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Libres femmes de Palestine
by Marion Sigaut (présenté par Dominique) Saturday August 17, 2002 at 03:17 AM
dominique_pifpaf@hotmail.com

Le témoignage de Marion Sigaut est particulièrement touchant parce qu'elle est animée d'une véritable passion pour cette terre sainte de Palestine.

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Libres femmes de Palestine

Voici le deuxième texte que j'ai trouvé ici sur le site de la radio iranienne. Ils ont un autre index avec quelques textes dont celui-ci. Le texte suivant présente des extraits émouvants du livre Libres femmes de Palestine de Marion Sigaut. Pour écouter plutôt que lire ce texte, c'est ici.

Pour ceux qui veulent une autre source de news que les grandes chaînes américaines, la radio iranienne a un site iris news.

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Par le Nom de Dieu, le Tout-Miséricordieux et Très-Miséricordieux; , nous allons vous présenter des extraits du livre de Marion Sigaut intitulé Libres femmes de Palestine, publié en 1996 aux éditions de l'Atelier avec le soutien du CCFD, le Comité catholique contre la Faim et pour le Développement. Le témoignage de Marion Sigaut est particulièrement touchant parce qu'elle est animée d'une véritable passion pour cette terre sainte de Palestine. Une passion qui a commencé, il y a un quart de siècle, par un amour sans bornes pour Israël et la vie en kibboutz, avant qu'elle n'en arrive à découvrir le revers de cette médaille. Mais laissons-là nous raconter elle-même.

La première fois, j'avais 22 ans, c'était en 1972. Poussée par la curiosité autant que par l'instabilité, je débarquais, éblouie, dans un petit kibboutz de Judée. La beauté du lieu, la joie de vivre de ses habitants, la chaleur spontanée de leur accueil se conjuguèrent pour faire naître une véritable passion. Entre les habitants [du kibboutz] de Tel-Nir et [moi] Marion, l'histoire dure à présent depuis vingt-trois ans, plus de la moitié de ma vie.

Avec eux, j'ai découvert la vie communautaire, le partage et la rotation des tâches, l'amour du travail bien fait. Dans mon milieu petit-bourgeois gauchiste d'alors, travailler signifiait engraisser un patron. A Tel-Nir, c'était oeuvrer au bien commun.

J'étais avec eux pendant l'attentat de Munich, le massacre de Lod, celui de Kiriat Shmone, et quelques autres qui suivirent. Avec eux, j'ai couru aux abris pendant la guerre d'octobre 1973.

Sur de telles expériences on tisse des liens profonds. J'ai donné mon sang pour les soldats d'Israël, et quand on invoquait l'avancée de Tzahal, [l'armée israélienne], je disais « les nôtres ».

Deux ans après mon premier voyage, j'avais déjà effectué sept allers et retours. Paris était à un saut de puce d'Israël, et si j'étais incapable de décider d'y rester, je l'étais également de renoncer à ce qui était devenu mon second foyer. Je parlais l'hébreu sans presque l'avoir appris, instinctivement, à force de les écouter et de désirer communiquer avec eux. Année après année, je suis retournée les voir, l'amour que je leur vouais allait croissant, s'approfondissant. [...]

C'est mon amour pour eux qui m'amena un jour - c'était après la guerre du Liban [en 1982] - décider d'aller à la rencontre de pacifistes actifs. Au kibboutz, tout le monde se disait partisan de la paix et même de la restitution des Territoires occupés depuis 1967, mais je voulais rencontrer des militants. Mes amis me parlèrent d'un centre qui enseignait l'arabe et travaillait au rapprochement entre les deux communautés; je décidai de m'y rendre.

Là j'ai rencontré un pacifiste authentique, qui m'a montré ce que j'ignorais totalement. Il me prit par la main et me fit découvrir dans quelles conditions vivait la communauté arabe israélienne, celle des 900 000 Palestiniens, citoyens d'Israël, qui sont restés sur place après l'exode de 1947-1948.

J'ai décidé de le rejoindre et d'apprendre l'arabe. C'est ainsi que j'ai soulevé le voile. Ce que j'ai découvert a tout bouleversé. En l'espace d'un an, mes convictions les plus chevillées au corps se lézardaient, le monde merveilleux et plein d'amour dans lequel je m'étais construite masquait des horreurs: on m'avait menti. [...]

Depuis la chute de l'empire soviétique et la disparition du communiste au couteau entre les dents, l'Arabe semble être devenu la nouvelle cible de la haine irrationnelle en Occident. Il n'est que de se souvenir de la paranoïa qui a saisi notre pays quand, en 1990, les armées les plus puissantes du monde se sont coalisées pour mettre au pas un dictateur arabe. Un de mes meilleurs amis, opposant par principe à la guerre du Golfe, m'a affirmé alors sans sourciller, que « tout de même ces gens-là ne sont pas comme nous». Et de m'expliquer que dans sa cité d'HLM de la région parisienne, « leurs » gosses traînent dans la rue le soir au lieu d'être avec leurs parents. Signe que ces derniers ne désirent pas s'en occuper...

Je me souviens d'en avoir été offusquée aux larmes.

Avant de rencontrer les Palestiniens, je les ai moi-même vus à travers le prisme de ce qu'on m'en montrait. Un Palestinien, si je me souviens bien, c'était d'abord un homme, un mâle. Armé, coiffé d'un keffieh [ce foulard à carreau] qui lui cachait le visage, il tenait à deux mains une arme automatique.

A partir de 1988, la retransmission télévisuelle du soulèvement dans les Territoires occupés a ajouté les enfants au stéréotype. Ils avaient également le keffieh [cet emblème de la résistance palestinienne, un peu comme le béret basque le fut pour la résistance en France] et [ils] étaient armés à leur manière, les cailloux remplaçant la kalachnikov.

Stéréotype guerrier, brutal. [... Et] derrière le stéréotype est tapi le racisme, et le racisme tue. En France, et là-bas, en Palestine. Il tue des innocents, des hommes, des femmes et des enfants. Et autant l'horreur que suscite un attentat bien médiatisé est justifiée, autant rien ne justifie l'indifférence que suscitent les morts quotidiens du racisme ordinaire. [...]

Nous allons partir faire la connaissance d'un groupe de Palestiniens - et d'Israéliens - qui ont dévoué leur existence à la santé populaire, celle des plus démunis et des plus fragiles, des plus pauvres et des plus isolés. Ce monde-là est celui de l'UPMRC, [...] « Union des comités de secours médical palestinien ». [...] Pour la commodité, nous dirons simplement le Secours médical palestinien. [...]

[Leur] histoire commence en 1979. A cette époque, l'occupation par l'armée israélienne des territoires de Cisjordanie et de Gaza dure depuis douze ans, et semble devoir continuer longtemps encore. En mettant la main sur ces territoires, Tzahal assoit sa domination sur une population de plusieurs centaines de milliers d'habitants dont elle va régler la vie dans les moindres détails: tous les établissements hospitaliers palestiniens seront, jusqu'à l'arrivée de l'Autorité palestinienne en 1995, gérés par les militaires israéliens. La santé des vaincus est entre les mains des vainqueurs.

Quelques chiffres témoignent de ce que cela a représenté. À Gaza on comptait, en 1967, 800 lits répartis en cinq hôpitaux pour 360 000 habitants. En 1993, 800 000 habitants se partageaient les mêmes 800 lits répartis en cinq hôpitaux... En vingt-sept années d'occupation, l'armée israélienne responsable de l'administration civile sur les territoires conquis, n'a non seulement pas permis à la santé de s'améliorer, mais l'a gravement fait régresser. Par ailleurs, les couvre-feux interminables et imprévisibles interdisaient le plus souvent le déplacement des populations vers les services sanitaires.

Le Secours médical palestinien allait naître de la conjonction de ce constat, et de la détermination d'une poignée de jeunes médecins sensibles à la souffrance de leur peuple.

Marion Sigaut, l'auteur du livre Libres femmes de Palestine, avait 22 ans lorsqu'en 1972 elle se rendit pour la première fois en Israël. Elle se prit d'une véritable passion pour la vie en kibboutz et pour cette terre merveilleuse, au point que, raconte-t-elle, quand on invoquait l'avancée de l'armée israélienne je disais « les nôtres ».

Un jour, après l'invasion du Liban par Israël en 1982, elle décida de rencontrer des pacifistes israéliens... et elle découvrit avec eux les horreurs qu'on lui avait toujours cachées.

Pour nous faire partager certaines de ses découvertes, elle veut nous emmener dans le sillage de l'« Union des comités de secours médical palestinien », un groupe de Palestiniens qui ont dévoué leur existence à la santé des plus démunis.

Comment est né, en 1979, ce Secours médical palestinien? C'est ce que Marion Sigaut va nous raconter maintenant. Mais il faut déjà savoir que, depuis l'occupation de la Cisjordanie et de Gaza en 1967, tous les établissements hospitaliers de ces territoires étaient gérés par l'armée israélienne: la santé des vaincus était entre les mains des vainqueurs.

 

« Vers la fin des années soixante-dix, [dit Umaya, l'un des fondateurs du Secours médical palestinien] j'ai fait partie de ces médecins qui ont commencé à travailler pour le Secours médical palestinien. Pour être franc, à cette époque nous ne savions pas clairement ce que nous allions faire. Nous appartenions à la société palestinienne, nous sentions toute la souffrance du peuple. Les conditions sanitaires se détérioraient, le taux de mortalité infantile était très élevé, les gens qui vivaient dans les villages manquaient de services. Les conditions sanitaires étaient mauvaises.

Nous étions quelques médecins qui voulions faire quelque chose pour notre peuple. Nous nous sommes donc réunis et avons organisé des consultations mobiles dans les coins reculés».

Ces quelques phrases résument la genèse du Secours médical palestinien Tout ce qui a été fait par la suite l'a été à partir de ce constat: soixante-dix pour cent des Palestiniens ne recevaient aucun soins médicaux. On allait créer un système pour eux. [...]

Les médecins, les infirmières et tous ceux qui les entouraient, ne se faisaient pas payer. Ils consacraient leur temps libre (vacances, soirées, vendredis pour les musulmans et dimanches pour les chrétiens) à assurer des consultations mobiles et à dispenser des soins gratuits. [...]

En 1983, quatre ans après la première consultation mobile, les dirigeants du Secours médical palestinien créent le premier centre permanent de consultation. Grâce aux contacts étroits qu'ils entretiennent avec les communautés, ils choisissent de l'installer où elle manque le plus, à El Diuk, près de Jéricho, dans la partie sud de la vallée du Jourdain.

C'est alors qu'ils cherchent à recruter une infirmière. Pas facile. En effet, il n'y en a pas sur place, sous-développement oblige. Mais les moyens de communication entre la capitale annexée et cette oasis étant ce qu'ils sont, restait à trouver une volontaire pour aller s'enterrer là-bas...

Par ailleurs, il vint rapidement à l'esprit des fondateurs qu'une infirmière, s'ils en trouvaient une, ne saurait pas forcément répondre à ce qu'on attendait d'elle. Comme eux, celles-ci étaient formées aux soins hospitaliers, pas aux soins primaires sur le terrain.

«Alors, explique Umaya, l'idée est venue de recruter et former des femmes originaires des villages concernés. En coopération avec des organisations de femmes et des volontaires de la vallée du Jourdain, nous avons sélectionné les quatre premières». [...]

Il fallait former ces jeunes femmes à répondre aux besoins des communautés, pour les aider à gérer les problèmes liés à l'eau, à l'hygiène, l'environnement, la prévention, etc. C'est là qu'ils inventèrent l'idée des visites à domicile: chaque auxiliaire irait systématiquement visiter un à un les foyers de son village, se faisant ainsi connaître et préparant l'arrivée des médecins.

Une fois le programme mis au point, ils sélectionnèrent douze nouvelles candidates qui constituèrent le second groupe: les auxiliaires villageoises de santé étaient nées.

Pendant les années noires de l'Intifada, [de la révolte des pierres], elles seront sur tous les fronts. Soignant les blessés, certaines réduisant même des fractures, elles seront, bien au delà de ce que leur statut initial les destinait à devenir, les anges gardiens des communautés occupées. Pendant les périodes interminables de couvre-feux et de sièges, au cours desquelles les médecins ne pourront pas se déplacer, elles traiteront les patients, prépareront des solutions médicamenteuses, elles sauveront des dizaines de vies, et bouleverseront l'image des femmes, auparavant consommatrices occasionnelles de soins sanitaires, rarement dispensatrices... [...]

A présent, le Secours médical palestinien est devenu une grosse association. Mis à part les quelque 1 000 volontaires, il emploie 250 salariés, dont une écrasante majorité de femmes: elles représentent 68% du personnel, et un tiers des médecins, alors qu'au niveau national, elles ne sont qu'un sixième des praticiens palestiniens.

Aujourd'hui, les activités du Secours médical palestinien sont multiples. Les consultations mobiles et permanentes font le gros de l'activité, mais il y en a d'autres: dépistage scolaire, soins aux handicapés, analyse de l'eau, éducation sanitaire... Dans tous les domaines touchant à la santé, on croise le Secours médical palestinien.

[Depuis] la fin de 1995, les choses sont en train de changer sur le plan politique. Les négociations, entre l'OLP et feu le Premier ministre Rabin, ont mené à l'ébauche d'une autonomie pour les Palestiniens, et la santé a été l'un des tout premiers domaines où la souveraineté leur a été consentie. [...] [Mais] depuis la fin de mars 1993, les Palestiniens ne peuvent plus se rendre à leur travail en Israël, le chômage s'est brusquement généralisé, coupant toute possibilité de ressources pour le plus grand nombre. Avec quoi le système sanitaire national naissant va-t-il donc alimenter ses caisses? [...] Solidarité internationale? Bien sûr, évidemment, comme toujours. [...] Mais les Palestiniens ne veulent pas tendre la main en permanence. Ils rêvent, comme tous les peuples, de liberté, et celle-ci ne se construira pas sur une situation de dépendance économique et financière. [...]

Et c'est là que se trouve leur plus grande difficulté. [...] Les Israéliens ont, encore à l'heure actuelle, la mainmise sur toutes les ressources en eau, le contrôle de toutes les routes, la domination totale sur Jérusalem. Le système du bouclage, qui interdit aux Palestiniens l'entrée en Israël, doublé de l'annexion de Jérusalem qui se situe en plein centre de la Palestine historique, fait qu'un habitant du nord de celle-ci ne peut simplement pas se rendre en son sud, puisque le centre lui est interdit.

Situation aberrante et cruelle, quand on sait que les plus grands hôpitaux palestiniens, le siège des journaux, le centre de toute la vie intellectuelle, religieuse et morale des Palestiniens leur sont interdits d'accès. [...]

Après dix années de passion amoureuse pour Israël et pour la vie en kibboutz, Marion Sigaut, l'auteur du livre Libres femmes de Palestine, décide un jour de rencontrer des pacifistes israéliens et, avec eux, elle découvre les horreurs qu'on lui avait toujours cachées.

Pour nous faire partager certaines de ses découvertes, elle nous emmène dans le sillage du Secours médical palestinien, un groupe de Palestiniens qui ont dévoué leur existence à la santé des plus démunis.

Né en 1979, ce Secours médical palestinien s'est développé au cours des pires années de l'occupation israélienne, lorsque les couvre-feux interminables interdisaient le plus souvent l'accès au moindre service sanitaire. Pendant les années noires de l'Intifada, [la révolte des pierres], leurs infirmières, spécialement formées pour affronter toutes les situations sur le terrain, seront les anges gardiens des communautés occupées. A présent, le Secours médical palestinien est devenu une grosse association que l'on croise dans tous les domaines touchant à la santé.

 

Je viens de passer vingt-quatre heures au kibboutz et je m'apprête à retourner de l'autre côté, [en Cisjordanie]. [...]

Ils m'ont demandé ce que je venais faire cette fois-ci, et je leur ai dit que j'étais envoyée par une association française catholique, le Comité catholique contre la faim et pour le développement, qui soutient une organisation médicale palestinienne.

- Je viens faire une enquête destinée aux gens qui envoient de l'argent et veulent savoir ce qu'il devient. [...]

Toutes mes tentatives de m'exprimer de la façon la plus conciliante possible se soldent par autant de gifles que je prends en pleine figure:

-Eh bien, ils ont bien raison de t'envoyer vérifier. Si tu ne les surveilles pas, ils s'achètent des bombes ou des armes... [...]

Des bombes! Les médecins et les auxiliaires du Secours médical palestinien, acheter des bombes ! Ainsi raisonnent, sur les Arabes, les Israéliens qui ne les croisent jamais.

- Et alors, qui va gagner les prochaines élections palestiniennes, me demande avec un sourire, le plus arrangeant possible, un autre vieux copain. Le Hamas ou le Jihad islamique?

Façon à lui de demander si les Palestiniens sont islamistes ou islamistes. [...] Il est vrai que depuis le début des négociations, on n'arrête plus des « terroristes » comme hier, mais on « liquide des islamistes», devenus la cible de toutes les exactions commises au nom de la sécurité.

Entre mon kibboutz et la ligne verte, [...] qui délimite Israël et les Territoires,il n'y a même pas dix kilomètres à parcourir. La route est étroite, et d'une grande beauté. [...] Dans ce décor de rêve quasiment désert en ce samedi matin, la petite route devient brusquement l'objet d'un embouteillage. Devant moi, une dizaine de véhicules sont arrêtés. Je descends pour jeter un oeil. [...]

A la borne de contrôle, deux soldats font le tri entre les bons et les mauvais. D'un geste large du bras ils font passer ceux qui leur conviennent, et font un contrôle tâtillon des papiers des autres. [...] Ainsi vivent les Palestiniens résidant en Israël, citoyens israéliens par leurs papiers, arabes jusqu'à la fin de leurs jours. C'est marqué sur la carte d'identité, dans la case «nationalité ». [...]

Quand vient mon tour, lunettes de soleil sur le nez et mine ostensiblement occidentale, je m'apprête à appuyer sur le champignon quand un soldat me fait signe de me mettre sur le bas-côté. Que se passe-t-il? C'est la première fois que ça m'arrive, mon étonnement est total.

- Où vas-tu? me demande le soldat en se penchant à la portière.

- Beit-Ummar. [...]

- Beit-Ummar, Idhna, tout ce coin-là, c'est un pays de dingues. Tu voyages seule, tu es une femme. Fais attention, très attention tu m'entends? C'est très dangereux là-bas. [...]

Je reprends la route en proie à la colère. [...] Ce gentil soldat est simplement représentatif de l'état d'esprit qui a cours ici: les Territoires, c'est dangereux, ce qui justifie toute la paranoïa sécuritaire.

L'entrée d'Hébron s'annonce par la floraison de panneaux en hébreu indiquant les colonies. Il y en a apparemment partout. [...] La grande ville arabe du sud est entourée des plus anciennes et plus grandes colonies juives. Mais sa particularité est d'en avoir également en son sein, en plein coeur de sa vieille ville, aux portes du caveau des Patriarches. Où un an plus tôt, un fasciste d'origine américaine a perpétré un massacre à l'arme automatique, sous la surveillance totalement passive de l'armée israélienne.

Les Israéliens de gauche pestent à l'envi contre l'utilisation de leurs enfants, obligés dès l'âge de dix-huit ans d'aller servir trois ans dans l'armée de défense d'Israël. Et ce n'est pas la nécessité de défendre le pays qui les met en rage, mais je fait que, année après année, les soldats de Tzahal sont tenus, des jours et des nuits, des semaines et des mois, de couvrir les exactions des colons, [... de] protéger des fanatiques venus d'ailleurs qui s'installent en plein coeur des localités arabes au titre que « ils ont bien le droit », et exigent ensuite d'être protégés de la révolte de leurs victimes.

Des rapports sur les crimes des colons noircissent des pages et des pages que des associations israéliennes de défense des droits de l'Homme diffusent de leur mieux à la conscience du monde. Dans son rapport publié en mars 1994, [... le Centre israélien d'information sur les droits de l'Homme dans les Territoires occupés] relate quelques-unes des exactions perpétrées par ces soldats de Dieu, armés jusqu'aux dents, coiffés de la kippa et portant barbe et bouclettes, et qui parlent l'hébreu avec un très fort accent américain.

Comme celle qui consista pour un groupe d'étudiants hébraïques, à entrer un jour de 1989 dans un village arabe, prétendument pour se recueillir sur la tombe supposée d'un patriarche juif. À s'y déchaîner, à attaquer un vieillard de 83 ans qui marchait dans la rue, à tirer dans les citernes d'eau potable pour enfin tuer une jeune fille de seize ans qui était assise sur le pas de sa porte. Un an plus tard, la cour israélienne inculpait quatre « étudiants » pour voies de fait, tir à vue sur passants, dommages causés à la propriété privée, sévices à animaux, incendie volontaire, attaque aggravée contre personne humaine. Les quatre accusés plaidèrent la légitime défense. A la fin de décembre 1991, ils furent condamnés respectivement à huit mois de prison et dix-huit mois avec sursis pour trois d'entre eux, et à dix-huit mois avec sursis pour le quatrième.

Pour dire « colon » chez les Palestiniens, on dit seulement «assassin ».

Après dix années de passion amoureuse pour Israël et pour la vie en kibboutz, Marion Sigaut rencontre des pacifistes israéliens et découvre avec eux les horreurs qu'on lui avait cachées. Par la suite, elle découvre le Secours médical palestinien, un groupe de Palestiniens qui ont dévoué leur existence à la santé des plus démunis. Nous la retrouvons en train d'aller les rejoindre à Beit Ummar, non loin d'Hébron.

A la sortie d'Hébron, j'avise sur le bas-côté une famille de quatre personnes dont le père porte une enfant dans les bras. J'ai l'idée que la fillette est malade, elle ne semble pas dormir. Je me gare et ouvre ma portière.

- Vous allez où comme ça?

- Beit-Ummar.

Ca tombe bien.

Ils sont venus en consultation à Hébron, la jeune fille est très mal. Son cas ne relève déjà plus des soins primaires, ils sont venus à l'hôpital. Sans voiture, sans moyen de transport, sans autobus. Sous le soleil du Moyen-Orient.

- Tu n'as pas peur? demande le père, tandis que nous roulons vers le Nord.

- Peur de qui? De toi? D'un père de famille qui rentre avec son enfant malade? Et pourquoi aurais-je peur?

Il sourit.

- Les autres, ils ont peur de nous.

- Pas moi.

Le long de la route, sur tout ce qui peut supporter une inscription, blocs de bétons ou stations de bus, je déchiffre clairement, inscrit en noir et en hébreu: [...] « mort aux Arabes». Pas une télévision du monde ne sait déchiffrer ces appels au meurtre, considérés ici comme monnaie courante, banalité quotidienne.

Nous arrivons au pied du village. [...]

Il m'a attendue, puisque je suis annoncée par le Secours médical palestinien. Il en est le médecin et c'est lui qui m'a donné rendez-vous à son domicile. [...] Nous partons ensemble en direction d'Idhna, but de cette journée, déjà riche en événements à dix heures du matin.

Idhna [...] est d'une pauvreté inouïe. Jusqu'à ce que l'enquête me mène dans la vallée du Jourdain, un sommet en matière de misère, Idhna restera dans mon esprit comme ce que j'ai vu de plus déshérité en Cisjordanie. Ses quinze mille habitants (chez nous on fait une ville moyenne avec une telle population, là-bas on reste en village...) vivaient hier de l'agriculture, mais ils se sont vus déposséder de la moitié de leurs terres, au profit des colons, bien sûr.

Pendant des années, ils compensèrent cette implacable dépossession en devenant ouvriers chez les Juifs, en passant quotidiennement de l'autre côté de la ligne verte, [en Israël]. Mal payés, ils étaient payés tout de même, et pouvaient rapporter à la maison de quoi acheter ce qu'on ne pouvait plus produire.

Vinrent les Russes. Amenés par centaines de milliers (en tout 500000 entre 1989 et 1994), ceux-ci furent embauchés massivement en lieu et place des ouvriers des Territoires, créant un chômage que finalement ces derniers n'avaient jusqu'alors pas connu. Au moment de la guerre du Golfe, les licenciements d'Arabes au profit des Russes se firent massifs, la paranoïa anti-arabe atteignant des sommets que l'abondance de main-d'oeuvre facilitait encore. [...]

Puis, vint 1992. A la fin de cette année-là, la violence de l'Intifada prit un tour nouveau. Cela faisait cinq ans que durait le soulèvement généralisé des populations palestiniennes contre l'occupation. En l'espace d'une semaine, cinq soldats israéliens furent tués au cours d'échauffourées d'une rare violence. Le gouvernement israélien devait frapper fort. Il décida, une nuit, la déportation en secret de plusieurs centaines de Palestiniens qui furent, sans jugements, emmenés au Liban, loin de leurs familles et sans aucun recours.

La violence redoubla encore. Cinq mois après la déportation qui était censée avoir éloigné les fauteurs de troubles, le bilan monstrueux de cent Palestiniens tués était atteint. [...] Alors le Premier ministre décida de fermer les Territoires. Le bouclage prit effet le 30 mars 1993, de façon annoncée comme définitive.

Il prit, dans le village d'Idhna, la forme du chômage total. Total.

Au milieu du village, [...] quelques ânes, vaillants auxiliaires des paysans pauvres, transportent des paysannes sans terres qui chargent des bidons de plastiques: il n'y a pas ici d'eau courante.

Si on disait qu'il n'y a pas non plus l'électricité, le croirait-on? Pourtant, en avril 1995, ils l'ont depuis... trois mois. Avant cela, les riches l'avaient par générateur, les autres s'éclairaient à la lampe à huile. En 1995. [...]

La misère ici se lit d'abord sur les visages. [...] La maigreur est le lot commun, la tristesse tire les traits, le désespoir n'embellit personne. [...]

Ici, la «paix» signifie avant tout le départ de l'armée israélienne qui durant les années de pierres, fut une source de malheur quotidien. On a eu ici douze morts et jusqu'à deux cents blessés, dont il reste un hémiplégique. Mille hommes ont été arrêtés, certains jusqu'à quatre fois de suite, et le docteur Mahmoud même a connu trois mois de détention administrative. C'est-à-dire sans jugement, sur décision arbitraire.

Soixante maisons ont été détruites, chose courante ici. Quand on prenait un gosse à lancer des pierres, quand on recherchait un « terroriste », ou simplement quand on décidait d'opérer ainsi, on dynamitait le foyer du suspect, (et quelquefois les constructions qui y étaient adossées) puis on passait le bulldozer pour empêcher toute velléité de simplement récupérer les pierres pour reconstruire. [...]

Le plus dur, le plus pénible, ce qui fut la source de la plus grande souffrance, de celle qui rend fou, ce furent les couvre-feux. Le plus long dura cinquante-six jours. Près de deux mois avec l'interdiction de sortir de chez soi, sauf à quelques rares heures quotidiennes, et sous la surveillance armée de soldats juchés sur les toits, canon pointés vers le bas, doigt sur la gâchette.

Deux mois sans eau, à faire ses besoins sur place, deux mois à vider les provisions de bouche, à ne pouvoir s'occuper des bêtes. Deux mois à voir les récoltes à venir se perdre définitivement sur les maigres champs qu'on a pu conserver.

La répression de l'Intifada, ce fut aussi les descentes de soldats qui tiraient dans les télévisions et les réservoirs d'eau potable, versaient de l'essence dans les fûts d'huile d'olive, réquisitionnaient les rares voitures du village qu'on ne revit jamais. Et fermaient les écoles. Ici, à Idhna comme dans beaucoup d'autres villages, il y a une génération d'enfants qui ne sait plus lire. [...]

Après dix années de passion amoureuse pour Israël et pour la vie en kibboutz, Marion Sigaut découvre les horreurs qu'on lui avait cachées. Elle est en relation avec le Secours médical palestinien, un groupe de Palestiniens qui ont dévoué leur existence à la santé des plus démunis.

 

Ahlam est la dernière arrivée au dispensaire d'Idhna. Elle a eu son bac en 1992, et [a suivi] sa formation à Beit-Hanina [le centre du Secours médical palestinien] en 1993-94, c'est-à-dire après le début du bouclage.

Pour appréhender les conséquences de celui-ci sur la vie quotidienne des Palestiniens, il faut savoir qu'aux yeux des autorités israéliennes, Jérusalem est à la fois unifiée et annexée.

Unifiée signifie que les deux parties de la ville - la nouvelle, juive, moderne et occidentale, et l'ancienne, antique, arabe et habitée par quelque 150 000 Palestiniens - font désormais partie de la municipalité dirigée par les Juifs.

Et par « annexée », il faut entendre que, bien que prise aux Arabes lors de la guerre des Six jours, au même titre et en même temps que la Cisjordanie et Gaza, la partie orientale est considérée comme faisant partie du territoire israélien. Ce qui veut dire que, quand le Premier ministre israélien interdit aux Palestiniens l'accès à Israël, il leur interdit en même temps l'accès à Jérusalem.

La formation de la jeune Ahlam est une illustration de ce que cela implique. Beit-Hanina est une ancienne banlieue nord de Jérusalem aujourd'hui annexée (l'annexion de Jérusalem se fait sur un territoire tellement étendu qu'on l'évalue à environ 15 % de toute la Cisjordanie [...]). [...]

Ahlam est résidente des Territoires. Elle n'a plus le droit d'entrer en Israël, donc à Jérusalem, donc à Beit-Hanina. Tout simplement.

Les Palestiniens qui veulent se rendre du sud au nord doivent donc contourner Jérusalem par l'Est, aux portes du désert, en longeant les excroissances coloniales israéliennes. Jadis, la vallée qu'on empruntait quand on voulait contourner ainsi la capitale, portait le joli nom de Wadi en-Nar, ou vallée du feu. Aujourd'hui on l'a rebaptisée Wadi el-Mout, vallée de la mort. Car les camions et les véhicules qui sont obligés de l'emprunter, à présent qu'elle est l'unique voie de passage pour les Arabes, sont devenus la cause d'accidents tragiques: jamais une telle circulation n'a été prévue sur ces chemins à peine carrossés. La mort est à chaque tournant.

Pour aller suivre sa formation d'auxiliaire de santé à Beit-Hanina, Ahlam doit donc procéder de la manière suivante: elle prend un taxi pour aller de son camp de réfugiés jusqu'à Hébron. Là, un autre jusqu'à Bethlehem. De là, un troisième jusqu'à une localité de Wadi en-Nar, encore suffisamment arabe quoiqu'en territoire annexé, pour que les contrôles israéliens soient impossibles à assurer. Là, elle entre en zone interdite.

Un quatrième taxi la mènera jusqu'à l'hôpital Maqassed, centre de la médecine palestinienne désormais interdit aux non-résidents. De là enfin, une cinquième voiture la prendra jusqu'à Beit-Hanina où l'attend sa formation professionnelle.

Elle suit donc celle-ci en toute illégalité. Si elle se fait prendre, il lui en coûtera 450 shekels, une fortune: un mois de salaire d'une population qui n'en perçoit plus. [...]

Le bouclage n'est que la bantoustanisation scandaleuse d'une population déjà misérable.

A l'origine, il n'y avait pas d'exception au bouclage, il était général. Puis, après un combat juridique mené avec l'aide de militants israéliens des droits de l'Homme, l'autorisation fut donnée aux médecins, et enfin aux malades, d'obtenir des laissez-passers. [Voilà] comment il faut procéder pour en obtenir.

Opération numéro un, se rendre à l'administration civile, c'est-à-dire dans un camp militaire israélien, et remplir une demande écrite en hébreu. Puis payer un timbre de quinze shekels. Puis se rendre dans un bureau avec la photocopie de sa carte d'identité et celle des papiers de la voiture avec tous ses détails.

Puis on fait la queue plusieurs jours pendant 6 à 7 heures par jour. Enfin on est reçu par un soldat à qui on devra prouver qu'on est médecin et ce qu'on a à faire à Jérusalem. Et là enfin on tient son sésame, la clé de son activité enfin autorisée: aller soigner les malades dans le territoire de Jérusalem quand on est arabe et qu'on n'y est pas né. Opération qu'on recommencera trois mois plus tard, durée de validité du sésame, ce qui est un progrès puisque la première année, les permis n'étaient valables qu'une semaine. [...]

Pour obtenir une autorisation, un malade doit convaincre un officier que sa maladie justifie le voyage, et le sauf-conduit qu'il obtiendra sera à la discrétion de l'officier qui peut ne lui accorder pour un seul jour, jusqu'à sept heures du soir, même s'il en a besoin de trois. S'il est pris, il ira en prison et pourra avoir à payer jusqu'à 2 à 3 000 shekels d'amende. Six mois de salaire qu'il n'a plus puisqu'il est malade et de toutes façons au chômage. On souffre moins longtemps à se vider de son sang à un check-point.

J'ai rendu visite à un pédiatre, chef de service à l'hôpital Maqassed de Jérusalem. [...] Francophone, marié d'ailleurs à une Française venue partager désormais ses conditions de vie, il en avait « marre, mais marre, mais marre! »

«De ne rien pouvoir organiser, planifier, parce que le jour où on a prévu d'opérer un cancer, ce sera soit le malade, soit le chirurgien qui seront arrêtés au check-point. Parce qu'il peut arriver que les soldats bloquent des ambulances où on a vu des malades mourir dans leur sang. Parce que 70 % des patients de ce grand établissement hospitalier proviennent des Territoires, et que pour passer, ils doivent prouver à un militaire qu'ils sont bien malades. Parce que 60% des personnels également viennent des Territoires, et qu'on a décidé, d'un trait de plume, qu'ils n'ont plus le droit désormais de « venir en Israël », à Jérusalem, leur ville bien-aimée.

Parce qu'on sait, et quand on est pédiatre on enrage de le savoir, que chaque tour de vis dans le bouclage produit une surmortalité infantile.

Parce que tout cela est barbare. Et que le fait qu'on ait aujourd'hui une autorité palestinienne responsable de la santé ne changera rien, puisque Jérusalem ne fait pas partie de sa nouvelle juridiction.

Déménager les hôpitaux vers la Cisjordanie?

Mais bien sûr, pourquoi pas? Et déménager la grande mosquée aussi peut-être, avec le Saint Sépulcre, non? Définitif, on vous dit que l'annexion de Jérusalem est définitive. D'ailleurs les extrémistes israéliens le clament à qui veut l'entendre: jamais Jérusalem ne sera «redivisée », jamais, ils sont prêts non seulement à tuer, mais à mourir pour cela. Rien, rien ne les arrêtera.

« Mort aux Arabes », disent-ils. Et ils passent à l'acte. »

Après dix années de passion amoureuse pour Israël et pour la vie en kibboutz, Marion Sigaut découvre les horreurs qu'on lui avait cachées. Elle est en relation avec le Secours médical palestinien, un groupe de Palestiniens qui ont dévoué leur existence à la santé des plus démunis.

L'activité la plus remarquable assurée par le Secours médical palestinien dans le village d'Idhna concerne l'eau. Source [...] de toutes les injustices, des maladies les plus pernicieuses, de l'oppression la plus scandaleuse.

Jadis, il y avait des hommes là où il y avait de l'eau, l'humanité s'installait autour. [...] Car la vie se maintient et se propage autour de l'eau. Nous sommes faits d'eau. La vie c'est l'eau, l'eau c'est la vie.

Les enfants israéliens ont tous appris - et moi également, qui ne suis ni enfant ni israélienne, que la Palestine manquait d'eau: le mythe selon lequel les Israéliens ont fait fleurir le désert a la vie dure.

Allez donc passer un hiver en Israël-Palestine. Venez donc y séjourner un mois ou deux entre novembre et mars, et essayez de le faire sans un imper, des bottes et un parapluie.

L'eau du ciel tombe sur cette partie du monde en abondance. Les pluies d'hiver s'y précipitent en quantité étonnante. Toujours ce pays a été arrosé naturellement. [...]

L'eau est abondante en Palestine. Elle l'a toujours été. Et elle manque aujourd'hui.

Elle ne manque pas pour tout le monde.

J'ai visité la Galilée, en Israël, la vallée du Jourdain, en Cisjordanie, la bande de Gaza, au Sud-ouest du pays. Partout, partout rigoureusement il y a de l'eau, sous forme de sources, de rivières ou de nappes souterraines. En plein désert du Néguev où j'ai passé plusieurs nuits, on entend la nuit le grondement des rivières souterraines. L'eau est partout.

A Idhna, on paye l'eau distribuée trois shekels (6 F) le mètre cube, une fortune pour ceux qui n'ont plus rien.

De plus, cerbères du robinet distributeur, les autorités israéliennes peuvent la couper à discrétion, et ne s'en privent pas. Un couvre-feu, s'accompagne souvent de coupure de l'eau. Idhna en a connu qui ont duré deux mois d'affilée. [...]

Qui tient l'eau détient la vie. Ce sont les Israéliens qui la tiennent.

L'eau est d'ailleurs le nerf de la guerre, depuis bien plus longtemps que 1967 et même 1948.

Réuni à Paris en 1919, le Congrès juif mondial publia la carte de la Palestine sur laquelle il désirait installer le futur Etat juif,[...]. Cette carte montre un Etat englobant, grosso modo, la totalité d'Israël et des Territoires occupés actuels, le Golan, l'actuelle zone de sécurité sud-libanaise, et enfin une partie importante de la rive orientale du Jourdain, actuellement la partie ouest de la Jordanie.

Si on regarde à la loupe cette carte de l'époque, on voit qu'elle englobe la totalité des ressources hydrauliques: nappes phréatiques situées en Cisjordanie, et totalité des sources du Litani libanais et du Jourdain, toutes situées dans le Golan. La [...] guerre de 1967 permit de mettre la main sur les nappes de Cisjordanie qui représentent 40 % de toutes les ressources de ce genre, et sur les sources du Golan qui représentent, elles, 22 % de l'eau utilisée en Israël. La guerre du Liban et l'occupation du sud du pays permirent d'établir le contrôle sur le reste.

Par ordre militaire du 19 décembre 1968, Israël déclara l'eau ressource d'Etat. Une réglementation draconienne de l'activité agricole des palestiniens leur interdit tout nouveau forage de puits, tandis que les colons israéliens furent autorisés, eux, à forer en profondeur de telle manière que leurs puits asséchèrent ceux des palestiniens. [...]

Pour contrôler l'eau, on veut garder la Cisjordanie. Pour la garder, on la colonise. Pour justifier de la coloniser, on argue qu'on en a besoin pour mettre les immigrants Russes (qui d'ailleurs ne veulent pas s'y mettre). Et pour ce faire, on va en chercher un demi-million, qui augmentent dangereusement les besoins en eau, etc. Jusqu'où?

En l'absence d'eau courante suffisante, les Palestiniens récoltent l'eau de pluie dans des citernes, comme faisaient leurs ancêtres. Chaque maison a son toit en terrasse. Celle-ci est légèrement en pente, et un angle en est aménagé d'un petit trou derrière lequel descend un tuyau. Celui-ci longe le mur de la maison, et va mourir dans une citerne creusée devant. [...]

Seulement voilà: l'eau ainsi récoltée est contaminée de multiples bactéries qui engendrent des diarrhées et diverses parasitoses. Convaincre les populations de ne pas l'utiliser est impossible: ils n'ont rien d'autre à consommer et personne au monde n'a jamais renoncé à boire.

Les causes de la contamination sont diverses mais assez simples à comprendre.

Pour commencer, il n'y a pas, là comme ailleurs, de ramassage des ordures ménagères. Jadis les paysans brûlaient leurs déchets autour de leurs maisons, ils continuent d'ailleurs. Seulement hier ils avaient de la place, aujourd'hui ils sont les uns sur les autres. La solution, celle utilisée par tous les pays civilisés, consiste à ramasser les ordures, mais personne ne se soucie d'offrir un tel service aux Palestiniens. [... Et] soumis à l'autorité d'une armée étrangère, ils ont juste le droit de se taire et certainement pas les moyens d'organiser la voirie. Les ordures s'entassent donc.

Il en est de même pour les eaux usées. [...] Hier, les maisons palestiniennes géraient chacune leur fosse septique. C'était avant la surpopulation, avant l'entassement de dizaines de milliers de gens dans des villages devenus des villes sans l'infrastructure qui va avec. Les fosses septiques débordent, les immondices en décomposition se mêlent aux matières. Et à la moindre pluie, le tout est inévitablement entraîné vers les citernes.

Bien sûr, un paysan palestinien n'est pas un abruti, il a construit la sienne du mieux qu'il pouvait, [...] il nettoie son toit, veille à la propreté du tuyau, brûle ses ordures le plus loin possible. Mais ils vivent tous les uns sur les autres, leur espace vital rétrécit année après année. Les maisons détruites poussent les sans-logis à s'entasser chez les voisins. Et le plus loin de l'un devient inévitablement le plus près de l'autre. Il est impossible, dans les conditions qui sont celles d'un village comme Idhna, d'avoir de l'eau potable si ce n'est celle du robinet.

Si celle-ci est chère c'est aussi parce qu'elle est rare. Et si elle est rare, c'est parce qu'elle s'en va de l'autre côté: 85 % de l'eau originaire de Cisjordanie et de Gaza va aux Juifs, que ce soit ceux des colonies ou qu'elle soit remise dans le circuit de distribution israélien, de l'autre côté de la ligne verte. Autour d'Idhna, l'eau des toits donne aux enfants des parasitoses, quand les colons se baignent dans des piscines et arrosent le gazon.

Après dix années de passion amoureuse pour Israël et pour la vie en kibboutz, Marion Sigaut découvre les horreurs qu'on lui avait cachées. Elle est en relation avec le Secours médical palestinien, un groupe de Palestiniens qui ont dévoué leur existence à la santé des plus démunis.

 

On ne peut ignorer qu'on se trouve dans un parc national israélien. Malgré un troupeau de moutons poussé par un petit Arabe au milieu des épineux et des oliviers, le site est aménagé de telle sorte que le visiteur sait immédiatement où il se trouve. Le lieu s'appelle Parc Canada en hommage à la communauté juive qui a fait don des fonds nécessaires à son aménagement. C'est écrit partout: sur des plaques de bois ou des stèles, sur de grands panneaux, en anglais, en hébreu et en arabe, et c'est signé du Fonds national juif canadien [...]. « Bienvenue au parc Canada» [...]. Et que la paix soit avec vous.

C'est propre, aménagé, briqué, nickel. Pas un papier gras dans les allées de dalles savamment jointoyées de ciment clair, une meule est immobilisée dans une grosse pierre ronde autour de laquelle jadis, devait tourner un âne. Sur toute la surface d'un mur de roches blanches asymétriques, s'étire sur des placards noirs la longue, très longue liste des donateurs canadiens qui ont permis de faire de ce site un jardin de délices.

C'est plein de fleurs, c'est planté de milliers et de milliers d'arbres. Dans ce pays où la chaleur peut si facilement se faire torride, nous sommes ici dans un havre d'ombre et de fraîcheur aménagé de bancs et d'aires de pique-niques. Et comme nous sommes en milieu de semaine, à quelque trente kilomètres de Jérusalem, nous nous trouvons dans un lieu enchanteur coupé du temps et de la foule. [...]

A mi-chemin d'une butte enserrée dans les épineux et la pierraille, se trouve un mausolée carré surplombé d'un dôme de pierres bien rond, blanc, d'une ligne parfaite: la tombe du cheikh Ibn-Jabel, enterré là au neuvième siècle de l'ère chrétienne. Et une petite pancarte précise même, en hébreu et en anglais, que c'est en l'an 840 qu'il périt, frappé par la peste bubonique qui ravagea le pays [...].

«A cause de la peste, [dit la pancarte], le village d'Emmaüs fut abandonné par ses habitants et tomba en ruine ».

Parc Canada serait donc l'aménagement, onze siècles plus tard, d'un site historique abandonné. C'est en tous cas ce que l'ensemble des écriteaux qui jalonnent la visite vous invite à comprendre.

En bas, à l'orée du parc, à l'ombre d'un pin un peu sec et jauni, une stèle affiche une dizaine de noms en arabes. Penchée sur la sépulture, Madjda scrute l'inscription.

- Tu trouves?

Derrière elle, le docteur Abdallah vient à la rescousse.

- Là, dit-il enfin, en pointant son doigt sur un nom. C'est là.

Majda s'approche de nouveau. D'une voix très douce, elle dit:

- C'est bien lui. C'est mon oncle, le frère de mon père.

Elle recule un peu, le regard dans le vague.

Son visage n'exprime rien de particulier, à part un grand calme peut-être. Est-ce par pudeur, ou par habitude? [...] Elle semble disparaître dans de lointains souvenirs.

Je passe tendrement mon bras autour de ses épaules.

- Ça te fait quoi d'être là?

Elle vrille son poing au niveau du plexus solaire, entre les seins.

- Ça me tient là, profond, profond.

Elle avait cinq ans, c'était en 1967. La guerre des Six jours touchait à sa fin, et d'ailleurs personne de son village n'en avait souffert particulièrement. On était loin de la ligne de front, il n'y avait pas eu de combats dans cette partie de la Palestine, et de toutes façons il apparaissait que c'était la fin. C'est-à-dire la défaite.

C'était un matin. Madjda habitait chez papa et maman dans une maison villageoise, « à peu près là» indique-t-elle en traçant sur le sol de craie une ligne imaginaire avec son pied. Jusqu'à ce jour-là, on connaissait certes la pauvreté, mais jamais la misère. On avait de la terre et des fruits, ceux des arbres et des grandes haies de cactus qui servaient de défense naturelle. Au milieu des figues de barbarie réussissait à pousser la vigne dont, chrétiens, on tirait du vin. [...]

Autour de la maison il y avait des oliviers, des figuiers, des amandiers, des néfliers. En cette terre bénie où ne manquent ni le soleil ni l'eau, les récoltes sont abondantes, et si on n'avait guère d'argent pour acheter quoi que ce soit, jamais on ne manquait de l'essentiel.

Majda avait cinq ans, et elle s'en souviendra toute sa vie. Jusqu'à sa mort, elle se rappellera les cris, la peur, la débandade qui suivirent l'arrivée des soldats israéliens. La cohorte des malheureux qui furent brutalement traînés hors de leur maison. Les très vieux et les grabataires qui ne purent sortir et qui moururent là, ensevelis tout vivants sous les charges de dynamites qui explosèrent les antiques maisons, les femmes en couches qui ne furent pas non plus épargnées.

Elle revoit papa et maman qui pleuraient et marchaient, marchaient. La fuite dura des jours et des jours. On coucha à la belle étoile, et de loin on entendait les bulldozers qui parachevaient leur travail.

L'horreur dura une journée, à peine. Ensuite, ce fut simplement le malheur. L'interminable malheur d'avoir perdu les siens, sa maison, son jardin, son lieu de vie ancestral. Et de devenir, à son tour, une réfugiée.

[...] Emmaüs la chrétienne, la palestinienne, fut rayée de la carte.

C'était en juin 1967. En quelques heures des unités israéliennes jetaient cinq mille personnes sur les routes, arrachaient leurs arbres, rasaient leurs maisons, [...] dont on tentera de faire accroire qu'elles ont été abandonnées voilà plus de mille ans: vingt-huit ans à peine. [...]

Vingt ans après la première catastrophe qui jeta hors de chez eux des centaines de milliers de Palestiniens au profit des nouveaux venus juifs, Majda a connu à son tour l'exil. Sa famille a été dispersée. Certains sont morts durant le jour maudit, d'autres sont passés en Jordanie, d'autres se sont installés à Ramallah. Le temps a passé.

Il arrive que de temps à autre [...] Emmaüs fasse parler d'elle. Quand un jour, un soldat qui fut commis pour participer au sale boulot, hanté par le souvenir de l'horreur à laquelle il contribua, se raconte. En détails. Et publie ce qu'il a fait et les photos qu'il a prises. Pour que celui qui veut savoir, sache.

Ou quand, au fil des innombrables procès dont furent l'objet divers poseurs de bombes arabes dans les vingt ans qui suivirent la guerre, une avocate israélienne eut à défendre un jeune homme né à [...] Emmaüs. C'est par la mère de celui-ci qu'elle apprit son histoire: le jour fatidique, il était dans les bras de son grand-père quand une balle fit voler en éclats la tête de celui-ci. L'épouvante de sa mère fut telle que, une heure plus tard, le bébé qu'elle avait au sein mourait subitement... [...]

Après dix années de passion amoureuse pour Israël et pour la vie en kibboutz, Marion Sigaut découvre les horreurs qu'on lui avait cachées. Elle est en relation avec le Secours médical palestinien, un groupe de Palestiniens qui ont dévoué leur existence à la santé des plus démunis.

La dernière fois, c'était en avril 1994. Les accords étaient signés depuis six mois à peine, l'autonomie semblait encore incroyable. Incroyables l'absence de soldats à tous les coins de rues, le drapeau palestinien flottant à quelques dizaines de mètres de l'israélien, et le regard carrément jovial des soldats arabes en uniforme qui vérifiaient nos papiers.

Nous étions émus de partager l'émerveillement de notre guide, quand il criait: « Une noce, une noce, regardez, des gens qui font la fête ».

Cela faisait des lustres, des siècles, une éternité. La vie reprenait à Gaza, après les années de pierres et de plomb.

Un an plus tard, mon arrivée est nettement moins euphorique. [...]

- Halte!

Je pile.

- Et où tu vas comme ça? me hèle en hébreu un soldat interloqué.

- A Gaza, où veux-tu que j'aille?

- Mais c'est interdit, enfin.

Interdit aux pékins ordinaires comme moi, interdit a priori puisque je ne suis pas colon. Eux, ont tous les droits. [...]

Les voitures sont rares aujourd'hui: les Israéliens rendent hommage aux victimes de la Shoah, un deuil national est organisé à la mémoire des martyrs de la barbarie nazie. Et ce jour de deuil pour les Juifs en est un autre pour les Arabes. Car il est l'occasion d'un renforcement du bouclage. Un jour comme celui-ci, personne, en principe, ne passe: ni médecins, ni malades, ni fonctionnaires de l'Autorité palestinienne.

Les décisions de bouclage total sont en général prises au cours de deux circonstances: les fêtes juives, et les punitions collectives. Viennent les fêtes de Pâques, de la nouvelle année, des lumières, - successivement au printemps, à l'automne et en hiver -, le gouvernement envoie un tour de clé. Il peut durer un seul jour, ou deux, trois, voire quatre semaines. Un attentat peut engendrer les mêmes conséquences. Saute un autobus à Tel Aviv ou à Jérusalem, on n'attendra pas d'avoir l'identité de l'assassin pour décider que tous les Palestiniens seront punis. La punition collective, pendant l'Intifada, c'était la coupure d'électricité, d'eau, le couvre-feu. Aujourd'hui, un processus de paix est en cours, on se contente de boucler.

Avec l'approbation de la population israélienne. Il y a quelques jours, je prenais le thé au kibboutz chez une amie de longue date:

- Je trouve que le gouvernement est déraisonnable, dit-elle. Il est irresponsable de lever ainsi le bouclage comme ils le font. A chaque fois qu'on les laisse sortir, les Arabes commettent un nouvel attentat. Non, vraiment, si on boucle, il faut boucler pour de bon.

Je me souviens d'avoir explosé. La colère m'a mis les larmes aux yeux, j'ai failli renverser ma tasse et mon gâteau. J'ai dit, tremblante, que même des chiens, ont comprenait qu'ils mordent si on les mettait en cage. [...]

 

Musique

En pénétrant dans la bande de Gaza, en me replongeant dans sa crasse, sa misère et toute la souffrance qui s'y accumule, je reprends le sens de la mesure. [...]

Pendant des kilomètres et des kilomètres, sur tous les chemins qui mènent au checkpoint d'Erez, sont alignés des files de camions immobilisés. Ils sont vides d'occupants, et chargés des productions agricoles, seule ressource de Gaza qui, en l'absence de terres, fait pousser tout ce qu'elle peut dans des serres. Gaza est bouclée, les camions sont arrêtés. Par centaines. En plein soleil. [...]

- Tu sais la différence qu'il y a entre maintenant et avant le processus de paix? me demande [le médecin qui m'accompagne]. Quand je vais plus vite qu'une voiture, aujourd'hui je peux la doubler. Avant, une plaque [palestinienne] avait l'interdiction de doubler une plaque [israélienne]...

Mis à part cela, on aimerait trouver d'autres changements positifs, alors on les cherche.

Parce qu'on trouve tout de suite ce qui est resté pareil. Les colons sont toujours là, occupant et exploitant 40 % des terres, alors qu'ils sont moins de six mille et que le reste est partagé entre neuf cents mille Palestiniens. Un rapide calcul de la répartition des 365 kilomètres carrés du Territoire entre ses différents occupants indique que les colons sont 40 par kilomètre carré, quand les Palestiniens s'entassent à raison de 4000 sur la même surface, en moyenne, soit cent fois plus. Et «en moyenne » signifie que par endroits, comme dans la ville même de Gaza ils sont 14000 sur la même surface, 350 fois plus.

Et dans les camps de réfugiés, on ne vous dit pas. On ne compte plus.

Le camp de Shatti, au bord de la mer. Ici tout est calme, du calme qui rime avec chômage. Des devantures de boutiques presque vides voient passer des hommes désoeuvrés, des enfants jouent dans un sable dégueulasse, aire de jeux et support de leur environnement.

Les camps sont les lieux d'entassement, plutôt que de logement, des Palestiniens chassés de chez eux par la création de l'Etat d'Israël en 1947-48. Depuis cette date, leur santé et l'éducation de leurs enfants sont assumés par l'Agence des Nations-Unies pour l'assistance aux réfugiés, organisme spécialement créé pour eux où qu'ils se trouvent, et qui s'assure également qu'ils ne meurent pas de faim.

Assise sur le sol devant une petite construction de parpaings, sa maison, une femme très belle laisse sont regard clair divaguer au loin. Elle doit approcher la soixantaine. Elle porte sur ses cheveux gris un voile blanc, son teint est cuivré mais presque lisse, et ses mains sont posées sur une canne qu'elle tient debout devant elle. Intimidée, mais attirée par sa majesté, j'ai envie de l'interviewer.

- Accepterais-tu de me parler, lui bredouillé-je en arabe.

Elle lâche sa canne d'une main qu'elle fait passer devant son visage comme pour chasser une mouche. Je vois à présent les dents qui lui manquent. Ici, quand ça ne tient plus, ça tombe.

- Vas voir mon homme, il te dira des choses, moi je n'ai pas envie de parler.

Son regard, qui a soutenu le mien l'espace de quelques instants, repart dans le lointain.

Le mari est assis par terre, quelques pas plus loin. Il est adossé au mur d'une baraque, les jambes étendues devant lui. La ressemblance entre eux est frappante. Lui aussi a la peau lisse et cuivrée, le regard brûlant. Ses cheveux sont immaculés, ses dents rares. Mais lui aussi est beau, majestueux dans sa misère et ses guenilles.

- La paix? La paix? Moi, je ne demande qu'une chose: mes fils. Oui, mes fils, mes enfants. J'en ai un en Algérie, un autre en Jordanie, un autre en Egypte, et un en Europe. Tous partis, et ils n'ont pas le droit de revenir. Quand on sort d'ici, on n'y rentre plus. Je veux les revoir, je veux revoir mes enfants. [...]

Après dix années de passion amoureuse pour Israël et pour la vie en kibboutz, Marion Sigaut découvre les horreurs qu'on lui avait cachées. Elle est en relation avec le Secours médical palestinien, un groupe de Palestiniens qui ont dévoué leur existence à la santé des plus démunis.

 

C'est en plein coeur de Gaza-ville, au milieu, au centre, à deux pas des marchés, de la grandplace, c'est l'hôpital Arab Ahli.

L'établissement [...] a été fondé voilà environ cent ans, par l'Eglise baptiste. A cette époque, toute l'infrastructure sanitaire était affaire de charité, donc d'Eglises. Celles d'Angleterre et de France étaient contentes de pouvoir étendre leur influence aux dépens de l'occupant turc musulman. Après les Turcs vinrent les Anglais, puis les Juifs européens. C'est la création de leur Etat qui fit passer la population de la pauvreté à la misère. [...]

Vint la guerre du Golfe qui vit l'arrêt brutal de l'aide saoudienne. Puis le bouclage de 1993: ceux qui pouvaient payer leurs soins perdirent leurs revenus. Mais ce n'est pas tout: le matériel sophistiqué dont l'hôpital s'enorgueillissait se détériore à grande vitesse. Sur les deux équipements radio dont il dispose, l'un est totalement hors service. La société Philips, qui assure la maintenance, ne peut envoyer son ingénieur, car celui-ci est basé à Bethléem, donc bouclé. On a une machine parfaite pour les analyses de sang, mais elle est à bout de souffle et le technicien habite à Jérusalem. On a besoin de sérum mais on n'en a plus.

On a besoin, on voudrait, on a trouvé, on pourrait... bouclage, bouclage, bouclage. [...] Toute l'infrastructure existe, le personnel est formé, le matériel est là. Mais plus rien ne tourne, Gaza est coupée du monde, Gaza est bouclée. [Et] elle l'est également dans l'autre sens: des Palestiniens résidant en Allemagne voulaient envoyer un scanner, mais les autorités israéliennes refusèrent le permis d'importer. [...]

 

Musique

En arabe, le mot Izbet (ou Khirbet) désigne un hameau [...]. Izbet Beit-Hanoun, au nord de la bande de Gaza, serait donc un hameau, puisque son nom l'indique. Un hameau à la palestinienne: cinq mille huit cents habitants, l'équivalent de dix villages français. [...]

Inimaginable. On connaît les camps de réfugiés, les villes surpeuplées et les villages déshérités. Mais là, on a pire encore: villes et villages ont leur infrastructure, même déglinguée, à bout de souffle et insuffisante. Les camps ont l'Agence pour l'assistance aux réfugiés. L'Izbet Beit-Hanoun n'a rien. Ni eau, ni chemin pour y accéder ni école pour les enfants. Ceux-ci parcourent à pied plusieurs kilomètres pour aller en classe. Le chômage est bien sûr total, puisque les quelques rares qui avaient du travail l'exerçaient en Israël.

Là sont venus s'installer les malheureux dont les habitations, à l'intérieur même du territoire, ont été détruites. Ils sont réfugiés d'entre les réfugiés, déshérités parmi les plus démunis, champions de la pauvreté au pays de la détresse générale. Et c'est là, au beau milieu de nulle part, que fleurit le dispensaire du Secours médical palestinien. [...]

 

Musique

Nous sommes assis dans un coin du centre, une salle carrée et très propre, assez sombre. La fraîcheur est apportée ici par l'ombre qu'assure l'étroitesse des fenêtres. Sur les murs, les affiches éducatives le disputent à de nombreuses photos d'enfants rieurs. Je me penche pour les voir de plus près. Ce sont des handicapés moteurs cérébraux graves, des petits d'environ six ou sept ans. La directrice explique:

- Tu vois, ce sont là les principaux cas graves que nous avons à traiter aujourd'hui comme séquelles de l'Intifada. Ces enfants-là sont nés de mères qui ont inhalé des gaz toxiques en 1989.

Une sorte de secousse intérieure me vrille des pieds à la tête. Je me souviens, en 1989, j'avais reçu des informations sur l'utilisation de gaz dits « lacrymogènes » mais terriblement nocifs, que les soldats israéliens envoyaient dans des maisons. A l'époque, des associations - israéliennes au demeurant - s'étaient mobilisées pour dénoncer leur usage, et des scientifiques étaient intervenus pour dire qu'à la suite de leur utilisation dans une pièce fermée, il fallait au minimum laver sols et murs à grande eau avant de pouvoir y respirer de nouveau. A grande eau, dans Gaza...

Mais l'équation « soldat juif-gaz toxique » avait tellement choqué que la chape de plomb était tombée sur une telle monstruosité. Le public ne devait pas savoir.

Six ans plus tard, les résultats sont sous mes yeux: des petits enfants de six ans atteints de paralysie cérébrale, à jamais diminués, estropiés à vie.

 

Musique

Il est environ dix-huit heures quand Walid me ramène au check-point. L'interminable file de camions, ce matin vides, est à présent entourée des chauffeurs. L'heure a tourné, et le bouclage total est devenu bouclage ordinaire. Si on a compris la nuance, on a saisi qu'en ce moment, les rares qui sont habilités à sortir vont pouvoir le faire. En principe.

Pour ces camionneurs, il s'agit d'aller porter de l'autre côté les productions agricoles. Gaza ne dispose pour vivre que de ses serres dans lesquelles sont cultivés les fruits et légumes de toujours [...]. Sans accès portuaire, le seul point de sortie de ces produits destinés à être vendus, c'est le checkpoint d'Erez, par lequel je suis entrée ce matin. La destination, c'est la Cisjordanie, ou le port israélien d'Ashdod. [...]

Il n'y a pas d'attentat récent qui le justifie, nous sommes ici en face du bouclage ordinaire et de ses conséquences démentielles: des centaines de camions arrêtés en plein soleil, attendent le bon vouloir d'une poignée de soldats à l'autre bout de la file.

Ceux-là ont l'autorisation de sortie, sinon ils ne se déplaceraient même pas. Mais ladite autorisation ne donne pas obligation de déroger aux règles de la sécurité. Ce qui signifie que chaque camion peut être, pour la fouille, totalement vidé de son contenu, désossé même mécaniquement, et ce pendant des heures. On a vu un camionneur, seul à bord, vider une à une les cagettes de tomates qu'il transportait, puis les remettre en place. Pourries, bien sûr.

- Arrête-toi là, s'il te plaît, demandé-je à Walid comme nous approchons d'un groupe d'hommes qui discutent.

J'ouvre tout grand ma vitre, me penche à la portière, et me lance en arabe.

- Ca fait combien de temps que vous êtes là? [...]

- Ca fait trois jours qu'on est là. Toute notre cargaison est déjà foutue. Mais on restera. On ne repartira pas. On ne cédera pas.

Je lève les yeux au ciel et secoue la tête. Je ne m'habitue pas à cet ordinaire là. Ici, l'indignation est à répétition, l'exaspération à fleur de nerfs, du moins le croit-on jusqu'à ce qu'une nouvelle raison de rager survienne.

 

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Après dix années de passion amoureuse pour Israël et pour la vie en kibboutz, Marion Sigaut découvre les horreurs qu'on lui avait cachées. Elle est en relation avec le Secours médical palestinien, un groupe de Palestiniens qui ont dévoué leur existence à la santé des plus démunis.

 

Musique

10e partie - Histoires de foulards

C'est dans une pièce sombre et fraîche que je fais la connaissance de Naame. Assise à côté de la gyiécologue qui vient de terminer sa journée de consultation, elle attire mon regard par je ne sais quoi d'indéfinissable. Elle est entièrement voilée de blanc. Non pas comme certaines Palestiniennes qui posent sur leur tête un foulard-accessoire agrémenté de broderies qu'elles assortissent parfois à leur rouge à lèvre, non. Un foulard qu'on appelle « islamique », qu'elle replie vers les oreilles avant de le boucler serré sous le menton, et qui tient à l'aide d'une épingle blanche. Pas de rouge à lèvres pour éclairer son teint de brune, non. Et la totalité de son habillement semble destiné à la cacher plutôt qu'à la vêtir. Manches longues, col très haut, jupe jusqu'à terre. Par cette chaleur!

Le bloc posé sur les genoux, je croise son sourire doux, radieux presque. J'ai terminé l'interview du médecin, je me tourne vers elle. [...]

- Tu veux bien répondre à mes questions? Même si elles sont personnelles?

Je n'y vais pas par quatre chemins, elle m'intrigue.

- Es-tu mariée Naame?

Rougissante, elle répond par la négative. [...]

- Tu veux bien me dire pourquoi?

- Eh bien, parce que je n'ai pas encore trouvé quelqu'un qui me convienne, se lance-t-elle enfin, dans un anglais correct et lent.

J'ai envie de rapprocher ma chaise. Depuis tant d'années à présent que je croise des Palestiniennes, je connais les pressions dont elles sont l'objet de la part de la famille pour accepter le parti qu'on leur amène à domicile. [...] Ce qui m'attire, c'est cette fierté que je sens en elle et qui devient à mes yeux de plus en plus évidente.

- Je poursuis mes études, explique-t-elle enfin.

 

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C'est le Secours médical palestinien qui lui a permis de faire ce chemin. Elle a eu son bac pendant les années de pierres [...]. Alors, elle a entendu parler du Secours médical palestinien, et l'idée lui a plu: cela la menait vers un travail utile. Aider les pauvres gens, contribuer au bien-être, être efficace. Alors Naame a suivi les cours à Beit-Hanina, et elle est devenue auxiliaire de santé. C'était il y a quatre ans. Et tout naturellement cela lui a donné la force de continuer.

Elle s'est rendue à Jérusalem et s'est inscrite à l'Université ouverte. C'est ainsi qu'on nomme, dans ce pays, les cours par correspondance. Naame a choisi l'anglais.

- Tu veux passer une licence?

Son sourire ne la quitte pas. Il est fait à la fois de la contenance qu'il donne à une jeune femme timide, et de la fierté que de toute évidence elle éprouve à se raconter.

- Une licence, une maîtrise, un doctorat, tout, tout, tout, je veux tout faire. J'arrêterai quand il n'y aura plus de diplôme à passer.

Il y a, sous ces dehors modestes, une détermination surprenante. C'est cela qui intrigue chez elle. C'était cela, l'indéfinissable.

C'est son voile qui me choque, moi la Française, la laïcarde, la républicaine des défilés, la femme libre. [...]

- Pourquoi portes-tu le voile? lui demandé-je enfin.

On est entre nous, je sais qu'elle va me dire la vérité. Et que si elle hésite à la dire, ça se sentira. Entre nous, une complicité se met en place, je suis sûre de ne pas me tromper. Et je me trompe pourtant.

- Parce que j'y crois, dit-elle simplement. J'ai vu ma mère et mes soeurs faire ainsi, c'est pour cela que j'ai commencé. Mais je crois également que cela convient à notre vie. Notre religion nous dit que c'est ainsi que nous devons être. Et je crois que c'est bien ainsi. Et on doit faire comme on croit.

Je ne m'attendais pas à cela. [...]

 

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C'est dans le bureau du responsable du centre que je croise Lubna. Plus mince, plus fine et un peu plus grande que Naame, elle a bientôt trente ans, c'est tout ce que je peux dire, a priori, pour la distinguer de sa compagne. Car pour ce qui concerne le voile et l'attirail, c'est bien le même. Quand ce n'est pas blanc, c'est que c'est gris, pas un cheveu ne dépasse, et la même humilité prévaut. Elle non plus ne montre pas ses dents quand elle sourit, elle aussi baisse les yeux avant de commencer ses phrases. Va-t-elle, à son tour, me faire la même surprise?

- Je rentre sur Naplouse, veux-tu que je t'emmène? [...]

Chemin faisant, Lubna se raconte. Elle a suivi des études supérieures de biologie, et le Secours médical palestinien est son premier job. Elle n'est pas auxiliaire comme Naame, elle a, disons, un grade au-dessus, et son travail la fait passer de labo en labo, de clinique en clinique, elle bouge, elle sort. Elle est cadre, dirions-nous. Chose qui, une fois encore, bouscule en moi l'idée que je me fais de la femme voilée musulmane.

- Mariée?

J'ai enfin lancé l'inévitable question regardant celle qui travaille, dans une société qui l'admet peu.

Lubna pouffe. Tout sourire, elle me lance une oeillade de côté, je finis par lâcher la route pour la regarder droit dans les yeux.

- Je me marie demain matin, m'annonce-t-elle. [...]

Ainsi donc, une Palestinienne voilée de 28 ans, qui travaille dans un job qui lui convient, dans lequel elle s'épanouit, et qui lui donne des responsabilités, peut trouver un mari. Non pas une occidentalisée, comme nous aimons à définir celles qui jouissent de libertés, mais une femme enracinée dans la société palestinienne. [...]

- Et il est d'accord pour que tu travailles?

Sa réponse me fait éclater de rire.

- Il n'avait pas le choix: c'était ça, ou je ne voulais pas de lui.

Elle s'est donc bien imposée comme elle est. J'ai à côté de moi une femme libre. Et aimée, sans doute. [...]

Quatre mois plus tard je tenterai, en vain, de la revoir. Mais j'aurai de ses nouvelles. Je poserai une seule question:

- Et Lubna, elle est heureuse?

Une de ses copines de Beit-Hanina m'assurera que oui.

Après dix années de passion amoureuse pour Israël et pour la vie en kibboutz, Marion Sigaut découvre les horreurs qu'on lui avait cachées. Elle est en relation avec le Secours médical palestinien, un groupe de Palestiniens qui ont dévoué leur existence à la santé des plus démunis.

 

L'histoire avait commencé le 25 novembre 1987. Dans le nord d'Israël, un Palestinien de 22 ans, réfugié au Liban, avait passé la frontière à bord d'un ULM, et avait pénétré la nuit dans un camp militaire. Là, armé d'une Kalachnikov, il y avait tué six militaires et blessé sept autres, avant de se faire abattre. [...] Couvrant d'opprobre et de ridicule la toute puissante armée de défense d'Israël, jusqu'alors invincible et source de terreur pour tous les Palestiniens, l'attentat d'un seul déclencha chez la jeunesse palestinienne une sensation d'euphorie: un David palestinien avait terrassé le Goliath israélien, par un singulier renversement du mythe.

Les premiers jours de décembre de cette année-là, il y eut à Gaza une série de provocations de colons, suivies de flambées de colère brutalement réprimées par l'armée. Cela faisait des années que cela se perpétuait. Mais, un jour... L'explosion eut lieu deux semaines après l'attentat-suicide, exactement le 9 décembre, et elle mit quelques jours à atteindre la Cisjordanie. Elle vit la sortie en masses de centaines de milliers de Palestiniens, d'hommes, de femmes et de tous leurs enfants qui, armés de pierres, tinrent en échec la plus puissante armée du monde.

La répression fut féroce, et les mises en garde d'Israéliens lucides, suppliant le gouvernement de considérer qu'il s'agissait d'une insurrection populaire, ne servirent à rien. Les autorités civiles et militaires traitèrent le soulèvement (en arabe, Intifada) comme une sinistre manifestation de terrorisme qu'on allait mater. [...]

Un jour de janvier 1988, femme de gauche sincèrement dévouée à la défense des droits de l'Homme, Ruhama Marton reçoit des informations alarmantes sur la situation à Gaza. [...] Elle est de ces Israéliens [...] pour qui la vérité mérite qu'on se batte, pour qui il n'y aura jamais de paix sans justice. Bien sûr la presse israélienne connaît son métier et relate les faits, mais elle a tendance à les relativiser, quand ce n'est pas à les minimiser. [...]

Ruhama prend son téléphone, appelle cinq confrères et demande à chacun d'en appeler cinq autres. A la fin du mois, douze médecins volontaires prennent la route de Gaza. Ce qu'ils y voient est pire encore que ce qu'ils redoutaient. En nombre et en gravité, les blessures de l'Intifada dépassent ce que l'infrastructure médicale palestinienne peut supporter: ils consacrent une journée à panser du mieux qu'ils peuvent les blessures qu'occasionnent leurs soldats. [...]

Un mois et demi après, Ruhama rassemble à Jaffa [...] une centaine de médecins israéliens, (dont 20% d'Arabes [...]), auxquels se joignent une petite dizaine de Palestiniens des Territoires. [...] L'association médicale israélo-palestinienne pour les droits de l'Homme, ou le PHR est née. C'est ce jour-là que Ruhama fait la connaissance de Mustapha, directeur et co-fondateur du Secours médical palestinien. […]

Mustapha raconte à Ruhama les consultations mobiles, les expéditions en direction des villages trop reculés et trop pauvres pour bénéficier du moindre secours médical palestinien. Il l'invite à venir voir, et l'emmène à Jiftlik, dans la vallée du Jourdain.

Jittlik [...]est ce qu'on peut voir de plus déshérité dans toute la Cisjordanie. C'est une sorte de bidonville posé au milieu d'une terre fertile, riche en soleil et en eau, occupée par les colons. Ses maisons, que les Palestiniens savent si bien construire, sont là des baraques de tôle et de cailloux.

En voyant cette misère, Ruhama décide d'organiser à son tour, en collaboration avec Mustapha, des consultations mobiles régulières. [...] Les médecins du Secours médical palestinien iront en prospection, comme ils savent si bien le faire, et prépareront avec les représentants des villages, l'accueil des médecins juifs. Ces derniers viendront un samedi par mois, leur jour de congé. [...]

C'est en poussant la porte de la seconde chambre que je rencontre enfin Ruhama. Cela fait six mois que j'attends ce moment. [...] Ce qui est une évidence pour les médecins du PHR, - aider les Palestiniens -, semble tellement inconcevable à tant d'Israéliens, que je ne peux m'empêcher de demander à Ruhama comment les gens la reçoivent.

- C'est comme si nous étions un membre de la famille qui s'est éloigné pendant des années. C'est chaud comme un retour au foyer après une longue absence, dit-elle de sa voix douce.

Bravant les couvre-feux et ce qui fut un authentique état de siège durant toute la guerre du Golfe, les médecins juifs sont passés. Et là, même lorsque tout manquait, que la faim tenaillait, il ne s'est pas passé un jour sans qu'on leur dresse la table. Il n'y a pas eu un jour de Ramadan où on ne les ait nourris, quand les musulmans jeûnaient. [...]

Au début de l'Intifada, les autorités militaires décidèrent de conditionner toute demande de sortie vers l'étranger à un engagement à ne pas revenir avant trois, voire cinq ans, Un malade ayant besoin d'un traitement spécial à Paris ou à Rome devait partir avec un aller simple. [...] En 1992, un jeune homme originaire d'un village à côté de Naplouse, est signalé à Ruhama comme ayant un cancer des testicules. [...] Il doit, pour sauver sa vie, se rendre à Londres où une équipe médicale est prête à le soigner. Mais les autorités lui refusent l'autorisation de sortie (les Palestiniens n'ont pas de passeport, ils reçoivent des laissez-passer), sauf s'il s'engage à ne pas revenir avant cinq ans. Que ferait-il tout seul cinq ans à Londres? Autant renoncer à revoir les siens.

Ruhama intervient, et gagne. Le jeune homme part. Il reste là-bas plusieurs mois où il suit un traitement très dur qui le tire d'affaire. Mais pour éviter la formation de métastases, il doit, à son retour, suivre un traitement toutes les six semaines, et plus en cas de besoin. Seul l'hôpital israélien de Hadassah est équipé pour ce genre de traitement. [...] Un jour et demi après son retour, les militaires viennent le cueillir pour le mettre en prison, où sa seule perspective est de mourir. Qu'avait-il eu le temps de faire en un jour et demi qui justifie qu'on le condamne à mort?

Ruhama [...] fera jouer toutes ses relations, tout son abattage, toute son énergie pour que ce malheureux, éprouvé par un traitement épuisant, soit autorisé à se faire soigner. [...]

Ruhama cessera son combat quand justice sera rendue aux Palestiniens.

Après dix années de passion amoureuse pour Israël et pour la vie en kibboutz, Marion Sigaut découvre les horreurs qu'on lui avait cachées. Elle est en relation avec le Secours médical palestinien, un groupe de Palestiniens qui ont dévoué leur existence à la santé des plus démunis.

 

Un soir de novembre 1995, le monde découvrait avec stupéfaction ce que chacun pouvait si facilement voir de l'intérieur: Israël abritait en son sein des fanatiques juifs meurtriers. La mort du Premier ministre, Itzhak Rabin, jetait enfin les projecteurs sur leurs agissements, leurs objectifs et leurs méthodes.

Les réactions à cet assassinat ont pu agacer ceux qui savent de quoi il retourne. [...] Au chapitre de ceux qui se sont réjouis, la presse a mis dans un même panier d'un côté les Palestiniens de Gaza, et de l'autre les colons de Cisjordanie et leurs commanditaires américains. Ce qui est une façon de renvoyer dos à dos Juifs et Arabes dans une même accusation de fanatisme, mais n'a que peu de rapport avec la réalité.

Pour ce qui concerne les commanditaires du crime et ses partisans, ils sont ceux qui voyaient en Itzhak Rabin le bradeur de la Terre sainte, le liquidateur d'une certaine idée du sionisme, le traître au peuple juif. Suivant jusqu'au bout leur logique, ils se sont débarrassés du gêneur ou se sont réjouis que quelqu'un l'ait fait à leur place. [...]

On ne saurait comparer leur joie avec celle des Palestiniens. Pour ceux de Gaza, Itzhak Rabin restera l'homme du bouclage, celui qui a empêché les colons de partir, le militaire qui ordonna un jour à ses soldats de briser les os des lanceurs de pierres. La paix, telle qu'ils ont vu Itzhak Rabin la mettre en place, est synonyme de misère, injustices, fermeture des Territoires et surenchère colonisatrice. Quelques chiffres: entre juin 1993 et juin 1995, pendant les deux ans qui ont suivi la signature des accords, on a noté:

- la confiscation de 12 877 hectares de terre

- la démolition de 21 maisons

- l'ordre de démolition de 73 autres

- l'arrachage de 14 145 arbres (de préférence fruitiers)

- le terrassement de 1 630 hectares,

Demander aux Palestiniens d'appeler cela une politique de paix revient à les prendre pour des imbéciles. C'est Itzhak Rabin qui a permis ces atteintes à la propriété palestinienne, ce même Premier ministre qui a reçu un prix Nobel de la paix et accusait régulièrement Arafat de ne pas arrêter les terroristes. Ajoutez à cela le fait que, malgré tous les engagements par lui signés, les prisonniers n'ont toujours pas été libérés. [...]

Ceux qui ont comme moi l'habitude de se rendre dans ce pays, ont tous eu envie de tester l'évolution de l'attitude des agents de la sécurité à l'aéroport. Et là, rien de nouveau sous le soleil. Le passage hors d'Israël de quiconque a eu le malheur de fréquenter des Palestiniens est tout aussi éprouvant qu'il l'était il y a dix ans. Une série de civils se succèdent devant votre valise et vous bombardent de questions qui ont très peu à voir avec la sécurité du vol. [...] Et, dans cette situation, refuser [de répondre] c'est être soumis à l'humiliation de la fouille complète, véritable viol de vos affaires, de votre intimité.

Aujourd'hui j'ai vu mieux encore. [...] Deux fois de suite j'ai été sommée de me rendre dans un bureau de police où personne ne s'est soucié de moi, tandis qu'un haut-parleur appelait les ultimes voyageurs pour l'embarquement. Il ne m'a pas été donné d'explication sur la raison de cette attitude. Par contre on m'a clairement dit que j'étais entrée là dans une zone de non-droit, que je ferais ce qu'on me disait et que je n'avais plus aucun droit civil d'aucune sorte. [...]

Il y a beaucoup plus grave encore. [...] J'ai rencontré, il y a quelques mois, un cadre sioniste de gauche que j'ai connu en 1986, quand il se battait pour les droits des Palestiniens citoyens d'Israël. [...] Quand je lui ai parlé des réfugiés qui croupissent hors des frontières depuis presque cinquante ans, il s'est assombri. Fronçant les sourcils, il a marmonné:

- Ah! Non alors, il ne faut tout de même pas exagérer.

Même avec les meilleurs intentions du monde, le plus pacifiste des sionistes n'arrive pas à admettre que les Palestiniens sont un peuple unique. Que les exilés sont les frères, les cousins, les oncles ou les neveux de ceux qui sont à l'intérieur. Que l'injustice faite en 1948 et renouvelée en 1967 a brisé des familles. Que ces familles existent encore. Qu'elles veulent revenir. Que ceux qui sont dedans les attendent et les espèrent. [...]

Pendant des dizaines d'années, il a été de bon ton en Israël de faire croire aux enfants des écoles que, au moment de la création de l'Etat juif, les Palestiniens étaient partis de leur propre chef, quand ce n'était pas simplement poussés par des leaders arabes fanatiques qui les enjoignaient de se retirer pour mieux revenir en force tuer les Juifs. En près de cinquante ans d'existence, les autorités israéliennes ont ainsi réussi à faire passer une version des faits qui donnait bonne conscience à la population, et diabolisait leurs victimes, dont la révolte devenait une injustice en elle-même: ils sont partis de leur propre gré, et à présent ils veulent nous chasser de chez nous.

Une autre vérité pourtant fait lentement son chemin [...]. On en doit la révélation à une poignée d'historiens qui ont décidé, quand furent passés les trente ans d'embargo sur les archives de l'Etat, d'aller enquêter dans les papiers officiels. L'un d'eux, le placide Benny Morris, [...] se rendit donc au siège des archives [...], et eut la désagréable surprise de voir s'échapper un à un tous les cartons qu'il voulait voir.

- Et celui-là, là, je peux? demanda-t-il en désespoir de cause, après qu'il eût vu disparaître tout ce qui l'intéressait...

- Ca, oui, vous pouvez.

Il s'agissait de rien de moins que du carton contenant la correspondance de Ben Gourion pendant la guerre d'indépendance, et touchant à l'évacuation par la force des localités palestiniennes.

Depuis la parution de La Naissance du problème des réfugiés palestiniens, 1947-1948 aux Editions Cambridge University Press, plus rien n'est vraiment comme avant au domaine de la manipulation médiatique. Quiconque veut savoir aujourd'hui peut savoir. Que des Palestiniens désarmés ont bien été chassés de chez eux par la terreur et la violence pendant environ un an. Et que leur revendication à rentrer chez eux est légitime.

stop
by pffff Saturday August 17, 2002 at 04:56 PM

arreté avec votre propagande je ne prend pas en compte quelque chose qui vient d'une radio de propagande
ça aurait tres bien pu etre inventé
on veut de la vrai info!!!!
indymédia c'est pas propagande Iran

Achètes le livre!
by Dominique Saturday August 17, 2002 at 07:15 PM
dominique_pifpaf@hotmail.com

Tu peux le trouver en librarie et son auteur est francaise et chrétienne pour ta gouverne.

Les patrons des médias américains sont à 98% des sionistes supporters d'Israël. La situation en Europe n'est guère mieux. Si tu veux vérifier cette info, ce n'est pas bien compliqué, tu prends Google, ce ne sont pas les liens qui manquent la dessus. Comme tu ne fais confiance à personne qui a un avis différent du tien, il vaut mieux que tu cherches par toi-même. Tu peux essayer en francais avec les mots sionisme et média, et en anglais tu devrais en trouver encore plus avec zionism et media. Et quand tu seras arrivé à des conclusions, j'espère que tu vas nous faire un bel article la-dessus.