arch/ive/ief (2000 - 2005)

Brésil: les mangeurs d'ordure
by yannindy Wednesday May 22, 2002 at 12:21 PM
yannindy@yahoo.fr

Un texte de Latuff, traduit de l'anglais. Non, ce n'est pas une satire, c'est juste la triste vérité.

Brésil: les mangeurs...
trash.jpg, image/jpeg, 399x590

Comme la nuit tombe sur Rio de Janeiro, deux femmes s'échangent des restes de nourriture tirés de sacs poubelles laissés sur le trottoir d'un restaurant. J'ai vu ce genre de choses très souvent dans ma vie. Je suis toujours passé devant, comme tout le monde, chaque jour.

Mais aujourd'hui, c'était différent. Je me suis arrêté, je suis resté un moment, et j'ai décidé de retourner leur parler. Je me suis présenté et leur ai demandé si je pouvais prendre quelques photos. Malgré une certaine méfiance au début, elles ont fini par accepter.

La répugnance de la scène me donnait la nausée. Je ne pensais plus qu'à prendre tout cela en images. Je ne me souviens que de peu de choses de notre conversation. Elles ont dit qu'elles vivaient loin d'ici, et que chaque semaine, ce rituel avait lieu: séparer ce qui était pour les chiens et les cochons, et ce que elles et leurs familles allaient manger.

Une telle folie m'a enfin poussé à leur demander si elles disaient la vérité. Je me suis dit: "Quel imbécile tu fais". Je me suis souvenu de certains films parlant du Brésil comme "Ilha das Flores" et " Cronicamente Inviavel". Les gens qui mangent des ordures existent!

J'ai terminé mes photos, et elles finissaient de ramasser les sacs avec leur mixture infâme. Je ne me souviens plus de leurs noms, mais ce moment restera avec moi jusqu'à la fin de mes jours. Je n'ai même pas pu leur dire au revoir en les embrassant sur la joue ou en leur serrant la main. Cela m'a fait de la peine. Je les ai laissées, au bord de la nausée, n'ayant envie que de vomir et de développer le film.

Un détail important me revient en mémoire. L'odeur infecte de cette nourriture pourrie, et le fait que ces femmes ne semblent pas être affectées par ce qu'elles faisaient. Elles étaient habituées à manger des ordures. Et les gens pressés qui passent chaque jour ont l'habitude de voir d'autres gens manger des ordures. "Mieux vaut ça que rien, non?".

Je pense à ces piétons qui passaient. Ils semblent ne voir la tragédie que lorsqu'on la leur présente au fond d'un confortable siège de cinéma. Et cette conscience de la tragédie disparaît aussitôt que leurs pieds fouleront le trottoir. Ils sont touchés par les drames vus à l'écran, mais refusent de le voir en version originale dans la rue.

Ce qui est pire qu'une société pourrie, c'est que nous nous habituions à sa puanteur.

Latuff
Rio de Janeiro
Brésil.