La Maison blanche et le Népal by Higinio Polo (Traduction: Nemo) Wednesday September 04, 2002 at 04:00 PM |
Article paru dans le premier numéro de 2002 de la revue trimestrielle de l'ONG Socialisme Sans Frontieres.
Au moment où de durs combats opposaient les "rebelles maoïstes" à Rolpa, à 150 km de la capitale du Népal Katmandou, le président de ce pays, Sher Bahadur Deuda se trouvait à Washington où il recevait une promesse d'aide du gouvernement US pour combattre les "rebelles". Le gouvernement Bush va ainsi adresser une demande au Congrès pour octroyer le plus rapidement possible une aide militaire de plusieurs dizaines de millions de dollars destinés à combattre la guérilla maoïste népalaise.
Pour justifier de telles dépenses mortelles, l'ineffable Ari Fleischer, porte-parole de la Maison blanche, qui a déjà été plusieurs fois accusé de mentir par des représentants de la presse internationale, a déclaré sans honte que « le Népal fait face à une rébellion maoïste et qu'il est un exemple de démocratie; c'est pour cela que les Etats-Unis s'engagent à aider ce pays ».
Les grands médias n'ont rien ajouté à ces informations. Un quelconque citoyen peu renseigné peut donc croire ces déclarations du porte-parole présidentiel d'un puissant pays et penser que les critiques exagèrent un peu trop en qualifiant de nouveau Ari Fleischer de menteur.
C'est pourtant de nouveau le cas. Le Népal n'a rien à voir avec ce que Fleischer affirme de lui: c'est un pays qui vit depuis les années '60 sous un régime démocratique de façade dénommé Panchayat et qui recouvre en réalité une véritable dictature dans laquelle le roi Birenda a systématiquement persécuté toute forme de dissidence politique.
En 1990, forcé et contraint par des protestations populaires croissantes, le Roi a dû accepter d'initier une processus sous contrôle d'ouverture démocratique qui mena aux élections de 1991 où le Parti communiste du Népal (maoïste) obtint à Katmandou près de 80% des voix bien que, dans les zones rurales, du fait de la fraude massive, ce sont les conservateurs monarchistes du Parti du Congrès népalais, contrôlé par l'actuel gouvernement, qui remportèrent les suffrages.
Le régime corrompu a donc pu se perpétuer et poursuivre son contrôle de toutes les sphères de la société. Preuves de cette corruption généralisée: de hauts officiers de l'armée ont été accusés de s'enrichir avec les ressources nationales et des responsables gouvernementaux ont été jusqu'à vendre leur propre passeport diplomatique aux réseaux de contrebande.
Le profondément corrompu roi Birenda, qui a étudié à l'université étasunienne d'Harvard, était considéré par le régime et par les religieux comme la réincarnation du Dieu Vishnou. Il a gouverné toute sa vie avec une main de fer pour maintenir une monarchie de style quasi-féodale. Tout au long de la décennie des années '90, la population n'a pu que constater avec amertume l'hypocrisie des promesses de changements politiques et de progrès social. Amnesty International a, à de nombreuses reprises, dénoncé le recours par la monarchie de la tactique de faire "disparaître" les membres de l'opposition. Des dizaines et des dizaines de cas ont été enregistrés par l'organisation de défense des droits de l'homme qui a également dénoncé le recours systématique à la torture dans les centres de détention de l'armée et de la police.
C'est cette situation sans issue démocratique qui amena le déclenchement de la rébellion communiste en 1996 qui, aujourd'hui, met en péril la survie du régime dictatorial. En juin 2001, s'est produit l'assassinat du roi Birenda. Ce qui fut présenté à l'origine par les grands médias occidentaux - avec pas mal d'informations confuses et de fausses références - comme l'œuvre de la guérilla a été en réalité un massacre d'une bonne partie de la famille royale par le prince héritier du régime qui s'est ensuite suicidé.
Il existe une lourde suspicion que ces assassinats aient en fait été le fruit d'un complot ourdi par le nouveau et actuel monarque, Gyanendra, frère de Birenda. Le roi Gyanendra est en tous cas encore plus à droite et réactionnaire que son prédécesseur au point qu'il accusa souvent son frère d'être trop magnanime dans la répression à l'encontre des opposants politiques. Son accession au trône a d'ailleurs provoqué une vague de manifestations et de protestations dans tout le pays.
Le nouveau roi Gyanendra n'a évidemment en rien modifié le caractère corrompu et féodal de la monarchie népalaise et a encore plus aggravé la répression politique. Au mois d'avril dernier, Amnesty International accusait les forces de sécurité du régime d'avoir exécuté quelques 1.300 présumés militants communistes et d'avoir arrêté arbitrairement des milliers de personnes à travers le pays.
La vie de la population laborieuse continue d'être d'une difficulté insupportable: les paysans survivent dans des situations extrêmes, s'échinant pour des salaires de misère sur des terres appartenant au Roi, à la caste religieuse et aux grands propriétaires terriens liés à la monarchie. Dans de nombreuses zones rurales, l'espérance moyenne de vie de ces paysans n'atteint guère les 35 ans.
Le régime de Gyanendra a décrété l'état d'exception dans tout le pays en novembre 2001 et la situation ne cesse de se dégrader depuis : au début du mois de mai s'est ainsi produit le massacre de plus de 500 membres du Parti communiste du Népal. Selon Amnesty International, qui a exigé une enquête indépendante, le gouvernement népalais, lui-même, a reconnu la mort de 548 militants communistes et de 3 soldats et 1 policiers... Toutes les barrières ont donc été levées; selon la même organisation, le gouvernement de Katmandou n'a pas donné les véritables chiffres des blessés et des arrêtés durant les combats, ce qui fait craindre que le nombre de victimes soit encore plus élevé vu qu'il soit courant que les forces gouvernementales exécutent purement et simplement les prisonniers.
Dans son dernier appel, Amnesty International a également exprimé sa préoccupation pour le fait que les autorités népalaises offrent publiquement une récompense à quiconque capture ou permet la capture, mort ou vif, de dirigeants communistes. Il est évident que cela suppose un appel public au meurtre.
Telle est l'atroce situation au Népal et il n'y pas de doute qu'Ari Fleischer la connaît, tout comme les responsables du Département d'Etat étasunien. Pour terminer, je ne sais ce qui est le plus inquiétant dans cette affaire: le régime sanguinaire du Népal ou les fonctionnaires de Washington qui jouent avec le destin et la vie de millions de personnes.
Photo: la guérilla maoiste