BRUXELLES

Recommandé


Liège, le 03 septembre 2002.



Monsieur le Ministre,

Concerne : Votre silence au sujet du courrier et de la lettre ouverte que je vous ai adressés le 30 juillet 2002.

Objet : Votre référence : CAB/9/1074/BVB/15270
Ben Van Beurden / Muriel Gerkens, députée fédérale Ecolo


Le 12 août dernier, j'ai pris l'initiative d'une ultime tentative de dialogue, et j'ai eu un entretien téléphonique avec votre collaborateur Monsieur Ben VAN BEURDEN dont, tant le comportement réflexe de manipulateur professionnel, que l'arrogance et la grossièreté déconcertantes, m'ont rappelé ces propos de Freud: «La seule consolation qu'on a avec les pervers, c'est se dire que ça se termine toujours mal. »

Le pervers, le mot est lâché; mot à propos duquel je souhaite vous soumettre l'analyse qui suit, avant de prendre l'initiative dont je vous entretenais dans mon courrier et ma lettre ouverte cités sous rubrique; initiative qui, dans l'hypothèse la plus optimiste, pourrait amener devant la Cour d'assises l'affaire qui me préoccupe depuis plus de sept ans, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, et partant, la soumettre à l'examen du jury populaire.

Durant ces longues années, je n'ai voulu que l'application de la loi, et j'ai fini par comprendre que ce mot, la loi, est celui qui a, sans nul doute, le moins de sens pour les pervers qui n'ont cessé de vouloir que le vrai et le faux soient indiscernables, et de vouloir transformer les questions relatives à la recherche de la vérité en problèmes de pouvoir et de rapports de force.

Dans la mesure où j'estime avoir épuisé tous les moyens de recours dans le respect strict de la légalité et des règles et des principes du droit, il me faut à présent agir fermement sans craindre le conflit. En me plaçant à l'origine de la crise ouverte, je peux paraître être l'agresseur. Cela m'importe peu or c'est une nécessité, et non pas un choix, que j'assumerai car d'elle seule peut venir un changement. La crise permettra peut-être à la vie de renaître, vie que j'ai appris à oublier durant ces longues années.

Je reste convaincu et persuadé que, plus la crise sera retardée, plus elle sera violente: j'espère, sans trop d'illusions, être compris, et je me permets de vous entretenir de l'objet principal de la présente.

Je souhaiterais illustrer ici par un exemple l'un des jeux pervers, celui organisé autour de la problématique de la réponse à une question posée; jeu auquel j'ai été forcé à faire face durant ces longues années, durant lesquelles je n'ai cessé de poser à qui de droit la question suivante, parmi les trois questions fondamentales.

La question : le mandat d'arrêt dont j'ai été l'objet le 21 juin 1995 concernait-il réellement une affaire judiciaire, ou avait-il été conçu comme l'instrument de la pratique du terrorisme d'Etat par voie judiciaire ?

A cette question, Monsieur le Procureur général près la Cour de Cassation a réservé aussi «une » réponse par son courrier du 8 février 2001, prétendue réponse à laquelle vous disiez vous rallier dans votre lettre du 17 avril 2001, qui m'a été adressée, et ce, dans ces termes : « Etant donné que vous avez obtenu des réponses, et ce, à plusieurs reprises, (…) il m'apparaît désormais inutile de poursuivre toute correspondance à ce sujet. » (cfr. mon courrier suscité du 30 juillet 2002).

La question et une réponse; la même question et encore une réponse ; toujours la même question et encore une réponse, et in fine, la question et des réponses mais jamais la réponse à la question.

Quelle était effectivement la prétendue réponse de Monsieur le Procureur général ? Je me permets de la citer ici pour mémoire :

«Quant à votre première question, au vu des pièces jointes à votre lettre précitée, je ne puis que vous confirmer ce que Madame l'avocat général Spriesterbach vous a répondu le 25 janvier 1998, à savoir que le mandat d'arrêt concerne une affaire judiciaire. Au demeurant, je me permets, à toute fin utile, de vous préciser que l'organisation judiciaire du Royaume de Belgique s'oppose en droit comme en fait à ce que le mandat d'arrêt soit utilisé comme «instrument de la pratique du terrorisme d'Etat par voie judiciaire» (sic)»

Monsieur le Ministre,

Ne voudriez-vous pas m'indiquer la réponse à ma question, aussi, dans cette réponse de Monsieur le Procureur général, réponse par laquelle vous sembliez être satisfait, comme vous sembliez être étonné de mon insatisfaction.

Vous conviendrez sans nul doute avec moi que ma question n'était pas de savoir si «un » mandat d'arrêt ne devrait concerner, en principe, qu'une affaire judiciaire, mais que ma question est de savoir si «le» mandat d'arrêt dont j'ai été l'objet concerne réellement une affaire judiciaire.

Monsieur le Procureur général estimait donc qu'un mandat d'arrêt ne peut concerner qu'une affaire judiciaire, et il en voulait pour preuve irréfutable que l'organisation judiciaire du Royaume de Belgique s'opposerait en droit comme en fait à ce que le mandat d'arrêt soit utilisé à des fins autres que judiciaires, et encore moins comme instrument de la pratique du terrorisme d'Etat.

Selon Monsieur le Procureur général, donc, la question que je pose n'est pas une question qui peut être posée : elle n'a pas de sens, pour ne pas dire qu'elle est «délirante».

En prenant les devants, Monsieur le Procureur général répondait aussi à la question qui n'était pas posée par moi mais qui se posait d'elle-même, et qui consiste à savoir comment il sait que l'organisation judiciaire du Royaume de Belgique se serait opposée, en droit comme en fait, à l'utilisation du mandat d'arrêt dont j'ai été l'objet, comme instrument de la pratique du terrorisme d'Etat : «les mandats d'arrêt sont soumis au contrôle des juridictions d'instruction »

Monsieur le Ministre,

Ne voudriez-vous pas interroger Monsieur le Procureur général près la Cour de cassation pour savoir, d'une part, quelle serait, selon lui, la juridiction d'instruction qui, au sein de l'organisation judiciaire du Royaume de Belgique, aurait pour mission le contrôle des mandats d'arrêt avant que ces derniers soient décernés et avant la première comparution devant la Chambre du Conseil dans les cinq jours suivant la délivrance de ce même mandat ?

Et d'autre part, pour savoir quelle est la compétence de ces juridictions d'instruction, compétence qui leur est conférée par la loi, et si, en vertu de ladite compétence, elles ont la mission de vérifier le motif réel dissimulé derrière le mandat d'arrêt, de juger le fond, et de répondre donc à ma question ?

Et ce, en tenant compte du fait que ma question ne concerne que l'utilisation du mandat d'arrêt à d'autres fins que judiciaires avant que ledit mandat soit soumis au contrôle des juridictions d'instruction, à savoir la Chambre du Conseil et la Chambre des Mises en accusation (cfr. ma lettre ouverte suscitée, pp. 6-7).

Ce qui précède n'est-il pas la preuve de ce que le procédé habituel des pervers est d'utiliser un langage technique, abstrait, dogmatique, pour entraîner leur interlocuteur dans des considérations auxquelles ce dernier ne comprendrait rien et pour lesquelles il n'oserait pas demander d'explications de peur de passer pour un imbécile ?

N'est-ce pas ainsi que, dans un mécanisme interpsychique dont il se croit maître, le pervers tente de plonger son interlocuteur, qu'il considère comme son partenaire, dans un monde de langage qu'il croit définir et contrôler ?

En effet, le pervers a pour croyance, pour ne pas dire idéal, d'être le maître des mots et de leur sens: il aime asservir le langage. Il croit avoir le pouvoir-faire que les mots signifient autre chose que ce qu'ils veulent dire : « Lorsque moi j'emploie un mot, il signifie exactement ce qu'il me plaît qu'il signifie, ni plus ni moins.»

A n'importe quel autre interlocuteur, si on ne comprend pas, on peut poser des questions. Avec le pervers, on est toujours à la limite de l'interprétation. Quand une question directe est posée, le pervers élude. Et les mensonges qui consistent à répondre de façon imprécise, ou à côté, ou par une tactique de diversion, s'attachent toujours aux détails.

Il se convainc et se persuade ainsi qu'il n'est pas de plus habile mensonge que de masquer la vérité en lui donnant l'éclairage qui la rend trompeuse : « Moi, la vérité, je mens ». En croyant prendre de cette façon les devants chaque fois, le pervers croit assurer ses arrières impunément et indéfiniment.

En altérant ainsi le langage, et en masquant la vérité par l'illusion d'éclairage, le pervers s'emploie à détruire le sens de la réalité en lui substituant ses fantasmes prêts à l'emploi grâce, à la fois, à l'abus du pouvoir réel qu'il détient et au pouvoir qu'il croit détenir des ressorts de sa puissance et de son abjection.

Pour ce faire, le pervers prend appui sur la convenance du politiquement correct, convenu précisément d'un langage dominant, le langage altéré, convention pour ne pas dire contrat social du parler faux, et il sait que tout se résume dans ce convenable absolu qu'il nomme «LE REEL » dans lequel il croit pouvoir annuler le tout, ôter le sens à tout, dans la soumission, étant persuadé de pouvoir réduire au silence son interlocuteur et faire de lui un pantin qui reçoit ce que le pervers lui intime de recevoir et de penser ce que le pervers voudra qu'il pense.

Le despote, souverain, en rêve depuis le temps des lumières: "Moi, la vérité, je parle." Le délire paranoïaque est là.

Et son interlocuteur, dont la pensée et la volonté ne seront pas engourdis dans le cercle étroit de la vie quotidienne, et qui continuera à se battre pour la défense de son droit, et qui manifestera encore de l'énergie pour résister, sera «accusé» d'être paranoïaque, souffrant de psychose de persécution parce que, selon le pervers, il mésestimerait le «REEL», ou ne tiendrait pas compte de la résistance du «REEL» à sa demande, ou à sa revendication qualifiée alors de «délirante ».

Lors de l'entretien que j'ai eu avec elle le 16 juillet dernier, Madame Danièle REYNDERS, Juge d'instruction près le Tribunal de Première instance de Liège, me disait ceci: « Monsieur Sari, vous avez été soumis sous mandat d'arrêt pour 5 jours. Ensuite, vous avez été blanchi par deux instances juridictionnelles. Puis, vous avez été mis sous observation psychiatrique le temps d'un week-end, et vous avez été libéré par un psychiatre compétent. Pourquoi ne tournez-vous pas ces pages sachant que vous n'aurez jamais les réponses aux questions que vous posez même si celles-ci sont légitimes, et que vous avez le droit de les poser. »

Ni le mandat d'arrêt, ni l'enfermement forcé, et donc sans motif, d'une personne, dans un milieu carcéral; ni une ordonnance judiciaire de mise en observation psychiatrique, ni l'enfermement forcé, et donc sans motif, d'une personne dans un milieu thérapeutique; ni le fait d'être accusé publiquement d'escroquerie et de détournement de fonds, ni être proclamé publiquement malade mental: Rien de tout cela n'a de sens. Il faut donc tourner les pages.

La réalité du commun des mortels ne s'inscrit décidément pas dans le «REEL» des pervers, et inversement.

La perversité ne provient donc pas d'un trouble psychiatrique, mais d'une froide rationalité combinée à une incapacité à considérer les autres comme des êtres humains. La dénomination de pervers choque et dérange parce qu'elle semble correspondre à un jugement de valeur eu égard au fait que la réalité fuie par le pervers et reconstruite par la perversion ne concerne pas seulement le champ psychique, mais couvre aussi le champ moral. Et elle renvoie clairement à la notion d'abus, et cela débute toujours par un abus de pouvoir.

Nous découvrons ainsi que la psychiatrisation de tout ce qui y résiste n'est pas seulement le fait des sociétés totalitaires, et nous comprenons comment elle peut être à l'œuvre aussi dans notre société et surgir comme un problème politique d'une gravité extrême.

En effet, la peur n'est ni dans le passé ni dans le présent, Monsieur le Ministre, elle est dans le futur. Car, si cette perversion qui règne en maître dans les vastes rouages de nos institutions, du plus humble au plus haut niveau, et qui défie les barrières de la loi afin de faire valoir la loi du plus fort et de semer la terreur de «la fin justifie les moyens », n'est pas dénoncée, elle se répand de façon souterraine par l'intimidation, la peur et la manipulation : c'est la base même du fonctionnement de la mafia et des régimes totalitaires sous le règne desquels je n'aurai certainement pas eu besoin, ni l'occasion, de poser ces questions:

1. Le 21 juin 1995, j'ai été privé de liberté et mis sous mandat d'arrêt le 22 juin.

Ce mandat d'arrêt concernait-il réellement une affaire judiciaire ou était-il conçu comme l'instrument de la pratique du terrorisme d'Etat par voie judiciaire ?

2. Le 19 mars 1999, j'ai été privé de la liberté et mis sous protection judiciaire le 20 mars pour cause de maladie mentale.

Cette ordonnance judiciaire de mise en observation psychiatrique concernait-elle réellement un dossier médical ou était-elle conçue comme l'instrument de la pratique du terrorisme d'Etat par voie psychiatrique ?

Réponses ?

Jusqu'au bout, jusqu'au dernier souffle et par tous les moyens que j'estimerais légitimes.


Espérant toujours, et sans trop d'illusion, que vous preniez l'initiative visant à rétablir les barrières de la loi, et ce, afin d'assurer la pérennité de notre Etat de droit, je vous prie de recevoir, Monsieur le Ministre, l'expression de ma respectueuse considération.


Mustafa Üner SARI

Rue du Bouxthay, 188
4041 VOTTEM
0494 / 68 84 10



Bibliographie

·Hannah ARENDT, Le système totalitaire, Seuil, 1969.
·Marie-France HIRIGOYEN, Le harcèlement moral. La violence perverse au quotidien, Syros, 1998.
·Boris CYRULNIK, Un merveilleux malheur, Odile JACOB, 1999.
·Maryvonne DAVID-JOUGNEAU, Le dissident et l'institution. Alice au pays des normes, L'Harmattan, 1989.
·Michel FOUCAULT, Les mots et les choses, Gallimard, 1966.
·Michel SCHNEIDER, Big Mother. Psychopathologie de la vie politique, Odile Jacob, 2002.
·Enzo TRAVERSO, Le totalitarisme, Seuil, 2001.
·Roger DADOUN, La psychanalyse politique, PUF, 1995
·Jean-Pierre WINTER, Les hommes politiques sur le divan, Calmann-Lévy, 1995