arch/ive/ief (2000 - 2005)

Un père israélien s'adresse à Sharon
by R.B. Monday August 05, 2002 at 09:41 AM

Son fils a été tué dans un attentat palestinien. Yitzhak Frankenthal refuse la vengeance

L'éthique de la vengeance (Solidarité Palestine)

Discours prononcé par Yitzhak Frankenthal, Président du Forum des Familles, lors d'un rassemblement à Jérusalem, samedi 27 juillet, devant la résidence du Premier Ministre.

Texte anglais : The Ethics of Revenge

En 1994, à la suite de l'enlèvement et du meurtre de son fils Arik, 19 ans, par des terroristes du Hamas, Yitzhak Frankenthal a fondé le Forum des Familles, une organisation qui réunit des parents qui ont perdu leur enfant à cause du terrorisme. Le Forum des Familles promeut la paix et la coexistence, par le biais d'une éducation à la tolérance et au compromis. Insistant sur la morale juive et l'obligation de préserver et de placer la vie humaine au-dessus de tout, le Forum des Familles s'efforce de démontrer le lourd tribut humain payé au nom du Grand Israël. 190 parents israéliens, qui ont perdu leurs enfants pendant qu'ils effectuaient leur service militaire, ou à la suite d'un acte terroriste, ont ainsi constitué un mouvement qui appelle au changement social et politique afin de mettre un terme au conflit israélo-palestinienet au sacrifice insensé des enfants.



Arik, mon fils bien-aimé, ma chair et mon sang, a été assassiné par des Palestiniens. Mon grand fils, aux yeux bleus, aux cheveux blonds, qui souriait toujours avec l'innocence d'un enfant et la sagesse d'un adulte. Mon fils.

Si pour frapper ses assassins, il fallait tuer des enfants palestiniens innocents et d'autres civils, je demanderais aux forces de sécurité d'attendre une autre occasion. Si les forces de sécurité avaient, malgré tout, tué aussi des Palestiniens innocents, je leur dirais qu'ils ne valent pas mieux que les assassins de mon fils.

Arik, mon fils bien-aimé, a été assassiné par un Palestinien. Si les forces de sécurité avaient les informations nécessaires pour repérer son assassin, et s'il s'avérait qu'il est entouré d'enfants palestiniens et d'autres civils innocents, alors - même si les forces de sécurité savaient que l'assassin est en train de projeter, pour les prochaines heures, une autre attaque meurtrière; même s'ils avaient la possibilité de maîtriser une attaque terroriste qui tuerait des civils israéliens innocents, mais au prix de la vie de Palestiniens innocents - alors je dirais aux forces de sécurité de ne pas chercher vengeance, mais d'essayer d'éviter et d'empêcher la mort de civils innocents, qu'ils soient israéliens ou palestiniens.

Je préférerais que le doigt tremble au moment de presser la détente ou sur le bouton qui larguera la bombe, avant de tuer l'assassin de mon fils, plutôt que d'innocents civils soient tués. Je dirais aux forces de sécurité: ne tuez pas l'assassin. Amenez-le plutôt devant une cour israélienne. Vous n'êtes pas le pouvoir judiciaire. Votre unique motivation devrait être, non pas la vengeance, mais la prévention du mal causé à des civils innocents.

La morale n'est pas en noir et blanc - elle est tout en blanc. La morale doit être exempte de l'esprit de vengeance comme de la précipitation. Avant qu'une décision ne soit prise, chaque action doit être soigneusement soupesée pour voir si elle répond strictement aux règles de l'éthique. On ne peut pas laisser la morale entre les mains de n'importe qui d'inconséquent, ou trop prompt à appuyer sur la gâchette. Nos valeurs morales ne tiennent qu'à un fil, à la merci de chaque soldat et chaque politicien. Je ne suis absolument pas certain de vouloir leur déléguer les miennes.

Il est contraire à la morale de tuer des femmes et des enfants innocents, israéliens ou palestiniens. Il est également contraire à la morale de dominer une autre nation et de l'amener à perdre son humanité. Larguer une bombe qui tuera des Palestiniens innocents est manifestement contraire à la morale. Assouvir sa vengeance sur d'innocents spectateurs est contraire à la morale, de manière flagrante. D'un autre côté, il est moral au plus haut point de prévenir la mort d'un être humain, quel qu'il soit. Mais si d'autres doivent rencontrer une mort inutile à cause des moyens d'une telle prévention, alors c'en est fait de ses bases morales.

Quand une nation ne sait pas où fixer les limites, elle en viendra tôt ou tard à appliquer des mesures contraires à la morale à l'encontre de son propre peuple. Pour moi le pire n'est pas ce qui est déjà arrivé, mais ce qui, j'en suis sûr, arrivera un jour. Et ça va arriver - parce que nos valeurs morales sont en train d'être dénaturées, et les dirigeants politiques et militaires n'ont même pas l'honnêteté la plus élémentaire de dire: «Nous sommes désolés».

Nous avons perdu de vue nos valeurs morales bien avant les attentats-suicides. Le point de rupture a été quand nous avons commencé à dominer une autre nation. Mon fils Arik est né dans une démocratie, avec la possibilité de mener une vie normale, tranquille. L'assassin d'Arik est né au milieu d'une occupation effroyable, dans un chaos moral. Si mon fils était né à sa place, il aurait peut-être fini par faire la même chose. Si moi-même j'étais né dans le chaos politique et moral qui constitue la vie quotidienne des Palestiniens, j'aurais certainement essayé de tuer et de nuire à l'occupant; sinon, j'aurais été traître à ma nature même d'homme libre.

Que tous ces gens si contents d'eux-mêmes, qui parlent d'assassins palestiniens impitoyables, se regardent sans complaisance dans la glace, qu'ils se demandent ce qu'ils auraient fait, s'ils avaient été ceux qui vivent sous l'occupation. Pour ce qui est de moi, Yitzhak Frankenthal, je peux dire que je serais devenu, sans aucun doute, un combattant pour la liberté, et que j'aurais tué autant de ceux d'en face que j'aurais pu. C'est cette hypocrisie perverse qui pousse les Palestiniens à nous combattre sans répit: notre duplicité, qui nous permet de nous vanter des critères très élevés de notre éthique militaire, pendant que ces mêmes militaires assassinent des enfants innocents. Ce vide au plan éthique ne peut pas manquer de nous corrompre.

Mon fils Arik a été tué quand il était soldat par des combattants palestiniens qui croyaient au fondement moral de leur lutte contre l'occupation. Mon fils Arik n'a pas été tué parce qu'il était juif, mais parce qu'il fait partie de cette nation qui occupe le territoire d'une autre.

Je sais que ce sont là des concepts désagréables à entendre, mais il me faut les exprimer haut et fort, car ils me viennent du cœur - le cœur d'un père dont le fils a perdu la vie parce que leur puissance avait aveuglé les gens de son pays. Pour autant que j'aimerais le faire, je ne peux pas dire que les Palestiniens sont responsables de la mort de mon fils. Ce serait là un moyen facile de s'en sortir, mais c'est sur nous, Israéliens, que retombe la faute, à cause de l'occupation. Quiconque refuse de tenir compte de cette terrible vérité nous conduira en fin de compte à la destruction.

Les Palestiniens ne peuvent pas nous chasser - cela fait longtemps qu'ils ont reconnu notre existence, qu'ils sont prêts à faire la paix avec nous. C'est nous qui ne voulons pas faire la paix avec eux. C'est nous qui persistons à les maintenir sous notre domination; c'est nous qui aggravons la situation dans la région, et qui entretenons le cycle du carnage. Je regrette de le dire, mais la responsabilité est entièrement de notre côté.

Je n'ai pas l'intention d'absoudre les Palestiniens, ni en aucun cas de justifier les attaques contre des civils israéliens. On ne peut trouver d'excuse à aucune attaque contre des civils. Mais en tant que force d'occupation, c'est nous qui foulons aux pieds la dignité humaine, c'est nous qui étouffons la liberté des Palestiniens et c'est nous qui poussons une nation entière à la folie de ces actes désespérés.

Enfin, j'en appelle à mes frères et sœurs dans les colonies: voyez où nous en sommes arrivés.