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Ramallah pendant la bataille
by (posted by protesta) Monday April 01, 2002 at 02:20 AM

Eh oui, la derniere fois en revenant a Ramallah, j'avais intitule mon recit "Ramallah apres la bataille", mais comme le temps aurait tendance a reculer dans ce pays, je peux l'intituler cette fois-ci "Ramallah pendant la bataille". Voici le recit des evenements de ces derniers jours, heureusement qu'on a pris des notes !

Mercredi 27/03/2002.
L'armee israelienne a arrete une ambulance qui transportait soit-disant des
armes et des explosifs, et dont un passager etait un "terroriste" recherche
par Israel. Du coup, toutes les ambulances ont ete arretees et fouillees.
Mon collegue le docteur Allam Jarrar, qui venait de Naplouse a Ramallah
pour une reunion en ambulance justement (normal, il est medecin), se fait
donc embarquer au poste parce qu'il n'avait pas de malade dans son
vehicule. Nouvelle regle donc : une ambulance ne doit servir exclusivement
qu'au transport des malades. Comment fait-on pour aller chercher les
malades, mystere. Pour transporter du materiel medical, mystere egalement.
Bon, ce n'est pas trop grave, ils ont fini par le relacher quand meme
quelques heures plus tard.

Mercredi soir.
"Amaliyeh", c'est-a-dire "operation", c'est-a-dire encore bombe, a Netanya,
dans une fete de debut de Pessah. Pres de 20 morts, une centaine de
blesses. Pendant ce temps, le sommet arabe a commence en l'absence de
Moubarak, d'Abdallah de Jordanie, d'Arafat, etc. et s'enlise dans les
bavardages habituels, avec en prime la delegation palestinienne qui se
fache et s'en va parce que le discours d'Arafat n'a pas pu etre diffuse,
soit-disant pour problemes techniques.
L'atmosphere ambiante s'ameliore donc d'une minute a l'autre, et on
commence deja faire les courses indispensables, sel, sucre, farine, lait.
Et tout le monde va se coucher en attendant le lendemain.

Jeudi matin.
Rien. Nous allons a notre travail normalement. Vers 9h, une rumeur commence
a ce repandre : al-Jazeera annonce que tous les consulats etrangers ont
demande a leurs ressortissants de quitter Ramallah. Panique a bord chez les
Palestiniens. Je telephone a Ann, ma chef, qui va aux renseignements aupres
des autorites competentes. Les Nations-Unies et les consulats britannique,
norvegien et canadiens confirment que ce n'est qu'une rumeur. Je calme donc
mes collegues, et je pars faire une course en ville : c'etait pour le coup
la panique generalisee, avec embouteillage monstre de parents qui allaient
chercher leurs enfants a l'ecole et de gens qui faisaient des courses pour
soutenir un siege. Je reviens au boulot une demi-heure plus tard. Mes
collegues avaient decide de fermer le centre ; on fait monter les enfants
dans le bus, on debranche tous les materiels electriques, et chacun rentre
chez soi.

Jeudi midi.
J'arrive chez moi et je commence a faire la liste de ce qu'il me faudra en
cas d'invasion. Vincent, un ami qui habite au bout de la rue, m'appelle et
me demande si lui et Anais peuvent venir s'installer chez moi pour quelques
jours ; c'est devenu la coutume lorsque nous nous attendons a des
evenements desagreables, bombardements ou invasions, car leur appartement
est situe au 5eme etage de l'immeuble le plus haut du quartier sur la rue
principale, tandis que le mien se trouve a l'entresol au fond d'une
impasse. Nous allons donc a notre tour faire les courses : dans la petite
epicerie de 10m carres, il y avait bien 15 personnes, sans parler d'une
queue de 400 personnes a la boulangerie du quartier, dont les gens
repartent avec 8 kilos de pain. C'est bon, nous avons maintenant nous aussi
de quoi soutenir un siege en termes de nourriture, nous achetons aussi des
bougies et de l'eau en reserve. Entre-temps, les coups de fil continuent :
le consulat de France n'evacue pas formellement, mais propose a ses
ressortissants, deja eprouves par l'invasion d'il y a quize jours, de les
emmener a Jerusalem s'ils le desirent ; les Belges et les Espagnols sont
deja partis ; les Nations Unies n'ont pas encore pris de decision, mais
deconseillent a leur personnel de Jerusalem de se rendre dans les
territoires occupes ; l'ONG "Medecins du Monde" s'en va.

16h.
On n'evacue toujours pas. Chadia, une autre cooperante francaise, appelle a
son tour ; elle habite a cote du Muqata'a (le quartier general d'Arafat) et
demande si elle peut elle aussi venir squatter. Vers 18h, nous nous
retrouvons donc tous les quatre, Anais, Vincent, Chadia et moi, dans mon
appartement, et nous nous installons.

19h30.
Ann, ma chef, m'appelle. L'armee israelienne a prevenu les services
consulaires et internationaux que l'attaque sur Ramallah est imminente.
Certains consulats ont annonce qu'ils ne pourraient plus offrir de services
a leurs ressortissants une fois que l'invasion aura commence. Ann a donc
decide d'evacuer, la, maintenant, tout de suite, de nuit et par la route
des colonies. Je refuse categoriquement, je me sens plus en securite chez
moi avec eventuellement des chars qui se baladent dans ma rue que de nuit
sur la route des colonies, croisant des chars qui entrent dans Ramallah au
moment ou je m'en vais. On se reinstalle donc, tous les quatre, plus Myriam
et Micael, les voisins d'en face, qui viennent boire un pot et bavarder un
peu.

21h.
Claude, la maman de Myriam, que nous avons prevenue d'une attaque
imminente, telephone. Il a effectivement eu une attaque, mais c'etat une
attaque palestinienne contre une colonie pres de Naplouse. Le monde a
l'envers ... Myriam et Micael rentrent chez eux, et nous allons nous
coucher en attendant la suite.

Vendredi matin.
Apres une nuit extremement calme durant laquelle nous avons dormi comme des
souches, nous apprenons que l'armee israelienne a effectivement envahi
Ramallah durant la nuit et occupent toute la ville. Ils ont detruit le mur
d'enceinte du Muqata'a et commencent a entrer dans le complexe lui-meme. Le
telephone se met a sonner, entre ceux qui prennent et ceux qui donnent des
nouvelles. Le quartier reste par ailleurs extremement calme ; on entend a
peine quelques bruits de tirs au loin.

9h.
Plus d'electricite. Donc plus d'ordinateurs (il faut economiser les
batteries), plus d'internet, plus d'infos. Heureusement Vincent a une
radio-walkman avec des piles que nous economisons egalement. Nous lancons
egalement une operation "economisez les batteries de vos telephones
portables" au cas ou la ligne fixe serait coupee. On papote, on fait la
cuisine ; plus de four, plus de frigo, plus de micro-ondes, plus de robot
non plus, pratique pour faire la puree de feves qui trempent depuis la
veille, mais on y arrive quand meme - heureusement que la bouteille de gaz
de la cuisiniere est neuve.

Myriam et Micael reviennent en debut d'apres-midi ; on papote encore, on
joue aux cartes, en se demandant comment on va bien pouvoir s'occuper a la
bougie quand il fera nuit.
Pendant ce temps, le telephone sonne sans cesse. Divers appels, dont
plusieurs de nos consulats respectifs qui prennent des nouvelles et
verifient les contacts de leurs ressortissants, interrompant les parties de
cartes enragees. La grand-mere d'une amie de Chadia, une vieille dame
francaise mariee a un Palestinien, s'affole au telephone : la derniere fois
que le consulat de France l'a appelee, c'etait en 1967, alors cette
fois-ci, ca doit etre grave ... Nous apprenons aussi que la priere a la
mosquee al-Aqsa s'est terminee en bataille rangee, et qu'il y a une autre
"amaliyeh", une bombe dans un supermarche a Jerusalem. Diana, la voisine de
Chadia, telephone aussi d'el-Bireh : les militaires ont commence a fouiller
les maisons ; elle ne sait pas s'ils sont entres dans la maison de Chadia,
mais elle est sure qu'ils ont deja occupe l'immeuble des proprietaires et
installe des snipers sur le toit. 17h30, Myriam et Micael rentrent chez
eux, et nous commencons a allumer des bougies.

19h.
Il fait nuit. On entend quelques coups de feu tellement proches qu'ils font
trembler les portes, puis une ambulance. Nous decouvrons alors que les
Israeliens ont installe depuis le matin des snipers dans l'immeuble en
construction qui se trouve a 50m du notre, sur le meme trottoir. Notre
voisine du quatrieme etage etait allee dans sa cuisine pour preparer a
manger pour sa fille, et s'est pris une balle dans le bras. Elle n'a eu
qu'une grosse eraflure, mais elle a du avoir la trouille de sa vie. Le
Croissant-Rouge envoie une ambulance pour la soigner, ils se croisent sur
notre palier et viennent la panser dans notre appartement pour etre a
couvert. Nous allumons donc quelques bougies de plus. Les ambulanciers nous
apprennent qu'il y a eu 6 morts et 60 blesses dans la journee. Ils avaient
l'air epuises, debordes, et passablement depasses par les evenements ;
d'ailleurs ils ont du partir en courant apres un coup de fil qui leur
signalait un autre blesse dans le centre-ville, non sans nous avoir laisse
quelques pansements et bandages de reserves a la demande de la proprietaire.
Les voisins des etages superieurs ont alors decide de descendre chez nous a
l'entresol, et ont fini par s'installer chez Rania, la voisine du
rez-de-chaussee, qui etait seule chez elle, car nos appartements sont a
l'abri dans la mesure ou nous n'avons pas de vue sur la rue et que nos
fenetres ne sont pas accessibles aux snipers israeliens de l'immeuble
voisin. Nous nous somes donc rassis dans le salon pour grignoter un
sandwich, puis, apres avoir entendu des tirs repetes dans la rue, nous
sommes alles nous asseoir dans la chambre du fond en attendant que ca se
passe.

21h.
Claude nous telephone encore. Les militaires sont chez eux. Ils ont defonce
la porte de l'immeuble en lachant une rafale dans la serrure, puis fracasse
les portes des appartements de la meme maniere, sans se soucier de la
presence eventuelle des habitants a l'interieur. Elle est en train de
parlementer avec eux, mais elle a tenu a nous appeler pour nous dire de
nous tenir prets. Nous preparons donc nos passeports en attendant qu'ils
viennent. Myriam rappelle quelques instants plus tard : les militaires sont
en train de s'installer dans leur immeuble ; ils ont regroupe tous ls
voisins au rez-de-chaussee, seule la famille francaise a le privilege de
garder son appartement. Peut-etre alors qu'ils ne viendront pas chez nous.
A tout prendre, nous descendons quand meme prevenir les voisins, pour
eviter qu'ils ne se trouvent derriere la porte au moment ou les militaires
feraient exploser la serrure. 21h20, on entend tambouriner a la porte de
l'immeuble et crier en Hebreu. Nous nous precipitons et crions en Anglais
que nous venons ouvrir. Une fois que nous sommes surs qu'ils nous ont
entendus, nous ouvrons la porte, et nous retrouvons nez-a-nez avec 15
militaires qui nous mettent en joue. Nous leur disons immediatement que
nous sommes Francais et Canadiens, et que le proprietaire de l'immeuble est
Americain, et nous avons du insister pour qu'ils acceptent de croire que
nous etions de "veritables" etrangers et non pas des Palestiniens
binationaux. Cela dit, ils n'ont meme pas controle nos passeports, ils
avaient du etre echaudes par leur rencontre avec Claude qui ne s'etait pas
laissee faire. Ils sont ensuite montes dans les etages avec le proprietaire
qui a du leur porter une bougie alors qu'ils avaient des lampes de poche ;
il semblerait qu'ils voulaient simplement savoir sur qui ils avaient tire
quelques heures auparavant.
Quelques militaires sont restes sur notre palier pendant que nous
retournions dans l'appartement et quenous allumions quelques bougies
supplementaires. Le telephone sonnait sans cesse, ce qui les faisait
enrager. Chadia a du couper court a une conversation avec sa maman ; quant
a mon amie Line qui a telephone au mauvais moment, j'ai du lui repondre :
"Excuse-moi, je ne peux pas te parler la, je me fais envahir".
Puis les militaires sont redescendus et repartis. Nous avons bu un petit
remontant et retelephone a Claude pour prendre de leus nouvelles. Elle
avait parle au bureau de liaison de l'armee israelienne a Beit El pour
negocier avec eux. Les ordres etaient clairs : l'armee avait decide de
prendre ce batiment et le prendrait, Francais ou non, ils leur faisaient
deja une fleur en les laissant dans leur appartement. Claude a neanmoins
obtenu que les hommes puissent rester dans l'immeuble avec leurs familles
(les militaires comptaient les jeter a la rue), et tous les voisins se sont
retrouves enfermes dans le plus petit appartement au rez-de-chaussee,
pendant que les militaires s'installaient au troisieme etage.

Nous sommes enfin alles nous coucher, epuises, alors que nous nous
demandions quelques heures auparavant comment nous allions bien pouvoir
nous endormir apres une journee d'inaction totale. A minuit, le telephone a
encore sonne pour nous annoncer la tuile finale : Ann, ma chef, qui avait
une bronchite carabinee, s'est retrouvee a l'hopital a Jerusalem avec une
pneumonie. Un contact de moins avec le monde exterieur.

Ce qui nous a consternes durant cette journee, c'est le silence absolu des
instances internationales : pas une seule declaration europeenne ou
americaine, rien a l'ONU avant le soir ou ils ont commence a discuter ; la
seule declaration vaguement rassurante du cote israelien consistait a dire
qu'Arafat ne serait pas vise physiquement, ce qui ne nous a pas paru tres
convaincant, pendant qu'Arafat de son cote annoncait qu'il ne se rendrait
pas. Nous avons aussi appris le soir qu'il y aurait des negociations pour
nous retablir l'electricite dans Ramallah, ce qui nous a redonne un
semblant d'espoir, car nous avions deja brule 16 de nos 20 bougies durant
les evenements de la soiree.

Samedi matin.
Je me reveille tot, et j'entends des mouvements de chars. Je vais ouvrir
les volets du salon, et je vois par-dessus le mur qui me separe du jardin
d'a cote la tourelle d'un char qui passe. Je referme le volet aussitot, et
nous decretons qu'il faut le laisser ferme, car c'est la seule fenetre d'ou
on apercoit vaguement la rue. Le va-et-vient des chars s'est poursuivi
toute la journee, et quelques tirs sont venus s'y joindre, ainsi que
quelques obus tires depuis des helicopteres dans une direction
indeterminee. A un moment, Anais s'est retrouvee a quatre pattes dans la
cuisine a cause d'une rafale un peu trop proche. Cela dit, les environs
immediats de l'immeuble sont restes assez calmes aujourd'hui ; et les
bruits de combats que nous avons entendus demeuraient suffisement lointains
pour que nous puissions mener notre petite vie.
Comme il n'y avait toujours pas d'electricite, nous avons lance une grande
operation por sauver ce qui etait dans le frigo, a commencer par les oeufs,
et nous avons passe une bonne partie de la journee a faire des omelettes
aux legumes et des crepes. Le telephone a bien entendu continuer a sonner,
nous apprenant que Beit Jala a ete occupe dans la matinee, et que nos amis
de Bethleem, Naplouse et Gaza constituent a leur des stocks de vivres en
prevision d'une invasion prochaine. C'est aussi au telephone que nous avons
appris que l'immeuble Natcheh, dans lequel se trouve le Centre Culturel
Francais de Ramallah, a ete litteralement devaste par les combats entre le
shababs palestiniens qui s'y etaient refugies et les militaires israeliens.
On nous a parle egalement de la derniere resolution du Conseil de Securite
des Nations Unies, qui a ete consideree comme nulle et non avenue par le
gouvernement israelien ; de delegues europeens qui auraient apporte vivres
et batteries de telephone portables a Arafat, qui est confine aux deux
dernieres pieces qui n'avaient pas encore ete occupees dans le Muqata'a ;
et de la reaction internationale (enfin!) aux evenements de Ramallah :
manifestations a Paris, a Lyon, a Marseille et a Athenes, ainsi qu'au
Liban, en Egypte, en Libye et en Irak (parfois on se demande pourquoi les
Palestiniens ont des ennemis vu les copains qu'ils ont ...), declarations
de Chirac et de Vedrine, possibilite d'une rencontre de diplomates russes,
americains et francais avec Arafat - si les Israeliens les laissent y
aller, car Terje-Larsen, le representant de l'ONU en Palestine, n'a eu le
droit de ne rencontrer qu'Abu Mazen, alors que Jose Bove, qui s'est
retrouve volontairement coince a Ramallah, a encore fait un coup d'eclat en
rencontrant Arafat lui-meme.

Enfin, on nous a dit que dans le centre-ville d'el-Bireh, les militaires
ont appele au haut-parleur tous les hommes de 14 a 45 ans a sortir de chez
eux les mains en l'air, comme cela avait ete fait dans les camps de
refugies il y a quinze jours, et les ont sequestres dans une ecole, comme
d'habitude. Dans la serie des anecdotes sympathiques, nous entendons aussi
parler ds cinq membres de la Force 17, la garde personnelle d'Arafat, qui
ont ete retrouves abattus d'une balle dans la tete. Khaled, un autre garde
du corps d'Arafat, que Chadia connait parce qu'il prenait des cours de
Francais au Centre Culturel, a ete blesse dans le Muqata'a, evacue
plusieurs heures plus tard en ambulance une fois que les Israeliens ont
donne le feu vert, arrete dans son ambulance par les memes Israeliens,
emmene et torture, puis jete sur un bord de trottoir ou les habitants de la
rue ont enfin pu le ramasser et le soigner.

Dans l'apres-midi, les coups de fil se sont faits plus inquietants : les
parents d'Ibrahim, le mari de Diana (les voisins de Chadia) n'arrivent plus
a joindre leur fils, et appellent plusieurs fois Chadia pour lui demander
si elle a des nouvelles. Chadia telephone chez Ibrahim et Diana, pas de
reponse ; elle telephone chez elle, la ligne est occupee, alors que sa
maison est vide. Une heure plus tard, elle reussit a avoir Diana au bout du
fil : les militaires sont entres chez elle, les ont faits coucher par terre
son mari et elle, les ont interroges sur des hommes armes et ont saccage
leur appartement. Ils ont ensuite voulu emmener Diana parce qu'elle a un
passeport israelien et qu'elle n'a donc rien a faire a Ramallah, alors que
son mari est Palestinien ; mais Diana a refuse. Quand les militaires se
sont drigs vers la maison de Chadia, Diana leur a dit qu'elle avait les
cles, et que la maison appartenait a une Francaise, pour eviter qu'ils ne
defoncent la porte ; les militaires lui ont ri au nez. Ils ont donc defonce
la porte et devaste la maison de Chadia : Diana a filme apres leur depart
la tele par terre, les tiroirs renverses, la chaine hi-fi fracassee. Elle a
aussi dit que le camescope de Chadia, les cassettes et les bijoux avaient
disparu, et que la boite de chocolats que Chadia et elle avaient ouverte
jeudi apres-midi avait ete videe et apparemment mangee (!). Chadia compte
porter plainte a travers le consulat de France, peut-etre que cette
plainte-la va aboutir ? Vincent et Anais commecent a se faire du souci pour
leur appartement, qui n'est qu'a 300m d'ici, mais nous ne pouvons pas aller
voir. Tous les recits que nous avons entendus de militaires "visitant" des
appartements palestiniens concordent : les militaires israeliens se
comportent au mieux comme des vandales et au pire comme des bandits de
grand chemin, et se livrent au pillage pur et simple de Ramallah.

Cette journee nous a semble nettement plus calme que la veille, dans la
mesure ou moins d'evenements sont venus bouleverser notre existence. Nous
nous sommes meme couches de bonne humeur, apres un coup de fil d'un ami de
Vincent, durant lequel nous avons entendu moultes interferences : Vincent a
pu suivre une conversation en Hebreu et en Francais en plus de la sienne,
ce qui nous a faits beaucoup rire. Nous avons ensuite entendu les chars
monter et redescendre dans la rue, puis nous sommes alles nous coucher. La
nuit nous a semblee calme, car nous avons a nouveau dormi comme des
souches, a l'exception de Chadia qui a entendu des tirs avant de s'endormir
a son tour.

Dimanche matin.
Nous nous reveillons au son d'une rafale. Toujours pas d'electricite. Nous
prenons le petit dejeuner, puis nous decidons de faire cuire le poisson qui
avait fini de fondre dans le congelateur, et nous nous retrouvons a manger
du poisson un dimanche de Paques - heureusement il y a la Paque orthodoxe
en Mai, et nous prevoyons a l'avance de manger de la viande pour le
Vendredi Saint. Les nouvelles commencent a arriver au telephone : l'armee
israelienne serait entree dans la salle a manger d'Arafat, Marwan Barghouti
aurait disparu dans la nature, il y aurait eu des incursions a Jabalia et a
Hebron, et Naplouse et Bethleem sont encerclees. Les diplomates russes,
americains et francais n'ont pas rencontre Arafat. Il y aurait des Belges
et des Francais en Palestine qui se demandent pourquoi Jose Bove a pu
rencontrer Arafat alors que le reprensentant de l'Union Europeenne,
Moratinos, n'y arrive pas. D'autres infos nous ont faits rire, en revanche
: l'armee israelienne a pris la centrale d'emission d'al-Watan, la
television nationale palestinienne, a interrompu les programmes habituels
et diffuse des films pornos a la place. Je propose donc comme prochaine
"amaliyeh" de prendre les bureaux de la tele israelienne et de leur passer
quelques heures de Coran lu par Ahmad Yassine, pour leur demander l'effet
que ca fait. Et George W. Bush a encore fait preuve ce matin de sa lucidite
habituelle en disant qu'Arafat devait prendre des mesures contre les
terroristes : c'est sur que s'il a des militaires israeliens dans son
salon, il devrait reussir a arreter tous les militants du Hamas dans la
minute.

La seule bonne nouvelle du jour, c'est que l'electricite est ENFIN revenue,
ce qui nous a permis de nous livrer a une explosion de joie, de recharger
les batteries de nos portables, de nous connecter a Internet et d'allumer
le chauffage et le chauffe-eau, parce que dans tout ca j'ai oublie de
preciser qu'il fait un froid de canard. Et c'est clair que de ne plus etre
dans le noir ce soir, ca nous fait un bien fou. A part ca, les nouvelles de
la journee n'ont pas ete franchement rejouissantes : attentat a Haifa, avec
quinze morts au moins, et encore un attentat a Gush Etzion, une colonie
proche de Bethleem. Sachant que pour chaque attentat nous ajoutons une
semaine d'occupation, nous commencons a nous dire que les vivres vont nous
manquer, parce que nous n'en avions prevu que pour deux semaines au depart.
Les chars continuent a monter et descendre la rue. Encore 6 membres de la
Force 17 retrouves avec une balle dans la tete. Ramallah est declaree zone
militaire fermee, avec ordre aux journalistes et aux etrangers de quitter
la ville - quant a la question de savoir comment nous allons partir, c'est
un autre probleme : a moins de nous teleporter, je ne vois pas comment nous
allons faire ; d'ailleurs un journaliste americain qui s'est risque dans la
rue aujourd'hui s'est retrouve a l'hopital. Le poste de police en face de
chez mon amie Naela aurait ete detruit. Et pour finir, Sharon fait un
discours ou il declare Arafat ennemi du genre humain, et decide de deporter
manu militari tous les etrangers non-residents de Ramallah - en clair, il
veut virer Jose Bove et sa bande qui se sont installes chez Arafat ce matin
et qui ont declare qu'ils ne partiraient pas ; cela dit quelques instants
apres le discours, 12 d'entre eux etaient arretes et seraient expedies avec
armes et bagages, direction l'aeroport. Semi-bonne nouvelle aussi, il
semblerait que les militaires sont repartis de l'immeuble de Claude (ouf !)
pour s'installer dans l'immeuble d'en face (flute !).

Cote international, ca n'a pas l'air d'avancer beaucoup : bruler des
synagogues en France, ca ne fait pas beaucoup avancer le probleme ; les
Etats-Unis soutiennent toujours Israel, mais la Jordanie menacerait de
couper les ponts avec Israel si ca continue comme ca, et il y aurait
quelques pays (dont la Grece, j'ai toujours dit que c'etait des gens bien)
qui parlent de genocide. Apparemment, il y a de quoi, puisque nous venons
d'entendre parler de trente membres des forces de securite palestiniennes
qui auraient ete arretes et executes sommairement a 500m de chez nous, a
confirmer. Et sans parler des descriptions qu'on nous a faites de Ramallah,
par des gens qui ont la tele ou qui ont tout betement vue sur le rue, et
des photos qu'on a vues sur Internet : la ville toute entiere a ete
devastee, tout simplement.

Il y a trois jours, Anais nous racontait un sketch qui avait ete monte par
le theatre al-Kasaba a Ramallah au debut de l'Intifada. C'est l'histoire
d'un Palestinien de Ramallah qui parle au telephone avec ses cousins aux
Etats-Unis et qui raconte les evenements, et il termine chaque phrase par
"Alhamdulillah, kullu tamam", autrement dit "Dieu merci, tout va bien". La
conversation avance donc "Et Untel, comment va-t-il ? - Oh, il est mort le
pauvre, mais il est bien mort, alhamdulillah kullu tamam. - Et Unetelle,
comment va-t-elle ? - Oh, elle est morte elle aussi, mais elle est bien
morte, alhamdulillah kullu tamam - (On entend un gros boum) Et la que se
passe-t-il ? - Oh, c'est un missile qui vient de traverser le mur du salon,
mais alhamulillah kullu tamam."
Que pouvons-nous dire d'autre alors pour conclure ? Alhamdulillah kullu
tamam.

Vincent, Anais, Chadia et Theo