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Negri sur l'affaire Persichetti: "hysterie securitaire"
by Humanite Thursday August 29, 2002 at 05:07 PM

Interview du philosophe italien Toni Negri sur l'extradition de Paolo Persichetti, ex-membre des Brigades Rouges, de la France vers l'Italie

L'Humanite 28 Aout 2002 - POLITIQUE

Toni Negri : " Cette folie securitaire qui s'est emparee de l'Europe "

Pour le philosophe italien, l'arrestation et l'extradition de Paolo Persichetti participent d'une sorte " d'hysterie ", visant a " assimiler toute contestation a du terrorisme ".

Philosophe majeur de ce temps, Toni Negri, dont les idees se rattachent au " grand courant de la pensee politique moderne qui va de Machiavel a Spinoza, et a Marx ", a ete accuse, dans les annees soixante-dix, d'avoir inspire les exactions de la branche armee de " l'autonomie ouvriere ", connue sous le nom de " Brigades rouges ". Arrete en 1979, il purgea alors quatre ans et demi de prison - pendant lesquelles il publia notamment Marx au-dela de Marx - avant de recouvrer brievement la liberte, en 1983, a la faveur de son election comme depute du Parti radical. Son immunite parlementaire aussitot levee, il s'enfuit alors a Paris, ou il enseigna jusqu'en 1997 a l'universite Paris-VIII et au College international de philosophie. En juillet de cette annee-la, il decide de rentrer a Rome afin de " relancer le debat sur l'amnistie " sur la periode des " annees de plomb ". Incarcere des son arrivee a l'aeroport, il a subi, jusqu'a ces derniers mois, un regime dit de " semi-liberte ", qui lui permettait, le jour, d'enseigner a l'universite de Padoue, avant d'aller, chaque nuit, " dormir " en prison...
Comment expliquez-vous la decision des autorites francaises d'arreter Paolo Persichetti, puis de l'extrader immediatement vers l'Italie ? Faut-il y voir, selon vous, une sorte d'accord donne par Paris aux affirmations du gouvernement Berlusconi, pour qui il existerait un lien entre l'assassinat de Marco Biagi, le 19 mars dernier, et certains militants des Brigades rouges des annees soixante-dix ou quatre-vingt ?
Toni Negri. Paolo Persichetti etait le seul, parmi la centaine de refugies politiques italiens vivant en France, a pouvoir etre extrade tout de suite : mon sentiment est qu'il a ete expulse, en quelque sorte, pour l'exemple. Il y a quelque temps deja que les autorites italiennes developpent en effet l'idee d'une pretendue reorganisation des " Brigades rouges ", s'effectuant en interaction entre l'Italie et quelques pays etrangers. Le fait que plusieurs dizaines d'anciens " brigadistes " sejournent en exil a Paris a sans doute ete a la source, et d'assimilations totalement abusives, et de pressions extremement fortes de la part du gouvernement Berlusconi. Il y a la une thematique plus que dangereuse : tous les gens que je connais et qui vivent en France se sont tous eloignes de ce qu'etaient leur pensee politique et leurs engagements des annees 1970 ou 1980. Ils ont ete parfaitement loyaux a l'egard de l'Etat et des autorites francaises, et, a ma connaissance, aucun d'entre eux n'a jamais pris quelque position que ce soit de soutien ou d'appui a l'egard du terrorisme. La guerre est finie. Et depuis longtemps maintenant... Je pense donc que la decision des autorites francaises prend place dans la sorte de folie securitaire qui est en train de bouleverser l'Europe.
Precisement, comment cette " folie securitaire " se manifeste-t-elle aujourd'hui dans votre pays ?
Toni Negri. Il y a actuellement en Italie de grands mouvements sociaux qui ont toujours considere les actions de ceux qui se revendiquent des nouvelles " Brigades rouges " comme etant totalement opposees a leur propres objectifs, et qui y voient meme comme une sorte de provocation. Personnellement, je pense qu'il n'existe aujourd'hui aucun espace pour des actions armees dans la lutte politique italienne. Les nouvelles " Brigades rouges " sont totalement isolees, et elles n'expriment rien, meme pas des interets corporatistes ou subalternes : il n'y a la que fausse nostalgie, retroprojetee d'ailleurs jusqu'au ressentiment. Est-il besoin de souligner que Paolo Persichetti, que j'ai connu comme etudiant a Paris-VIII a l'epoque ou j'y enseignais, n'a strictement rien a voir avec ces groupes ? En realite, l'assimilation de quelque contestation que ce soit avec le terrorisme a atteint, en Italie, un point d'hysterie que l'on a du mal a imaginer. Recemment, la police a arrete quatre Marocains dans une eglise de Bologne parce qu'ils contemplaient une fresque representant Mahomet tombant en enfer : ils ont d'abord ete designes comme appartenant a une cellule d'al Qaeda qui preparait un attentat, avant d'etre relaches le lendemain...
En juillet 1997, lorsque vous avez decide de rentrer en Italie pour mettre " un point final " a votre " histoire judiciaire ", vous aviez, je vous cite, " l'intention de relancer le debat sur l'amnistie " et de mettre un terme a la juridiction d'exception sous laquelle vit votre pays depuis ce que l'on appelle les " annees de plomb ". Ou en est-on aujourd'hui ?
Toni Negri. En 1997, nous etions enfin parvenus a parler d'amnistie pour la periode que vous evoquez, meme si le processus a ete tres vite bloque : la Chambre des deputes avait vote un projet en ce sens, mais celui-ci a ete rejete des le mois d'octobre de cette meme annee par le Senat. Tres vite, on nous a explique que si nous devions beneficier de l'amnistie, il faudrait alors l'accorder a tous les delinquants de droit commun. Je pense que l'arrestation et l'extradition de Paolo Persichetti doivent etre l'occasion de relancer le debat public sur cette question. Qui peut accepter qu'il soit emprisonne pendant dix-sept ans, ce qui veut dire ici au moins douze ou treize ans sans aucun espoir de remise de peine ? C'est toute une vie... Cette situation est, pour moi, tout simplement inimaginable. Je crois qu'une grande mobilisation doit s'operer en Italie, mais aussi dans toute l'Europe, pour qu'un trait soit enfin tire sur les " annees de plomb "...
Avec Empire (1), vous proposiez de nouvelles pistes d'analyse du systeme mondial du capitalisme defini comme nouveau mode de controle transnational, et vous suggeriez de nouvelles utopies subversives : des solidarites sans frontieres, des " multitudes " comme autant de " contre-pouvoirs "... Qu'auriez-vous, tres sommairement, a " ajouter " a vos analyses a la suite des evenements du 11 septembre 2001 ?
Toni Negri. Je suis convaincu que la guerre est devenue un instrument de legitimation essentiel pour le pouvoir imperial. Dans le meme temps, je ne pense pas qu'il existe d'accord a priori sur ce point entre les differentes " elites " de l'Empire. Il y a des divergences fortes, a la mesure d'ailleurs de l'affirmation d'un unilateralisme ravageur de la part des Etats-Unis, qui se heurte a de multiples contradictions, jusque dans les aristocraties imperiales et jusqu'aux groupes multinationaux. Dans le meme temps, les premieres experiences de luttes, declarees ou souterraines, qui ont lieu dans ce nouveau territoire du pouvoir, fournissent quelques indications interessantes. D'abord, sur l'exigence d'une nouvelle expression de la democratie dans le controle des conditions politiques de reproduction de la vie. Ensuite, dans le developpement de mouvements par-dela le cadre national, qui aspirent a la suppression des frontieres et a une citoyennete universelle. Enfin, ces actions engagent des individus et des multitudes qui cherchent a se reapproprier la richesse produite grace a des instruments de production qui, du fait de la revolution technologique permanente, sont devenus la propriete des sujets. Au fond, seul le " commun ", au sens ou en parlait Spinoza, permet de se dresser contre l'Empire.

Entretien realise par
Jean-Paul Monferran

copyright
by zazie Friday August 30, 2002 at 12:54 AM

Indymedia n'a pas le copyright de cet article provenant du journal communiste français L'Humanité.Please hidde it!

Why hide it?
by copieur Friday August 30, 2002 at 10:05 AM

Tant Negri qu' Indymedia sont contre la propriete intellectuelle (et la propriete tout court). L'Humanite, en tant que journal communiste, devrait l'etre aussi. So why bother?

Humanité = groupe média = copyright
by red kitten Friday August 30, 2002 at 11:21 AM
redkitten@indymedia.be

Nous ne pouvons pas accepter que l'on copie/colle des articles sous copyright sur http://archive.indymedia.be parce que nous trouvons que ça ne vaut pas la peine de risquer un procès avec des grand groupes de média privés pour celà.

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Par ailleurs, le journal """ communiste """ [ si je ne met pas plus de guillemets, c'est uniquement par soucis d'économie ] l'Humanité a été racheté par un grand groupe média, sauf erreur Vivendi-Universal ... [ une -rapide- recherche ne me permet pas de confirmer à 100% si quelqu'un/e peut confirmer ou préciser ... ]