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Séville : comment gagner plus en criminalisant les travailleurs
by Michel Barile Tuesday June 18, 2002 at 10:53 AM

Empreintes digitales des travailleurs, création d'un corps de police aux frontières européennes, telles sont les mesures que l'Union européenne entend concrétiser pour "lutter contre l'immigration clandestine" lors du sommet européen de Séville ce 21 et 22 juin. Les travailleurs européens ne sont pas dupes : ils s'organisent "Tchioé boué" (tous ensemble, en ghanéen).

Le sommet européen de Séville marquera un moment important dans l'approche des migrations internationales. Il semble un fait acquis que l'immigration zéro n'est plus aujourd'hui d'actualité. "Pour l'Union européenne, Séville doit démonter que l'Europe est capable de combattre l'immigration clandestine et d'établir des flux migratoires ordonnés et positifs", a dit Aznar en visite à Helsinki ce 3 juin dernier. L'économie européenne a de nouveau besoin de main-d'œuvre étrangère comme le démontre les informaticiens indiens en Allemagne ou la nouvelle loi Bossi-Fini, en Italie qui imposera à un non européen l'obligation d'avoir un contrat de travail pour bénéficier d'un permis de séjour renouvelable après deux ans. A coup sûr, seuls les travailleurs qualifiés en bénéficieront afin de faire pression sur les salaires des travailleurs qualifiés européens.

Pour la main d'œuvre non qualifiée dans certains secteurs d'activités comme la construction, l'horeca ou l'agriculture, seule la clandestinité leur sera possible, exerçant une pression sur les salaires par le bas. Comme à Tirlemont, en Belgique (où Tziganes et est-européen travaillent dans l'agriculture). En Espagne aussi où, actuellement, 350 sans papiers nord-africains manifestent à l'Université de Séville pour avoir un permis de séjour et pour protester contre l'engagement de travailleurs est-européens qui viennent travailler pour moins cher qu'eux. C'est dire le niveau des salaires.

Mais comment allier les besoins du patronat d'accroître les bénéfices voire de gagner une part de marché et l'arrivée de ces travailleurs, prêts à s'organiser comme leurs prédécesseurs après la seconde guerre mondiale, fers de lance des acquis sociaux? Mais pardi! par la mise en concurrence de travailleurs qui, le couteau sur la gorge, auront d'énormes difficultés à s'organiser avec les travailleurs européens d'autant plus qu'ils seront criminalisés et sujets à expulsion… L'Union européenne va donc prendre des mesures concrètes notamment lors du sommet de Séville dont la voie a été préparé par d'autres travaux ces derniers mois.

Le Plan Global de l'Union Européenne

En février dernier, les ministres de la Justice et des Affaires intérieures ont approuvé "le Plan Global contre l'Immigration Illégale et la Traite des Etres Humains". Il prévoit notamment l'harmonisation de la politique des visas afin d'éviter qu'un consulat d'un pays européen accorde un visa à une personne refusée par un autre. Il prévoit également la création de Bureaux Communs de Visas. Les données classiques du visa seraient complétées par une "photographie digitale" et des données concernant certains traits physiques.

Le 30 mai dernier, à Rome, dans le cadre de ce plan, les Quinze plus les treize pays candidats à l'adhésion, ont approuvé le rapport envisageant la création d'un Corps de garde frontières, composée d'un réseau d'officiers de liaison dans les aéroports et "d'Unités de réponse rapide" qui interviendraient à la demande d'un Etat membre sujet à "une immigration clandestine massive". Europol, dont le budget 2002 vient d'augmenter de 45,9% passant à 51,6 millions d'euros, y jouerait un rôle important dans ce plan.

Les empreintes de la gauche et de la droite

L'Union européenne prévoit également d'uniformiser sa politique d'asile. Notamment en empêchant qu'un demandeur débouté dans un pays de l'Union soit accepté dans un autre. Pour ce faire, l'Union européenne s'est doté d'un outil supplémentaire, en février 2002, Eurodac. Celui-ci devrait être opérationnel pour 2003. Les Etats européens devront dès lors prendre les empreintes digitales de tous les doigts des demandeurs d'asile ayant plus de 14 ans et transmettre ces données à "l'Unité Centrale d'Eurodac", située à Luxembourg. Le gouvernement anglais, socialiste, s'est déjà lancé dans la digitalisation des demandeurs. Le gouvernement italien, de droite et d'extrême-droite) lui, prévoit la digitalisation de tout extra-communautaire. En Italie, s'il y retourne après expulsion, il est punissable d'un an de prison. Dans ces deux pays, on prévoit l'usage de la marine militaire. Blair-Berlusconi, même combat.

La cause des migrations, l'impérialisme européen

Les multinationales européennes n'ont de cesse de piller les ressources des pays juteux. Là où il y a un marché a prendre à l'économie locale ou des matières premières à extirper, leurs relais politiques s'échinent à défendre leurs intérêts. C'est le Sud qui enrichit le Nord. Un euro "investi" en rapporte quatre. Ces populations n'ont alors pas d'autres possibilités que de migrer vers des cieux plus cléments. La situation dans les anciens pays de l'est illustre bien cette rapacité qu'ont les entreprises européennes à détruire le tissu économique historique pour accroître leur part de marché. En Afrique, le rôle joué par les multinationales comme au Sierra Leone, pays diamantifère, est primordial pour comprendre la guerre qui a ravagé le pays. Chaque camp étant alimenté par l'un ou l'autre multinationale anglaise, française ou américaine. Usinor Sacilor puise dans le sous sol du pays le minerai de fer dont il a besoin. Plus de la moitié de la population s'est retrouvée réfugiée soit dans son pays soit dans les pays limitrophes. En Europe, pour 2001, on recense 7.853 demandeurs d'asile sierra-léonais. Très peu sont acceptés.

"Tchio bouoé" (Tous ensemble)

Toutefois, les travailleurs européens sont de moins en moins dupes. C'est oublier leur capacité de résistance. En Italie, à Reggio Emilia, cinq mille grévistes (italiens et étrangers) ont manifesté conte la loi "inique et raciste" Bossi-Fini. La grève a été suivie par près de 80% des travailleurs de l'industrie. Sur le podium, un travailleur ghanéen lance dans sa langue "Tchio bouoé", "Tous ensemble", repris par la foule. "Il faut peu pour comprendre que la loi contre les immigrés et l'attaque contre l'article 18 (Berlusconi veut abroger cette loi qui oblige l'employeur à reprendre un travailleur licencié via le tribunal s'il n'y a pas de raison valable) sont des parents proches", ajoute Amabile Carretti, du syndicat CGIL.

Puisque le patronat européen nous fait le même coup que les différents patronats nationaux d'après guerre, les travailleurs répondront du tac au tac en portant l'unité des travailleurs dans les luttes sociales futures au niveau européen.