Pakistan: Entre l'impérialisme et le terrorisme by Farooq Tariq Tuesday January 22, 2002 at 05:52 PM |
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Les événements du 11 septembre ont eu un effet dévastateur sur la politique au Pakistan. Ils ont provoqué des réalignements jamais vus auparavant.
Le régime militaire du général Musharaf en a profité pour renouer avec les États-Unis. Dans la foulée, ne reculant devant aucune hypocrisie, il a (pour la première fois dans son histoire) condamné verbalement l'attaque terroriste du 1er octobre contre l'Assemblée du Cachemire contrôlée par l'Inde. 32 personnes y ont perdu la vie à la suite d'une attaque-suicide. Le Jaish Mohammed, groupe fanatique religieux qui a revendiqué la responsabilité de cet acte, est basé au Pakistan. Le régime militaire a dû cette fois s'en distancier, ne pouvant pas condamner le terrorisme à New York tout en soutenant "l'acte héroïque de lutte nationale" à Sri Nagar, ce qui était sa politique jusqu'à présent. Le leader de Jaish Mahomet, Mosan Azhar, avait été libéré d'une prison indienne il y a à peine deux ans à la demande des pirates de l'air qui avaient détourné un avion indien. Rentré au Pakistan en passant par l'Afghanistan, il avait été autorisé à constituer Jaish Mahomet, à collecter des fonds et à former les terroristes au Pakistan. La plupart des boutiques dans tout le Pakistan disposent d'une boîte pour la collecte de l'aide aux Mujahidins du Cachemire. Les Mujahidins du Cachemire ne sont nullement un mouvement de libération nationale : ils n'aspirent qu'à faire du Cachemire un autre Afghanistan contrôlé par de nouveaux Talibans. Ils bénéficiaient de l'appui total de l'État pakistanais tant sous le gouvernement militaire que sous les gouvernements civils précédents de Nawaz Sharif et Benazir Bhutto. Après avoir soutenu pleinement les Talibans et les Mujahidins, le régime militaire a effectué un virage à 180° pour soutenir la terreur de l'impérialisme américain engagé dans l'attaque contre la population afghane.
Le 14 août dernier le régime militaire avait annoncé "un plan" de restauration de la démocratie. Des élections avaient été annoncées pour octobre 2002. L'intention du régime militaire était d'installer un gouvernement civil très dépendant de l'armée. Après le 11 septembre, il n'est plus question de restaurer de démocratie.
Réalignements politiques
Le Pakistan Peoples Party (PPP, Parti du peuple pakistanais, le parti de Bhutto) soutient maintenant ouvertement le régime militaire qui promet toute son aide aux États-Unis. C'est aussi le cas de Mutihida Qaumi Movement (MQM, le parti des immigrants) qui dispose d'une base de masse dans des villes du Sind (sud-est du Pakistan). Dans la province de la frontière nord-ouest (majoritairement pachtoune), l'Awami National Party (ANP, le plus grand parti pachtoune) a également changé de camp et soutient maintenant ouvertement le régime. Jusqu'au 11 septembre tant le PPP que l'ANP s'opposaient ouvertement au régime militaire, intégrant l'Alliance pour la restauration de la démocratie (1). Certains petits partis radicaux et staliniens font de même. « Les États-Unis doivent être soutenus pour liquider le terrorisme » est le cri de ces partis pour justifier leur appui au régime. Citons parmi ces partis qui du jour au lendemain ont abandonné leurs slogans anti-impérialistes le National Workers Party (Parti ouvrier national) et le Communist Mazdoor Kissan Party (Parti communiste des ouvriers et paysans).
Pour sa part la Ligue Musulmane de l'ancien Premier ministre de Nawaz Sharif, déposé par le coup d'État militaire du général Musharaf, s'aligne sur les fondamentalistes religieux, en soutenant avec passion les Talibans et en s'opposant au régime militaire à cause de son soutien à Bush.
L'influence du fondamentalisme religieux diffère selon les régions du pays. Après leurs premiers succès, les forces religieuses avaient perdu de leur influence dans plusieurs villes, principalement à Lahore et, dans une certaine mesure, à Karachi. Mais leur influence demeure très forte dans les principales villes proches de l'Afghanistan comme Peshawar et Quetta. Elles ont aussi progressé dans les petites villes et les villages à travers le Pakistan.
Les forces fondamentalistes religieuses propagent un appui total à Oussama Ben Laden et sa guerre à outrance. A Quetta, le 2 octobre, plus de 50 000 personnes ont manifesté en faveur des Talibans sous la houlette de Jamiat Ulama Islam, un parti religieux qui a ouvertement soutenu les Talibans dès le début. Rappelons que ce parti fut l'allié du PPP de Benazir Bhutto, alors qu'elle dirigeait le gouvernement de 1994 à 1996. C'était au cours de cette période que les Talibans ont conquis l'Afghanistan.. En s'alignant sur le régime militaire, Benazir Bhutto prétend maintenant qu'elle « était sur le point de se retourner contre le régime Taliban » en 1996, lorsqu'elle fut renversée. En fait c'est son gouvernement qui a frayé la voie pour la prise de Kaboul par les Talibans. Leur premier acte à leur arrivée à Kaboul fut de pendre le corps du docteur Najib Ullah dans le centre de la ville, après son enlèvement du Bureau de l'ONU et son assassinat. Ni l'ONU, ni le gouvernement américain, ni Benazir Bhutto n'ont alors fait de commentaires sur cet acte barbare. Najib Ullah avait été à la tête du gouvernement de l'Afghanistan de 1988 à 1992. Renversé par les Mujahidins en 1992, il s'était réfugié quatre annnées durant dans les locaux de l'ONU à Kaboul avant de finir assassiné.
L'attaque du 11 septembre a également polarisé les organisations de la société civile. On observe ainsi des attitudes qui, tout en s'opposant à la guerre, acceptent une "réponse mesurée". Cette position a été prise par un groupe mené par l'ancien président de la Commission des droits de l'homme du Pakistan, et activiste renommé, Asma Jahangir. Son article dans le Daily Dawn du 30 septembre a révélé clairement sa position. A l'inverse, beaucoup d'autres préconisent un "Non à la guerre, non au terrorisme !", condamnant les deux et se solidarisant ouvertement avec le mouvement pour la paix international. Fareeda Shaheed (de Shirkat Ghah) et Nighar Ahmed (de Aurat Foundation) ont pris la tête de ce courant qui traverse les organisations de la société civile.
L'attitude du LPP
Le Labour Party Pakistan (LPP) est très proche de la position "Non à la guerre, non au terrorisme !". Le LPP ne fait pas confiance à l'ONU pour résoudre cette question, car il ne veut pas la légalisation de la guerre en Afghanistan. Il ne soutiendra pas la création des Tribunaux pénaux internationaux, qui seraient une autre institution visant à couvrir les crimes du gouvernement des États-Unis.
Dès le premier jour, le LPP a condamné l'attaque terroriste tout en rappelant la politique passée de l'impérialisme américain contre les pays coloniaux. Le LPP ne justifiera jamais une attaque terroriste, quelle que soit la raison invoquée pour un tel crime. Mais il est cohérent avec sa condamnation des méthodes et du programme de l'impérialisme américain. Il a déjà organisé le mouvement contre le FMI et la Banque mondiale au Pakistan. Il a aussi commencé, avec d'autres forces, à construire un mouvement pour la paix , en anticipant les actes de guerre à venir en Afghanistan.. Le LPP doit s'opposer au fondamentalisme religieux et aux autorités qui l'ont choyé, en premier lieu au régime militaire en général et aux services secrets (ISI) en particulier.
À la différence des autres forces, le LPP n'a pas soutenu l'idée du moindre mal. Des courants politiques de plus en plus nombreux, de droite comme de gauche, justifient leurs trahisons en prétendant n'avoir d'autre choix que celui du moindre mal. Les États-Unis soutiennent le régime militaire pakistanais, le moindre mal en comparaison des Talibans. Le Pakistan soutient les États-Unis, qui, comme l'a déclaré le général Musharaf dans un discours télévisé, sont aujourd'hui un moindre mal.
Le mouvement ouvrier officiel penche lui aussi de plus en plus en faveur du soutien au régime militaire. La direction centrale de la Confédération ouvrière du Pakistan (PWC) l'a ouvertement appuyé tout en demandant aux États-Unis de ne pas attaquer l'Afghanistan. Les membres du LPP, dirigeants de syndicats constituants de la PWC, ont mené le débat au sein du mouvement ouvrier pour qu'il n'appuie la guerre d'aucune façon. Leurs propos, en particulier ceux de Yousaf Baluch, ont eu un bon écho dans les rangs des travailleurs.
Un répit pour le régime
Il est clair que l'économie capitaliste internationale est entrée dans une période de crise. Les institutions internationales comme le FMI et la Banque mondiale ont imposé aux économies du Tiers-Monde, déjà mal en point, un fardeau que ces dernières ne peuvent supporter. Contre ces injustices, un mouvement anticapitaliste fort s'est étendu dans les pays avancés. Nous avons vu des milliers de travailleurs protester au cours des manifestations anticapitalistes dans diverses régions du monde développé. Après les réactions initiales suite au 11 septembre, il est clair que le gouvernement américain a acquis de nouveaux alliés -- comme le régime militaire du Pakistan -- pour une guerre contre l'Afghanistan. Dans ce contexte les Américains ont levé les sanctions contre le Pakistan et ont annoncé le rétablissement des relations d'amitié avec son régime militaire. D'où l'impression générale que les USA aideront l'économie malade du Pakistan. Les faits contredisent cet espoir. Les exportations pakistanaises ont été profondément affectées après le 11 septembre, de très nombreuses commandes à l'exportation ayant été annulées ou reportées.
La faible productivité est le fondement de la crise de l'économie du Pakistan. Elle va encore diminuer. Les conditions imposées par le FMI et la Banque mondiale ont rendu la vie des ouvriers et des paysans plus insupportable qu'elle ne l'était avant le coup d'Etat militaire d'octobre 1999. Dans ces circonstances, la reprise de l'économie pakistanaise ne semble pas possible, même si l'impérialisme américain injecte des aides massives. De telles aides ne changeront nullement la vie des travailleurs, elles seront accaparées par les riches, par la classe dirigeante. On assistera à la répétition du scénario des années 1980, lorsque plus de 30 milliards de dollars ont été injectés dans l'économie pakistanaise après l'invasion de l'Afghanistan par l'URSS. Cette aide massive n'a pas changé la vie des masses. Mais elle a aidé les généraux, leurs fils et leurs filles à devenir de nouveaux riche. Nous verrons beaucoup plus d'Ijazul Haqs (le fils du général Zia Ul Haq, le dictateur militaire de 1977 à 1988) et de Hamayoons (le fils d'un autre général militaire proche de Zia). Les deux sont maintenant très riches, ils sont propriétaires d'usines et de nombreuses résidences. L'aide américaine -- si elle est accordée -- sera accaparée par les chefs militaires.
Avant le 11 septembre, le régime militaire était en train de perdre rapidement sa base sociale. L'attaque terroriste et le retournement de sa politique lui ont assuré de nouveaux soutiens politiques, tel celui du PPP. Ainsi le régime a renforcé sa position pour l'instant. Mais une fois la guerre commencée, l'humeur peut changer au sein même de l'armée, où Musharaf semble jouir d'un soutien sans faille. Dans ses rangs supérieurs il y a des éléments fondamentalistes religieux qui ont été forcés par la pression des événements de s'aligner mais n'ont pas été chassés de l'armée. Après le début de la guerre, lorsque les sentiments anti-américains se développeront, les fondamentalistes religieux au sein de l'armée pourront se targuer de disposer d'une base sociale.
Il est possible que le régime Taliban perde rapidement le pouvoir. Cela renforcerait le régime militaire pakistanais, lui accordant un nouveau répit. Mais la situation reste fluide, les scénarios annoncés changent sans cesse. Ce qui est certain, c'est que le tournant du régime en faveur des États-Unis a redonné vie aux forces fanatiques et qu'il a mis en danger les forces progressistes et la gauche pakistanaise. Le mouvement ouvrier doit s'opposer à l'intervention américaine dans la région. Mais il ne peut pas fermer les yeux devant l'influence croissante des fondamentalistes religieux. Les forces fondamentalistes religieuses et l'impérialisme s'opposent aujourd'hui. Mais les travailleurs ne peuvent tirer aucun profit en se mettant d'un côté ou de l'autre. S'ils le faisaient, il ne pourraient que perdre leur identité et leur indépendance.
Farooq Tariq, Lahore
*Secrétaire général du Labour Party Pakistan (LPP, Parti travailliste du Pakistan). Le LPP est une nouvelle organisation, issue d'un regroupement de militants de la gauche radicale de traditions diverses, à l'initiative d'un noyau de militants trotskistes liés dans le passé au Comité pour une Internationale ouvrière (CWI, dominé par la tendance Militant, devenue Socialist party de Grande-Bretagne), et qui s'en est séparé. Nous invitons nos lecteurs anglophones à consulter le site web du LPP : <http://www.labourpakistan.org>.
1. Cf. Inprecor n° 458 de mai 2001.
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LE NOUVEAU "GRAND JEU" EN ASIE CENTRALE: QUELS DEFIS POUR LA GAUCHE?
CONFERENCE-DEBAT
MARDI 29 JANVIER 2002 A 19H30
Au "DE KARAVAAN", 19 rue des Poinçons 1000 Bruxelles
(près de la Place Fontainas et de l'hôpital César De Paepe, métros Bourse ou Annesseens)
- Quels sont les enjeux et les conséquences politiques et géostratégiques de l'intervention impérialiste des Etats-Unis en Afghanistan?
- Quelle est la situation dans ce pays après la chute des Taliban, l'arrivée au pouvoir de l'Alliance du Nord et la présence militaire occidentale
- Une guerre entre les puissances nucléaires que sont le Pakistan et l'Inde est-elle possible?
- Quelle est la situation et les perspectives pour les forces de gauche au Pakistan, en Afghanistan et dans la région?
Pour aborder ces questions, nous avons invité comme orateur:
TAROOQ FARIQ,
Secrétaire général du Labour Party of Pakistan (LPP, Parti travailliste du Pakistan).
Le LPP est une organisation relativement récente, issue d'un regroupement des militants de la gauche radicale de traditions diverses à l'initiative d'un noyau de militants trotskistes. Le LLP compte quelques 2.000 membres, très présents dans les mouvements féministes et syndicaux (particulièrement cheminots). Malgré la répression, cette organisation marxiste-révolutionnaire lutte contre l'intervention impérialiste dans la région, contre le régime militaire de Musharaff et pour un Pakistan démocratique et socialiste.
PAF: 1 Euro
Organisateurs: Socialisme sans frontière (tél: 02/523.40.23, e-mail: plantin@skynet.be)
Avec la collaboration du POS-Bruxelles.