Libres femmes de Palestine by Marion Sigaut (présenté par Dominique) Saturday August 17, 2002 at 03:17 AM |
dominique_pifpaf@hotmail.com |
Le témoignage de Marion Sigaut est particulièrement touchant parce qu'elle est animée d'une véritable passion pour cette terre sainte de Palestine.
O
Libres
femmes de Palestine Voici
le deuxième texte que j'ai trouvé ici
sur le site de la radio
iranienne. Ils ont un autre index
avec quelques textes dont celui-ci. Le texte suivant présente
des extraits émouvants du livre Libres femmes de Palestine
de Marion Sigaut. Pour écouter plutôt que lire ce texte,
c'est ici. Pour
ceux qui veulent une autre source de news que les grandes chaînes
américaines, la radio iranienne a un site iris
news. ####################### Par
le Nom de Dieu, le Tout-Miséricordieux et Très-Miséricordieux;
, nous allons vous présenter des extraits du livre de Marion
Sigaut intitulé Libres femmes de Palestine, publié
en 1996 aux éditions de l'Atelier avec le soutien du CCFD, le
Comité catholique contre la Faim et pour le Développement.
Le témoignage de Marion Sigaut est particulièrement
touchant parce qu'elle est animée d'une véritable
passion pour cette terre sainte de Palestine. Une passion qui a
commencé, il y a un quart de siècle, par un amour sans
bornes pour Israël et la vie en kibboutz, avant qu'elle n'en
arrive à découvrir le revers de cette médaille.
Mais laissons-là nous raconter elle-même. La
première fois, j'avais 22 ans, c'était en 1972. Poussée
par la curiosité autant que par l'instabilité, je
débarquais, éblouie, dans un petit kibboutz de Judée.
La beauté du lieu, la joie de vivre de ses habitants, la
chaleur spontanée de leur accueil se conjuguèrent pour
faire naître une véritable passion. Entre les habitants
[du kibboutz] de Tel-Nir et [moi] Marion, l'histoire dure à
présent depuis vingt-trois ans, plus de la moitié de ma
vie. Avec
eux, j'ai découvert la vie communautaire, le partage et la
rotation des tâches, l'amour du travail bien fait. Dans mon
milieu petit-bourgeois gauchiste d'alors, travailler signifiait
engraisser un patron. A Tel-Nir, c'était oeuvrer au bien
commun. J'étais
avec eux pendant l'attentat de Munich, le massacre de Lod, celui de
Kiriat Shmone, et quelques autres qui suivirent. Avec eux, j'ai couru
aux abris pendant la guerre d'octobre 1973. Sur
de telles expériences on tisse des liens profonds. J'ai donné
mon sang pour les soldats d'Israël, et quand on invoquait
l'avancée de Tzahal, [l'armée israélienne], je
disais « les nôtres ». Deux
ans après mon premier voyage, j'avais déjà
effectué sept allers et retours. Paris était à
un saut de puce d'Israël, et si j'étais incapable de
décider d'y rester, je l'étais également de
renoncer à ce qui était devenu mon second foyer. Je
parlais l'hébreu sans presque l'avoir appris, instinctivement,
à force de les écouter et de désirer communiquer
avec eux. Année après année, je suis retournée
les voir, l'amour que je leur vouais allait croissant,
s'approfondissant. [...] C'est
mon amour pour eux qui m'amena un jour - c'était après
la guerre du Liban [en 1982] - décider d'aller à la
rencontre de pacifistes actifs. Au kibboutz, tout le monde se disait
partisan de la paix et même de la restitution des Territoires
occupés depuis 1967, mais je voulais rencontrer des militants.
Mes amis me parlèrent d'un centre qui enseignait l'arabe et
travaillait au rapprochement entre les deux communautés; je
décidai de m'y rendre. Là
j'ai rencontré un pacifiste authentique, qui m'a montré
ce que j'ignorais totalement. Il me prit par la main et me fit
découvrir dans quelles conditions vivait la communauté
arabe israélienne, celle des 900 000 Palestiniens, citoyens
d'Israël, qui sont restés sur place après l'exode
de 1947-1948. J'ai
décidé de le rejoindre et d'apprendre l'arabe. C'est
ainsi que j'ai soulevé le voile. Ce que j'ai découvert
a tout bouleversé. En l'espace d'un an, mes convictions les
plus chevillées au corps se lézardaient, le monde
merveilleux et plein d'amour dans lequel je m'étais construite
masquait des horreurs: on m'avait menti. [...] Depuis
la chute de l'empire soviétique et la disparition du
communiste au couteau entre les dents, l'Arabe semble être
devenu la nouvelle cible de la haine irrationnelle en Occident. Il
n'est que de se souvenir de la paranoïa qui a saisi notre pays
quand, en 1990, les armées les plus puissantes du monde se
sont coalisées pour mettre au pas un dictateur arabe. Un de
mes meilleurs amis, opposant par principe à la guerre du
Golfe, m'a affirmé alors sans sourciller, que « tout de
même ces gens-là ne sont pas comme nous». Et de
m'expliquer que dans sa cité d'HLM de la région
parisienne, « leurs » gosses traînent dans la rue
le soir au lieu d'être avec leurs parents. Signe que ces
derniers ne désirent pas s'en occuper... Je
me souviens d'en avoir été offusquée aux larmes. Avant
de rencontrer les Palestiniens, je les ai moi-même vus à
travers le prisme de ce qu'on m'en montrait. Un Palestinien, si je me
souviens bien, c'était d'abord un homme, un mâle. Armé,
coiffé d'un keffieh [ce foulard à carreau] qui lui
cachait le visage, il tenait à deux mains une arme
automatique. A
partir de 1988, la retransmission télévisuelle du
soulèvement dans les Territoires occupés a ajouté
les enfants au stéréotype. Ils avaient également
le keffieh [cet emblème de la résistance palestinienne,
un peu comme le béret basque le fut pour la résistance
en France] et [ils] étaient armés à leur
manière, les cailloux remplaçant la kalachnikov. Stéréotype
guerrier, brutal. [... Et] derrière le stéréotype
est tapi le racisme, et le racisme tue. En France, et là-bas,
en Palestine. Il tue des innocents, des hommes, des femmes et des
enfants. Et autant l'horreur que suscite un attentat bien médiatisé
est justifiée, autant rien ne justifie l'indifférence
que suscitent les morts quotidiens du racisme ordinaire. [...] Nous
allons partir faire la connaissance d'un groupe de Palestiniens - et
d'Israéliens - qui ont dévoué leur existence à
la santé populaire, celle des plus démunis et des plus
fragiles, des plus pauvres et des plus isolés. Ce monde-là
est celui de l'UPMRC, [...] « Union des comités de
secours médical palestinien ». [...] Pour la commodité,
nous dirons simplement le Secours médical palestinien. [...] [Leur]
histoire commence en 1979. A cette époque, l'occupation par
l'armée israélienne des territoires de Cisjordanie et
de Gaza dure depuis douze ans, et semble devoir continuer longtemps
encore. En mettant la main sur ces territoires, Tzahal assoit sa
domination sur une population de plusieurs centaines de milliers
d'habitants dont elle va régler la vie dans les moindres
détails: tous les établissements hospitaliers
palestiniens seront, jusqu'à l'arrivée de l'Autorité
palestinienne en 1995, gérés par les militaires
israéliens. La santé des vaincus est entre les mains
des vainqueurs. Quelques
chiffres témoignent de ce que cela a représenté.
À Gaza on comptait, en 1967, 800 lits répartis en cinq
hôpitaux pour 360 000 habitants. En 1993, 800 000 habitants se
partageaient les mêmes 800 lits répartis en cinq
hôpitaux... En vingt-sept années d'occupation, l'armée
israélienne responsable de l'administration civile sur les
territoires conquis, n'a non seulement pas permis à la santé
de s'améliorer, mais l'a gravement fait régresser. Par
ailleurs, les couvre-feux interminables et imprévisibles
interdisaient le plus souvent le déplacement des populations
vers les services sanitaires. Le
Secours médical palestinien allait naître de la
conjonction de ce constat, et de la détermination d'une
poignée de jeunes médecins sensibles à la
souffrance de leur peuple. Marion
Sigaut, l'auteur du livre Libres femmes de Palestine, avait 22
ans lorsqu'en 1972 elle se rendit pour la première fois en
Israël. Elle se prit d'une véritable passion pour la vie
en kibboutz et pour cette terre merveilleuse, au point que,
raconte-t-elle, quand on invoquait l'avancée de l'armée
israélienne je disais « les nôtres ». Un
jour, après l'invasion du Liban par Israël en 1982, elle
décida de rencontrer des pacifistes israéliens... et
elle découvrit avec eux les horreurs qu'on lui avait toujours
cachées. Pour
nous faire partager certaines de ses découvertes, elle veut
nous emmener dans le sillage de l'« Union des comités de
secours médical palestinien », un groupe de Palestiniens
qui ont dévoué leur existence à la santé
des plus démunis. Comment
est né, en 1979, ce Secours médical palestinien? C'est
ce que Marion Sigaut va nous raconter maintenant. Mais il faut déjà
savoir que, depuis l'occupation de la Cisjordanie et de Gaza en 1967,
tous les établissements hospitaliers de ces territoires
étaient gérés par l'armée israélienne:
la santé des vaincus était entre les mains des
vainqueurs. «
Vers la fin des années soixante-dix, [dit Umaya, l'un des
fondateurs du Secours médical palestinien] j'ai fait partie de
ces médecins qui ont commencé à travailler pour
le Secours médical palestinien. Pour être franc, à
cette époque nous ne savions pas clairement ce que nous
allions faire. Nous appartenions à la société
palestinienne, nous sentions toute la souffrance du peuple. Les
conditions sanitaires se détérioraient, le taux de
mortalité infantile était très élevé,
les gens qui vivaient dans les villages manquaient de services. Les
conditions sanitaires étaient mauvaises. Nous
étions quelques médecins qui voulions faire quelque
chose pour notre peuple. Nous nous sommes donc réunis et avons
organisé des consultations mobiles dans les coins reculés». Ces
quelques phrases résument la genèse du Secours médical
palestinien Tout ce qui a été fait par la suite l'a été
à partir de ce constat: soixante-dix pour cent des
Palestiniens ne recevaient aucun soins médicaux. On allait
créer un système pour eux. [...] Les
médecins, les infirmières et tous ceux qui les
entouraient, ne se faisaient pas payer. Ils consacraient leur temps
libre (vacances, soirées, vendredis pour les musulmans et
dimanches pour les chrétiens) à assurer des
consultations mobiles et à dispenser des soins gratuits. [...] En
1983, quatre ans après la première consultation mobile,
les dirigeants du Secours médical palestinien créent le
premier centre permanent de consultation. Grâce aux contacts
étroits qu'ils entretiennent avec les communautés, ils
choisissent de l'installer où elle manque le plus, à El
Diuk, près de Jéricho, dans la partie sud de la vallée
du Jourdain. C'est
alors qu'ils cherchent à recruter une infirmière. Pas
facile. En effet, il n'y en a pas sur place, sous-développement
oblige. Mais les moyens de communication entre la capitale annexée
et cette oasis étant ce qu'ils sont, restait à trouver
une volontaire pour aller s'enterrer là-bas... Par
ailleurs, il vint rapidement à l'esprit des fondateurs qu'une
infirmière, s'ils en trouvaient une, ne saurait pas forcément
répondre à ce qu'on attendait d'elle. Comme eux,
celles-ci étaient formées aux soins hospitaliers, pas
aux soins primaires sur le terrain. «Alors,
explique Umaya, l'idée est venue de recruter et former des
femmes originaires des villages concernés. En coopération
avec des organisations de femmes et des volontaires de la vallée
du Jourdain, nous avons sélectionné les quatre
premières». [...] Il
fallait former ces jeunes femmes à répondre aux besoins
des communautés, pour les aider à gérer les
problèmes liés à l'eau, à l'hygiène,
l'environnement, la prévention, etc. C'est là qu'ils
inventèrent l'idée des visites à domicile:
chaque auxiliaire irait systématiquement visiter un à
un les foyers de son village, se faisant ainsi connaître et
préparant l'arrivée des médecins. Une
fois le programme mis au point, ils sélectionnèrent
douze nouvelles candidates qui constituèrent le second groupe:
les auxiliaires villageoises de santé étaient nées. Pendant
les années noires de l'Intifada, [de la révolte des
pierres], elles seront sur tous les fronts. Soignant les blessés,
certaines réduisant même des fractures, elles seront,
bien au delà de ce que leur statut initial les destinait à
devenir, les anges gardiens des communautés occupées.
Pendant les périodes interminables de couvre-feux et de
sièges, au cours desquelles les médecins ne pourront
pas se déplacer, elles traiteront les patients, prépareront
des solutions médicamenteuses, elles sauveront des dizaines de
vies, et bouleverseront l'image des femmes, auparavant consommatrices
occasionnelles de soins sanitaires, rarement dispensatrices... [...] A
présent, le Secours médical palestinien est devenu une
grosse association. Mis à part les quelque 1 000 volontaires,
il emploie 250 salariés, dont une écrasante majorité
de femmes: elles représentent 68% du personnel, et un tiers
des médecins, alors qu'au niveau national, elles ne sont qu'un
sixième des praticiens palestiniens. Aujourd'hui,
les activités du Secours médical palestinien sont
multiples. Les consultations mobiles et permanentes font le gros de
l'activité, mais il y en a d'autres: dépistage
scolaire, soins aux handicapés, analyse de l'eau, éducation
sanitaire... Dans tous les domaines touchant à la santé,
on croise le Secours médical palestinien. [Depuis]
la fin de 1995, les choses sont en train de changer sur le plan
politique. Les négociations, entre l'OLP et feu le Premier
ministre Rabin, ont mené à l'ébauche d'une
autonomie pour les Palestiniens, et la santé a été
l'un des tout premiers domaines où la souveraineté leur
a été consentie. [...] [Mais] depuis la fin de mars
1993, les Palestiniens ne peuvent plus se rendre à leur
travail en Israël, le chômage s'est brusquement
généralisé, coupant toute possibilité de
ressources pour le plus grand nombre. Avec quoi le système
sanitaire national naissant va-t-il donc alimenter ses caisses? [...]
Solidarité internationale? Bien sûr, évidemment,
comme toujours. [...] Mais les Palestiniens ne veulent pas tendre la
main en permanence. Ils rêvent, comme tous les peuples, de
liberté, et celle-ci ne se construira pas sur une situation de
dépendance économique et financière. [...] Et
c'est là que se trouve leur plus grande difficulté.
[...] Les Israéliens ont, encore à l'heure actuelle, la
mainmise sur toutes les ressources en eau, le contrôle de
toutes les routes, la domination totale sur Jérusalem. Le
système du bouclage, qui interdit aux Palestiniens l'entrée
en Israël, doublé de l'annexion de Jérusalem qui
se situe en plein centre de la Palestine historique, fait qu'un
habitant du nord de celle-ci ne peut simplement pas se rendre en son
sud, puisque le centre lui est interdit. Situation
aberrante et cruelle, quand on sait que les plus grands hôpitaux
palestiniens, le siège des journaux, le centre de toute la vie
intellectuelle, religieuse et morale des Palestiniens leur sont
interdits d'accès. [...] Après
dix années de passion amoureuse pour Israël et pour la
vie en kibboutz, Marion Sigaut, l'auteur du livre Libres femmes de
Palestine, décide un jour de rencontrer des pacifistes
israéliens et, avec eux, elle découvre les horreurs
qu'on lui avait toujours cachées. Pour
nous faire partager certaines de ses découvertes, elle nous
emmène dans le sillage du Secours médical palestinien,
un groupe de Palestiniens qui ont dévoué leur existence
à la santé des plus démunis. Né
en 1979, ce Secours médical palestinien s'est développé
au cours des pires années de l'occupation israélienne,
lorsque les couvre-feux interminables interdisaient le plus souvent
l'accès au moindre service sanitaire. Pendant les années
noires de l'Intifada, [la révolte des pierres], leurs
infirmières, spécialement formées pour affronter
toutes les situations sur le terrain, seront les anges gardiens des
communautés occupées. A présent, le Secours
médical palestinien est devenu une grosse association que l'on
croise dans tous les domaines touchant à la santé. Je
viens de passer vingt-quatre heures au kibboutz et je m'apprête
à retourner de l'autre côté, [en Cisjordanie].
[...]
Ils
m'ont demandé ce que je venais faire cette fois-ci, et je leur
ai dit que j'étais envoyée par une association
française catholique, le Comité catholique contre la
faim et pour le développement, qui soutient une organisation
médicale palestinienne. -
Je viens faire une enquête destinée aux gens qui
envoient de l'argent et veulent savoir ce qu'il devient. [...] Toutes
mes tentatives de m'exprimer de la façon la plus conciliante
possible se soldent par autant de gifles que je prends en pleine
figure: -Eh
bien, ils ont bien raison de t'envoyer vérifier. Si tu ne les
surveilles pas, ils s'achètent des bombes ou des armes...
[...] Des
bombes! Les médecins et les auxiliaires du Secours médical
palestinien, acheter des bombes ! Ainsi raisonnent, sur les Arabes,
les Israéliens qui ne les croisent jamais. -
Et alors, qui va gagner les prochaines élections
palestiniennes, me demande avec un sourire, le plus arrangeant
possible, un autre vieux copain. Le Hamas ou le Jihad islamique? Façon
à lui de demander si les Palestiniens sont islamistes ou
islamistes. [...] Il est vrai que depuis le début des
négociations, on n'arrête plus des « terroristes »
comme hier, mais on « liquide des islamistes», devenus la
cible de toutes les exactions commises au nom de la sécurité. Entre
mon kibboutz et la ligne verte, [...] qui délimite Israël
et les Territoires,il n'y a même pas dix kilomètres à
parcourir. La route est étroite, et d'une grande beauté.
[...] Dans ce décor de rêve quasiment désert en
ce samedi matin, la petite route devient brusquement l'objet d'un
embouteillage. Devant moi, une dizaine de véhicules sont
arrêtés. Je descends pour jeter un oeil. [...] A
la borne de contrôle, deux soldats font le tri entre les bons
et les mauvais. D'un geste large du bras ils font passer ceux qui
leur conviennent, et font un contrôle tâtillon des
papiers des autres. [...] Ainsi vivent les Palestiniens résidant
en Israël, citoyens israéliens par leurs papiers, arabes
jusqu'à la fin de leurs jours. C'est marqué sur la
carte d'identité, dans la case «nationalité ».
[...] Quand
vient mon tour, lunettes de soleil sur le nez et mine ostensiblement
occidentale, je m'apprête à appuyer sur le champignon
quand un soldat me fait signe de me mettre sur le bas-côté.
Que se passe-t-il? C'est la première fois que ça
m'arrive, mon étonnement est total. -
Où vas-tu? me demande le soldat en se penchant à la
portière. -
Beit-Ummar. [...] -
Beit-Ummar, Idhna, tout ce coin-là, c'est un pays de dingues.
Tu voyages seule, tu es une femme. Fais attention, très
attention tu m'entends? C'est très dangereux là-bas.
[...] Je
reprends la route en proie à la colère. [...] Ce gentil
soldat est simplement représentatif de l'état d'esprit
qui a cours ici: les Territoires, c'est dangereux, ce qui justifie
toute la paranoïa sécuritaire. L'entrée
d'Hébron s'annonce par la floraison de panneaux en hébreu
indiquant les colonies. Il y en a apparemment partout. [...] La
grande ville arabe du sud est entourée des plus anciennes et
plus grandes colonies juives. Mais sa particularité est d'en
avoir également en son sein, en plein coeur de sa vieille
ville, aux portes du caveau des Patriarches. Où un an plus
tôt, un fasciste d'origine américaine a perpétré
un massacre à l'arme automatique, sous la surveillance
totalement passive de l'armée israélienne. Les
Israéliens de gauche pestent à l'envi contre
l'utilisation de leurs enfants, obligés dès l'âge
de dix-huit ans d'aller servir trois ans dans l'armée de
défense d'Israël. Et ce n'est pas la nécessité
de défendre le pays qui les met en rage, mais je fait que,
année après année, les soldats de Tzahal sont
tenus, des jours et des nuits, des semaines et des mois, de couvrir
les exactions des colons, [... de] protéger des fanatiques
venus d'ailleurs qui s'installent en plein coeur des localités
arabes au titre que « ils ont bien le droit », et exigent
ensuite d'être protégés de la révolte de
leurs victimes. Des
rapports sur les crimes des colons noircissent des pages et des pages
que des associations israéliennes de défense des droits
de l'Homme diffusent de leur mieux à la conscience du monde.
Dans son rapport publié en mars 1994, [... le Centre israélien
d'information sur les droits de l'Homme dans les Territoires occupés]
relate quelques-unes des exactions perpétrées par ces
soldats de Dieu, armés jusqu'aux dents, coiffés de la
kippa et portant barbe et bouclettes, et qui parlent l'hébreu
avec un très fort accent américain. Comme
celle qui consista pour un groupe d'étudiants hébraïques,
à entrer un jour de 1989 dans un village arabe, prétendument
pour se recueillir sur la tombe supposée d'un patriarche juif.
À s'y déchaîner, à attaquer un vieillard
de 83 ans qui marchait dans la rue, à tirer dans les citernes
d'eau potable pour enfin tuer une jeune fille de seize ans qui était
assise sur le pas de sa porte. Un an plus tard, la cour israélienne
inculpait quatre « étudiants » pour voies de fait,
tir à vue sur passants, dommages causés à la
propriété privée, sévices à
animaux, incendie volontaire, attaque aggravée contre personne
humaine. Les quatre accusés plaidèrent la légitime
défense. A la fin de décembre 1991, ils furent
condamnés respectivement à huit mois de prison et
dix-huit mois avec sursis pour trois d'entre eux, et à
dix-huit mois avec sursis pour le quatrième. Pour
dire « colon » chez les Palestiniens, on dit seulement
«assassin ». Après
dix années de passion amoureuse pour Israël et pour la
vie en kibboutz, Marion Sigaut rencontre des pacifistes israéliens
et découvre avec eux les horreurs qu'on lui avait cachées.
Par la suite, elle découvre le Secours médical
palestinien, un groupe de Palestiniens qui ont dévoué
leur existence à la santé des plus démunis. Nous
la retrouvons en train d'aller les rejoindre à Beit Ummar, non
loin d'Hébron. A
la sortie d'Hébron, j'avise sur le bas-côté une
famille de quatre personnes dont le père porte une enfant dans
les bras. J'ai l'idée que la fillette est malade, elle ne
semble pas dormir. Je me gare et ouvre ma portière. -
Vous allez où comme ça? -
Beit-Ummar. Ca
tombe bien. Ils
sont venus en consultation à Hébron, la jeune fille est
très mal. Son cas ne relève déjà plus des
soins primaires, ils sont venus à l'hôpital. Sans
voiture, sans moyen de transport, sans autobus. Sous le soleil du
Moyen-Orient. -
Tu n'as pas peur? demande le père, tandis que nous roulons
vers le Nord. -
Peur de qui? De toi? D'un père de famille qui rentre avec son
enfant malade? Et pourquoi aurais-je peur? Il
sourit. -
Les autres, ils ont peur de nous. -
Pas moi. Le
long de la route, sur tout ce qui peut supporter une inscription,
blocs de bétons ou stations de bus, je déchiffre
clairement, inscrit en noir et en hébreu: [...] « mort
aux Arabes». Pas une télévision du monde ne sait
déchiffrer ces appels au meurtre, considérés ici
comme monnaie courante, banalité quotidienne. Nous
arrivons au pied du village. [...] Il
m'a attendue, puisque je suis annoncée par le Secours médical
palestinien. Il en est le médecin et c'est lui qui m'a donné
rendez-vous à son domicile. [...] Nous partons ensemble en
direction d'Idhna, but de cette journée, déjà
riche en événements à dix heures du matin. Idhna
[...] est d'une pauvreté inouïe. Jusqu'à ce que
l'enquête me mène dans la vallée du Jourdain, un
sommet en matière de misère, Idhna restera dans mon
esprit comme ce que j'ai vu de plus déshérité en
Cisjordanie. Ses quinze mille habitants (chez nous on fait une ville
moyenne avec une telle population, là-bas on reste en
village...) vivaient hier de l'agriculture, mais ils se sont vus
déposséder de la moitié de leurs terres, au
profit des colons, bien sûr. Pendant
des années, ils compensèrent cette implacable
dépossession en devenant ouvriers chez les Juifs, en passant
quotidiennement de l'autre côté de la ligne verte, [en
Israël]. Mal payés, ils étaient payés tout
de même, et pouvaient rapporter à la maison de quoi
acheter ce qu'on ne pouvait plus produire. Vinrent
les Russes. Amenés par centaines de milliers (en tout 500000
entre 1989 et 1994), ceux-ci furent embauchés massivement en
lieu et place des ouvriers des Territoires, créant un chômage
que finalement ces derniers n'avaient jusqu'alors pas connu. Au
moment de la guerre du Golfe, les licenciements d'Arabes au profit
des Russes se firent massifs, la paranoïa anti-arabe atteignant
des sommets que l'abondance de main-d'oeuvre facilitait encore. [...] Puis,
vint 1992. A la fin de cette année-là, la violence de
l'Intifada prit un tour nouveau. Cela faisait cinq ans que durait le
soulèvement généralisé des populations
palestiniennes contre l'occupation. En l'espace d'une semaine, cinq
soldats israéliens furent tués au cours d'échauffourées
d'une rare violence. Le gouvernement israélien devait frapper
fort. Il décida, une nuit, la déportation en secret de
plusieurs centaines de Palestiniens qui furent, sans jugements,
emmenés au Liban, loin de leurs familles et sans aucun
recours. La
violence redoubla encore. Cinq mois après la déportation
qui était censée avoir éloigné les
fauteurs de troubles, le bilan monstrueux de cent Palestiniens tués
était atteint. [...] Alors le Premier ministre décida
de fermer les Territoires. Le bouclage prit effet le 30 mars 1993, de
façon annoncée comme définitive. Il
prit, dans le village d'Idhna, la forme du chômage total.
Total. Au
milieu du village, [...] quelques ânes, vaillants auxiliaires
des paysans pauvres, transportent des paysannes sans terres qui
chargent des bidons de plastiques: il n'y a pas ici d'eau courante. Si
on disait qu'il n'y a pas non plus l'électricité, le
croirait-on? Pourtant, en avril 1995, ils l'ont depuis... trois mois.
Avant cela, les riches l'avaient par générateur, les
autres s'éclairaient à la lampe à huile. En
1995. [...] La
misère ici se lit d'abord sur les visages. [...] La maigreur
est le lot commun, la tristesse tire les traits, le désespoir
n'embellit personne. [...] Ici,
la «paix» signifie avant tout le départ de l'armée
israélienne qui durant les années de pierres, fut une
source de malheur quotidien. On a eu ici douze morts et jusqu'à
deux cents blessés, dont il reste un hémiplégique.
Mille hommes ont été arrêtés, certains
jusqu'à quatre fois de suite, et le docteur Mahmoud même
a connu trois mois de détention administrative. C'est-à-dire
sans jugement, sur décision arbitraire. Soixante
maisons ont été détruites, chose courante ici.
Quand on prenait un gosse à lancer des pierres, quand on
recherchait un « terroriste », ou simplement quand on
décidait d'opérer ainsi, on dynamitait le foyer du
suspect, (et quelquefois les constructions qui y étaient
adossées) puis on passait le bulldozer pour empêcher
toute velléité de simplement récupérer
les pierres pour reconstruire. [...] Le
plus dur, le plus pénible, ce qui fut la source de la plus
grande souffrance, de celle qui rend fou, ce furent les couvre-feux.
Le plus long dura cinquante-six jours. Près de deux mois avec
l'interdiction de sortir de chez soi, sauf à quelques rares
heures quotidiennes, et sous la surveillance armée de soldats
juchés sur les toits, canon pointés vers le bas, doigt
sur la gâchette. Deux
mois sans eau, à faire ses besoins sur place, deux mois à
vider les provisions de bouche, à ne pouvoir s'occuper des
bêtes. Deux mois à voir les récoltes à
venir se perdre définitivement sur les maigres champs qu'on a
pu conserver. La
répression de l'Intifada, ce fut aussi les descentes de
soldats qui tiraient dans les télévisions et les
réservoirs d'eau potable, versaient de l'essence dans les fûts
d'huile d'olive, réquisitionnaient les rares voitures du
village qu'on ne revit jamais. Et fermaient les écoles. Ici, à
Idhna comme dans beaucoup d'autres villages, il y a une génération
d'enfants qui ne sait plus lire. [...] Après
dix années de passion amoureuse pour Israël et pour la
vie en kibboutz, Marion Sigaut découvre les horreurs qu'on lui
avait cachées. Elle est en relation avec le Secours médical
palestinien, un groupe de Palestiniens qui ont dévoué
leur existence à la santé des plus démunis. Ahlam
est la dernière arrivée au dispensaire d'Idhna. Elle a
eu son bac en 1992, et [a suivi] sa formation à Beit-Hanina
[le centre du Secours médical palestinien] en 1993-94,
c'est-à-dire après le début du bouclage. Pour
appréhender les conséquences de celui-ci sur la vie
quotidienne des Palestiniens, il faut savoir qu'aux yeux des
autorités israéliennes, Jérusalem est à
la fois unifiée et annexée. Unifiée
signifie que les deux parties de la ville - la nouvelle, juive,
moderne et occidentale, et l'ancienne, antique, arabe et habitée
par quelque 150 000 Palestiniens - font désormais partie de la
municipalité dirigée par les Juifs. Et
par « annexée », il faut entendre que, bien que
prise aux Arabes lors de la guerre des Six jours, au même titre
et en même temps que la Cisjordanie et Gaza, la partie
orientale est considérée comme faisant partie du
territoire israélien. Ce qui veut dire que, quand le Premier
ministre israélien interdit aux Palestiniens l'accès à
Israël, il leur interdit en même temps l'accès à
Jérusalem. La
formation de la jeune Ahlam est une illustration de ce que cela
implique. Beit-Hanina est une ancienne banlieue nord de Jérusalem
aujourd'hui annexée (l'annexion de Jérusalem se fait
sur un territoire tellement étendu qu'on l'évalue à
environ 15 % de toute la Cisjordanie [...]). [...] Ahlam
est résidente des Territoires. Elle n'a plus le droit d'entrer
en Israël, donc à Jérusalem, donc à
Beit-Hanina. Tout simplement. Les
Palestiniens qui veulent se rendre du sud au nord doivent donc
contourner Jérusalem par l'Est, aux portes du désert,
en longeant les excroissances coloniales israéliennes. Jadis,
la vallée qu'on empruntait quand on voulait contourner ainsi
la capitale, portait le joli nom de Wadi en-Nar, ou vallée
du feu. Aujourd'hui on l'a rebaptisée Wadi el-Mout,
vallée de la mort. Car les camions et les véhicules qui
sont obligés de l'emprunter, à présent qu'elle
est l'unique voie de passage pour les Arabes, sont devenus la cause
d'accidents tragiques: jamais une telle circulation n'a été
prévue sur ces chemins à peine carrossés. La
mort est à chaque tournant. Pour
aller suivre sa formation d'auxiliaire de santé à
Beit-Hanina, Ahlam doit donc procéder de la manière
suivante: elle prend un taxi pour aller de son camp de réfugiés
jusqu'à Hébron. Là, un autre jusqu'à
Bethlehem. De là, un troisième jusqu'à une
localité de Wadi en-Nar, encore suffisamment arabe
quoiqu'en territoire annexé, pour que les contrôles
israéliens soient impossibles à assurer. Là,
elle entre en zone interdite. Un
quatrième taxi la mènera jusqu'à l'hôpital
Maqassed, centre de la médecine palestinienne désormais
interdit aux non-résidents. De là enfin, une cinquième
voiture la prendra jusqu'à Beit-Hanina où l'attend sa
formation professionnelle. Elle
suit donc celle-ci en toute illégalité. Si elle se fait
prendre, il lui en coûtera 450 shekels, une fortune: un mois de
salaire d'une population qui n'en perçoit plus. [...] Le
bouclage n'est que la bantoustanisation scandaleuse d'une population
déjà misérable. A
l'origine, il n'y avait pas d'exception au bouclage, il était
général. Puis, après un combat juridique mené
avec l'aide de militants israéliens des droits de l'Homme,
l'autorisation fut donnée aux médecins, et enfin aux
malades, d'obtenir des laissez-passers. [Voilà] comment il
faut procéder pour en obtenir. Opération
numéro un, se rendre à l'administration civile,
c'est-à-dire dans un camp militaire israélien, et
remplir une demande écrite en hébreu. Puis payer un
timbre de quinze shekels. Puis se rendre dans un bureau avec la
photocopie de sa carte d'identité et celle des papiers de la
voiture avec tous ses détails. Puis
on fait la queue plusieurs jours pendant 6 à 7 heures par
jour. Enfin on est reçu par un soldat à qui on devra
prouver qu'on est médecin et ce qu'on a à faire à
Jérusalem. Et là enfin on tient son sésame, la
clé de son activité enfin autorisée: aller
soigner les malades dans le territoire de Jérusalem quand on
est arabe et qu'on n'y est pas né. Opération qu'on
recommencera trois mois plus tard, durée de validité du
sésame, ce qui est un progrès puisque la première
année, les permis n'étaient valables qu'une semaine.
[...] Pour
obtenir une autorisation, un malade doit convaincre un officier que
sa maladie justifie le voyage, et le sauf-conduit qu'il obtiendra
sera à la discrétion de l'officier qui peut ne lui
accorder pour un seul jour, jusqu'à sept heures du soir, même
s'il en a besoin de trois. S'il est pris, il ira en prison et pourra
avoir à payer jusqu'à 2 à 3 000 shekels
d'amende. Six mois de salaire qu'il n'a plus puisqu'il est malade et
de toutes façons au chômage. On souffre moins longtemps
à se vider de son sang à un check-point. J'ai
rendu visite à un pédiatre, chef de service à
l'hôpital Maqassed de Jérusalem. [...] Francophone,
marié d'ailleurs à une Française venue partager
désormais ses conditions de vie, il en avait « marre,
mais marre, mais marre! » «De
ne rien pouvoir organiser, planifier, parce que le jour où on
a prévu d'opérer un cancer, ce sera soit le malade,
soit le chirurgien qui seront arrêtés au check-point.
Parce qu'il peut arriver que les soldats bloquent des ambulances où
on a vu des malades mourir dans leur sang. Parce que 70 % des
patients de ce grand établissement hospitalier proviennent des
Territoires, et que pour passer, ils doivent prouver à un
militaire qu'ils sont bien malades. Parce que 60% des personnels
également viennent des Territoires, et qu'on a décidé,
d'un trait de plume, qu'ils n'ont plus le droit désormais de «
venir en Israël », à Jérusalem, leur ville
bien-aimée. Parce
qu'on sait, et quand on est pédiatre on enrage de le savoir,
que chaque tour de vis dans le bouclage produit une surmortalité
infantile. Parce
que tout cela est barbare. Et que le fait qu'on ait aujourd'hui une
autorité palestinienne responsable de la santé ne
changera rien, puisque Jérusalem ne fait pas partie de sa
nouvelle juridiction. Déménager
les hôpitaux vers la Cisjordanie? Mais
bien sûr, pourquoi pas? Et déménager la grande
mosquée aussi peut-être, avec le Saint Sépulcre,
non? Définitif, on vous dit que l'annexion de Jérusalem
est définitive. D'ailleurs les extrémistes israéliens
le clament à qui veut l'entendre: jamais Jérusalem ne
sera «redivisée », jamais, ils sont prêts
non seulement à tuer, mais à mourir pour cela. Rien,
rien ne les arrêtera. «
Mort aux Arabes », disent-ils. Et ils passent à l'acte.
» Après
dix années de passion amoureuse pour Israël et pour la
vie en kibboutz, Marion Sigaut découvre les horreurs qu'on lui
avait cachées. Elle est en relation avec le Secours médical
palestinien, un groupe de Palestiniens qui ont dévoué
leur existence à la santé des plus démunis. L'activité
la plus remarquable assurée par le Secours médical
palestinien dans le village d'Idhna concerne l'eau. Source [...] de
toutes les injustices, des maladies les plus pernicieuses, de
l'oppression la plus scandaleuse. Jadis,
il y avait des hommes là où il y avait de l'eau,
l'humanité s'installait autour. [...] Car la vie se maintient
et se propage autour de l'eau. Nous sommes faits d'eau. La vie c'est
l'eau, l'eau c'est la vie. Les
enfants israéliens ont tous appris - et moi également,
qui ne suis ni enfant ni israélienne, que la Palestine
manquait d'eau: le mythe selon lequel les Israéliens ont fait
fleurir le désert a la vie dure. Allez
donc passer un hiver en Israël-Palestine. Venez donc y séjourner
un mois ou deux entre novembre et mars, et essayez de le faire sans
un imper, des bottes et un parapluie. L'eau
du ciel tombe sur cette partie du monde en abondance. Les pluies
d'hiver s'y précipitent en quantité étonnante.
Toujours ce pays a été arrosé naturellement.
[...] L'eau
est abondante en Palestine. Elle l'a toujours été. Et
elle manque aujourd'hui. Elle
ne manque pas pour tout le monde. J'ai
visité la Galilée, en Israël, la vallée du
Jourdain, en Cisjordanie, la bande de Gaza, au Sud-ouest du pays.
Partout, partout rigoureusement il y a de l'eau, sous forme de
sources, de rivières ou de nappes souterraines. En plein
désert du Néguev où j'ai passé plusieurs
nuits, on entend la nuit le grondement des rivières
souterraines. L'eau est partout. A
Idhna, on paye l'eau distribuée trois shekels (6 F) le mètre
cube, une fortune pour ceux qui n'ont plus rien. De
plus, cerbères du robinet distributeur, les autorités
israéliennes peuvent la couper à discrétion, et
ne s'en privent pas. Un couvre-feu, s'accompagne souvent de coupure
de l'eau. Idhna en a connu qui ont duré deux mois d'affilée.
[...] Qui
tient l'eau détient la vie. Ce sont les Israéliens qui
la tiennent. L'eau
est d'ailleurs le nerf de la guerre, depuis bien plus longtemps que
1967 et même 1948. Réuni
à Paris en 1919, le Congrès juif mondial publia la
carte de la Palestine sur laquelle il désirait installer le
futur Etat juif,[...]. Cette carte montre un Etat englobant, grosso
modo, la totalité d'Israël et des Territoires occupés
actuels, le Golan, l'actuelle zone de sécurité
sud-libanaise, et enfin une partie importante de la rive orientale du
Jourdain, actuellement la partie ouest de la Jordanie. Si
on regarde à la loupe cette carte de l'époque, on voit
qu'elle englobe la totalité des ressources hydrauliques:
nappes phréatiques situées en Cisjordanie, et totalité
des sources du Litani libanais et du Jourdain, toutes situées
dans le Golan. La [...] guerre de 1967 permit de mettre la main sur
les nappes de Cisjordanie qui représentent 40 % de toutes les
ressources de ce genre, et sur les sources du Golan qui représentent,
elles, 22 % de l'eau utilisée en Israël. La guerre du
Liban et l'occupation du sud du pays permirent d'établir le
contrôle sur le reste. Par
ordre militaire du 19 décembre 1968, Israël déclara
l'eau ressource d'Etat. Une réglementation draconienne de
l'activité agricole des palestiniens leur interdit tout
nouveau forage de puits, tandis que les colons israéliens
furent autorisés, eux, à forer en profondeur de telle
manière que leurs puits asséchèrent ceux des
palestiniens. [...] Pour
contrôler l'eau, on veut garder la Cisjordanie. Pour la garder,
on la colonise. Pour justifier de la coloniser, on argue qu'on en a
besoin pour mettre les immigrants Russes (qui d'ailleurs ne veulent
pas s'y mettre). Et pour ce faire, on va en chercher un demi-million,
qui augmentent dangereusement les besoins en eau, etc. Jusqu'où? En
l'absence d'eau courante suffisante, les Palestiniens récoltent
l'eau de pluie dans des citernes, comme faisaient leurs ancêtres.
Chaque maison a son toit en terrasse. Celle-ci est légèrement
en pente, et un angle en est aménagé d'un petit trou
derrière lequel descend un tuyau. Celui-ci longe le mur de la
maison, et va mourir dans une citerne creusée devant. [...] Seulement
voilà: l'eau ainsi récoltée est contaminée
de multiples bactéries qui engendrent des diarrhées et
diverses parasitoses. Convaincre les populations de ne pas l'utiliser
est impossible: ils n'ont rien d'autre à consommer et personne
au monde n'a jamais renoncé à boire. Les
causes de la contamination sont diverses mais assez simples à
comprendre. Pour
commencer, il n'y a pas, là comme ailleurs, de ramassage des
ordures ménagères. Jadis les paysans brûlaient
leurs déchets autour de leurs maisons, ils continuent
d'ailleurs. Seulement hier ils avaient de la place, aujourd'hui ils
sont les uns sur les autres. La solution, celle utilisée par
tous les pays civilisés, consiste à ramasser les
ordures, mais personne ne se soucie d'offrir un tel service aux
Palestiniens. [... Et] soumis à l'autorité d'une armée
étrangère, ils ont juste le droit de se taire et
certainement pas les moyens d'organiser la voirie. Les ordures
s'entassent donc. Il
en est de même pour les eaux usées. [...] Hier, les
maisons palestiniennes géraient chacune leur fosse septique.
C'était avant la surpopulation, avant l'entassement de
dizaines de milliers de gens dans des villages devenus des villes
sans l'infrastructure qui va avec. Les fosses septiques débordent,
les immondices en décomposition se mêlent aux matières.
Et à la moindre pluie, le tout est inévitablement
entraîné vers les citernes. Bien
sûr, un paysan palestinien n'est pas un abruti, il a construit
la sienne du mieux qu'il pouvait, [...] il nettoie son toit, veille à
la propreté du tuyau, brûle ses ordures le plus loin
possible. Mais ils vivent tous les uns sur les autres, leur espace
vital rétrécit année après année.
Les maisons détruites poussent les sans-logis à
s'entasser chez les voisins. Et le plus loin de l'un devient
inévitablement le plus près de l'autre. Il est
impossible, dans les conditions qui sont celles d'un village comme
Idhna, d'avoir de l'eau potable si ce n'est celle du robinet. Si
celle-ci est chère c'est aussi parce qu'elle est rare. Et si
elle est rare, c'est parce qu'elle s'en va de l'autre côté:
85 % de l'eau originaire de Cisjordanie et de Gaza va aux Juifs, que
ce soit ceux des colonies ou qu'elle soit remise dans le circuit de
distribution israélien, de l'autre côté de la
ligne verte. Autour d'Idhna, l'eau des toits donne aux enfants des
parasitoses, quand les colons se baignent dans des piscines et
arrosent le gazon. Après
dix années de passion amoureuse pour Israël et pour la
vie en kibboutz, Marion Sigaut découvre les horreurs qu'on lui
avait cachées. Elle est en relation avec le Secours médical
palestinien, un groupe de Palestiniens qui ont dévoué
leur existence à la santé des plus démunis. On
ne peut ignorer qu'on se trouve dans un parc national israélien.
Malgré un troupeau de moutons poussé par un petit Arabe
au milieu des épineux et des oliviers, le site est aménagé
de telle sorte que le visiteur sait immédiatement où il
se trouve. Le lieu s'appelle Parc Canada en hommage à
la communauté juive qui a fait don des fonds nécessaires
à son aménagement. C'est écrit partout: sur des
plaques de bois ou des stèles, sur de grands panneaux, en
anglais, en hébreu et en arabe, et c'est signé du Fonds
national juif canadien [...]. « Bienvenue au parc Canada»
[...]. Et que la paix soit avec vous. C'est
propre, aménagé, briqué, nickel. Pas un papier
gras dans les allées de dalles savamment jointoyées de
ciment clair, une meule est immobilisée dans une grosse pierre
ronde autour de laquelle jadis, devait tourner un âne. Sur
toute la surface d'un mur de roches blanches asymétriques,
s'étire sur des placards noirs la longue, très longue
liste des donateurs canadiens qui ont permis de faire de ce site un
jardin de délices. C'est
plein de fleurs, c'est planté de milliers et de milliers
d'arbres. Dans ce pays où la chaleur peut si facilement se
faire torride, nous sommes ici dans un havre d'ombre et de fraîcheur
aménagé de bancs et d'aires de pique-niques. Et comme
nous sommes en milieu de semaine, à quelque trente kilomètres
de Jérusalem, nous nous trouvons dans un lieu enchanteur coupé
du temps et de la foule. [...] A
mi-chemin d'une butte enserrée dans les épineux et la
pierraille, se trouve un mausolée carré surplombé
d'un dôme de pierres bien rond, blanc, d'une ligne parfaite: la
tombe du cheikh Ibn-Jabel, enterré là au neuvième
siècle de l'ère chrétienne. Et une petite
pancarte précise même, en hébreu et en anglais,
que c'est en l'an 840 qu'il périt, frappé par la peste
bubonique qui ravagea le pays [...]. «A
cause de la peste, [dit la pancarte], le village d'Emmaüs fut
abandonné par ses habitants et tomba en ruine ». Parc
Canada serait donc l'aménagement, onze siècles plus
tard, d'un site historique abandonné. C'est en tous cas ce que
l'ensemble des écriteaux qui jalonnent la visite vous invite à
comprendre. En
bas, à l'orée du parc, à l'ombre d'un pin un peu
sec et jauni, une stèle affiche une dizaine de noms en arabes.
Penchée sur la sépulture, Madjda scrute l'inscription. -
Tu trouves? Derrière
elle, le docteur Abdallah vient à la rescousse. -
Là, dit-il enfin, en pointant son doigt sur un nom. C'est là. Majda
s'approche de nouveau. D'une voix très douce, elle dit: -
C'est bien lui. C'est mon oncle, le frère de mon père. Elle
recule un peu, le regard dans le vague. Son
visage n'exprime rien de particulier, à part un grand calme
peut-être. Est-ce par pudeur, ou par habitude? [...] Elle
semble disparaître dans de lointains souvenirs. Je
passe tendrement mon bras autour de ses épaules. -
Ça te fait quoi d'être là? Elle
vrille son poing au niveau du plexus solaire, entre les seins. -
Ça me tient là, profond, profond. Elle
avait cinq ans, c'était en 1967. La guerre des Six jours
touchait à sa fin, et d'ailleurs personne de son village n'en
avait souffert particulièrement. On était loin de la
ligne de front, il n'y avait pas eu de combats dans cette partie de
la Palestine, et de toutes façons il apparaissait que c'était
la fin. C'est-à-dire la défaite. C'était
un matin. Madjda habitait chez papa et maman dans une maison
villageoise, « à peu près là»
indique-t-elle en traçant sur le sol de craie une ligne
imaginaire avec son pied. Jusqu'à ce jour-là, on
connaissait certes la pauvreté, mais jamais la misère.
On avait de la terre et des fruits, ceux des arbres et des grandes
haies de cactus qui servaient de défense naturelle. Au milieu
des figues de barbarie réussissait à pousser la vigne
dont, chrétiens, on tirait du vin. [...] Autour
de la maison il y avait des oliviers, des figuiers, des amandiers,
des néfliers. En cette terre bénie où ne
manquent ni le soleil ni l'eau, les récoltes sont abondantes,
et si on n'avait guère d'argent pour acheter quoi que ce soit,
jamais on ne manquait de l'essentiel. Majda
avait cinq ans, et elle s'en souviendra toute sa vie. Jusqu'à
sa mort, elle se rappellera les cris, la peur, la débandade
qui suivirent l'arrivée des soldats israéliens. La
cohorte des malheureux qui furent brutalement traînés
hors de leur maison. Les très vieux et les grabataires qui ne
purent sortir et qui moururent là, ensevelis tout vivants sous
les charges de dynamites qui explosèrent les antiques maisons,
les femmes en couches qui ne furent pas non plus épargnées. Elle
revoit papa et maman qui pleuraient et marchaient, marchaient. La
fuite dura des jours et des jours. On coucha à la belle
étoile, et de loin on entendait les bulldozers qui
parachevaient leur travail. L'horreur
dura une journée, à peine. Ensuite, ce fut simplement
le malheur. L'interminable malheur d'avoir perdu les siens, sa
maison, son jardin, son lieu de vie ancestral. Et de devenir, à
son tour, une réfugiée. [...]
Emmaüs la chrétienne, la palestinienne, fut rayée
de la carte. C'était
en juin 1967. En quelques heures des unités israéliennes
jetaient cinq mille personnes sur les routes, arrachaient leurs
arbres, rasaient leurs maisons, [...] dont on tentera de faire
accroire qu'elles ont été abandonnées voilà
plus de mille ans: vingt-huit ans à peine. [...] Vingt
ans après la première catastrophe qui jeta hors de chez
eux des centaines de milliers de Palestiniens au profit des nouveaux
venus juifs, Majda a connu à son tour l'exil. Sa famille a été
dispersée. Certains sont morts durant le jour maudit, d'autres
sont passés en Jordanie, d'autres se sont installés à
Ramallah. Le temps a passé. Il
arrive que de temps à autre [...] Emmaüs fasse parler
d'elle. Quand un jour, un soldat qui fut commis pour participer au
sale boulot, hanté par le souvenir de l'horreur à
laquelle il contribua, se raconte. En détails. Et publie ce
qu'il a fait et les photos qu'il a prises. Pour que celui qui veut
savoir, sache. Ou
quand, au fil des innombrables procès dont furent l'objet
divers poseurs de bombes arabes dans les vingt ans qui suivirent la
guerre, une avocate israélienne eut à défendre
un jeune homme né à [...] Emmaüs. C'est par la
mère de celui-ci qu'elle apprit son histoire: le jour
fatidique, il était dans les bras de son grand-père
quand une balle fit voler en éclats la tête de celui-ci.
L'épouvante de sa mère fut telle que, une heure plus
tard, le bébé qu'elle avait au sein mourait
subitement... [...] Après
dix années de passion amoureuse pour Israël et pour la
vie en kibboutz, Marion Sigaut découvre les horreurs qu'on lui
avait cachées. Elle est en relation avec le Secours médical
palestinien, un groupe de Palestiniens qui ont dévoué
leur existence à la santé des plus démunis. La
dernière fois, c'était en avril 1994. Les accords
étaient signés depuis six mois à peine,
l'autonomie semblait encore incroyable. Incroyables l'absence de
soldats à tous les coins de rues, le drapeau palestinien
flottant à quelques dizaines de mètres de l'israélien,
et le regard carrément jovial des soldats arabes en uniforme
qui vérifiaient nos papiers. Nous
étions émus de partager l'émerveillement de
notre guide, quand il criait: « Une noce, une noce, regardez,
des gens qui font la fête ». Cela
faisait des lustres, des siècles, une éternité.
La vie reprenait à Gaza, après les années de
pierres et de plomb. Un
an plus tard, mon arrivée est nettement moins euphorique.
[...] -
Halte! Je
pile. -
Et où tu vas comme ça? me hèle en hébreu
un soldat interloqué. -
A Gaza, où veux-tu que j'aille? -
Mais c'est interdit, enfin. Interdit
aux pékins ordinaires comme moi, interdit a priori puisque je
ne suis pas colon. Eux, ont tous les droits. [...] Les
voitures sont rares aujourd'hui: les Israéliens rendent
hommage aux victimes de la Shoah, un deuil national est organisé
à la mémoire des martyrs de la barbarie nazie. Et ce
jour de deuil pour les Juifs en est un autre pour les Arabes. Car il
est l'occasion d'un renforcement du bouclage. Un jour comme celui-ci,
personne, en principe, ne passe: ni médecins, ni malades, ni
fonctionnaires de l'Autorité palestinienne. Les
décisions de bouclage total sont en général
prises au cours de deux circonstances: les fêtes juives, et les
punitions collectives. Viennent les fêtes de Pâques, de
la nouvelle année, des lumières, - successivement au
printemps, à l'automne et en hiver -, le gouvernement envoie
un tour de clé. Il peut durer un seul jour, ou deux, trois,
voire quatre semaines. Un attentat peut engendrer les mêmes
conséquences. Saute un autobus à Tel Aviv ou à
Jérusalem, on n'attendra pas d'avoir l'identité de
l'assassin pour décider que tous les Palestiniens seront
punis. La punition collective, pendant l'Intifada, c'était la
coupure d'électricité, d'eau, le couvre-feu.
Aujourd'hui, un processus de paix est en cours, on se contente de
boucler. Avec
l'approbation de la population israélienne. Il y a quelques
jours, je prenais le thé au kibboutz chez une amie de longue
date: -
Je trouve que le gouvernement est déraisonnable, dit-elle. Il
est irresponsable de lever ainsi le bouclage comme ils le font. A
chaque fois qu'on les laisse sortir, les Arabes commettent un nouvel
attentat. Non, vraiment, si on boucle, il faut boucler pour de bon. Je
me souviens d'avoir explosé. La colère m'a mis les
larmes aux yeux, j'ai failli renverser ma tasse et mon gâteau.
J'ai dit, tremblante, que même des chiens, ont comprenait
qu'ils mordent si on les mettait en cage. [...] Musique En
pénétrant dans la bande de Gaza, en me replongeant dans
sa crasse, sa misère et toute la souffrance qui s'y accumule,
je reprends le sens de la mesure. [...] Pendant
des kilomètres et des kilomètres, sur tous les chemins
qui mènent au checkpoint d'Erez, sont alignés des files
de camions immobilisés. Ils sont vides d'occupants, et chargés
des productions agricoles, seule ressource de Gaza qui, en l'absence
de terres, fait pousser tout ce qu'elle peut dans des serres. Gaza
est bouclée, les camions sont arrêtés. Par
centaines. En plein soleil. [...] -
Tu sais la différence qu'il y a entre maintenant et avant le
processus de paix? me demande [le médecin qui m'accompagne].
Quand je vais plus vite qu'une voiture, aujourd'hui je peux la
doubler. Avant, une plaque [palestinienne] avait l'interdiction de
doubler une plaque [israélienne]... Mis
à part cela, on aimerait trouver d'autres changements
positifs, alors on les cherche. Parce
qu'on trouve tout de suite ce qui est resté pareil. Les colons
sont toujours là, occupant et exploitant 40 % des terres,
alors qu'ils sont moins de six mille et que le reste est partagé
entre neuf cents mille Palestiniens. Un rapide calcul de la
répartition des 365 kilomètres carrés du
Territoire entre ses différents occupants indique que les
colons sont 40 par kilomètre carré, quand les
Palestiniens s'entassent à raison de 4000 sur la même
surface, en moyenne, soit cent fois plus. Et «en moyenne »
signifie que par endroits, comme dans la ville même de Gaza ils
sont 14000 sur la même surface, 350 fois plus. Et
dans les camps de réfugiés, on ne vous dit pas. On ne
compte plus. Le
camp de Shatti, au bord de la mer. Ici tout est calme, du calme qui
rime avec chômage. Des devantures de boutiques presque vides
voient passer des hommes désoeuvrés, des enfants jouent
dans un sable dégueulasse, aire de jeux et support de leur
environnement. Les
camps sont les lieux d'entassement, plutôt que de logement, des
Palestiniens chassés de chez eux par la création de
l'Etat d'Israël en 1947-48. Depuis cette date, leur santé
et l'éducation de leurs enfants sont assumés par
l'Agence des Nations-Unies pour l'assistance aux réfugiés,
organisme spécialement créé pour eux où
qu'ils se trouvent, et qui s'assure également qu'ils ne
meurent pas de faim. Assise
sur le sol devant une petite construction de parpaings, sa maison,
une femme très belle laisse sont regard clair divaguer au
loin. Elle doit approcher la soixantaine. Elle porte sur ses cheveux
gris un voile blanc, son teint est cuivré mais presque lisse,
et ses mains sont posées sur une canne qu'elle tient debout
devant elle. Intimidée, mais attirée par sa majesté,
j'ai envie de l'interviewer. -
Accepterais-tu de me parler, lui bredouillé-je en arabe. Elle
lâche sa canne d'une main qu'elle fait passer devant son visage
comme pour chasser une mouche. Je vois à présent les
dents qui lui manquent. Ici, quand ça ne tient plus, ça
tombe. -
Vas voir mon homme, il te dira des choses, moi je n'ai pas envie de
parler. Son
regard, qui a soutenu le mien l'espace de quelques instants, repart
dans le lointain. Le
mari est assis par terre, quelques pas plus loin. Il est adossé
au mur d'une baraque, les jambes étendues devant lui. La
ressemblance entre eux est frappante. Lui aussi a la peau lisse et
cuivrée, le regard brûlant. Ses cheveux sont immaculés,
ses dents rares. Mais lui aussi est beau, majestueux dans sa misère
et ses guenilles. -
La paix? La paix? Moi, je ne demande qu'une chose: mes fils. Oui, mes
fils, mes enfants. J'en ai un en Algérie, un autre en
Jordanie, un autre en Egypte, et un en Europe. Tous partis, et ils
n'ont pas le droit de revenir. Quand on sort d'ici, on n'y rentre
plus. Je veux les revoir, je veux revoir mes enfants. [...] Après
dix années de passion amoureuse pour Israël et pour la
vie en kibboutz, Marion Sigaut découvre les horreurs qu'on lui
avait cachées. Elle est en relation avec le Secours médical
palestinien, un groupe de Palestiniens qui ont dévoué
leur existence à la santé des plus démunis. C'est
en plein coeur de Gaza-ville, au milieu, au centre, à deux pas
des marchés, de la grandplace, c'est l'hôpital Arab
Ahli. L'établissement
[...] a été fondé voilà environ cent ans,
par l'Eglise baptiste. A cette époque, toute l'infrastructure
sanitaire était affaire de charité, donc d'Eglises.
Celles d'Angleterre et de France étaient contentes de pouvoir
étendre leur influence aux dépens de l'occupant turc
musulman. Après les Turcs vinrent les Anglais, puis les Juifs
européens. C'est la création de leur Etat qui fit
passer la population de la pauvreté à la misère.
[...] Vint
la guerre du Golfe qui vit l'arrêt brutal de l'aide saoudienne.
Puis le bouclage de 1993: ceux qui pouvaient payer leurs soins
perdirent leurs revenus. Mais ce n'est pas tout: le matériel
sophistiqué dont l'hôpital s'enorgueillissait se
détériore à grande vitesse. Sur les deux
équipements radio dont il dispose, l'un est totalement hors
service. La société Philips, qui assure la maintenance,
ne peut envoyer son ingénieur, car celui-ci est basé à
Bethléem, donc bouclé. On a une machine parfaite pour
les analyses de sang, mais elle est à bout de souffle et le
technicien habite à Jérusalem. On a besoin de sérum
mais on n'en a plus. On
a besoin, on voudrait, on a trouvé, on pourrait... bouclage,
bouclage, bouclage. [...] Toute l'infrastructure existe, le personnel
est formé, le matériel est là. Mais plus rien ne
tourne, Gaza est coupée du monde, Gaza est bouclée.
[Et] elle l'est également dans l'autre sens: des Palestiniens
résidant en Allemagne voulaient envoyer un scanner, mais les
autorités israéliennes refusèrent le permis
d'importer. [...] Musique En
arabe, le mot Izbet (ou Khirbet) désigne un hameau [...].
Izbet Beit-Hanoun, au nord de la bande de Gaza, serait donc un
hameau, puisque son nom l'indique. Un hameau à la
palestinienne: cinq mille huit cents habitants, l'équivalent
de dix villages français. [...] Inimaginable.
On connaît les camps de réfugiés, les villes
surpeuplées et les villages déshérités.
Mais là, on a pire encore: villes et villages ont leur
infrastructure, même déglinguée, à bout de
souffle et insuffisante. Les camps ont l'Agence pour l'assistance aux
réfugiés. L'Izbet Beit-Hanoun n'a rien. Ni eau, ni
chemin pour y accéder ni école pour les enfants.
Ceux-ci parcourent à pied plusieurs kilomètres pour
aller en classe. Le chômage est bien sûr total, puisque
les quelques rares qui avaient du travail l'exerçaient en
Israël. Là
sont venus s'installer les malheureux dont les habitations, à
l'intérieur même du territoire, ont été
détruites. Ils sont réfugiés d'entre les
réfugiés, déshérités parmi les
plus démunis, champions de la pauvreté au pays de la
détresse générale. Et c'est là, au beau
milieu de nulle part, que fleurit le dispensaire du Secours médical
palestinien. [...] Musique Nous
sommes assis dans un coin du centre, une salle carrée et très
propre, assez sombre. La fraîcheur est apportée ici par
l'ombre qu'assure l'étroitesse des fenêtres. Sur les
murs, les affiches éducatives le disputent à de
nombreuses photos d'enfants rieurs. Je me penche pour les voir de
plus près. Ce sont des handicapés moteurs cérébraux
graves, des petits d'environ six ou sept ans. La directrice explique: -
Tu vois, ce sont là les principaux cas graves que nous avons à
traiter aujourd'hui comme séquelles de l'Intifada. Ces
enfants-là sont nés de mères qui ont inhalé
des gaz toxiques en 1989. Une
sorte de secousse intérieure me vrille des pieds à la
tête. Je me souviens, en 1989, j'avais reçu des
informations sur l'utilisation de gaz dits « lacrymogènes
» mais terriblement nocifs, que les soldats israéliens
envoyaient dans des maisons. A l'époque, des associations -
israéliennes au demeurant - s'étaient mobilisées
pour dénoncer leur usage, et des scientifiques étaient
intervenus pour dire qu'à la suite de leur utilisation dans
une pièce fermée, il fallait au minimum laver sols et
murs à grande eau avant de pouvoir y respirer de nouveau. A
grande eau, dans Gaza... Mais
l'équation « soldat juif-gaz toxique » avait
tellement choqué que la chape de plomb était tombée
sur une telle monstruosité. Le public ne devait pas savoir. Six
ans plus tard, les résultats sont sous mes yeux: des petits
enfants de six ans atteints de paralysie cérébrale, à
jamais diminués, estropiés à vie. Musique Il
est environ dix-huit heures quand Walid me ramène au
check-point. L'interminable file de camions, ce matin vides, est à
présent entourée des chauffeurs. L'heure a tourné,
et le bouclage total est devenu bouclage ordinaire. Si on a compris
la nuance, on a saisi qu'en ce moment, les rares qui sont habilités
à sortir vont pouvoir le faire. En principe. Pour
ces camionneurs, il s'agit d'aller porter de l'autre côté
les productions agricoles. Gaza ne dispose pour vivre que de ses
serres dans lesquelles sont cultivés les fruits et légumes
de toujours [...]. Sans accès portuaire, le seul point de
sortie de ces produits destinés à être vendus,
c'est le checkpoint d'Erez, par lequel je suis entrée ce
matin. La destination, c'est la Cisjordanie, ou le port israélien
d'Ashdod. [...] Il
n'y a pas d'attentat récent qui le justifie, nous sommes ici
en face du bouclage ordinaire et de ses conséquences
démentielles: des centaines de camions arrêtés en
plein soleil, attendent le bon vouloir d'une poignée de
soldats à l'autre bout de la file. Ceux-là
ont l'autorisation de sortie, sinon ils ne se déplaceraient
même pas. Mais ladite autorisation ne donne pas obligation de
déroger aux règles de la sécurité. Ce qui
signifie que chaque camion peut être, pour la fouille,
totalement vidé de son contenu, désossé même
mécaniquement, et ce pendant des heures. On a vu un
camionneur, seul à bord, vider une à une les cagettes
de tomates qu'il transportait, puis les remettre en place. Pourries,
bien sûr. -
Arrête-toi là, s'il te plaît, demandé-je à
Walid comme nous approchons d'un groupe d'hommes qui discutent. J'ouvre
tout grand ma vitre, me penche à la portière, et me
lance en arabe. -
Ca fait combien de temps que vous êtes là? [...] -
Ca fait trois jours qu'on est là. Toute notre cargaison est
déjà foutue. Mais on restera. On ne repartira pas. On
ne cédera pas. Je
lève les yeux au ciel et secoue la tête. Je ne m'habitue
pas à cet ordinaire là. Ici, l'indignation est à
répétition, l'exaspération à fleur de
nerfs, du moins le croit-on jusqu'à ce qu'une nouvelle raison
de rager survienne. 10 Après
dix années de passion amoureuse pour Israël et pour la
vie en kibboutz, Marion Sigaut découvre les horreurs qu'on lui
avait cachées. Elle est en relation avec le Secours médical
palestinien, un groupe de Palestiniens qui ont dévoué
leur existence à la santé des plus démunis. Musique 10e
partie - Histoires de foulards C'est
dans une pièce sombre et fraîche que je fais la
connaissance de Naame. Assise à côté de la
gyiécologue qui vient de terminer sa journée de
consultation, elle attire mon regard par je ne sais quoi
d'indéfinissable. Elle est entièrement voilée de
blanc. Non pas comme certaines Palestiniennes qui posent sur leur
tête un foulard-accessoire agrémenté de broderies
qu'elles assortissent parfois à leur rouge à lèvre,
non. Un foulard qu'on appelle « islamique », qu'elle
replie vers les oreilles avant de le boucler serré sous le
menton, et qui tient à l'aide d'une épingle blanche.
Pas de rouge à lèvres pour éclairer son teint de
brune, non. Et la totalité de son habillement semble destiné
à la cacher plutôt qu'à la vêtir. Manches
longues, col très haut, jupe jusqu'à terre. Par cette
chaleur! Le
bloc posé sur les genoux, je croise son sourire doux, radieux
presque. J'ai terminé l'interview du médecin, je me
tourne vers elle. [...] -
Tu veux bien répondre à mes questions? Même si
elles sont personnelles? Je
n'y vais pas par quatre chemins, elle m'intrigue. -
Es-tu mariée Naame? Rougissante,
elle répond par la négative. [...] -
Tu veux bien me dire pourquoi? -
Eh bien, parce que je n'ai pas encore trouvé quelqu'un qui me
convienne, se lance-t-elle enfin, dans un anglais correct et lent. J'ai
envie de rapprocher ma chaise. Depuis tant d'années à
présent que je croise des Palestiniennes, je connais les
pressions dont elles sont l'objet de la part de la famille pour
accepter le parti qu'on leur amène à domicile. [...] Ce
qui m'attire, c'est cette fierté que je sens en elle et qui
devient à mes yeux de plus en plus évidente. -
Je poursuis mes études, explique-t-elle enfin. Musique C'est
le Secours médical palestinien qui lui a permis de faire ce
chemin. Elle a eu son bac pendant les années de pierres [...].
Alors, elle a entendu parler du Secours médical palestinien,
et l'idée lui a plu: cela la menait vers un travail utile.
Aider les pauvres gens, contribuer au bien-être, être
efficace. Alors Naame a suivi les cours à Beit-Hanina, et elle
est devenue auxiliaire de santé. C'était il y a quatre
ans. Et tout naturellement cela lui a donné la force de
continuer. Elle
s'est rendue à Jérusalem et s'est inscrite à
l'Université ouverte. C'est ainsi qu'on nomme, dans ce pays,
les cours par correspondance. Naame a choisi l'anglais. -
Tu veux passer une licence? Son
sourire ne la quitte pas. Il est fait à la fois de la
contenance qu'il donne à une jeune femme timide, et de la
fierté que de toute évidence elle éprouve à
se raconter. -
Une licence, une maîtrise, un doctorat, tout, tout, tout, je
veux tout faire. J'arrêterai quand il n'y aura plus de diplôme
à passer. Il
y a, sous ces dehors modestes, une détermination surprenante.
C'est cela qui intrigue chez elle. C'était cela,
l'indéfinissable. C'est
son voile qui me choque, moi la Française, la laïcarde,
la républicaine des défilés, la femme libre.
[...] -
Pourquoi portes-tu le voile? lui demandé-je enfin. On
est entre nous, je sais qu'elle va me dire la vérité.
Et que si elle hésite à la dire, ça se sentira.
Entre nous, une complicité se met en place, je suis sûre
de ne pas me tromper. Et je me trompe pourtant. -
Parce que j'y crois, dit-elle simplement. J'ai vu ma mère et
mes soeurs faire ainsi, c'est pour cela que j'ai commencé.
Mais je crois également que cela convient à notre vie.
Notre religion nous dit que c'est ainsi que nous devons être.
Et je crois que c'est bien ainsi. Et on doit faire comme on croit. Je
ne m'attendais pas à cela. [...] Musique C'est
dans le bureau du responsable du centre que je croise Lubna. Plus
mince, plus fine et un peu plus grande que Naame, elle a bientôt
trente ans, c'est tout ce que je peux dire, a priori, pour la
distinguer de sa compagne. Car pour ce qui concerne le voile et
l'attirail, c'est bien le même. Quand ce n'est pas blanc, c'est
que c'est gris, pas un cheveu ne dépasse, et la même
humilité prévaut. Elle non plus ne montre pas ses dents
quand elle sourit, elle aussi baisse les yeux avant de commencer ses
phrases. Va-t-elle, à son tour, me faire la même
surprise? -
Je rentre sur Naplouse, veux-tu que je t'emmène? [...] Chemin
faisant, Lubna se raconte. Elle a suivi des études supérieures
de biologie, et le Secours médical palestinien est son premier
job. Elle n'est pas auxiliaire comme Naame, elle a, disons, un grade
au-dessus, et son travail la fait passer de labo en labo, de clinique
en clinique, elle bouge, elle sort. Elle est cadre, dirions-nous.
Chose qui, une fois encore, bouscule en moi l'idée que je me
fais de la femme voilée musulmane. -
Mariée? J'ai
enfin lancé l'inévitable question regardant celle qui
travaille, dans une société qui l'admet peu. Lubna
pouffe. Tout sourire, elle me lance une oeillade de côté,
je finis par lâcher la route pour la regarder droit dans les
yeux. -
Je me marie demain matin, m'annonce-t-elle. [...] Ainsi
donc, une Palestinienne voilée de 28 ans, qui travaille dans
un job qui lui convient, dans lequel elle s'épanouit, et qui
lui donne des responsabilités, peut trouver un mari. Non pas
une occidentalisée, comme nous aimons à définir
celles qui jouissent de libertés, mais une femme enracinée
dans la société palestinienne. [...] -
Et il est d'accord pour que tu travailles? Sa
réponse me fait éclater de rire. -
Il n'avait pas le choix: c'était ça, ou je ne voulais
pas de lui. Elle
s'est donc bien imposée comme elle est. J'ai à côté
de moi une femme libre. Et aimée, sans doute. [...] Quatre
mois plus tard je tenterai, en vain, de la revoir. Mais j'aurai de
ses nouvelles. Je poserai une seule question: -
Et Lubna, elle est heureuse? Une
de ses copines de Beit-Hanina m'assurera que oui. Après
dix années de passion amoureuse pour Israël et pour la
vie en kibboutz, Marion Sigaut découvre les horreurs qu'on lui
avait cachées. Elle est en relation avec le Secours médical
palestinien, un groupe de Palestiniens qui ont dévoué
leur existence à la santé des plus démunis. L'histoire
avait commencé le 25 novembre 1987. Dans le nord d'Israël,
un Palestinien de 22 ans, réfugié au Liban, avait passé
la frontière à bord d'un ULM, et avait pénétré
la nuit dans un camp militaire. Là, armé d'une
Kalachnikov, il y avait tué six militaires et blessé
sept autres, avant de se faire abattre. [...] Couvrant d'opprobre et
de ridicule la toute puissante armée de défense
d'Israël, jusqu'alors invincible et source de terreur pour tous
les Palestiniens, l'attentat d'un seul déclencha chez la
jeunesse palestinienne une sensation d'euphorie: un David palestinien
avait terrassé le Goliath israélien, par un singulier
renversement du mythe. Les
premiers jours de décembre de cette année-là, il
y eut à Gaza une série de provocations de colons,
suivies de flambées de colère brutalement réprimées
par l'armée. Cela faisait des années que cela se
perpétuait. Mais, un jour... L'explosion eut lieu deux
semaines après l'attentat-suicide, exactement le 9 décembre,
et elle mit quelques jours à atteindre la Cisjordanie. Elle
vit la sortie en masses de centaines de milliers de Palestiniens,
d'hommes, de femmes et de tous leurs enfants qui, armés de
pierres, tinrent en échec la plus puissante armée du
monde. La
répression fut féroce, et les mises en garde
d'Israéliens lucides, suppliant le gouvernement de considérer
qu'il s'agissait d'une insurrection populaire, ne servirent à
rien. Les autorités civiles et militaires traitèrent le
soulèvement (en arabe, Intifada) comme une sinistre
manifestation de terrorisme qu'on allait mater. [...] Un
jour de janvier 1988, femme de gauche sincèrement dévouée
à la défense des droits de l'Homme, Ruhama Marton
reçoit des informations alarmantes sur la situation à
Gaza. [...] Elle est de ces Israéliens [...] pour qui la
vérité mérite qu'on se batte, pour qui il n'y
aura jamais de paix sans justice. Bien sûr la presse
israélienne connaît son métier et relate les
faits, mais elle a tendance à les relativiser, quand ce n'est
pas à les minimiser. [...] Ruhama
prend son téléphone, appelle cinq confrères et
demande à chacun d'en appeler cinq autres. A la fin du mois,
douze médecins volontaires prennent la route de Gaza. Ce
qu'ils y voient est pire encore que ce qu'ils redoutaient. En nombre
et en gravité, les blessures de l'Intifada dépassent ce
que l'infrastructure médicale palestinienne peut supporter:
ils consacrent une journée à panser du mieux qu'ils
peuvent les blessures qu'occasionnent leurs soldats. [...] Un
mois et demi après, Ruhama rassemble à Jaffa [...] une
centaine de médecins israéliens, (dont 20% d'Arabes
[...]), auxquels se joignent une petite dizaine de Palestiniens des
Territoires. [...] L'association médicale
israélo-palestinienne pour les droits de l'Homme, ou le PHR
est née. C'est ce jour-là que Ruhama fait la
connaissance de Mustapha, directeur et co-fondateur du Secours
médical palestinien. […] Mustapha
raconte à Ruhama les consultations mobiles, les expéditions
en direction des villages trop reculés et trop pauvres pour
bénéficier du moindre secours médical
palestinien. Il l'invite à venir voir, et l'emmène à
Jiftlik, dans la vallée du Jourdain. Jittlik
[...]est ce qu'on peut voir de plus déshérité
dans toute la Cisjordanie. C'est une sorte de bidonville posé
au milieu d'une terre fertile, riche en soleil et en eau, occupée
par les colons. Ses maisons, que les Palestiniens savent si bien
construire, sont là des baraques de tôle et de cailloux. En
voyant cette misère, Ruhama décide d'organiser à
son tour, en collaboration avec Mustapha, des consultations mobiles
régulières. [...] Les médecins du Secours
médical palestinien iront en prospection, comme ils savent si
bien le faire, et prépareront avec les représentants
des villages, l'accueil des médecins juifs. Ces derniers
viendront un samedi par mois, leur jour de congé. [...] C'est
en poussant la porte de la seconde chambre que je rencontre enfin
Ruhama. Cela fait six mois que j'attends ce moment. [...] Ce qui est
une évidence pour les médecins du PHR, - aider les
Palestiniens -, semble tellement inconcevable à tant
d'Israéliens, que je ne peux m'empêcher de demander à
Ruhama comment les gens la reçoivent. -
C'est comme si nous étions un membre de la famille qui s'est
éloigné pendant des années. C'est chaud comme un
retour au foyer après une longue absence, dit-elle de sa voix
douce. Bravant
les couvre-feux et ce qui fut un authentique état de siège
durant toute la guerre du Golfe, les médecins juifs sont
passés. Et là, même lorsque tout manquait, que la
faim tenaillait, il ne s'est pas passé un jour sans qu'on leur
dresse la table. Il n'y a pas eu un jour de Ramadan où on ne
les ait nourris, quand les musulmans jeûnaient. [...] Au
début de l'Intifada, les autorités militaires
décidèrent de conditionner toute demande de sortie vers
l'étranger à un engagement à ne pas revenir
avant trois, voire cinq ans, Un malade ayant besoin d'un traitement
spécial à Paris ou à Rome devait partir avec un
aller simple. [...] En 1992, un jeune homme originaire d'un village à
côté de Naplouse, est signalé à Ruhama
comme ayant un cancer des testicules. [...] Il doit, pour sauver sa
vie, se rendre à Londres où une équipe médicale
est prête à le soigner. Mais les autorités lui
refusent l'autorisation de sortie (les Palestiniens n'ont pas de
passeport, ils reçoivent des laissez-passer), sauf s'il
s'engage à ne pas revenir avant cinq ans. Que ferait-il tout
seul cinq ans à Londres? Autant renoncer à revoir les
siens. Ruhama
intervient, et gagne. Le jeune homme part. Il reste là-bas
plusieurs mois où il suit un traitement très dur qui le
tire d'affaire. Mais pour éviter la formation de métastases,
il doit, à son retour, suivre un traitement toutes les six
semaines, et plus en cas de besoin. Seul l'hôpital israélien
de Hadassah est équipé pour ce genre de traitement.
[...] Un jour et demi après son retour, les militaires
viennent le cueillir pour le mettre en prison, où sa seule
perspective est de mourir. Qu'avait-il eu le temps de faire en un
jour et demi qui justifie qu'on le condamne à mort? Ruhama
[...] fera jouer toutes ses relations, tout son abattage, toute son
énergie pour que ce malheureux, éprouvé par un
traitement épuisant, soit autorisé à se faire
soigner. [...] Ruhama
cessera son combat quand justice sera rendue aux Palestiniens. Après
dix années de passion amoureuse pour Israël et pour la
vie en kibboutz, Marion Sigaut découvre les horreurs qu'on lui
avait cachées. Elle est en relation avec le Secours médical
palestinien, un groupe de Palestiniens qui ont dévoué
leur existence à la santé des plus démunis. Un
soir de novembre 1995, le monde découvrait avec stupéfaction
ce que chacun pouvait si facilement voir de l'intérieur:
Israël abritait en son sein des fanatiques juifs meurtriers. La
mort du Premier ministre, Itzhak Rabin, jetait enfin les projecteurs
sur leurs agissements, leurs objectifs et leurs méthodes. Les
réactions à cet assassinat ont pu agacer ceux qui
savent de quoi il retourne. [...] Au chapitre de ceux qui se sont
réjouis, la presse a mis dans un même panier d'un côté
les Palestiniens de Gaza, et de l'autre les colons de Cisjordanie et
leurs commanditaires américains. Ce qui est une façon
de renvoyer dos à dos Juifs et Arabes dans une même
accusation de fanatisme, mais n'a que peu de rapport avec la réalité. Pour
ce qui concerne les commanditaires du crime et ses partisans, ils
sont ceux qui voyaient en Itzhak Rabin le bradeur de la Terre sainte,
le liquidateur d'une certaine idée du sionisme, le traître
au peuple juif. Suivant jusqu'au bout leur logique, ils se sont
débarrassés du gêneur ou se sont réjouis
que quelqu'un l'ait fait à leur place. [...] On
ne saurait comparer leur joie avec celle des Palestiniens. Pour ceux
de Gaza, Itzhak Rabin restera l'homme du bouclage, celui qui a
empêché les colons de partir, le militaire qui ordonna
un jour à ses soldats de briser les os des lanceurs de
pierres. La paix, telle qu'ils ont vu Itzhak Rabin la mettre en
place, est synonyme de misère, injustices, fermeture des
Territoires et surenchère colonisatrice. Quelques chiffres:
entre juin 1993 et juin 1995, pendant les deux ans qui ont suivi la
signature des accords, on a noté: -
la confiscation de 12 877 hectares de terre -
la démolition de 21 maisons -
l'ordre de démolition de 73 autres -
l'arrachage de 14 145 arbres (de préférence fruitiers) -
le terrassement de 1 630 hectares, Demander
aux Palestiniens d'appeler cela une politique de paix revient à
les prendre pour des imbéciles. C'est Itzhak Rabin qui a
permis ces atteintes à la propriété
palestinienne, ce même Premier ministre qui a reçu un
prix Nobel de la paix et accusait régulièrement Arafat
de ne pas arrêter les terroristes. Ajoutez à cela le
fait que, malgré tous les engagements par lui signés,
les prisonniers n'ont toujours pas été libérés.
[...] Ceux
qui ont comme moi l'habitude de se rendre dans ce pays, ont tous eu
envie de tester l'évolution de l'attitude des agents de la
sécurité à l'aéroport. Et là, rien
de nouveau sous le soleil. Le passage hors d'Israël de quiconque
a eu le malheur de fréquenter des Palestiniens est tout aussi
éprouvant qu'il l'était il y a dix ans. Une série
de civils se succèdent devant votre valise et vous bombardent
de questions qui ont très peu à voir avec la sécurité
du vol. [...] Et, dans cette situation, refuser [de répondre]
c'est être soumis à l'humiliation de la fouille
complète, véritable viol de vos affaires, de votre
intimité. Aujourd'hui
j'ai vu mieux encore. [...] Deux fois de suite j'ai été
sommée de me rendre dans un bureau de police où
personne ne s'est soucié de moi, tandis qu'un haut-parleur
appelait les ultimes voyageurs pour l'embarquement. Il ne m'a pas été
donné d'explication sur la raison de cette attitude. Par
contre on m'a clairement dit que j'étais entrée là
dans une zone de non-droit, que je ferais ce qu'on me disait et que
je n'avais plus aucun droit civil d'aucune sorte. [...] Il
y a beaucoup plus grave encore. [...] J'ai rencontré, il y a
quelques mois, un cadre sioniste de gauche que j'ai connu en 1986,
quand il se battait pour les droits des Palestiniens citoyens
d'Israël. [...] Quand je lui ai parlé des réfugiés
qui croupissent hors des frontières depuis presque cinquante
ans, il s'est assombri. Fronçant les sourcils, il a marmonné: -
Ah! Non alors, il ne faut tout de même pas exagérer. Même
avec les meilleurs intentions du monde, le plus pacifiste des
sionistes n'arrive pas à admettre que les Palestiniens sont un
peuple unique. Que les exilés sont les frères, les
cousins, les oncles ou les neveux de ceux qui sont à
l'intérieur. Que l'injustice faite en 1948 et renouvelée
en 1967 a brisé des familles. Que ces familles existent
encore. Qu'elles veulent revenir. Que ceux qui sont dedans les
attendent et les espèrent. [...] Pendant
des dizaines d'années, il a été de bon ton en
Israël de faire croire aux enfants des écoles que, au
moment de la création de l'Etat juif, les Palestiniens étaient
partis de leur propre chef, quand ce n'était pas simplement
poussés par des leaders arabes fanatiques qui les enjoignaient
de se retirer pour mieux revenir en force tuer les Juifs. En près
de cinquante ans d'existence, les autorités israéliennes
ont ainsi réussi à faire passer une version des faits
qui donnait bonne conscience à la population, et diabolisait
leurs victimes, dont la révolte devenait une injustice en
elle-même: ils sont partis de leur propre gré, et à
présent ils veulent nous chasser de chez nous. Une
autre vérité pourtant fait lentement son chemin [...].
On en doit la révélation à une poignée
d'historiens qui ont décidé, quand furent passés
les trente ans d'embargo sur les archives de l'Etat, d'aller enquêter
dans les papiers officiels. L'un d'eux, le placide Benny Morris,
[...] se rendit donc au siège des archives [...], et eut la
désagréable surprise de voir s'échapper un à
un tous les cartons qu'il voulait voir. -
Et celui-là, là, je peux? demanda-t-il en désespoir
de cause, après qu'il eût vu disparaître tout ce
qui l'intéressait... -
Ca, oui, vous pouvez. Il
s'agissait de rien de moins que du carton contenant la correspondance
de Ben Gourion pendant la guerre d'indépendance, et touchant à
l'évacuation par la force des localités palestiniennes. Depuis
la parution de La Naissance du problème des réfugiés
palestiniens, 1947-1948 aux Editions Cambridge University Press,
plus rien n'est vraiment comme avant au domaine de la manipulation
médiatique. Quiconque veut savoir aujourd'hui peut savoir. Que
des Palestiniens désarmés ont bien été
chassés de chez eux par la terreur et la violence pendant
environ un an. Et que leur revendication à rentrer chez eux
est légitime.
medlem.spray.se/dominique/index.html
stop by pffff Saturday August 17, 2002 at 04:56 PM |
arreté avec votre propagande je ne prend pas en compte quelque chose qui vient d'une radio de propagande
ça aurait tres bien pu etre inventé
on veut de la vrai info!!!!
indymédia c'est pas propagande Iran
Achètes le livre! by Dominique Saturday August 17, 2002 at 07:15 PM |
dominique_pifpaf@hotmail.com |
Tu peux le trouver en librarie et son auteur est francaise et chrétienne pour ta gouverne.
Les patrons des médias américains sont à 98% des sionistes supporters d'Israël. La situation en Europe n'est guère mieux. Si tu veux vérifier cette info, ce n'est pas bien compliqué, tu prends Google, ce ne sont pas les liens qui manquent la dessus. Comme tu ne fais confiance à personne qui a un avis différent du tien, il vaut mieux que tu cherches par toi-même. Tu peux essayer en francais avec les mots sionisme et média, et en anglais tu devrais en trouver encore plus avec zionism et media. Et quand tu seras arrivé à des conclusions, j'espère que tu vas nous faire un bel article la-dessus.