Le "consensus" de Monterrey, monstruosité capitaliste by Gérard de Sélys Wednesday March 20, 2002 at 06:35 PM |
La lecture attentive du « projet de conclusions et de décisions de la Conférence internationale sur le financement du développement » qui s'ouvre ce 20 mars au Mexique, dit « Consensus de Monterrey », donne froid dans le dos. C'est un monstrueux catalogue de mesures de colonisation du monde.
Le "consensus" de Monterrey, monstruosité capitaliste
La lecture attentive du « projet de conclusions et de décisions de la
Conférence internationale sur le financement du développement » qui s'ouvre
ce 20 mars au Mexique, dit « Consensus de Monterrey », donne froid dans le
dos. C'est un monstrueux catalogue de mesures de colonisation du monde.
Le texte, flanqué, on se demande pourquoi, de la mention « distribution
limitée », encourage la communauté internationale des Etats à « renforcer le
rôle de premier plan de l'ONU » et à revitaliser le « système des Nations
Unies, pilier central de l'action menée en vue de promouvoir la coopération
internationale pour le développement » ainsi qu'à « donner à l'Assemblée
générale (des Nations Unies) les moyens de maintenir sa position centrale en
tant que principal organe délibérant et représentatif de l'Organisation des
Nations Unies ». Fort bien. Mais force est de constater la marginalisation
croissante de la dite assemblée générale et la mise à l'écart systématique
des Nations Unies lorsqu'il s'agit de débattre (ou d'intervenir dans) des
grands problèmes mondiaux. Les représentants des Etats, à commencer par les
Etats riches, réunis à Monterrey seraient-ils disposés à effectuer un
volte-face aussi spectaculaire que déterminant pour l'avenir de la planète ?
Rien, pour l'heure, ne l'indique. Mais on comprend mieux ce souhait quand on
sait que le texte émane de l'Assemblée générale des Nations Unies.
Rien ne l'indique, d'autant plus que les 18 pages de ce texte, fortement
inspiré par les lobbies industriels et financiers des pays riches qui
hantent les couloirs des Nations Unies à New-York (et avant tout des lobbies
des Etats-Unis dont le gouvernement a déjà affirmé que ce texte devait être
adopté tel quel), sont truffées de résolutions contraires, faisant la part
belle au Fonds monétaire international (FMI), à la Banque mondiale (BM) et à
l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Autant d'institutions dénoncées à
l'heure actuelle pour l'opacité de leur fonctionnement et les résultats
socialement et économiquement catastrophiques qu'elles peuvent provoquer, la
dernière en date étant l'effondrement de l'Argentine orchestré par le FMI.
Le texte, qui ose commencer par « Nous chefs d'Etat et de gouvernement (…)
sommes résolus à tenter (sic) de résoudre le problème du financement du
développement dans le monde », dévoile rapidement son but essentiel (page 2)
: « promouvoir le commerce international en tant que moteur du développement
».
Prétextant erronément des « attaques terroristes du 11 septembre » pour
justifier l'aggravation du « ralentissement de l'économie mondiale », le «
consensus » affirme que « chaque pays est responsable au premier chef de son
propre développement » (c'est à dire sous développement) et préconise d' «
aider les pays à lutter contre la pauvreté par une utilisation judicieuse
des débouchés s'offrant au commerce et à l'investissement » .
Ne craignant pas de se contredire quelques lignes plus loin, il stipule en
effet que « les pays étant de plus en plus dépendants les uns des autres sur
le plan économique, il y a lieu d'adopter une conception globale des
problèmes nationaux », il attribue pour « mission essentielle » au concert
des nations (riches ?) la tâche de (page 3) « mobiliser l'épargne publique
» (des nations pauvres ?), d' « accroître la productivité », de « stimuler
le secteur privé et attirer l'investissement étranger », et préconise comme
« nécessaires » « des politiques fondées sur l'économie de marché », d' «
encourager l'initiative privée », d' « assurer le bon fonctionnement et le
dynamisme du secteur privé », de (page 4) « réaménager les dépenses
publiques sans supplanter l'investissement productif privé », d' «
encourager le développement ordonné des marchés financiers (…) y compris le
secteur de l'assurance et les marchés des actions et des titres d'emprunt,
d'encourager et de canaliser l'épargne et de favoriser les investissements
productifs » et de prendre des « mesures d'encouragement aux innovations
financières du secteur privé ».
Préconisant au passage la suppression d'une source importante de revenus en
devises fortes de nombreux pays (« il importe également de réduire le coût
des envois de fonds des travailleurs migrants dans leur pays »), le «
consensus » assène (page 5) que « les flux internationaux de capitaux
privés, en particulier les investissements étrangers directs, et la
stabilité financière internationale sont un appoint indispensable aux
efforts de développement (…) » et que « les investissements étrangers
directs », non seulement « contribuent au financement d'une croissance
économique soutenue à long terme » mais aussi «offrent la possibilité (…) de
développer la compétitivité et l'esprit d'entreprise ». Ce credo a déjà été
martelé ad nauseam depuis des années par toutes les organisations
patronales du monde à commencer par l'ICC (Chambre de commerce
internationale) et l'ERT (Table ronde européenne des industriels).
Rappelant l'indispensable « respect des droits de propriété » (fonciers,
commerciaux et intellectuels), le « consensus » préconise encore que « les
pays doivent continuer à s'efforcer de créer un cadre transparent, stable et
prévisible (qui permette) aux entreprises, nationales aussi bien (et
surtout) qu'internationales, d'exercer leurs activités de manière efficaces
et rentables ». Sans mentionner explicitement le détestable Accord
multilatéral sur les investissements (AMI), objet d'une campagne
internationale d'opposition depuis cinq ans, le consensus estime «
prioritaire » de (page 6) « protéger les investissements », de refuser « la
double imposition » et de promouvoir « la concurrence ».
Il serait par ailleurs « souhaitable », insiste le texte, « que les
institutions internationales et régionales appropriées (…) appuient
davantage les investissements étrangers privés consacrés à l'équipement et à
d'autres domaines prioritaires ».
Ainsi, les pays pauvres sont encouragés à faire construire et gérer leurs
écoles, leurs hôpitaux, leurs routes et autres « équipements » de base par
les « investissements étrangers ».
Parant à toute critique sur les risques (les intentions ouvertes ?) de
colonisation totale du monde par les entreprises privées (page 14 : « les
risques d'ordre moral »), le consensus « salue » « tous les efforts mis en
œuvre pour encourager le civisme dans les milieux d'affaires ».
Ceci fait, le « consensus » recommande « un système commercial non
discriminatoire », précise « notre engagement en faveur de la libéralisation
du commerce » et « salue » (encore une fois) « les décisions de
l'Organisation mondiale du commerce » (OMC), organisation qui interdit à
tout pays de protéger son marché intérieur pour nourrir décemment sa
population et assurer son propre développement.
Suit (page 7) un véritable catalogue de choses à faire et ne pas faire,
enjoignant les pays pauvres à se déculotter définitivement . A ne pas faire
: maintenir « les barrières commerciales, les subventions de nature à
fausser les échanges commerciaux (…) l'abus de mesures antidumping, des
barrières techniques et des mesures sanitaires et phytosanitaires ».
A faire, absolument : « libéralisation du commerce des produits manufacturés
à forte intensité de travail (pour protéger Nike et Levi's ?), la
libéralisation du commerce des produits agricoles (pour assurer l'écoulement
des produits agricoles excédentaires du Nord vers le Sud, tuant la
production vivrière locale ?), la libéralisation du commerce des services »
(tourisme, banque, assurance, pensions, santé, enseignement) et « la baisse
des tarifs douaniers et l'élimination de la progressivité des droits et les
barrières non tarifaires ».
Après avoir confié le sort des pays pauvres à l'OMC, le « consensus »
appelle le Fonds monétaire international (FMI) à (page 14) « redoubler
d'efforts pour améliorer la surveillance de toutes les économies ».
Faut-il rappeler la responsabilité écrasante du FMI dans l'actuel drame
argentin ? Faut-il rappeler qu'à la fin des années 1980, le FMI avait déjà
placé près de 80 pays sous ses « ajustements structurels » provoquant une
baisse de revenu par habitant de l'Afrique de 20% entre 1980 et 1993 et
l'augmentation du nombre de démunis de 17% (216 millions en 1992) sur ce
continent ?
Faut-il rappeler que l'Inde, endettée à hauteur de 60 milliards de dollars
en 1990, s'est vue contrainte par le FMI de rembourser sa dette au taux
annuel usuraire de 25% en imposant une baisse moyenne des salaires de 60%
et la multiplication par deux du prix du riz ?
Faut-il rappeler que la Côte d'Ivoire, contrainte par le FMI, en 1994, de
doper la vente de son bois tropical, connaît le taux de déforestation le
plus dramatique du monde et qu'il n'y subsiste aujourd'hui que 5% de la
couverture forestière de 1940 ?
Enfin, comble du cynisme, « invitant » (page 10) « les pays développés qui
ne l'ont pas encore fait à prendre des mesures concrètes pour atteindre les
objectifs consistant à consacrer 0,7% de leur produit national brut (PNB) à
l'aide publique au développement (APD) en faveur des pays en développement
», le « consensus » n'hésite pas à affirmer, sans vergogne, qu'on peut
reprendre d'une main ce qu'on a donné de l'autre. Ainsi (page 9), « l'APD
peut être un facteur majeur d'amélioration des conditions dans lesquelles se
déroulent les opérations du secteur privé ». Secteur privé du Nord, bien
entendu.
En conclusion, le « consensus » demande la convocation d'une « conférence
internationale de suivi » pour faire le point sur sa propre application,
précisant (page 18) que « les dispositions concernant cette conférence
seront arrêtées en 2005 au plus tard. » Dans trois ans.
Seattle, c'était il y a trois ans…
Gérard de Sélys (20 mars 2002)