Communiste, quel beau nom! by Alice Bernard Wednesday June 05, 2002 at 07:21 PM |
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Campagne élections législatives en France. Rencontre avec deux candidats communistes (mais qui ont quitté le PCF)
«Communiste, quel beau nom»
«On a l'histoire avec nous, mais des fois, on aimerait qu'elle aille un peu plus vite», dit Jean Grimal, 42 ans, instituteur à Gennevilliers, dans la banlieue ouest de Paris. Avec conviction, il défend le programme de «Communistes» dans le département des Hauts-de-Seine.
Alice Bernard
Pourquoi «Communistes» se lance-t-il maintenant dans l'arène électorale?
Jean Grimal. Pas par démarche électoraliste. Mais parce que ça nous donne l'occasion de faire connaître notre existence et notre programme à 53.000 électeurs inscrits. Même si le score n'est pas faramineux, il faut bien commencer quelque part.
Cela nous permet de faire clairement la différence avec le PCF, mais aussi de ne pas laisser toute la place aux trotskistes. Tous les déçus du PCF qui veulent voter vraiment communiste sont tentés de choisir la LCR (équivalent du POS, ndlr) ou LO (Arlette Laguiller). C'est ce qui s'est passé aux présidentielles. Mais il y a tromperie sur la marchandise. Les gens de la LCR sont présents dans un tas d'associations et comités, où ils appellent toujours à un rassemblement large. Mais on a vu leur vraie nature lors d'un conflit mené par le personnel communal. Il y a deux ans, la municipalité a décidé de vendre une partie du nettoyage de la voirie dans la zone industrielle à une filiale de Vivendi. «Communistes» et les communaux ont levéle lièvre et dénoncé la manuvre. Or, un gars de la LCR siégeait au conseil communal. Il était au courant de tout depuis plusieurs mois. Il n'a rien dit, rien fait.
Si nous sommes présents à cette élection, c'est que l'espoir existe de changer de société, de construire un monde sans profits, sans actionnaires, où ceux qui produisent les richesses en bénéficient. «Communistes», quel beau nom!
Quelle leçon tirez-vous de l'élection présidentielle?
Jean Grimal. Le résultat du premier tour de l'élection présidentielle donne une photo assez exacte de l'état d'esprit qui règne dans la population française. L'augmentation énorme des abstentions, 10% en 14 ans, montre le désarroi et la déception de beaucoup par rapport à la politique gouvernementale. Les voix d'extrême gauche progressent alors que la gauche officielle s'effondre. Le PS fait son plus mauvais score depuis sa création en 1971, tandis que le PC n'a jamais été aussi bas. C'est ça le véritable séisme.
Quant à l'extrême droite, il faut bien regarder les chiffres: elle se stabilise. En 1995, comme en 2002, elle recueille environ 6 millions de voix. Il ne s'agit donc pas d'un phénomène soudain et inattendu, mais d'un ancrage dans la durée. Et il ne faut pas le sous-estimer.
Fallait-il donc voter Chirac?
Jean Grimal. La campagne pour le deuxième tour a été une des plus grandes manipulations jamais orchestrées. La bourgeoisie et les médias ont créé un climat politique tel que pratiquement tout le monde s'est rangé derrière l'idée «la droite, la gauche, on s'en fout, il faut empêcher Le Pen d'arriver». Ce qui a permis à Chirac de gagner haut la main, et à la gauche d'éviter de devoir s'expliquer sur son échec. La manif du 1er Mai a été littéralement kidnappée. A part le syndicat FO, personne ne défilait avec des slogans sur les enjeux socio-économiques du moment.
Nous n'avons pas voulu marcher dans ce scénario, nous avons appelé à voter blanc au deuxième tour. De toute façon Chirac serait élu, avec ou sans nos voix. Le vote blanc permettait de marquer sa volonté de participer à l'élection mais de ne voter ni pour Chirac, ni pour Le Pen. C'est ce que deux millions d'électeurs ont fait. Toute autre attitude ne pouvait que brouiller les repères de classe. On le voit maintenant: le PCF fait campagne dans la circonscription avec le slogan «battre la droite et l'extrême droite». Alors pourquoi avoir appelé à voter Chiracaux présidentielles?
Quels sont selon vous les enjeux concrets de la campagne?
Jean Grimal. Nous ne nous focalisons pas tellement sur les enjeux locaux, mais plutôt sur la diffusion de notre programme de lutte contre le capitalisme. Une bataille importante actuellement est celle de la lutte contre les privatisations. Les gouvernements, quels qu'ils soient, donnent de plus en plus de fonds publics aux entreprises. Le PCF et la LCR proposent de contrôler ces fonds publics. Nous disons: pas un franc aux patrons.
Le PCF ne parle plus de nationalisation, sauf à propos de l'eau. Il dit que «ouverture au capital» ce n'est pas la même chose que «privatisation». Il n'y a plus de formation théorique au PCF, ils ne savent plus ce qu'est le marxisme. Ils ont adopté les critères et le vocabulaire des gestionnaires de la société capitaliste.
Et parce qu'il ne suffit pas de combattre les idées d'extrême droite en France, mais aussi dans le monde, qu'elles soient portées par Bush ou Sharon, nous proposons la sortie de la France de l'Otan et la rupture des relations diplomatiques avec Israël.
Quelle est l'ambiance de campagne?
Jean Grimal. Il y a 18 candidats, c'est beaucoup. Pour mener une campagne active, les potes de Nanterre et Boulogne nous filent un coup de main. Nous avons distribué plus de 5.000 tracts, dans les lieux publics et sur les marchés, où nous avons l'occasion de rencontrer des gens, de discuter avec eux. Nous devons surtout leur expliquer la différence entre nous et le PCF. Sur les 1.600 membres que le PCF a comptés sur la commune, mon camarade Bob en a fait adhérer au moins 600. Maintenant, il doit expliquer pourquoi il a quitté le parti et rejoint «Communistes».
Nous participons aussi à toutes les réunions publiques, à chaque occasion que nous pouvons saisir pour nous expliquer. Mais il y a de moins en moins de réunions où il est possible de mener la lutte politique entre les différents projets en présence. La plupart des candidats organisent des sortes de grand-messes pour leurs propres troupes.
Du PCF à «Communistes»
Jean Grimal a adhéré au PCF en 1979, après avoir fréquenté les JC pendant cinq ans. Au début des années 80, il devient membre du bureau national de l'Unef, le syndicat des étudiants. Son diplôme d'instit en poche, il est affecté à Gennevilliers où il s'installe en 1985. Il y est chargé de reconstruire une section du mouvement de jeunesse, dont il devient responsable départemental. De 1994 à 1997, il est membre de la direction départementale du PCF. Depuis l'entrée du PCF au gouvernement en 1997, Jean n'est plus d'accord. «Ce n'est pas la participation gouvernementale en tant que telle qui me tracassait, c'était la ligne suivie: le dialogue social entre partenaires sociaux remplaçait la lutte des classes.» En 2000, il quitte le PCF et rejoint l'opposition interne qui commence à s'organiser sur le plan local. Quand Rolande Perlican, qui défend publiquement le maintien de l'orientation communiste contre les dérives de la direction du parti, crée «Communistes», il n'hésite pas. Il se lance dans une bataille «exaltante et épuisante à la fois»: reconquérir les masses qui aujourd'hui votent avec leurs pieds, reconstruire un vrai parti communiste.
Stéphane Dubois, candidat de la Coordination Communiste à Vénissieux (Lyon)
La classe ouvrière doit retrouver confiance en ses capacités de lutte
«Alors, Père Dubois, en forme?» Dans la cité des Minguettes, c'est ainsi qu'on appelle Stéphane Dubois, 42 ans, magasinier dans une usine textile, qui se présente aux élections législatives pour la Coordination Communiste. Il connaît sa cité et sa cité le connaît.
Stéphane Dubois. Aux élections cantonales, nous avons récolté près de 2% des voix dans la commune. Cette fois-ci, la campagne est différente. Elle porte les traces des élections présidentielles. Les gens montrent plus d'intérêt à ce que les candidats proposent. Ils veulent s'informer. Dans le centre commercial, on retrouve moins de tracts par terre, il y a plus de disponibilité, plus d'ouverture à la discussion.
Nous menons aussi notre campagne par internet. D'une façon générale, en France, 20% des électeurs vont visiter les sites internet des candidats. Jetez-donc un coup d'oeil...(http://site.voila.fr/coordination69)
Quelles perspectives offrez-vous à la population?
Stéphane Dubois. L'avenir des travailleurs se joue au niveau de l'Europe, mais aussi sur des enjeux concrets. Nous voulons contribuer à ce que les travailleurs reprennent confiance dans leurs capacités de résistance et de lutte. C'est surtout dans les luttes pour les services publics que nous pouvons marquer des points. Lors d'un grand débat public sur l'important problème des transports à Lyon, nous avons proposé non seulement de développer le ferroutage (mettre les containers des camions sur des trains), mais aussi le transport fluvio-maritime. Nous ne sommes pas les premiers à proposer cette solution, mais nous sommes les seuls à exiger que ce soient les firmes qui font transporter leurs marchandises qui financent les travaux nécessaires. Car de l'argent, elles en ont.
Nous voulons aussi sauver la clinique de la Roseraie à Vénissieux. Nous soutenons le personnel et les usagers contre les tentatives de démantèlement de cette clinique mutualiste. Nous exigeons aussi la levée immédiate des sanctions qui viennent d'être prises à l'encontre de Michèle Métral, déléguée CGT qui dirige la lutte sur place.
La gauche plurielle locale veut nous faire croire qu'elle condamne la politique de santé du gouvernement sortant, alors que leurs amis y participaient. Le gouvernement de la gauche plurielle a supprimé des lits dans les hôpitaux publics au profit du privé. Il a aussi subventionné des cliniques privées grâce à de l'argent public. Ce qui a des conséquences désastreuses, aussi bien pour les usagers que pour le personnel. Nous ne l'acceptons pas. Et nous lions ce combat à celui pour la nationalisation sans indemnité de tous les groupes pharmaceutiques.
Vous êtes aussi des internationalistes
Stéphane Dubois. La coordination communiste apporte régulièrement et depuis longtemps son soutien à la cause du peuple palestinien, en organisant des initiatives politiques, mais aussi en apportant un soutien matériel. Nous avons organisé un débat fin septembre, où plus de 100 personnes sont venues écouter le représentant du Front Populaire de Libération de la Palestine.
«Le PCF est un PS-bis»
Parmi les 15 candidats qui se présentent à Vénissieux, André Gérin, actuel maire de la ville et membre du PCF. Il se présente sous l'étiquette de la gauche plurielle, soutenu par le Parti Socialiste et les Radicaux de gauche. Pour Stéphane Dubois, Gérin est un exemple vivant de la dégénérescence totale du Parti communiste français.
«Gérin ratisse tous azimuts. Un jour, il propose au conseil municipal de jumeler Vénissieux avec la ville palestinienne de Jénine; le lendemain, il participe à une manifestation de soutien à Israël. Le 8 mai, lors de son discours de commémoration de la fin de la guerre et de la victoire contre le fascisme, il a affirmé vouloir lutter pour la démocratie, contre le fascisme, le colonialisme et le stalinisme. Ce n'est pas la première fois que cet homme qui se targue encore d'être communiste, place fascisme et stalinisme sur un pied d'égalité. Mais en plus, deux heures après son discours, lors d'une autre cérémonie officielle, il remettait la croix du combattant à un ancien volontaire d'Indochine. Où est donc son anticolonialisme? Vraiment, il n'a plus de communiste que l'étiquette. Dans la pratique, il mène une politique social-démocrate.»
Communiste dans la cité
Vénissieux, banlieue de Lyon. Soixante mille habitants. Renault y occupe 4.000 ouvriers, sur le site des anciennes usines Berliet où ont travaillé jusqu'à 15.000 personnes. Ceux qui rentrent par la porte B connaissent bien Stéphane Dubois, c'est là qu'il diffuse le journal et les tracts de la Coordination Communiste.
Vénissieux, c'est aussi la grande cité des Minguettes. Des dizaines de HLM, plus de cinquante nationalités, le plus grand marché de la région Rhône-Alpes tous les samedi matin. Dans un immeuble du boulevard Lénine vivent les familles de deux jeunes Français d'origine arabe, qui sont aujourd'hui enfermés à Guantanamo, la base militaire des USA à Cuba. «Ils ont été ramassés dans une colonne de talibans en déroute, quelque part en Afghanistan» explique Stéphane Dubois. «Leurs familles les croyaient en vacances en Tunisie. Aujourd'hui, les Américains ne lâchent aucune information sur leur sort. Guantanamo est une base extra-territoriale où le gouvernement US n'est pas obligé de leur accorder les mêmes droits que s'ils étaient détenus sur le sol américain. Nous nous battons pour le respect des droits de l'homme, y compris pour ces prisonniers-là. Certains veulent leur rapatriement en France, pour pouvoir les juger ici. C'est ridicule. En France, ils n'ont rien fait de répréhensible. Et on ne sait pas non plus ce qu'ils ont fait là-bas. A la limite, ce serait aux Afghans de les juger, si on arrive à trouver quelque chose contre eux. Mais cette situation de non-droit doit cesser.»