Palestine, le couvre-feu et les barrages, un véritable enfer au quotidien by Léa Mathy Thursday August 08, 2002 at 12:55 PM |
« Notre problème c'est l'occupation. Les chars circulent en permanence dans les rues. Ils installent ou lèvent le couvre-feu pour déstructurer toute notre vie quotidienne. De nos relations professionnelles à la vie familiale. Pour nous affaiblir, nous diviser. Mais il n'ont pas réussi. Malgré les couvre-feux et la séparation des villes entre elles, l'absence de travail et la pauvreté qui s'accroît, nous sommes toujours aussi décidé à défendre notre terre et nos droits", nous a dit le docteur Majed Nassar, du centre médical de Bet Sahour". Récit d'un voyage en Palestine avec Médecine pour le Tiers Monde.
Nous sommes arrivés à Bethlehem alors que la ville était sous couvre feu. Les rues étaient vides, les volets des magasins baissés. Il fallait faire attention dans les rues, pas à cause des voitures , il n'y en avait pas mais il fallait deviner si derrière le coin, un char ne nous surprendrait pas. Les chars circulent dans les villes durant le couvre-feu et tirent si un enfant ou une personne se trouve dans la rue. Le couvre-feu a duré trois jours. Trois jours de ville morte. Le rythme imposé à la population palestinienne est 4 jours de couvre-feu, un jour sans. Dans les rues trop étroites pour le passage des chars, les habitants circulent à la tombée de la nuit. Visite chez le voisin, une tasse de thé est offerte et très rapidement nous nous retrouvons à une vingtaine. Les habitants restent vigilants car à tout moment une jeep peut surgir. Heureusement que les chars sont très bruyants, leurs déplacements sont entendus de loin. Les gens essayent d'organiser des travaux qui apporteraient des revenus dans la famille. Une femme brave tous les jours les barrages militaires pour vendre sa production de travaux de couture à Jérusalem chez une femme israélienne qui lui fait des commandes.
Cette nuit, entre 9 h et 11 heures, la TV annonce que le couvre-feu sera levé le lendemain de 9h à 13h30. Il faut s'organiser. Comment utiliser au maximum ces petites heures ? Il y a tant de choses en retard. Il faut se réapprovisionner, aller chez le médecin, aller au bureau. La première chose que font les gens, c'est d'aller chercher de l'argent au distributeur de billets, pour ceux qui en ont encore afin d'avoir une réserve d'argent pour faire face à un scénario encore plus catastrophique. « Les rêves ont disparu, l'avenir n'est plus envisagé, notre vie consiste à attendre la levée du couvre-feu et faire face au plus pressé durant le peu d'heures de liberté que les forces militaires occupantes nous laissent", nous disent nos hôtes.
Le lendemain, tout le monde est dehors dès 9 heures. Faire les courses et tout ce que l'on a prévu de faire. Il ne faut pas perdre de temps dans le souk. Les gens rencontrent des amies, des collègues, des voisins éloignés. Ce sont des échanges sans s'attarder mais qui recréent un semblant de tissus social. Une nouvelle circule : le couvre-feu est allongé d'une heure, cela donnera un peu plus de temps. Mais il est impossible de réorganiser son agenda car, une heure est insuffisante pour vraiment faire autre chose. 14h, les rues se vident rapidement. Nous sommes à la TV locale , il nous est signifié de sortir, les journalistes sont inquiets, ils ont peur car les chars passent devant le bureau et dès la fin du couvre-feu, ils reprennent leur ronde macabre, à l'affût de gibier possible. Sortir après le couvre-feu est un risque mortel que les journalistes ne veulent pas nous voir courir. 14 H 30 la ville est à nouveau morte, tout est à l'arrêt. L'attente d'une nouvelle levée du couvre-feu commence.
Durant le levée du prochain couvre-feu, on pourrait aller à Ramallah qui est à une demi heure maximum de voiture en temps normal. Mais voilà. Il faut passer le barrage à la sortie de la ville. Un soldat peut interdire la sortie après vérification d'identité et la personne peut être refoulée sans raison apparente. La levée du couvre-feu ne se fait pas dans toutes les villes palestiniennes en même temps, ce serait trop beau. Il sera donc impossible d'aller à Naplouse parce que là, le couvre-feu n'est pas levé alors que Ramallah est ouvert. Mais avant d'arriver à Ramallah, il faut passer par un barrage de contrôle de l'armée israélienne où le passage se fait au compte goutte et prend une demi heure. Après au moins une heure et demi de voyage, il nous est enfin possible d'entrer à Ramallah. Petit tour et rencontre de notre partenaire Addameer, puis nous devons déjà repartir si nous voulons être sorti de Ramallah avant la reprise du couvre-feu. La journée de l'avocate d'Addameer se termine aussi, elle doit quitter Ramallah pour Jérusalem où elle habite. L'armée a un malin plaisir de mettre les Palestiniens dans des conditions de stress et de subordination, sous le soleil, à ce barrage de sortie de la ville. Nous n'avons pas le temps de rentrer à Bethlehem avant la reprise du couvre-feu. Nous logeons à Jérusalem. Mais pour le Palestinien des territoires occupés, il lui est interdit d'entrer à Jérusalem. Il doit loger à Ramallah et le voyage Bethlehem-Ramallah qui en temps normal peut se faire en un demi jour prend maintenant deux jours… Les couvre-feux et les barrages de l'occupation, un véritable enfer au quotidien…