arch/ive/ief (2000 - 2005)

Question/réponse parlementaire sur votre droit à l'expression
by yannindy Tuesday June 18, 2002 at 07:27 PM
yannindy@yahoo.fr

Retranscription d'une question/réponse parlementaire (initiée par la ligue des droits de l'homme) sur un nouvel article de loi criminalisant entre autres la transmission de cartoons de Bush par internet

25 avril 2002

Demande d'explications de M. Georges Dallemagne au ministre de la Justice et au ministre des Télécommunications et des Entreprises et Participations publiques, chargé des Classes moyennes, sur "le nouvel article 111 de la loi du 21 mars 1991 portant réforme de certaines entreprises publiques économiques" (n° 2-758)

M. le président. - M. Charles Picqué, ministre de l'Économie et de la Recherche scientifique, chargé de la Politique des grandes villes répondra au nom de M. Marc Verwilghen, ministre de la Justice.

 

M. Georges Dallemagne (PSC). - Je vous remercie d'être présent, monsieur le ministre, mais j'ai vu votre collègue de la Justice voici quelques instants et je ne comprends pas pourquoi il ne répond pas personnellement à cette demande d'explications.
Le nouvel article 111 de la loi Belgacom inséré par la loi programme du 30 décembre 2001 est rédigé comme suit : " Nul ne peut dans le Royaume, via l'infrastructure des télécommunications, donner ou tenter de donner des communications portant atteinte au respect des lois, à la sécurité de l'État, à l'ordre public ou aux bonnes moeurs ou constituant une offense à l'égard d'un État étranger ".
Cet article doit être lu en parallèle avec l'article 114, paragraphe 8, de la loi Belgacom qui punit certains comportements d'un emprisonnement d'un à quatre ans. Complété par la loi-programme, il s'applique en effet désormais à l'infraction mentionnée ci-dessus.
A la lecture de cet article, des objections nous paraissent devoir être formulées en termes de respect des droits fondamentaux consacrés par la Constitution et la Convention européenne des droits de l'homme.
Tout d'abord, le principe de légalité des infractions, consacré notamment par l'article 12 de la Constitution, implique non seulement que les infractions soient prévues par une loi au sens formel du terme, mais également que son contenu soit défini de manière telle que son application puisse être suffisamment prévisible. Une formulation assez précise est ainsi nécessaire pour permettre aux personnes concernées, en s'entourant au besoin de conseils éclairés, de prévoir à un degré raisonnable les conséquences pouvant résulter d'un acte déterminé.
Les termes mêmes utilisés dans cet article sont à mon sens trop vagues et susceptibles d'interprétations divergentes et contreviennent, de la sorte, au principe de prévisibilité de la loi susmentionnée. Il en est notamment ainsi des termes "atteintes à la sécurité de l'État ".
Nous nous interrogeons aussi sur le caractère large et flou des termes "offense à l'égard d'un État étranger ".
Enfin, la référence aux termes " atteinte au respect des lois " est très problématique. En vertu du principe de la légalité des peines et des infractions, le non-respect d'une norme ne peut être constitutif d'une infraction que si cela est prévu expressément par la loi et, comme indiqué ci-dessus, en termes suffisamment précis. La formulation extrêmement large de cette partie de l'article 111 de la loi Belgacom donne en réalité un contenu pénal à toutes les lois en vigueur en Belgique, et cela en prévoyant des peines lourdes.

Il nous semble également que cette nouvelle disposition pourrait contrevenir à l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme qui consacre le principe de la liberté d'expression et notamment la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontières.

La modification apportée par la loi-programme n'a pas seulement pour effet de créer une nouvelle infraction : elle intègre surtout cette dernière parmi les crimes et délits pour lesquels un juge d'instruction peut ordonner l'interception ou l'enregistrement de communications et télécommunications privées, notamment les écoutes téléphoniques. L'article 90ter du Code d'instruction criminelle, qui contient cette liste d'infractions, fait en effet référence à l'article 114, paragraphe 8 de la Loi Belgacom, lequel renvoie à l'article 111 comprenant l'infraction qui nous occupe.
La liste des infractions reprises à l'article 90ter était censée être limitée à la criminalité grave. Seule une certaine gravité justifie en effet qu'on ait, dans certains cas, recours à une mesure aussi " intrusive " que l'écoute téléphonique.
Le champ extraordinairement large couvert par la nouvelle infraction, et notamment l'extension à tout non-respect des lois, a pour effet d'annuler la limitation prévue à l'article 90ter, pour tout ce qui est commis "via l'infrastructure des télécommunications".
Cette extension exorbitante des possibilités de surveillance téléphonique constitue une violation du droit au respect de la vie privée prévu à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. Celui-ci prévoit qu'une ingérence dans ce droit fondamental n'est envisageable que si elle est "nécessaire dans une société démocratique". Pour remplir cette exigence, la limitation du droit au respect de la vie privée doit être proportionnée par rapport au but poursuivi. C'est précisément la raison pour laquelle le recours aux écoutes téléphoniques est limité à la poursuite de certaines infractions particulièrement graves ; étendu à des comportements comme l'atteinte à l'ordre public, ou le non-respect des lois pris au sens général, il viole manifestement et sans conteste le critère de proportionnalité.
De manière générale, vu l'importance de la peine (de un à quatre ans), le caractère large de l'incrimination et les mesures de surveillance possibles, l'insertion d'une telle disposition dans une loi-programme dont le contenu pénal est très accessoire, sans débat ni publicité, peut être considérée comme problématique au regard de la sécurité juridique.
Il y a lieu de s'inquiéter non seulement des effets des dispositions abordées ci-dessus mais également de l'intention qui a gouverné leur insertion dans la loi-programme.
- Quelle était donc l'intention du gouvernement en insérant ces dispositions dans la loi-programme ?
- Quelles initiatives le gouvernement compte-t-il prendre, à l'avenir, pour abroger cette disposition au regard des problèmes qu'elle soulève et en tout cas, dans l'immédiat, pour que ses effets puissent se trouver suspendus ou précisés dans l'attente d'une solution définitive ?

M. Charles Picqué, ministre de l'Économie et de la Recherche scientifique, chargé de la Politique des grandes villes. - En vous écoutant et en lisant pratiquement en même temps le texte que M. Daems m'a transmis avec, je suppose, l'avis de M. Verwilghen, je me rends compte que la réponse que je vais me limiter à vous lire ne va pas nécessairement vous satisfaire. Je ne parle pas du fond du débat mais d'une série de questions techniques voire davantage politiques, j'en conviens, que vous avez posées.
Je vous lis la réponse du ministre.


Comme indiqué dans l'exposé des motifs de la loi-programme, le nouvel article 111 a pour but de prévoir pour les télécommunications une disposition légale similaire à celle qui est d'application en matière de radiocommunications. C'est pourquoi l'article 111 actuel reprend le texte de l'article 4 de la loi du 30 juillet 1979 relative aux radiocommunications.
Cette harmonisation semblait nécessaire pour éviter toute transgression de la loi. Au stade actuel de la technique, une personne ou une entreprise qui émet par exemple des communications dangereuses pour la sûreté de l'État d'un point à un autre peut le faire soit via des fréquences radio, auquel cas il convient d'appliquer la loi de 1979, soit via des câbles optiques qui relèvent de l'application de la loi du 21 mars 1991. Le dossier relatif à MetTV constitue un exemple de ce type de transgression de la loi. Une action a pu être intentée à l'encontre de MetTV tant que cette organisation émettait via des fréquences mais plus depuis qu'elle utilise des câbles.
En plus d'éviter toute transgression de la loi, le nouvel article 111 a essentiellement pour but d'octroyer aux officiers de police judiciaire dans le cadre des télécommunications, la compétence d'évaluer la véracité des plaintes relatives aux infractions à la loi commises via les télécommunications de manière à ce que ces plaintes puissent être soumises au parquet compétent qui décidera des poursuites devant finalement être engagées. Le nouvel article n'a donc pas, par essence, pour but de sanctionner mais fournit une base aux officiers de police judiciaire pour réaliser des enquêtes, par exemple concernant les abus de numéros 0800 à des fins de pédophilie, comme récemment dans un collège à Verviers, ou d'autres numéros, tels que les numéros 0900 à des fins pornographiques.
En ce qui concerne la demande de suspension des conséquences de l'article 111, je vous signale - dit M. Daems - que la Constitution ne permet pas au Gouvernement de suspendre des lois ou de dispenser de leur exécution. Il appartient à la magistrature, en fonction du principe de proportionnalité, de juger de l'opportunité des poursuites sur la base de cet article. J'ai confiance dans le fait que la magistrature fera cela avec le sens des responsabilités et de la nuance nécessaire.
Je suis d'avis que l'analyse qui est faite sur la portée des différents articles de la Convention européenne des droits de l'homme doit être nuancée. En effet, aucune liberté n'est absolue:
L'article 10, alinéa 2, de la Convention européenne des droits de l'homme prévoit que le droit à la liberté d'expression peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, entre autres à la sécurité nationale, à la défense de l'ordre public et à la prévention du crime et à la protection des bonnes moeurs.
Conformément à l'article 8, alinéa 2, de ladite convention, il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice du droit au respect de la vie privée et familiale que pour autant que cette ingérence soit prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire entre autres à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre public et à la prévention des infractions pénales ainsi qu'à la protection des bonnes moeurs, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.
Je constate qu'il a été agi par l'adoption d'une loi et que l'article 111 permet d'intervenir lorsque des intérêts essentiels sont en jeu. Ainsi, l'article offre par exemple la possibilité d'intervenir à titre préventif contre des communications de groupements terroristes dans notre pays ou encore, sur la base de cet article, la lutte contre la pédophilie peut être abordée d'une manière plus efficace, etc.
Je constate également que le Conseil d'État, dans son avis n° 32.455/4, n'avait pas d'objections fondamentales à la modification prévue de la loi et que l'article 4 de la loi du 30 juillet 1979 dont le contenu est identique, ne posait pas de problèmes considérables.
Le scénario relatif à l'application de l'article 90ter que vous avez esquissé doit également être fortement nuancé.
L'application de l'article 90ter est uniquement possible dans les cas exceptionnels, lorsque l'enquête l'exige, lorsqu'il existe de sérieuses indications que le fait, pour lequel le juge d'instruction est saisi, est un fait passible de peine repris dans la liste de l'article 90ter, § 2, lorsque les autres moyens d'enquête ne sont pas suffisants pour découvrir la vérité.
Alors que vous vous référez uniquement à la troisième condition de l'article 90ter, il est clair qu'en tenant compte de toutes ces conditions, la mesure de mise sur écoute téléphonique ne sera appliquée qu'en cas exceptionnel et en tenant compte du principe de proportionnalité.
Un " délit futile " commis via les télécommunications n'engendrera donc certainement pas une mise sur écoute téléphonique et de peine via l'article 114, alinéa 8, de la loi du 21 mars 1991.
Vu ce qui précède, je suis donc d'avis qu'il n'y a aucune raison de supprimer l'article 111.

M. Georges Dallemagne (PSC). - Il ne s'agit en effet que d'une réponse partielle à ma question. Je partage les explications relatives à la Convention européenne des droits de l'homme. Mais, comme l'ont souligné certains juristes, le nouvel article 111 engendre une insécurité juridique. S'il ne fait pas explicitement référence à d'autres dispositions, il considère que toute infraction à la loi pourrait faire l'objet de poursuites pénales, quelle que soit cette infraction. À la lecture de cet article, il y a donc tout lieu d'être inquiet. Si un employé d'une entreprise communique, par téléphone, des documents à un concurrent de son employeur, il peut faire l'objet de poursuites pénales. S'il le fait par d'autres moyens, il échappera sans doute à ces poursuites; il sera probablement uniquement licencié. Une insécurité juridique naît donc du libellé de cet article.

M. Charles Picqué, ministre de l'Économie et de la Recherche scientifique, chargé de la Politique des grandes villes. - Je ferai état de vos préoccupations à MM. Verwilghen et Daems.