Italie : la mort d'un informaticien liée à l'article 18? by Michel Barile Thursday June 20, 2002 at 04:56 PM |
«Tous les responsables des forces de l'ordre et des services secrets retiennent qu'il s'agit d'un suicide », affirme le 9 avril 2002, le ministre de l'intérieur italien, Claudio Scajola. Lorenzo Matassa, procureur de Florence, déclare que ce sont les services secrets qui ont « suicidé » Michele Landi, informaticien de 36 ans, retrouvé pendu le 4 avril dernier
Italie : La mort d'un informaticien liée à l'article 18 ?
«Tous les responsables des forces de l'ordre et des services secrets retiennent qu'il s'agit d'un suicide », affirme le 9 avril 2002, le ministre de l'intérieur italien, Claudio Scajola. Lorenzo Matassa, procureur de Florence, déclare que ce sont les services secrets qui ont « suicidé » Michele Landi, informaticien de 36 ans, retrouvé pendu le 4 avril dernier.
Michel Barile
Pourquoi le débat autour de la mort de Landi est-il si important en Italie? Le contexte politique et social italien donne du "relief" à la mort de cet homme. Depuis plusieurs mois une mobilisation sans précédent contre la politique sociale de Berlusconi s'est faite pour le maintien dans la législation sociale de l'article 18 qui oblige un employeur a réembaucher un travailleur licencié sans raison valable. Cette mobilisation a eu deux moments forts : le 23 mars de cette année où 3 millions de personnes ont manifesté et en avril dernier où le pays a été complètement bloqué par une grève générale à laquelle ont participé 13 millions d'Italiens. C'est le 19 mars que fut assassiné Marco Biagi, conseiller du Ministre du travail pour qui il travaillait à la réécriture de cet article. Cet assassinat fut revendiqué par les "Brigades Rouges" Lors du Conseil des Ministres extraordinaire qui a suivi l'assassinat, Berlusconi a appelé les syndicats à venir négocier avec le gouvernement des réformes sociales qu'il veut porter de l'avant "en syntonie avec ce que demande l'Union Européenne". Ces derniers lui ont répondu en condamnant clairement le terrorisme et en occupant la rue pour exiger le maintien tel quel de cet article 18. D'ailleurs, depuis ce 20 juin jusqu'au 11 juillet, une série de grève générale par région est lancée par la CGIL, le syndicat traditionnel le plus revendicatif. Les Italiens sont méfiants et se rappellent de la stratégie de la tension brisant les mouvements sociaux comme en 1969 où des attentats commencèrent à rythmer la vie sociale et politique du pays.
Et Michele Landi dans cette histoire? Pour comprendre l'importance du personnage, il faut s'intéresser au parcours de ce génie de l'informatique. Il est le responsable du service de sécurité de l'Université Libre Luiss Management de Rome. Il collaborait avec le SISDE, le service secret civil, en donnant des cours d'investigations informatiques. Il donnait des formations également pour le Gruppo Anticrimine Tecnologico (GAT, Grouppe Technologique Anti-criminalité) pour la Guardia di Finanza (gendarmerie du ministère des finances). Il s'est fait connaître surtout depuis qu'il a réussi à faire libérer Alessandro Geri, un jeune homme faisant partie de ce qu'on appelle en Italie les centres sociaux (sorte de centres culturels dans lesquels se mobilisent de nombreux jeunes alternatifs et anti-mondialistes). Ce dernier avait été incarcéré suite à l'assassinat de Massimo D'Antona « par les Brigades Rouges » le 19 mai 1999. Alessandro Geri était accusé d'avoir revendiqué par téléphone et par mail ce meurtre. Michele Landi, suite à la demande de l'avocat de l'inculpé, s'était occupé de l'affaire. Analysant l'ordinateur du jeune homme, il a apporté la preuve que l'alibi de ce dernier était réel : il travaillait à l'heure de la revendication avec un collègue sur son ordinateur. De plus, il a travaillé entre 1995 et 1997 avec Lorenzo Massata, à l'époque, procureur à Palerme sur une enquête traitant de l'informatisation de la municipalité et des délits commis grâce aux systèmes informatiques.
Juste avant sa mort et à plusieurs reprises, il a mis en doute les modalités de la revendication de l'assassinat, le 19 mars 2002, soit quinze jours avant la mort de l'informaticien, de Marco Biagi. Lors de diverses interviews notamment la dernière à Radio 24, il avait confirmé que le mail de revendication du meurtre de Biagi n'était pas parti d'un « internet café » comme on le disait dans un premier temps mais « que la piste suivie menait à un accès de type téléphonique qui correspondait à un numéro provenant du centre de Rome ». Autrement dit que l'ordinateur qui a permis l'envoi du mail par l'intermédiaire en fait d'un GSM volé, avait laissé une trace (chaque ordinateur à un numéro d'identification qu'il est seul à avoir à un moment précis, un IP, ndlr)). Pour avoir la possibilité de rechercher concrètement cette information, il faut avoir l'autorisation d'un magistrat qui enquête. Michele Landi enquêtait quant à lui de manière informelle. A un ami, quelques jours avant sa mort, il avait confié avoir fait « une découverte explosive »
Un « suicide sexuel » qui se termine en queue de boudin
Il aura fallu plus d'un mois au parquet chargé de l'affaire pour changer de fusil d'épaule. En effet, trop d'éléments ont mis en doute la crédibilité de la thèse du suicide. D'abord sa famille et ses proches qui n'ont eu de cesse de réfuter cette thèse : « c'était une personne pleine de vie qui n'avait jamais manifesté l'idée du suicide ». Tout lui réussissait : amours, travail, amitiés. Ensuite, les éléments tirés de la nuit du 4 avril : Michele Landi s'est pendu en accrochant une corde (longue de trente mètres dont un mètre et demi a été utilisé) à la rampe de l'escalier qui menait à l'étage supérieur. Le nœud de la corde se trouvait du côté du menton, placé donc de manière tout à fait contraire à ce que l'on voit à chaque fois lors d'un suicide par pendaison. Sa chute a été longue de soixante centimètres (sic) et l'agonie de trois minutes. Les carabiniers ont trouvé son corps avec les jambes pliées vers l'arrière et les genoux appuyés sur le dossier d'un divan. (D'ailleurs, cette « pose » a suggéré aux enquêteurs la piste d'un jeu sexuel qui aurait mal tourné. Finalement, elle est abandonnée à la mi-mai quand l'analyse scientifique du slip de Landi ne révèle aucune trace de sperme). A côté de lui, des béquilles auraient été trouvées (suite à un accident de moto, il s'était blessé) qu'il n'utilisait d'ailleurs plus depuis deux jours d'après l'ensemble de ses proches. L'analyse pharmacologique, si elle n'a détecté aucune drogue, affirme que Landi était complètement ivre au moment de sa mort. Difficile de se pendre quand on est plein. D'autant plus qu'aucune bouteille d'alcool n'a été retrouvée sur les lieux. Le résultat d'une veille arrosée ? Ses amis sont formels : s'il est bien sorti avec eux jusqu'à quatre heures du matin, il n'avait absolument pas bu exagérément. Et il a fallu boire exagérément pour avoir encore, au moment de sa mort, le double du taux d'alcoolémie autorisé pour un automobiliste plus de quatorze heures après être rentré chez lui. Et pendant ces quatorze heures, il a coupé son Gsm et n'a répondu à aucun coup de téléphone durant la journée notamment aux nombreux coups de fil de sa fiancée qui, finalement très inquiète, préviendra les autorités. Finalement, le parquet annoncera à la mi-mai qu'il enquêtera dorénavant sur l'homicide de l'informaticien tout en gardant ouvertes toutes les autres pistes.
Alors que la thèse du suicide était seule à l'ordre du jour, le parquet ne s'est pas empêché de réquisitionner, dès le départ, les deux portables et l'ordinateur qui se trouvaient chez Landi allant jusqu'à l'Université Luiss Managemernt pour confisquer deux autres ordinateurs utilisés par le défunt. Michele Landi avait un site internet secret, à l'époque, qui lui servait d'archives. Il était seul à connaître les mots de passe. Le 11 avril 2002, soit une semaine après sa mort, un « pirate » réussit à entrer sur son site et à modifier voire supprimer des fichiers. Qui ? Pourquoi ?… Pourquoi également un des premiers carabiniers, connaissance par ailleurs de son ex-fiancée, arrivé sur les lieux du "suicide" se met directement à manipuler l'ordinateur qui curieusement était resté allumé ?
Lorenzo Matassa, procureur à Florence, affirme : "Ce sont les services secrets"
Quelle est donc ce numéro d'identification de l'ordinateur qui a servi à la revendication de l'assassinat de Marco Biagi ? Pourquoi donc Michele Landi aurait-il été tué ? Lorenzo Matassa, procureur aujourd'hui à Florence, dès l'annonce de sa mort, affirme : « C'est un homicide préventif préparé par un appareil pour qui ces simulations (de suicide, ndlr) ne sont pas neuves. Je pense aux services secrets qui ont cherché à donner un signal à ceux qui travaillaient sur le meurtre de Marco Biagi. Landi était un ami de l'expert informatique et colonel de la Guardia di Finanza, Umberto Rametto, chargé de l'enquête. Landi a été tué parce qu'il était proche de trouver la trace qui permettrait de remonter aux assassins de Biagi… Notre histoire républicaine, notre démocratie est un parcours continu sans solution de continuité pour les massacres impunis, les meurtres mystérieux…Je n'ai pas peur de déclarer ouvertement ma conviction : en Italie, au pays des massacres impunis, au pays des massacres d'Etat, l'expert informatique, qui travaillait sans mandat officiel sur la revendication via internet de l'assassinat de Marco Biagi, ne s'est pas ôté la vie mais a été suicidé par les services secrets ».
Source : http://www.onnivora.net
: http://www.liberazione.it