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Débat éclairant sur l'avenir de la SNCB à Charleroi
by Marc Steelman Monday March 18, 2002 at 05:47 PM

Vendredi 8 mars, un débat public était organisé à Charleroi avec comme sujet l'avenir de la SNCB. Les principaux acteurs du dossier étaient présents : Isabelle Durant(Ecolo), Ministre de la Mobilité et des Transports ; les députés Chastel (PRL) et Depreter(PS) ; le vice-président de la SNCB Fontinoy et les dirigeants syndicaux Damilot (CGSP), Dalne (CSC) et Africano (SLFP). Un débat qui a tourné très longtemps sur la tribune, laissant fort peu la parole au public.

Débat éclairant sur l'avenir de la SNCB à Charleroi

Ce vendredi 8 mars, un débat public était organisé à Charleroi avec comme sujet l'avenir de la SNCB. Les principaux acteurs du dossier étaient présents : Isabelle Durant(Ecolo), Ministre de la Mobilité et des Transports ; les députés Chastel (PRL) et Depreter(PS) ; le vice-président de la SNCB Fontinoy et les dirigeants syndicaux Damilot (CGSP), Dalne (CSC) et Africano (SLFP). Un débat qui a tourné très longtemps sur la tribune, laissant fort peu la parole au public. L'objectif nettement perceptible étant de « rassurer » les cheminots sur leur avenir. Un sidérurgiste présent a cru se retrouver dans son entreprise : mêmes discours, même rengaine, même promesses jamais tenues.

Marc Steelman
12-03-2002

Une assemblée patronale
Ancien cheminot, travaillant depuis 25 ans pour Cockerill-Sambre (Usinor -Arcelor), j'ai été abasourdi en entendant les propos des « personnalités ». Je me serais cru dans une assemblée d'information patronale d'Arcelor. En effet, ayant travaillé comme poseur de voie, puis comme sidérurgiste, je peux comprendre le problème des cheminots et comprendre aussi le sort qui les attend. Il faut savoir que suite à la crise de 1974 en sidérurgie, l'Etat a injecté 200 milliards à Cockerill-Sambre et 200 milliards en Flandre (pour des raisons communautaires). Il était actionnaire à 98% de C-S. Nous étions pratiquement nationalisés. Tous les discours et les promesses qu'on serine aux cheminots, nous les avons déjà entendus. Pour imager, je vais prendre le calque de l'ex-Cockerill-Sambre et le poser sur le calque de la SNCB. Vous verrez que les dessins se chevauchent parfaitement.

Privatiser c'est privatiser !
En préambule, je dois mettre en évidence le point clé de toute cette affaire : La directive Européenne sur la libéralisation du transport est impérative (dixit Isabelle Durant). En clair : une directive Européenne est une Loi. Elle DOIT être appliquée. Et quand Durant répète à l'envi que la difficulté est de transposer cette directive dans le Droit Belge, elle cache le fait qu'il s'agit tout simplement d'écrire la directive sur la LIBERALISATION DES TRANSPORTS en Français et en Néerlandais. Point à la ligne. Tout le reste c'est du blabla et de l'enrobage pour dragées. Isabelle Durant confirme ce fait quand elle déclare : «Mon projet a reçu l'aval de la Commission». En effet, on voit mal l'Europe approuver un projet qui n'irait pas dans le sens de sa directive. Tout ce que Durant fait, c'est appliquer une stratégie de saucissonnage de la privatisation, de procéder par étapes afin de briser la résistance des cheminots et d'éviter les luttes. La même technique qui a été appliquée en sidérurgie. Le gouvernement travaille à la construction de cette Europe ultra-libérale de la dérégulation. Il est totalement d'accord avec la privatisation de tous les services publics. Son seul problème c'est la résistance des travailleurs. C'est ce veut dire Isabelle Durant quand elle déclare : «Il faut pouvoir anticiper, ne pas se mettre la tête dans le sable. On ne roule pas sur du velours, nous devons éviter les excès.»

Notre, votre, leur...mais sans vous
Les divers intervenants politiques ont beaucoup parlé de la SNCB mais pas du personnel de la SNCB. Isabelle Durant : «Améliorer la performance de NOTRE société de chemin de fer» ; «C'est un projet dans l'intérêt de l'entreprise» ; «Restructurer avec la SNCB, pas contre elle». Ce discours, les sidérurgistes l'ont entendu cent fois, et ils ont perdu 80% des emplois.

Le prive sera-t-il moins gourmand à la SNCB ?
Depreter (député PS) a déclaré : «Il a été fait référence au privé où les actionnaires exigent un return de 15% sur les investissements. Tous les économistes vous le diront, à long terme c'est intenable. A la SNCB, il suffira de garantir 5%» A bon ? Me voilà soulagé de constater que les capitalistes vont se précipiter pour investir dans une société qui leur fera perdre 10% de rendement sur leurs actions. Ce sont de vrais samaritains. Si vous en trouvez, demandez-leur de vite venir investir chez Arcelor. Ca nous permettra de soulager notre taux d'exploitation infernal. En sidérurgie, les actionnaires dits « institutionnels » exigent 15% de bénéfice quelque soient les résultats de l'entreprise ! C'est à dire qu'on leur paie les 15% même si la société fait des pertes. Mortel ! Bah, à la SNCB ce ne sera pas ainsi, faites confiance en vos représentants politiques.

A part ABX, on ne touchera plus à la structure de la SNCB ?
Isabelle Durant : «Il fallait recentrer la SNCB sur son métier de base» ; «Restructurer en se séparant de tout ce qui n'est pas ferroviaire» ; «Les 35.000 (du plan Horizon 2005) ce sont ceux qui assurent le service intégré. Les 42.000 est le total qui couvre l'ensemble des besoins». Quelle belle démagogie !
Dans le privé, se recentrer sur son métier de base s'appelle le CORE BUSINESS. C'est ce que nous vivons actuellement en sidérurgie. La direction se débarrasse des filiales non sidérurgiques. Puis elle sous-traite des parties d'installations - comme le traitement des eaux de Carlam. Elle « externalise » tous les services d'entretien non liés à la production - chaudronnerie, réparation de wagons, frigoristes, ateliers mécaniques et hydrauliques etc.. La restructuration n'est pas finie et des services comme l'entretien des voies, les transports internes (locos, buls, camions), le gardiennage, le service nettoyage et d'autres encore vont passer en sous-traitance.
On parle même de sous-traiter la gestion des entrées-sorties et stockage des produits. Les jours de gros entretien, vous pouvez venir admirer l'arrivée aux entrées de la sidérurgie de centaines d'ouvriers de la sous-traitance - dont certains s'habillent sur les parkings en plein hiver. Non, vraiment, le gouvernement vous dore la pilule avec les 35.000. Ce sera encore moins.

La valse des milliards donne le tournis
Dans le débat, les orateurs ont beaucoup parlé de milliards. Ils insistaient assez fort là-dessus pour montrer que l'Etat défendait bien la SNCB. 525 milliards pour « assurer l'avenir ». En tant que sidérurgiste, ça me fait ni chaud ni froid car des paquets de milliards, j'en ai vu passer pas mal. Pour finir comme on finit...

L'Etat met des milliards mais ça rapporte aussi la SNCB sinon pourquoi le privé voudrait-il mettre la main dessus ?
L'Etat DOIT mettre des milliards sinon c'est la fin de la SNCB. C'est parce qu'on a transformé un service public en société semi-privée qu'on en arrive à devoir parler de milliards, de rentabilité. C'est de la faute du gouvernement. Parce qu'il est d'accord avec la liquidation des services publics. Alors, parlons en des milliards : 525 sur les 680 nécessaires. La « riche » Flandre mettrait 20 milliards. La Wallonie fauchée ? Il manque 130 milliards. Ce serait le privé qui investirait le complément. Un cheval de Troie comme dans le scénario Cockerill-Sambre. On commence par une participation mineure avant d'avaler tout à moitié pour rien.

La sncb restera-t-elle une entreprise intégrée ?
Durant : «Ce n'est pas la privatisation de cet outil, mais bien l'ouverture à des frets ferroviaires.» ; «Le contrat de gestion - sécurité et qualité» ; Olivier Chastel (PRL) : «Le gouvernement va pouvoir influencer la direction de la SNCB.» ; «Garantir la mission de service public» ; Depreter (PS) : «Dans l'avenir nous serons plus attentifs.» Quelle belle bande de comédiens. Ils devraient faire du théâtre.

Le gouvernement aussi pouvait influencer la direction de la Sabena. Il a coulé délibérément cette société et laissé piller les biens publics et sociaux par les actionnaires de la Suissair et par le duo de terroristes Davignon et Lippens. Le gouvernement aussi pouvait influencer la direction de Cockerill-Sambre. Ils ont vendu la société pour une croûte de pain à un groupe assoiffé de conquêtes de marchés. La Belgique a été la risée du monde financier, on s'est esclaffé jusqu'à Wall Street.

Grande promesse pour faire avaler la pilule au cyanure : «Nous serons plus forts dans un grand groupe» ; «le périmètre de C-S est intouchable, nous avons des garanties et il y aura des pénalités si les accords ne sont pas respectés» Deux ans plus tard, la structure de Cockerill-Sambre a explosé, Usinor s'est débarrassé de la ligne à chaud de Charleroi et a permis la fermeture de celle de Clabecq. Elle se prépare à se débarrasser de Usinor Industeel (ex-fafer) après avoir pillé le carnet de commandes spécialisées et peut-être aussi de la décaperie de Carlam. Et il y a à peine huit jours, la direction déclare mettre en concurrence les quatre lignes à chaud non-maritimes du groupe Arcelor et la moins rentable sera fermée. La totalité du bassin sidérurgique de Liège étant dans le collimateur. Tout ceci avec l'aval des gouvernements Fédéral et Wallon. Toutes les belles promesses oubliées, le Ministre Kubla déclare que la Région Wallonne n'a plus rien à voir dans Usinor-Arcelor et que sa participation n'est plus que des Euros. Alors, sincèrement, vous les cheminots, vous allez croire tous ces menteurs comme l'ont fait les sidérurgistes ? Pensez-vous une seule seconde que ces apôtres du capitalisme « libérateur » vont mettre la main devant les loups féroces du privé qui vont être introduits dans la bergerie SNCB ? A vous de réfléchir.

La sécurité du capital ou des travailleurs ?
En prélude au débat, le public a pu visionner le film « The Navigators » qui décrit les méfaits de la privatisation du rail en Angleterre. Ennuyeux pour nos « représentants » politiques présents au débat. Je vous passe tout le blabla destiné à adoucir cette vision de cauchemar. Par contre les interventions syndicales et du public méritent d'être citées. Dalne(CSC) «La libéralisation met continuellement en balance la performance contre la sécurité» ; Un cheminot : «Des sous-traitants font aussi certains travaux et la sécurité diminue sans cesse.» ; Un autre dénonce «Les conditions de travail de plus en plus mauvaises» ; un troisième : «On voit apparaître des filiales partout, c'est le schéma Angleterre qui est en train d'être mis en place»

Ca me paraît évident. Depuis qu'Usinor a pris le contrôle de Cockerill-Sambre , la direction a intensifié le recours à la polyvalence, à la sous-traitance et il y a déjà eu quatre morts en sidérurgie. Le même scénario à la SNCB ne peut avoir que le même résultat.

La SNCB va-t-elle exister encore longtemps ?
Damilot(CGSP) : «La Belgique est la plus exposée, c'est un carrefour important du transit Européen (40% du trafic).» ; «Notre réseau est petit par rapport aux autres pays, il est donc une proie facile pour les concurrents étrangers.» ; «Anvers - premier port Français - et Zeebrugge occupent une position stratégique qui intéressent les Français et les Allemands.» ; «Nous constituons une proie de qualité pour les opérateurs privés.» ; «Nous allons vers un holding financier via la manoeuvre de la régionalisation et de la privatisation» ; «Des papiers de recrutement circulent pour embaucher des conducteurs retraités pour former les futurs engagés sur le réseau privé.» ; Dalne (CSC) : «L'ouverture de la SNCB via le fret va ronger le matériel roulant de la SNCB. Faudra-t-il autant de locos, de conducteurs etc.. ? » ; Un conducteur : «On dit qu'ABX est une opération bénéfique, je regrette, il y a des emplois et des travailleurs qui sont partis» ; Un autre cheminot : «On avance vers un scénario où l'on va se poser la question : pour être rentable il y en a qui devront fermer et à qui le tour ?»

Il est prévisible qu'une fois l'ouverture au marché effectuée, les grosse sociétés ferroviaires (Françaises, Allemandes...) vont concurrencer la SNCB. Avec des marchés sept fois plus grands, ils bénéficieront des économies d'échelle et, inévitablement, vont absorber la SNCB. Finalement c'est le vice-PDG de la SNCB Fontinoy qui a le mérite d'être le plus clair:: «Il faudra faire des joint-ventures, on sera mis en concurrence.» C'est à dire des associations avec d'autres sociétés « pour se renforcer ». Le schéma Cockerill-Sambre quoi.

D'ici 2008, pour la SNCB, le CORE BUSINESS ce ne serait plus que la gestion et l'entretien des voies - secteur peu rentable et aux frais de l'état. Tout le reste passerait au privé.

Que font les syndicats ?
Lorsqu'on entend les interventions syndicales, on se rend compte qu'ils sont conscients du danger qui menace la SNCB. Mais alors, pourquoi ne mettent-ils pas en place le rapport de forces nécessaire pour stopper cette catastrophe prévisible ?

La réponse c'est Depreter(PS) qui nous la donne : «Les syndicats ne sont plus dans la Conseil d'Administration, c'est un tort, je reste un adepte fervent de la cogestion à l'allemande.» Voilà, donner un strapontin aux dirigeants syndicaux et leur faire croire qu'ils contrôlent la situation et influencent les décisions stratégiques. En fait ils acquièrent ainsi la vision économique de la direction et acceptent « la fatalité » du marché. C'est l'influence de la ligne politique des partis comme le PS et le PSC qui fait revendiquer « plus d'Europe » aux syndicats. Plus d'Europe ? Pas de problèmes, on va en avoir...plein les gencives ! Et les travailleurs de la SNCB seront aux première loges.

Que faire ?
D'une manière générale, on peut dire que la construction de l'Europe du capital nous entraîne à marche forcée vers une société identique aux USA. On ne pourra pas dire qu'on ne savait pas.

Si les dirigeants syndicaux veulent sauver les services publics, s'ils veulent sauvegarder les emplois et les conditions de travail. S'ils veulent empêcher que l'appât du gain tue des travailleurs et des passagers, ils doivent tourner le dos à leurs « relais politiques » et écouter les travailleurs. Ne pas s'occuper des besoins du marché capitaliste mais bien de ceux des travailleurs et de la population. Quitter les salles de réunion patronales et intégrer les réfectoires des cheminots.

Ils doivent s'opposer à cette Europe du grand capital. De façon urgente s'atteler à la construction d'une unité des travailleurs de toutes les sociétés de chemins de fer pour organiser une grève générale des cheminots afin d'arrêter ce rouleau compresseur libéral.