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Privatisation : Interview d'un docteur en économie
by Fico Monday March 25, 2002 at 10:16 PM
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Entrevue avec Henry Houben, docteur en économie et membre du secrétariat d'Attack Bruxelles.

# Comment interprétez-vous le processus de privatisation au niveau mondial?

C'est un processus qui vient de plusieurs origines.
D'un côté, il y avait la question de la crise économique qui a réduit les profits et les taux de profits des entreprises et de ceux qui en profitent, c'est à dire, les dirigeants. Les privatisations viennent du fait qu'ils veulent mettre la main sur des secteurs ou même des entreprises qui peuvent être extrêmement rentables, par exemple les télécommunications en général mêmes publiques car cela rapporte assez d'argent.
Le deuxième élément, ce sont les changements technologiques qui permettent, d'abord d'augmenter la productivité et donc les profits et ensuite, qui peuvent changer la donne.
Le troisième élément, c'est la libéralisation au niveau international pour essayer d'ouvrir le plus possible toutes les frontières, tous les pays aux marchandises, aux capitaux ce qui veut dire que par exemple, toute une série de services qui étaient rendus au niveau national le seront de plus en plus à l'international. Comme ce sont des marchés qui commencent à naître, il y a des secteurs qui permettent des taux de profit extrêmement élevés.
En fait, grosso modo, c'est une stratégie développée par les capitalistes pour augmenter leur profits.

# Et au niveau européen?

Un des principaux moteur de la privatisation, ça a été la table ronde des industriels européens. Celle-ci regroupe une petite cinquantaine des plus grands présidents des plus grandes multinationales en Europe dont : Renault, Bayer, Nestlè, Fiat, Philips, Siemens etc. Leurs buts premiers était de re- dynamiser la construction européenne, ce qui avait deux aspect.
D'une part c'était l'intention de créer un marché intérieur et ils affirmaient que cela leur permettrait d'avoir un marché plus grand que les différend pays séparés. Et c'est dans ce cadre là, qu'ils voulaient développer les infrastructures au niveau européen de manière générale.
Un autre aspect est que, globalement, si on crée des infrastructures au niveau européen, on favorise l'ensemble des entreprises. Par exemple un réseaux de télécommunication européens, il sera plus facile pour les entreprises de faire du profit tout en assurant un niveau de compétitivité des télécommunications nationaux.
L'ERT a lancé ce mouvement là et lorsque Jacques Delors est arrivé à la commission européenne en '85, il a repris en grande partie, tout les projets de l'ERT, à commencer par le marché intérieur et la question de l'infrastructure, il a repris dans son livre blanc pour la croissance, la compétitivité et l'emploi en '93. Dans lequel, il reprenait cette proposition de développer les infrastructures notamment en télécommunication , transports, etc. et de le faire par un double financement. Un public, et un privé, donc ça voulait dire qu'il voulait associer directement le privé. Sur ce plan là, cette initiative lancée en '93 était plutôt un échec. Par exemple, l'affaire Eurotunnel, qui était essentiellement financée par le privé et qui a débouchée sur une catastrophe financière.
Le point central après cela, ça a été le sommet de Lisbonne, sommet normalement centré sur l'emploi mais ils en ont fait un sommet sur la compétitivité. Dans ce cadre là, ils ont insisté sur la création d'infrastructures au niveau global, européen pour une libéralisation, une privatisation la plus globale que possible. Sont cités nommément dans le processus de Lisbonne : Le transport, les télécommunications, les postes et l'énergie.

# Et au niveau belge? La Sabena, la Poste, Belgacom, la SNCB?

Ce sont des orientations qui sont impulsées au niveau européen. Au niveau des télécommunications, c'est clair qu'il y a une politique bien définie d'aller vers une libéralisation totale, ce qui est déjà. Pour le transport aérien, ils veulent la libéralisation complète d'ici 2004. La conséquence de créer un marché européen au niveau du transport aérien est que, avant, il y avait 15 compagnies nationales et à partir du moment où elle ne sont plus publiques, elle sont livrées à la concurrence les unes par rapport aux autres, ce sont les plus forts qui l'emportent et les plus faibles restent sur le carreau. De ce point de vue là, la Sabena s'est avérée une des plus faibles mais elle ne vas pas être la seule, Swiss - air n'est pas bien non plus. Donc il va y avoir encore d'autres cadavres de ce style.
Le but de la commission européenne, c'est de créer officiellement trois où quatre compagnies européennes privées qui sont capables de rivaliser avec les grandes compagnies américaines qui dominent le marché non seulement américain, mais transatlantique. C'est donc d'instaurer un monopole privé.

# Concrètement, quels sont les impacts de la privatisation sur les travailleurs?

Une des conséquences est qu'ils perdent leur statut public, ce qui leur donnait des garanties au niveau de l'emploi et leur assurait une certaine stabilité, perspective à propos de leur pension, etc. . Ils vont la perdre, parce qu'évidemment ils vont êtres confrontés à la concurrence et si une entreprise fait faillite, ils seront dehors.
Une autre conséquence est que leur type de travail va probablement changer. Beaucoup de ces travaux étaient liés au fait qu'il fallait une certaine administration pour pouvoir gérer ces entreprises. Le fait qu'elles deviennent privées veut dire que tous les services qui ne sont pas directement liés à la rentabilité de l'entreprise vont être supprimés. Donc, beaucoup de gens qui étaient dans un service public, de type administratif par exemple, qui vont se retrouver dans un service commercial., de services à la clientèle où il vont devoir travailler beaucoup plus. Cela veut dire immédiatement, qu'il va y avoir une augmentation du stress, car on le voit dans les enquêtes, et il y a des gens qui ne sont pas à même de supporter cela et elles en viennent au suicide.
Au niveau des salaires, par exemple avec un service comme la Sabena qui depuis 1981, est soumis à la concurrence, et donc il y a eût des plans de restructurations salariales assez importants.

# Et au niveau des usagers ?

En général, on raconte que ce sont eux qui vont êtres les grands gagnants de la privatisation car, soi-disant, la concurrence va faire baisser les prix. En réalité, on constate les choses suivantes :
1. La baisse des prix ne porte pas sur l'ensemble des services qui sont offerts mais sur des services généralement biens spécifiques. Donc par exemple, au niveau des télécommunications, la baisse des tarifs elle n'est pas générale, elle est assez faible sur les communications directes, que la majorité des gens utilisent. Par contre, elle est très importante sur les communications internationales car ceux qui y ont un intérêt, ce sont les grandes entreprises. Un des points positifs, est que cela permet de développer Internet. Mais à part ça, les avantages, c'est surtout pour les grandes entreprises et relativement peu pour les particuliers. Car il y a une mystification comme quoi les usagers vont en bénéficier de manière importante.
2. C'est en fonction de la rentabilité d'une activité qu'elle va être maintenue. Si elle n'est plus rentable, elle n'est plus maintenue. Prenons un exemple imaginaire : la ligne de chemin de fer dans un cadre privatisé entre Arbon et Arlon n'est plus rentable et donc elle disparaît. Donc les utilisateurs, tant pis, il doivent utiliser un nouveau moyen de transport. Et on a déjà le cas maintenant, par exemple au niveau de la poste française, qui est toujours publique à ma connaissance, mais qui est en privatisation et donc est en restructuration. La poste française refuse, aujourd'hui, de servir des gens qui se trouvent dans des communes assez éloignées et c'est l'administration communale qui est obligée de suppléer à la Poste. On risque donc d'avoir des choses pareilles. C'est à dire qu'un certain nombre de services qui étaient rendus dans le sens d'un service public permettaient un accès facile, rapide et très bon marché voir même gratuit pour la population. Tout cela va commencer à être payant, pas rendu car se sont les pouvoirs publics qui vont devoir les gérer. A ce moment là, les dépenses de ces pouvoirs publics vont augmenter, et cela va exiger de nouveaux efforts de la part de la population.
Globalement, c'est très mauvais pour les travailleurs mais ce n'est pas très bon non plus pour les usagers. Surtout, pour les usagers les plus démunis.

# Concrètement, qu'est ce qui peut-être entrepris pour lutter contre les privatisations?

La première chose, c'est que tous les travailleurs des services publics doivent lutter où cela est possible.
La deuxième chose, c'est qu'il faudrait lier de plus en plus les luttes. Entre secteurs mais également à travers tous les services publics. Ce qui se passe dans les chemins de fer devraient concerner directement ce qui se passe dans les transports aériens, dans les postes et même dans l'enseignement car il y a aussi des parties qui risquent d'être privatisées ainsi que dans le secteur de la santé.
Le troisième point, c'est que, comme c'est une politique menée au niveau européen, il faut essayer de prendre des contacts au niveau européen également. Pour que le combat d'Air- France ne soit pas qu'un combat en France, que le combat de la SNCB ne soit pas un combat purement belge . Bref, il faut européaniser et populariser la lutte.
Le quatrième élément c'est qu'il faut lier la question des travailleurs et des usagers car l'avantage des services publics c'est qu'ils concernent directement les gens et les usagers. Il faut donc un lien des travailleurs qui disent : "nos conditions de travail vont se dégrader, nous risquons de perdre notre emploi, et c'est pour cela que nous nous battons pour le service public mais en même temps, nous défendons le service public pour les usagers pour qu'ils aient un accès facile, rapide, bon marché voir gratuit." Donc il faut faire un lien entre les deux et il faudrait une mobilisation générale autour des services publics car cela nous concerne tous.
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