Privatisation : Interview d'un journaliste de la RTBF by Fico Monday March 25, 2002 at 04:32 AM |
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Entrevue avec Gérard de Sélys, journaliste à la RTBF et auteur de plusieurs ouvrages, dont notamment "privé de public" qui traite du processus de privatisation jusqu'en 1996.
# Quelle est la différence entre un service public et une entreprise privée ?
La principale différence c'est qu'un service public ne peut pas faire faillite. Donc il peut fournir ses services en continu et l'usager n'a pas à craindre une faillite. Alors que, on a vu dernièrement avec la Sabena que les entreprises privées peuvent faire faillite et donc déposséder le public d'une partie de ses services.
# Et en qualité, quelle est la différence ?
Le service public a une mission qui est de s'adapter aux besoins de l'usager quel qu'il soit alors que le service privé, lui, ne tient compte que des usagers qui sont fortunés, car il essaye de faire le plus de profit possible.
Donc l'entreprise privée va favoriser ses clients fortunés qui sont solvables et qui peuvent acheter de plus en plus, tandis qu'elle laisse tomber tous les usagers qui sont les plus faibles. On voit maintenant avec les banques qu'elles ne sont plus intéressées par les gens qui sont au CPAS ou qui touchent le chômage et donc elles ferment leurs comptes. Donc là, c'est vraiment une catastrophe pour les petits usagers, donc les clients faibles. Ces banques ferment des guichets pour ouvrir des bureaux de consultation dans lesquels elles reçoivent des clients qui ont beaucoup d'argent à placer.
Là, il y a une nette différence.
# Dans votre livre, vous qualifiez la privatisation comme étant un coup d'état. Pourquoi ?
Parce que les moyens qu'ont utilisés, aussi bien le fond monétaire international et la banque mondiale dans le monde, que la commission européenne et la législation européenne en Europe, sont tout à fait obscurs, c'est à dire que cela s'est passé dans l'ombre et que cela a souvent été complètement contraire aux constitutions des États membres et que cela est toujours contraire. Prenez l'exemple de la constitution française qui protège et qui spécifie ce que sont les services publics français. Or, la législation française applique aujourd'hui les directives européennes sur le territoire français qui sont en contradiction avec la constitution.
Donc, c'est un véritable coup d'état dans la mesure où personne ne réagit, où les riches s'approprient les biens des pauvres, sans même que les pauvres soient mis au courant. Par exemple, une chose qui est remarquable, en mal, c'est que, sur le plan européen, qu'on appelle une démocratie, le législatif européen, se sont 15 ministres qui se réunissent à huis clos, donc à toutes portes fermées, sans témoins, et qui décident de toute la politique législative européenne. Ils sont 15, enfermés dans un local, ce qui est tout à fait contraire au travail parlementaire classique, dit démocratique. Un parlement siège devant le public, celui-ci a accès aux débats parlementaires, ses travaux sont rendus publics, on sait qui a voté quoi. Tandis que pour l'union européenne, on ne sait pas. C'est une oligarchie, cela s'apparente plus à une dictature qu'a une démocratie.
# Au niveau européen, la privatisation semble être une priorité. Qui a lancé ce vaste projet et pourquoi ?
Cela à été concomitant, c'est à dire que dans les années '80, quand les patronats mondiaux se sont rendus compte qu'ils avaient besoin d'argent pour financer leur guerre concurrentielle entre les trois grands pôles industriels du monde, c'est à dire Amérique du nord, Asie du sud-est et Europe, ils ont fait des pressions respectives sur les mondes politiques pour les pousser à vendre ce qui était le plus rentable dans les services publics. Il faut savoir qu'a l'époque, par exemple, tout les réseaux téléphoniques du monde étaient des entreprises publiques qui généraient d'énormes bénéfices. Ceux-ci entraient dans les poches de l'état et donc échappaient au secteur privé. Le secteur privé avait besoin d'argent donc il a décidé de mettre la pression pour mettre ses entreprises dans leurs poches et bien sûr leurs bénéfices.
# Dans votre livre, vous parlez de l'ERT, la table ronde européenne des industriels. Quelle est cette organisation, son rôle, ses origines?
La table ronde européenne des industriels a été créée en 1982 par le président directeur général de Volvo. En 1983, l'ERT a été officialisée à Paris en présence des ministres de François Mitterrand et de nombreux commissaires européens.
Son rôle, à l'époque, maintenant elle s'en cache, c'était d'influencer directement la commission européenne. Pas influencer, pas aller trouver la commission européenne en disant :"il faudrait que vous fassiez ça", mais travailler avec. C'est à dire que les spécialistes de l'ERT, donc des juristes, des ingénieurs travaillaient avec les juristes de la commission européenne pour élaborer la loi européenne, donc vraiment au profit des industriels. On peut voir dans l'histoire européenne depuis 1983, qu'il y a un grand nombre de directives qui ont étés littéralement écrites par les patrons et entérinées, c'est à dire votées par les ministres mais ce sont les patrons qui les ont écrites. Donc cela, c'est aussi un complot, dans la mesure où il n'y a aucune transparence, aucun contrôle démocratique et que tout le monde ignore ce processus.
# Quels secteurs sont aujourd'hui menacés par la privatisation?
Tout!!! tous les secteurs.
On parle souvent de la poste et des chemins de fer puisque la loi du 21 Mars 1991, qui est en Belgique la transposition d'une directive concernant les entreprises publiques de communication donc touchant les téléphones, les chemins de fer, le courrier, etc. bref, tout ce qui communique prépare leur privatisation.
Donc cela, c'est en cours avec des dates limites. On sait qu'en 2003, les chemins de fer devront subir de telles transformations, on parle de libéralisation mais cela veut dire privatisation. Les postes, c'est en 2008 qu'elles seront totalement privatisées, etc. .
Mais quand je dis tout, ça veut dire aussi la police par exemple. On en est aujourd'hui, par exemple en ce qui concerne le FOREM, qui s'occupe des chômeurs en Belgique, il est en pleine libéralisation, c'est à dire qu'on va privatiser l'aide aux chômeurs, le payement des chômeurs, le placement des chômeurs, leur gestion et puis on va en arriver, tôt ou tard, à la même chose pour la police. Pourquoi? Parce que il y a plein de sociétés de gardiennage qui font le travail de la police. Et puis, un jour, il va se passer ce qui c'est passé pour le FOREM, la cour de justice européenne va dire :"il faut mettre les police nationales en concurrence avec les polices privées car c'est de la concurrence déloyale d'entretenir une police publique et donc il faut libéraliser". Et donc, il y aura une police privée comme il y a déjà des morceaux d'armées privées dans le monde composées de mercenaires. Et donc, on en arrive vraiment aujourd'hui, à un retour aux 15ème, 16ème, 17ème, 18ème Siècles.
En matière de perception de l'impôt, on en arrive aux grands fermiers français d'avant la révolution française. Aujourd'hui, en Grande Bretagne, des sociétés privées collectent l'impôt en prélevant une part, pour le moment, c'est 10% mais cela pourrait être plus. Donc, elles vont chercher 100F chez quelqu'un, elles gardent 10F et elles versent 90F à l'état, et pour celui-ci, s'est déjà une perte de 10F. En plus, ces sociétés pourraient très bien tricher, ce que faisaient les grands fermiers à l'époque pré-révolutionnaire française.
Quand on voit qu'on privatise les prisons au États-Unis, qu'on commence à le faire en Grande Bretagne et qu'on en parle sur le continent européen, c'est dramatique!! Car qu'est-ce que c'est une prison rentable? C'est une prison dans laquelle les prisonniers travaillent pour rien. Donc ce sont des esclaves. Là encore, on en revient à l'époque romaine, au moyen âge et c'est une véritable catastrophe!!
Mais ils l'ont bien dit eux-mêmes, dans des textes déjà anciens qu'ils veulent TOUT privatiser! Tout, tout, tout!
# Quelles sont les conséquences de la privatisation pour les travailleurs ?
La première chose, c'est les pertes d'emplois. Il y a des centaines de millions de travailleurs des services publics encore aujourd'hui dans le monde.
Dans les services publics qui ont déjà été privatisés, la première chose qui se passe, c'est un dégraissage, comme ils disent. C'est à dire qu'on chasse des travailleurs pour augmenter la productivité de ceux qui restent. Si on chasse la moitié des travailleurs d'une entreprise, la moitié qui reste devra travailler deux fois plus pour faire le même travail. Cela veut dire à terme, que s'ils réussissent à tout privatiser, des centaines de millions de pertes d'emploi dans le monde, des centaines de millions de gens qui vont tomber dans la pauvreté et donc même pour le système capitaliste, devenant pauvres, ne seront plus solvables, ne pourront plus acheter de biens, ni de produits, ni de services. Donc le capitalisme va tomber dans une crise encore plus grave qu'aujourd'hui et se battre et devenir encore plus méchant. c'est donc un cercle sans fin et en termes purement capitalistes, c'est une absurdité. En terme social et socialiste, car je suis de tendance socialiste, ce n'est pas une absurdité, c'est une monstruosité, c'est un crime!!
# Et pour les usagers?
On le voit aujourd'hui concrètement. Toutes les promesses qu'on nous a faites dans les années '80 :"vous aurez de meilleurs services, vous payerez moins cher, ça ira plus vite". Tout ça, c'est faux : on paye plus cher, le service n'est pas meilleur. Par exemple, en ce qui concerne les bureaux de poste ou les gares que l'on ferme, on voit que le service se détériore. Donc c'est vraiment une perte totale pour l'usager.
# Quels sont les arguments prônés en faveur de la privatisation et qu'y répondez-vous?
C'est d'abord que les services publics coûtaient cher aux états, qu'ils étaient lourds et peu performants. En ce qui concerne leur cherté, en Belgique entre 1980 et 1985, l'état belge a dépensé la moitié de la dette publique pour soutenir directement et indirectement les entreprises privées. Donc les entreprises privées ont coûté plus cher que toutes les entreprises publiques belges sur ces 5 ans mais ça on ne le dit jamais! Donc le secteur privé coûte plus cher, il est moins rentable, moins performant que les entreprises publiques - quand on leur en donne les moyens. Il se fait que Belgacom avait un taux de croissance annuel bien supérieur à n'importe quelle entreprise belge à l'époque. Donc c'est un mensonge de dire que les services publics coûtent de l'argent à l'état car elles peuvent rapporter beaucoup d'argent. Il suffit de voir par exemple la faillite de la Sabena, le bureau du plan vient de remettre ses derniers chiffres, 6700 personnes foutues à la porte de la Sabena mais 17.000 personnes en plus qui tombent au chômage, ce sont toutes les entreprises qui travaillent autour pour. Ce sont plus de 20.000 personnes qui ne payent plus d'impôt à l'état, et c'est une perte sèche pour celui-ci. Cela a été calculé par le bureau du plan à hauteur de 33,5 milliards de francs belges, c'est gigantesque!!!
Donc venir dire que les entreprises publiques coûtent de l'argent c'est faux et dire le contraire pour les entreprises privées, c'est faux aussi.
# Concrètement, que peut-on faire pour lutter contre la privatisation ?
La première chose à faire c'est de dénoncer les effets de la privatisation, mais ça, c'était une tâche de bénédictin il y a dix ans car tout le monde se disait : "peut-être qu'ils ont raison, peut-être que c'est vrai que la privatisation va apporter du mieux". Maintenant, tous se rendent compte que la privatisation crée un mal que c'est un tort aussi bien pour les travailleurs que pour les usagers.
Aujourd'hui, il y a une conscience qui se répand chez les travailleurs des services publics, un peut partout dans le monde. Mais aussi chez ceux des entreprises privées car eux aussi souffrent de la disparition du service public. Ils en souffrent tout les jours comme usagers, dans leur vie quotidienne. Mais ils en souffrent aussi parce que leur propre entreprise est soumise à la même guerre concurrentielle, aux même réduction de personnel que dans le service public. On a là une prise de conscience d'une solidarité. On entretenait une division entre les travailleurs du public et ceux du privé. On disait au privé : "regardez ceux du public, ils sont assis le cul dans le beurre, ils foutent rien, ils ont de bons salaires, ils ont de bonnes pensions". C'est tout à fait faux, cela c'est complètement inversé. Les travailleurs du privé voient qu'ils sont sur le même plan que les travailleurs des services publics. Donc il y a une solidarité qui est en train de naître.
A mon avis le meilleur moyen de combattre les privatisations et de faire un mouvement inverse, c'est une mobilisation. Et elle est en train de se faire en ce qui concerne la mondialisation, on ne pouvait pas imaginer il y a dix ans , les centaines de milliers de personnes qui descendent dans les rues aujourd'hui pour réclamer autre chose que la mondialisation capitaliste et autre chose que les privatisations.