Apartheid dans les discothèques de Liège: un récit ... by Rayoul Tuesday January 29, 2002 at 03:29 PM |
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Voici une histoire vécue à l'entrée d'une discotèque à Liège. Phénomène connu de tous mais qui fait quand meme mal à vivre: la discrimination raciale.
Samedi 26 janvier. 20h40. Je décide avec des copains et copines de me rendre au Millenium. Il s’agit d’une nouvelle boîte en région liégeoise. Son concept est plutôt genre "grandes surfaces " des discothèques. Mais bon, bien que ce ne soit pas mon créneau préféré, c’est toujours une chouette expérience et ça permet de rencontrer pas mal de monde. 23 h 45. On est au complet, à 6, dans la voiture légèrement surchargée, enthousiastes en vue d’une agréable soirée entre copains. Mais c’était sans compter la logique raciste de notre société. 23 h 57. Je rentre, armé d’un beau sourire pour les sorteurs. Un, deux, trois, quatre, cinq... tiens, il manque quelqu’un ! Où est mon ami Jamal ? Et c’est dehors, "trié " par 3 sorteurs que je le retrouve. Jamal ne peut pas rentrer parce qu’ " il n’est pas un habitué de la maison ". Je lui explique qu’on est venu en groupe. " Il n’est pas habitué de la maison ". Je lui explique que moi non plus je ne suis pas un habitué de la maison. " Il n’est pas un habitué de la maison ". Je lui demande s’il ne peut pas faire un petit effort. " Il n’est pas habitué de la maison ". Un sentiment profond d’injustice et de colère monte en moi. Mais que faire face à une discrimination aussi institutionnalisée. On se calme tous et on décide d’aller autre part, histoire de sauver la soirée... tout en me promettant de n’attendre que le lendemain pour réagir à cette situation. Cet article sera ma première promesse... Ce genre d’histoire, elles sont vécues par des milliers de jeunes qui ne "sont pas habitués de la maison ". Uniquement parce que leur ‘profil’, leur couleur de peau ne convient pas. Non seulement par ces jeunes-là, mais aussi par tous les amis de ces ‘jeunes-là’. Comment concevoir que je rentre dans cette discothèque sans mon ami Jamal. Et le phénomène n’est pas isolé. L’année passée, l’institut pour l’égalité des chances a réalisé une étude portant sur les discothèques dans la région de Bruxelles capitale, confirmant ce constat alarmant. 7,5 % des plaintes déposées au centre pour l’égalité des chances du Limbourg ont rapport au refus de rentrer dans des discothèques (
Or pour l’instant, aucune étude n’a pu prouver ce lien. En ce qui concerne la petite criminalité, tous ce que l’on peut dire, c’est que 2 facteurs jouent grandement : la jeunesse (il est rare de voir une vieille agresser un jeune...) et la condition sociale. Ces 2 facteurs tendraient vers plus de petite criminalité dans les populations d’origine immigrée : la moyenne d’âge y est beaucoup plus faible par rapport à la population belge de souche (désolé d’utiliser de tel terme...) et les conditions sociales y sont plus défavorables (de par les causes de l’immigration qui consiste en l’apport de main d’œuvre bon marché dans les années 50 et 60 ou dans la fuite de la misère économique dans les années 80 et 90). Pourtant, il n’en est rien ! Il n’existe pas plus de ‘petite’ criminalité chez les populations d’origine immigrées. Avec ce genre d’arguments, je ne rentre même pas encore dans le débat "qu’est ce que la petite criminalité ? " Et pourquoi elle existe. Sans trop rentrer dans les détails, il parait évident que la ‘petite criminalité’ (par cela j’entends agression en rue, racket, dégradation de biens publics ou privés,...) a vu le jour en même temps que la crise économique qui frappent nos pays occidentaux depuis la moitié des années 70. Et surtout, son épiphénomène le plus visible : le chômage. Ce lien de cause à effet est si frappant qu’il parait assez invraisemblable qu’il ne saute pas aux yeux de nos hommes politiques. Logiquement, il s’agirait donc de "résoudre " la cause pour abolir "l’effet ". En d’autres termes, résoudre la question de l’emploi. Or de ce côté là, force est de constater qu’il n’en est rien, avec quoi de mieux que plus triste symbole que la faillite de la Sabena. Au lieu de cela, c’est "l’effet " que l’on va prendre en main : répression et surveillance. Il assez étonnant d’ailleurs de remarquer qu’une même logique est appliquée par rapport aux mouvements sociaux en tous genres, mouvements qui ne "sont pas habitués de la maison ". Où la maison devient système capitaliste...
Pour revenir au sujet de cet article, la situation que j’ai vécue ce samedi soir pose non seulement la question des discriminations raciales. Mais aussi celle du monopole de la propriété privée des loisirs dans notre plat pays. En effet, dans cette logique, on peut dire que chaque gérant a le choix de sa clientèle puisqu’il est "chez lui ". Et c’est ce qui se passe. Chaque gérant a aussi le choix du prix qu’il demande. Et c’est ce qui se passe : des prix de 8 euros à l’entrée et de 2,5 euros (100 balles) la consommation sont plutôt la règle que l’exception. Chaque gérant a aussi le choix d’où il place sa discothèque, celles-ci sont donc de moins en moins accessible aux personnes sans voiture. Ce qui met gravement en danger le droit au loisir pour tous et met en évidence, en plus d’une discrimination raciale, une discrimination sociale. Ce monopole est d’ailleurs organisé par l’état belge puisque c’est à coup de coupe sombre dans les subsides que des dizaines d’a.s.b.l de ‘divertissement alternatif’ disparaissent. " Si ces discothèques ne vous plaisent pas, vous n’avez qu’à aller autre part ! " nous répondra-t-on. " autre part " est malheureusement difficile à trouver dans une société qui exige de chaque initiative qu’elle soit ‘rentable’, qu’il s’agissent de culture ou non. Mais il est vrai qu’il est urgent de construire cet ‘autre part’. Et c’est ce que de plus en plus de jeunes (et moins jeunes ...) font en organisant de plus en plus de freeparty où l’amusement et la culture reprennent leur place légitime et détrône "le profit et la staracademy ". Mais ces initiatives ne doivent pas nous faire mettre de côté cette question cruciale : comment se fait-il que dans un pays comme la Belgique, un des plus riches du monde, autant de jeunes n’aient pas accès aux divertissements ?
Ces milliers et milliers de frustrations encaissées par ces jeunes d’origine immigrée (et les autres), comme samedi passé, éclateront à un moment donné au grand jour. Là aussi, il s’agira de s’attaquer à la "cause " (notre système économique) et non à "l’effet " (l’attitude du sorteur). Et ce jour-là, qu’on ne s’étonne pas que cela fasse mal...