arch/ive/ief (2000 - 2005)

La Liberté a bon dos? Le port du 'foulard' à l'école
by Sacha Kullberg Sunday May 26, 2002 at 11:43 AM
mediadoc.diva@skynet.be

Lettre au 'Soir', concernant le projet du gouvernement de la Communauté française d'autoriser le port du foulard islamique au sein des écoles

J'ai fait parvenir le texte ci-dessous au journal 'Le Soir', en réaction à leur article - paru le vendredi 17 mai - faisant part du projet du gouvernement de la Communauté française d'autoriser le port du foulard islamique au sein des écoles.'Le Soir', a accordé sa 'une' à cette décision.

L'article aborde furtivement "l'absence de concertation des acteurs concernés (...) et l'absence de précaution juridique". Suite de l'article à la page 3, où nous trouvons e.a. une interview avec une responsable du Centre pour l'Egalité des Chances, alors que le Centre n'est pas habilité pour s'occuper des questions d'Egalité des Chances entre hommes et femmes, question dans laquelle - si je ne m'abuse - le foulard baigne jusqu'au cou.

'Le Soir' n'a interviewé personne travaillant pour une organisation luttant pour les droits des femmes. Le journal considère apparemment - comme beaucoup de personnes qui se jugent "politiquement correctes" - que la question du foulard est une question uniquement culturelle. Mais alors il manque l'avis d'une ou plusieurs femmes (ou au moins personnes) de culture musulmane ...

Ce qui est doublement choquant dans cette affaire-ci, c'est que c'est au nom de la liberté individuelle que le projet de la Communauté française veut permettre un signe culturel dont une des visées est discriminatoire. Il serait temps que notre société et ses médias, si friands de mots comme 'liberté' et 'démocratie', s'attaquent au trou béant qui sépare ces jolis mots de la réalité vécue par la majorité des femmes, non seulement du monde entier mais tout simplement de notre petit pays.

Que font les médias pour faire bouger cette question qui touche aux droits humains les plus élémentaires, en dehors d'étaler des publicités sexistes partout et sans aucun scrupule?

Vous en voyez souvent vous, des interviews avec des femmes qui se sont faites tabassées encore et encore par leur mari, et qui ont eu la chance de s'en sortir vivantes ? Des chiffres sur la maltraitance des femmes? Des articles critiquant le sexisme constant des publicités, mais aussi celui de beaucoup de films 'fiction' et de jeux vidéos ? Vous connaissez le nombre de viols en Belgique, en Europe, dans le monde ? Vous voyez souvent des informations sur qui produit la pornographie ? Qui la consomme ? Qui en souffre ? Quelles en sont les réelles conséquences, directes et indirectes (p.e. l'image de la femme qu'elle donne ?) ? Le lien entre la pornographie et le viol ? La traite des femmes et des enfants ? Quelles sont les voies qui amènent à la prostitution, on nous dit sans cesse que ces femmes sont 'libres' ? Qui en parle, et surtout, qui n'en parle pas, et pourquoi ? La question du sexisme coùte la vie à des millions de femmes et de filles dans le monde, pourtant quand on en parle c'est comme si c'était un 'détail' non seulement de l'histoire, mais du présent et du futur aussi.

Voici donc ma lettre au 'Soir' (jusqu'à ce jour elle n'a pas été publiée)


LE PORT DU 'FOULARD' A L'ECOLE

'Le Soir' du vendredi 17 mai 2002 nous apprend que "le gouvernement de la Communauté française vient d'accoucher d'une proposition autorisant - au nom de la liberté individuelle et de la liberté religieuse - le port du foulard en milieu scolaire". Cette proposition au sujet du "délicat dossier du port du voile à l'école", est diamétralement opposée à l'avis du ministre Hazette ('Le Soir' du 30 janvier 2002) qui s'était exprimé en faveur d'une interdiction du voile dans les écoles. Cette divergence d'opinion devrait encourager la Communauté française à beaucoup de prudence.

En France la question 'du foulard à l'école' a fait des vagues en 1989 et 1994 en divisant le monde politique et intellectuel. En 1994 il fut décidé de laisser à l'appréciation des chefs d'établissements scolaires "le bannissement de signes religieux ostentatoires".

Florence Montreynaud aborde la question dans son livre "Le XXe siècle des femmes" (ed. Nathan, Paris, 1999): "Les polémiques sur les exclusions d'élèves, avec leurs arrière-pensées électoralistes, sont la pire manière de débattre de la place de l'Islam en France, où l'opinion prouve une hostilité croissante à l'égard des voiles. Quant aux personnes d'origine musulmane, 22% seulement y sont favorables. (...) Pour "convaincre plutôt que contraindre", la ministre Simone Veil fait intervenir des médiatrices musulmanes. Ces jeunes femmes, incarnant des modèles d'intégration réussie, expliquent que des parents de collégiennes sont soumis à des pressions islamistes; que, pour les jeunes filles, l'islam peut être un refuge et le voile une affirmation d'identité culturelle; que ces adolescentes rebelles, qui se cherchent et ont peur de l'échec, ont droit au respect. Si certaines élèves peuvent être soulagées d'avoir à obéir, pour d'autres, le voile se pare désormais de l'attrait de l'interdit. Qu'elles soient otages, victimes ou provocatrices, les voilà renvoyées à une identité d'opposantes, (...) Dans la pratique, l'honneur des hommes passe toujours par le sexe des femmes: c'est ce que montrent des affaires comme celle de la jeune Turque assassinée à Colmar par des frères mués en justiciers. (...) L'histoire a montré que des femmes peuvent être complices en même temps que victimes de leur propre oppression. Pour des Maghrébines modernistes, comme Khalida Messaoudi ou Fatima Mernissi, "voiler les femmes, c'est voiler la démocratie". (...)" (p. 756-757).

En tant que citoyens d'une Europe de plus en plus séduite par des partis et des hommes politiques accusant les immigrés de tous les maux, nous sommes en droit de nous étonner de la franchise 'innocente' qu'affichent nos responsables politiques au sujet d'une question aussi épineuse que complexe.

"Le Soir' du 17 mai précise que le ministre Hasquin a "ajouté cette question en urgence à l'ordre du jour". De quelle urgence parlons-nous, et avant tout: est-il possible de régler cette question dans l'urgence ?

En l'absence de législation en la matière en Belgique francophone, certaines écoles permettent le port du foulard, d'autres interdisent le 'couvre-chef'.

Un des points positifs de cette 'solution' est que ce sont les personnes travaillant sur le terrain qui décident, en fonction de ce qu'ils jugent nécessaire et utile par rapport aux réalités de leur établissement et des élèves qui y suivent les cours. La solution adoptée en France après longue réflexion ressemble à l'état de fait en Belgique.

Ce qui me semble peu logique, c'est que le gouvernement de la Communauté française voudrait légaliser le foulard - qui n'est pas à proprement parler un outil de 'liberté' - dans les écoles, au nom de 'la liberté individuelle et de la liberté religieuse'. Les filles concernées ne sont pas majeures et ne jouissent donc en réalité que de très peu de 'libertés individuelles'. En plus 'la liberté religieuse' dont on se réclame ici a beau figurer dans la déclaration des droits de l'homme, il n'est un secret pour personne que les religions se trouvent le plus souvent mélangées aux biberons que les parents donnent à boire à leurs enfants. Et puis: les religions ont la fâcheuse tendance à favoriser les êtres humains de sexe masculin. Et pour terminer: l'Islam interdit à ses fidèles de changer de religion. De quelle liberté religieuse parlons-nous ?

Après la carotte de la 'liberté', le bâton: la Communauté française stipule que le port du foulard à l'école ne pourra pas être assimilable (qui sera juge ?) à du prosélytisme (c-à-d les filles ne peuvent pas recruter des adeptes). Sinon quoi.. ? Privera-t-on les parents de leurs allocations familiales ? les filles seront-elles exclues de l'école... ?

Cette question du 'prosélytisme' n'est-elle pas un peu naïve ? Dans certains quartiers de Bruxelles la pression sociale sur les femmes et les filles d'origine immigrée est telle que la majorité de celles-ci portent le foulard, même si une partie n'en sent pas le besoin 'individuel'. Est-ce de la 'liberté individuelle', de la 'liberté religieuse', du 'prosélytisme', ou autre chose ? Quelle garantie la Communauté française peut-elle donner que cette même force 'indéfinissable' n'agira pas au sein des écoles ?

Ne s'agit-il pas ici d'une tentative de camouflage d'un problème de sexisme au sein d'une société patriarcale (la notre !) derrière un paravent d'immigration avec un zeste de droits de l'homme pour se donner bonne conscience ?

Depuis quelque temps, des jeunes d'origine immigrée - soutenus par des associations antiracistes - insistent sur le fait que beaucoup de boïtes de nuit leur refusent l'entrée; ils réclament - à juste titre ! - que notre société mette fin à cette discrimination. La liberté de ces garçons est de pouvoir aller en discothèque, celle de leurs soeurs sera de pouvoir mettre le foulard à l'école... voilà la 'liberté individuelle' quand on refuse de voir le sexisme à l'oeuvre. Il y aura bien un(e) petit(e) malin(e) pour me faire remarquer que les filles issues de l'immigration ont aussi 'le droit' d'aller en boïte de nuit. C'est juste, ... avec foulard ou sans ? D'ailleurs, les garçons auront-ils le droit de porter le foulard ?

Le voile 'islamique' crie la même chose que les publicités sexistes de notre société si imbue de ses 'libertés': "le corps féminin est avant tout un objet sexuel à consommer - par l'homme". Corps caché dans un cas, exhibé dans l'autre.

A tout hasard: ne serait-ce pas le sexisme de notre société qui nous empêche d'y voir clair dans les "droits de l'homme" quand cet "homme" est femme ?

Le foulard n'est pas un bout de tissu 'quelconque' investi d'un pouvoir de 'libération individuelle'. Tout comme les publicités montrant l'objet-corps féminin ne sont pas le résultat d'une 'liberté d'expression'; quoiqu'en disent les publicistes.

Si la Communauté française est si soucieuse du sort et des libertés individuelles des filles issues de l'immigration, qu'elle rende possible un travail social systématique en direction de ces filles. Actuellement les activités que les maisons de jeunes et autres maisons de quartier organisent en direction de la jeunesse immigrée en Belgique francophone s'adressent 'à tous' - à part quelques rares exceptions - avec comme résultat que le masculin l'emporte, et pas uniquement au niveau grammatical.

Pourtant, les filles 'd'origine immigrée' - les mères de la génération prochaine ! - affichent un taux de tentative de suicide sensiblement plus élevé que les filles 'd'origine belge'. Je doute fort que la 'liberté' de porter le foulard à l'école réduira cette détresse.

Dans le cas où le gouvernement de la Communauté française désire promouvoir les libertés individuelles des femmes et des filles sans utiliser le mot 'immigration' (tout en touchant les 50% des immigrés qui sont de sexe féminin) voici quelques humbles pistes de réflexion:

- il y a un manque cruel de lieux d'accueil pour la petite enfance, on le sait depuis des lustres !!
- quelle(s) solution(s) concrètes proposez-vous à la violence physique, sexuelle et psychologique à l'encontre des femmes et des filles ?
- quand existera-t-il une loi condamnant le sexisme, inspirée de celle qui condamne le racisme ?

Les filles concernées par la question du foulard à l'école se trouvent dans une triple position de faiblesse: issues de l'immigration, de sexe féminin et mineures d'âge. Il ne sert à rien de se voiler la face avec des mots, fussent-ils aussi hypnotisant que 'liberté'.

Sacha Kullberg
collaboratrice Mediadoc