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Enronite: c'est grave, docteur Greenspan ?
by KiTeToa Sunday March 03, 2002 at 10:24 PM

Contre la privatisation des services fondamentaux ?

Enronite: c'est grave, docteur Greenspan ?

Marrant, Colombani a pas dit ce coup-ci "nous sommes tous des employés d'Enron". Dommage, ça aurait au moins eu le mérite d'être quasiment vrai. On n'a pas encore assez de recul pour voir effectivement quelles vont être les conséquences de cette pitoyable affaire de gros sous, et de celles qui pointent le bout de leurs "comptes certifiés" à l'horizon. Global Crossing (rien qu'à cause de ça, "global" va devenir une insulte, dommage, ça me faisait bien marrer de voir ce mot-vent employé à toute les sauces), et après ? Crédit Suisse First Boston ? IBM ? Microsoft (qui n'a pas payé d'impôts sur les sociétés ces 2 dernières années !), Tyco ? KPNQwest ? Certains veulent limiter la crise aux entreprises new technolodjaïe. Facile: elle sont au plus bas, peuvent pas descendre franchement plus. Crédit Suisse, niou technolodjaïe ? On doit pas parler de la même chose, là.

Faut-il vraiment que l'heure soit grave pour que même Greenspan, analgésique institutionnel, se sente obligé d'assurer "que sa chute n'aurait probablement pas d'impact majeur sur l'économie du pays". Même si, un peu plus loin, il ajoute "mais nous avons effectivement besoin de corriger ce qui ne va pas dans notre système, et à mon avis, la formulation d'un diagnostic correct est de toute évidence la première mesure à prendre," (http://fr.biz.yahoo.com/020227/85/2hyho.html). C'est grave, docteur ?

KiTeToa

Je ne vais pas recommencer, n'importe qui de sensé a compris qu'Enron remettait en cause quelques fondamentaux de l'économie américaine. Et notamment son système de retraite par capitalisation, qu'on essaye de nous imposer. Marrant, on entend plus trop le Medef sur le sujet. Parce qu'il ne faut pas oublier que si effectivement aujourd'hui 11.000 emplois sont menacés, ces gens se retrouvent non seulement sans salaire, sans chômage mais aussi sans retraite. A moins que les comptes soient renfloués. 11.000 SDF potentiels d'un coup. Contre une poignée de méchants SDF (sans difficultés financières) enrichis à ne plus savoir qu'en faire. Scénario idéal pour l'Huma. Et l'on ne parle pas ici de "moral" des américains en baisse comme le titrait La Tribune le 26 février dernier (http://fr.biz.yahoo.com/020226/155/2hwwl.html). On parle ici de gens mis dans une situation des plus critiques, simplement parce qu'ils avaient fait "confiance" à leur employeur. Ah! la "confiance", un autre mot-vent de plus.

On a beau jeu de dénoncer les cabinets d'audit. Effectivement, on peut gloser sur leur rôle ambigu d'auditeurs et de conseilleurs, mais qui a rendu possible cette situation ? Ne me dites pas que personne n'a réfléchi aux conséquences qu'une telle situation. Que personne, à Wall Street, ne s'est servi 2 secondes de son cortex pour réfléchir à la situation dans laquelle on se trouve quand un auditeur, un banquier et l'une des plus "grosses" sociétés américaines ont tout intérêt à présenter les comptes de cette dernière sous le meilleur jour possible afin que le premier puisse la conserver comme client, que le deuxième continue à vendre du papier et que le troisième continue à faire grimper le cours de son action. Vas-t-on devoir paraphraser et déclarer que l'audit de compte est une chose trop sérieuse pour la confier à des auditeurs ? On n'avance pas des masses, là.

Il est d'ailleurs remarquable que cette affaire n'ait pas déclenché de représailles populaires à la mesure de l'escroquerie. Pas à chier, ils ont vraiment réussi à mater tout le monde. La violence est peut-être l'ultime refuge de l'impuissance mais certains jours ça soulage autrement plus qu'un discours de Greenspan. Même si ça ne règle rien.

Alors on nous fait une opération "mains propres". Certains ont le "courage" de battre leur couple, sachant pertinemment que s'ils jouent les innocents, ils se feront épingler d'autant plus durement dans la presse. Bof... On ne se fait pas d'illusions: d'ici quelques mois, on en parlera plus guère. Les marché sont amnésiques, et le petit porteur n'apprend rien.

A moins qu'on assiste effectivement à l'un de ces mouvement plus ou moins raisonnés et qui laissent des marques dans l'histoire collective. Mais c'est douteux. J'en veux pour preuve le travail hebdomadaire du Canard Enchaîné qui n'empêche pas les mêmes vieilles barbes de se faire réélire, ni les même patrons de passer d'une société à l'autre sans être finalement trop inquiétés.

Dépasser de débat autour d'Enron

Il y a cependant d'autres constats à faire. Premièrement, comme le dénonçait il y a quelques jours transnationale.org dans sa newsletter, la concurrence est un mythe. Il suffit de regarder ce qu'a apporté le démantèlement d'AT&T aux Etats-Unis: la reconstitution de quasi-monopoles qui se battent à grands coups d'avocats affirmant à qui mieux-mieux, la main sur le coeur, que leur marché est "ouvert" à la concurrence, et que donc ils peuvent aller voir ailleurs s'ils y sont. Débat sourd-aveugle, mais malheureusement pas muet, et surtout répercuté sur la facture du client final.

Autre point, une certaine remise en cause de la politique de privatisation, pratique héritée principalement des Etats-Unis. A mon sens, il vaut mieux un bon vieil EDF contrôlé par l'Etat qu'un opérateur privé (ce que n'est pas Enron) susceptible d'entrer dans une guerre de prix avec l'un de ses concurrents et donc l'exposant à un risque de faillite comme on a pu le voir l'an dernier au Texas. Plus encore, le même Canard Enchaîné est plein de récits des turpitudes des marchands d'eau, mêlés à des trafics on ne peut plus malsains. La concurrence ne règle rien. Encore une fois, c'est le client final qui trinque. On peut multiplier les exemples avec les transports, les télécoms, etc. Même EDF se sert de l'argument de l'ouverture de son marché à la concurrence pour... augmenter ses tarifs ! Un comble !

Effectivement, sans concurrence, on aurait pu attendre l'arrivée des téléphones mobiles un peu plus longtemps. Mais ce n'est pas sûr: le Minitel a été lancé sur un marché encore régi par la Direction Générale des Postes et Télécommunications, et non accompagné par l'ART. D'autre part, les trois opérateurs mobiles s'entendent finalement comme larrons en foire, comme l'illustre leur récent regroupement au sein de l'Association Française des Opérateurs Mobile, exclusivement réservée aux filiales de Cegetel, France Télécom et Bouygues. Pas question d'y faire entrer des représentants de l'association française des utilisateurs du téléphone, ou autre organisme empêcheur de facturer en rond. La récente plainte de l'UFC Que Choisir sera d'ailleurs intéressante à suivre: de quel droit les opérateurs nous facturent des secondes de communication non utilisées ? La concurrence sur le marché français n'a rien réglé: aucun opérateur ne s'est risqué à agir honnêtement (entendez par là facturer au temps effectivement consommé), renonçant ainsi à de précieuses rentrées d'argent. Les tarifs pratiqués sur les SMS est un autre exemple: on parle d'un coût de 0,03 centimes à l'envoi, contre un prix de vente de 0,15 centimes environ. Où est la justification économique d'un tel prix ?

De telles pratiques, venant d'un petit opérateur vendant des cartes téléphoniques à l'international, sont nettement moins condamnables que les agissements de trois sociétés cotées en bourse, dont une encore nationalisée puisque détenue majoritairement par l'Etat. Des combinards, il y en a partout. Mais il ne devrait pas y avoir de combinards en bourse, si l'on écarte les quelques courtiers adeptes des marottes qui ne font pas grand'mal.

Contre la privatisation des services fondamentaux ?

Une réponse simple (simpliste?) serait de considérer l'eau, l'électricité, le gaz, voire les télécommunications comme des services fondamentaux qui devraient être à la charge des Etats, comme cela est ou a été bien souvent le cas. Effectivement, on ne peut pas attendre de tels structures une réactivité bien grande (quoique La Poste ou EDF font preuve parfois d'une ingéniosité surprenante). Mais côté stabilité, on a là des garanties qui dépassent largement celles que peuvent offrir une société privée, aussi bien établie soient-elle. Rêvons un peu et songeons à la possibilité de faire entrer au conseil de surveillance de telles structures non pas des élus (trop facile) mais des citoyens qui viendraient mettre le nez dans les comptes (mais pas seulement). Juste de quoi leur imposer la rigueur qu'on est en droit d'attendre de gestionnaires de ressources aussi vitales. Vous faires quoi, vous, sans eau courante ?

Paf !

On est redescendu brutalement sur terre. Nous pauvre petits agitateurs du fin fond du ouèbe. Qui sommes nous pour proposer de telles options, même pas validées par une étude approfondie que nous serviraient sans doute volontiers un Andersen, un Deloitte ou un KPMG (moyennant phynances, "l'expertise globale" a un "coût", à ce qu'il paraît) ? Ben... des payeurs de factures de tous poils, papier ou électroniques. Abonnés au Gaz de France, chez un opérateur mobile quelconque. Imaginez un peu les flux économiques supplémentaires qui seraient générés simplement parce que nous payerions nos facture d'eau et d'électricité à leur juste prix, sans engraisser quelques actionnaires, copains ou obligés. 100 milliards de dollars ? De quoi botter le cul à quelques Lyonnais ou à quelques Enron, pour sûr.

KiTeToa