arch/ive/ief (2000 - 2005)

Intérimaires: force de travail et «rebelles» du futur
by Dirk De Block Monday April 22, 2002 at 05:14 PM
stopinterim@hotmail.com

La Confédération internationale des entreprises de travail temporaire a des plans ambitieux. Pour 2010, le CIETT veut employer 18 millions d'intérimaires, contre «seulement»7 millions aujourd'hui. Chaque jour, 6,5 millions de ces travailleurs fonctionnent à la demande des patrons qui, au moindre contrecoup économique, peuvent les licencier. A l'autre bout des GSM, 6,5 millions d'intérimaires qui ne savent pas s'ils auront du boulot la semaine suivante et ne sont pas en mesure de se bâtir une existence stable.

Des travailleurs sur commande

D'où vient ce développement florissant d'une forme de travail qui, il y a vingt ans, ne représentait pas grand-chose? Pourquoi les patrons sont-ils prêts à embaucher des travailleurs intérimaires relativement chers? Parce qu'ils sont disposés à payer pour un surcroît de flexibilité

Une enquête de l'Institut supérieur du Travail1 montre que les patrons considèrent le travail intérimaire comme l'instrument principal pour accroître la flexibilité. Lorsque la concurrence est effrénée, comme dans l'industrie automobile, une multinationale comme VW doit travailler en just-in-time, sur commande ou sans espace de stockage. Mais, tout comme ses pièces, VW doit aussi pouvoir «commander» les travailleurs nécessaires dans un délai d'un jour ou deux. Des dizaines de milliers de jeunes chômeurs ou intérimaires sont donc cramponnés à leur GSM. Car si vous n'êtes pas chez vous quand l'agence appelle, vous n'avez pas de travail le lendemain!

C'est l'industrie qui utilise le travail intérimaire de la façon la plus agressive.(2) «C'est pourquoi les travailleurs de ces grandes entreprises se battent vivement contre l'intérim et la flexibilité», explique un délégué syndical d'une entreprise de nettoyage. «S'il y a un endroit où nous pouvons arrêter le travail intérimaire, c'est dans les grandes et moyennes entreprises. Si les grosses boîtes introduisent l'intérim, les petites suivront.»

Agence d'intérim ou service du personnel?

Le travail intérimaire joue un rôle croissant dans la gestion du personnel des grandes entreprises. On l'utilise maintenant pour sélectionner les travailleurs, en lieu et place de la période d'essai prévue par la loi en début de contrat. Nike a confié son service d'embauche à Unique-interim. Parmi les travailleurs embauchés l'an dernier, 54% étaient précédemment intérimaires dans cette même entreprise.(3) Ainsi, les intérimaires perdent la protection légale de la période d'essai pour devenir de véritables travailleurs jetables.

De plus en plus de grandes entreprises confient la totalité de leur service du personnel à des agences d'intérim. Les multinationales veulent limiter leur noyau fixe de travailleurs au strict minimum, en le complétant par des intérimaires qui servent de «main-d'oeuvre bouche-trou»4 et sont les premiers à disparaître en cas de baisse de la production. Fin 2001, VW-Forest a licencié 700 temporaires pour les réembaucher ensuite comme intérimaires. La direction a été cynique au point de leur adresser une lettre leur conseillant de s'inscrire chez Adecco, l'agence qui assure la politique d'embauche pour VW. C'est ainsi que se constitue une réserve plus ou moins fixe d'intérimaires connaissant l'entreprise.

L'Europe tend la main aux agences d'intérim

L'an dernier, l'Europe a décidé de supprimer les monopoles de l'Etat sur les services de placement: FOREM, VDAB et BGDA. Dorénavant, les agences d'intérim peuvent se charger ­ en sous-traitance ­ de la gestion du personnel pour les grandes entreprises. Ces services de l'Etat avaient le monopole (et assuraient en même temps le contrôle) sur d'importants aspects de la politique du personnel: placement, outplacement, centralisation des emplois vacants et des demandes d'emploi. Les agences d'intérim devaient se limiter aux emplois intérimaires vacants.

A présent, un patron peut confier la totalité de sa gestion du personnel à une agence d'intérim, qui inscrit les intérimaires comme demandeurs d'emploi si leur spécialité figure sur la liste. Quand l'intérimaire travaille, les bénéfices sont donc pour le patron. Et quand il n'est plus «utile», c'est le contribuable qui paie l'indemnité de chômage. L'agence d'intérim le forme à la mesure du patron (en laissant tomber la formation générale) et se voit en outre confier le monopole sur l'embauche pour les postes vacants de l'entreprise. Ce qui signifie qu'à l'avenir, les agences d'intérim recruteront aussi pour des emplois fixes. La porte est donc ouverte à la sélection et à la discrimination des travailleurs d'origine immigrée ou des travailleurs moins qualifiés, comme cela s'est produit chez Randstad-interim.

(1) L'Institut supérieur du Travail, rattaché à la KUL, a réalisé cette étude pour l'UPEDI, le 22/11/ 2001 ·
(2) 80% des entreprises de plus de 50 personnes utilisent des intérimaires, contre 52% des PME. L'automobile et le textile en emploient un nombre particulièrement élevé ·
(3) Studie Stichting Technologie Vlaanderen ·
(4) Idem.

Plus fort encore?

L'intérimaire «sur mesure»
Le travail intérimaire sur mesure est l'une des trouvailles de «l'Etat social actif». Depuis des années, les patrons des firmes d'intérim réclament que les intérimaires (susceptibles de rapporter) puissent être liés à eux par un contrat fixe de durée indéterminée. L'intérimaire serait ainsi véhiculé d'une usine à l'autre, d'une fonction à l'autre. Toutefois, les syndicats s'y sont toujours opposés, la base de tout contrat résidant précisément dans une description claire des tâches convenues entre l'employeur et le salarié.

Les contrats d'intérim de durée indéterminée mettent tout cela en péril. Les associations patronales ou les agences d'intérim peuvent désormais recevoir de l'argent (jusque 550 euros par mois) pour embaucher des chômeurs de longue durée (ou des allocataires du CPAS) comme intérimaires avec un contrat de durée indéterminée. L'indemnité des intérimaires se mue alors en une prime en espèces pour le patron. Les agences d'intérim peuvent donc introduire partout une main-d'oeuvre bon marché et la former aux tâches qui l'attendent dans l'entreprise où elle travaillera. Et si l'intérimaire refuse d'effectuer un travail? Il se retrouvera sans chômage pour rupture de contrat. Voilà l'Etat social actif dans toute sa splendeur! Merci l'arc-en-ciel

L'Europe fait un sort à la protection légale des intérimaires

Le 20 mars, la Commission européenne approuvait un projet de loi européen sur le travail intérimaire. Enfin une protection pour ces travailleurs? Mon oeil!

Le projet de loi semble confirmer la revendication syndicale du principe de non-discrimination: un intérimaire doit avoir les mêmes droits qu'un travailleur fixe effectuant un travail comparable dans l'entreprise. Petit problème: le principe de non-discrimination ne doit être respecté que si la tâche intérimaire dure plus de six semaines dans la même entreprise. Ridicule quand on sait qu'en France et en Allemagne, 90% des intérimaires se voient confier des tâches de moins d'un mois.(1)

En outre, quatre exceptions sont déjà prévues. Car pour les patrons d'agences d'intérimaires, c'est encore beaucoup trop. Ainsi, sur base de raisons «objectives» et s'il n'existe pas de «situations comparables», on peut déroger à ce principe de non-discrimination. De même si la main-d'oeuvre intérimaire a été embauchée par l'agence avec un contrat de durée indéterminée (voir l'intérim «sur mesure»). Un hasard?

Les patrons veulent aussi élaguer davantage encore les restrictions légales concernant le travail intérimaire, bien que celles-ci soient déjà nettement à leur avantage. Aujourd'hui, le travail intérimaire n'est encore possible que dans les trois cas suivants: pour des tâches spéciales (décrites de façon très vague), le surcroît exceptionnel (et provisoire) de travail et le remplacement de travailleurs attitrés (en cas de maladie, etc.). On connaît pourtant nombre de travailleurs qui remplissent la même fonction pendant deux ans avec un contrat intérimaire d'une semaine constamment renouvelé! Bien des patrons remplacent aussi un intérimaire par un autre après un an, pour ne pas devoir l'embaucher définitivement. Mais ces lois offrent néanmoins aux intérimaires un minimum de protection et permettent un contrôle (limité) des syndicats.

Les patrons n'apprécient pas non plus que le travail intérimaire soit interdit dans certains secteurs, comme la construction. L'an dernier, les syndicats du secteur se sont opposés à la nouvelle convention collective (CCT) qui, sur demande des patrons, permettait le travail intérimaire, pour la première fois depuis des décennies. Ce n'est qu'à l'aide de la trahison de l'aile droite de la direction syndicale que cette CCT a pu passer.

Quant à la privatisation des services publics, elle ouvre aussi la porte au travail intérimaire dans ces entreprises où, naguère, il était interdit. L'intérim sera d'abord possible dans les entreprises privées de sous-traitance qui se détacheront des entreprises publiques et, dans ce qu'il restera des entreprises mêmes, des sous-statuts déblaieront progressivement le terrain pour le travail intérimaire.

(1) Document IP/02/441 de la Commission européenne, 20 mars 2002.

Bientôt trois fois plus d'intérimaires

L'Union européenne choisit inconditionnellement le camp des patrons des agences d'intérim. Pour 2010, elle veut porter le taux d'emploi à 70%. Pour cela, 30 millions de «nouveaux» emplois sont nécessaires.(1) Les patrons d'agences d'intérim veulent en prendre 4 millions à leur compte (2), soit plus de 10%. En 2010, il y aura donc quelque 18 millions d'intérimaires3, soit trois fois plus qu'aujourd'hui. Beaucoup de femmes, de travailleurs âgés et de chômeurs de longue durée seront remis au travail pour pouvoir combattre le concurrent numéro un: les Etats-Unis.

Entre 1991 et 99, il n'y a eu que 2,5 millions d'emplois «nouveaux» en Europe: 4 millions d'emplois fixes ont été remplacés par 6,5 millions de contrats temporaires, entre autres via des restructurations massives. De façon similaire, pour en arriver à 30 millions d'emplois «supplémentaires», il faudra faire disparaître 50 millions de postes fixes et les remplacer par des contrats temporaires ou à temps partiel. Le travail intérimaire, souvent considéré comme une histoire de jeunes, impliquera de plus en plus de travailleurs âgés et de femmes.

(1) Le rapport du CIETT: "Barcelona European council ­ Towards a more flexible EU labour market and improved education and training. The contribution of private employement agencies" (Conseil européen de Barcelone ­ Vers un marché européen de l'emploi plus flexible et une meilleure éducation et formation. La contribution des agences privées de l'emploi)", février 2002 ·
(2) Un travail qui ne peut être effectué autrement ou qui, autrement, serait accompli par la main-d'oeuvre fixe durant des heures supplémentaires ·
(3) Qui ont accompli au moins une tâche intérimaire dans l'année en cours.

Le syndicalisme de combat, un allié si

La main-d'uvre intérimaire est-t-elle une entrave en cas de grève ou, au contraire, la retrouvera-t-on au premier rang? Cela dépend...

Le travail intérimaire prendra certainement encore beaucoup d'ampleur. En 2000, en Belgique, 303.000 personnes au moins ont effectué une tâche intérimaire.(1) Même si le triplement au niveau européen ne représente qu'une multiplication par deux sur le plan belge, cela fera quand même encore 600.000 personnes concernées par le travail intérimaire! En 2010, 150 à 200.000 personnes travailleront chaque jour comme intérimaires. En Europe, ils seront 6,5 millions.

Sensibles au moindre remous de la conjoncture, les intérimaires sont les premiers à se retrouver dehors si cela va un peu moins bien, souvent sans aucune sécurité d'emploi ou de revenu. Bref, des situations à l'américaine: aux Etats-Unis, ces emplois bidons ou à temps partiel obligent les gens à combiner deux, voire trois emplois pour survivre. Et 10% de la population vit sous le seuil de pauvreté.

Moins enclin à la collaboration de classes

Les intérimaires sont le groupe le plus exploité, le plus vulnérable et le moins protégé de la classe ouvrière. Et sur le terrain, ils bénéficient à peine de la protection syndicale. Faut-ils s'étonner dès lors qu'ils connaissent un taux si bas de syndicalisation? Où qu'ils ne participent parfois pas aux grèves? Ne pas faire grève peut être leur réponse, leur forme d'opposition à une attitude syndicale droitière. Leur sort n'est pas lié à une seule usine, mais à la situation économique générale du capitalisme. Si on vit une reprise économique, il y a du travail pour les intérimaires; si l'économie ralentit, ils se retrouvent à la rue. Cela les rend moins disponibles à la collaboration de classes et aux techniques «participatives».

Les intérimaires sont aussi plus critiques, estime un délégué d'une entreprise du zoning de Zaventem: «Un jeune intérimaire m'a demandé comment j'ai tenu le coup dans de telles conditions de travail. Je lui ai dit que j'avais une famille à nourrir et que je ne pouvais pas m'en aller.» L'intérimaire n'accepte pas aussi facilement ces conditions de travail, alors qu'après tant d'années, le délégué s'y est habitué

Les intérimaires peuvent constituer un allié très important dans la lutte des travailleurs si ces derniers, avec les délégués combatifs, s'intéressent à eux, les défendent et les organisent. Ou, comme le disait Maria Vindevoghel, ex-déléguée CSC de la Sabena: «Les plus jeunes, les intérimaires ont été les premiers à réagir, alors que les «anciens» pensaient encore qu'il ne s'agissait pas de leur emploi. Et ce sont les intérimaires qui ont voulu poursuivre la lutte jusqu'à la fin de la façon la plus radicale. Parce qu'ils n'avaient rien à perdre, mais tout à gagner.»

(1) 575.000 tâches d'intérim en 2000.

L'intérim, ça vous plaît?
Une étude révèle que 85% des personnes estiment que l'intérim est une bonne chose pour les intérimaires eux-mêmes. L'Institut supérieur du Travail a toutefois découvert que 85% des personnes interrogées préféraient avoir un travail fixe. 13% seulement optent consciemment pour l'intérim.

J'aimerais connaître votre avis. Etes-vous intérimaire? Avez-vous de l'expérience en la matière? Envoyez-nous votre histoire. Prochainement, nous donnerons la parole à des intérimaires et à des syndicalistes et nous mettrons aussi en avant des expériences intéressantes réalisées à l'étranger.

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