Brésil: les mangeurs d'ordure by yannindy Wednesday May 22, 2002 at 12:21 PM |
yannindy@yahoo.fr |
Un texte de Latuff, traduit de l'anglais. Non, ce n'est pas une satire, c'est juste la triste vérité.
Comme la nuit
tombe sur Rio de Janeiro, deux femmes s'échangent des restes de nourriture tirés
de sacs poubelles laissés sur le trottoir d'un restaurant. J'ai vu ce genre de
choses très souvent dans ma vie. Je suis toujours passé devant, comme tout le
monde, chaque jour. Mais aujourd'hui,
c'était différent. Je me suis arrêté, je suis resté un moment, et j'ai décidé
de retourner leur parler. Je me suis présenté et leur ai demandé si je
pouvais prendre quelques photos. Malgré une certaine méfiance au début, elles
ont fini par accepter. La répugnance de
la scène me donnait la nausée. Je ne pensais plus qu'à prendre tout cela en
images. Je ne me souviens que de peu de choses de notre conversation. Elles ont
dit qu'elles vivaient loin d'ici, et que chaque semaine, ce rituel avait lieu: séparer
ce qui était pour les chiens et les cochons, et ce que elles et leurs familles
allaient manger. Une telle folie
m'a enfin poussé à leur demander si elles disaient la vérité. Je me suis
dit: "Quel imbécile tu fais". Je me suis souvenu de certains films
parlant du Brésil comme "Ilha das Flores" et " Cronicamente
Inviavel". Les gens qui mangent des ordures existent! J'ai terminé mes
photos, et elles finissaient de ramasser les sacs avec leur mixture infâme. Je
ne me souviens plus de leurs noms, mais ce moment restera avec moi jusqu'à la
fin de mes jours. Je n'ai même pas pu leur dire au revoir en les embrassant sur
la joue ou en leur serrant la main. Cela m'a fait de la peine. Je les ai laissées,
au bord de la nausée, n'ayant envie que de vomir et de développer le film. Un détail
important me revient en mémoire. L'odeur infecte de cette nourriture pourrie,
et le fait que ces femmes ne semblent pas être affectées par ce qu'elles
faisaient. Elles étaient habituées à manger des ordures. Et les gens pressés
qui passent chaque jour ont l'habitude de voir d'autres gens manger des ordures.
"Mieux vaut ça que rien, non?". Je pense à ces
piétons qui passaient. Ils semblent ne voir la tragédie que lorsqu'on la leur
présente au fond d'un confortable siège de cinéma. Et cette conscience de la
tragédie disparaît aussitôt que leurs pieds fouleront le trottoir. Ils sont
touchés par les drames vus à l'écran, mais refusent de le voir en version
originale dans la rue. Ce qui est pire
qu'une société pourrie, c'est que nous nous habituions à sa puanteur. Latuff
Rio de Janeiro