Lettre Ouverte à Herman De Croo, Expulseur

Lettre ouverte à Herman De Croo, expulseur

Monsieur l'expulseur,

Dans sa futilité, le prétexte vestimentaire que vous avez invoqué pour expulser Vincent Decroly de la Chambre le 28 mars est hautement révélateur de votre conception de la "démocratie": une représentation costumée dont nul ne peut venir troubler le rituel ronronnant, pas même en arborant une casquette où il fait écrit qu'un "autre monde est possible".

Vous n'êtes pourtant pas allergique à toutes les variétés de casquettes: celle de votre grand ami Mobutu Sese Seko ne vous a jamais incommodée, pas plus que celles des généraux américains pendant la guerre du Vietnam, ou celles des colonels grecs au temps de la dictature. Sans oublier celles des gendarmes qui ont assassiné Sémira Adamu (à propos: comptez-vous introduire aussi l'usage du coussin à la Chambre?).

Que je sache, les nostalgiques de la casquette fasciste, qui déversent leurs immondices idéologiques devant vous à longueur de débat, ne vous ont pas encore fait sortir de vos gonds. Vous ne trouvez rien à redire non plus aux apparatchiks qui empochent tranquillement les dividendes de leurs doubles, de leurs triples casquettes.

Casquettes royales, casquettes dictatoriales, casquettes kaki, casquettes vert-de-gris, casquettes de tourneurs-de-veste: vous aimez les couvre-Chefs, l'ordre établi. C'est votre ordre, c'est votre monde.

Inhérente à votre conception de la "politique", la mise en scène cynique ne vous dérange pas. Vous ne trouvez rien à redire lorsque des présidents de parti et des ministres, exécutants zélés du néolibéralisme capitaliste, se déguisent en altermondialistes de carnaval le temps de se faire prendre en photo à Porto Alegre. Mais malheur au simple député qui, du haut de la tribune de la Chambre, a l'honnêteté de montrer le fossé entre les images et les actes!

Une brave casquette altermondialiste a refusé de s'incliner devant vous, et vous avez "pété les plombs". En fait, c'est une preuve de faiblesse. Auriez-vous peur, Monsieur de Croo? Qu'avez-vous vu derrière Decroly? Les soixante mille manifestants de Seattle, les deux cent mille de Gênes, les trois cent mille de Barcelone, les deux millions de Rome? Elle monte, elle monte, la petite bête de la contestation, n'est-ce pas?

Elle monte malgré les menaces, la répression, et la guerre. Elle monte malgré les tentatives de récupération. Elle monte parce qu'un AUTRE monde est possible, Monsieur De Croo. Et une autre (manière de faire de la) politique. Et même un autre parlement.

Comprenez-vous cela, Monsieur l'expulseur? Non, vous ne pouvez pas comprendre, parce que la galère de la vraie vie, vous ne savez même pas ce que c'est. Vous l'expliquer serait aussi vain que de tenter d'amener au repentir les assassins de Carlo Giuliani, et leurs chefs. Ce monde se fera sans vous, et contre vous.

Ce jeudi 28 mars, la mondialisation de nos résistances est entrée à la Chambre, elle en a été expulsée aussi sec. Roulez casquettes, le combat continue. Et chapeau pour Decroly!

Alain Tondeur

arch/ive/ief (2000 - 2005)