arch/ive/ief (2000 - 2005)

Grève de la faim en Turquie: mission de PRW
by Oliver Rittweger Tuesday January 22, 2002 at 12:00 PM
orepo@hotmail.com

Déjà 85 morts, 2 sénateurs se rendent sur place, le ministre de la justice refuse toujours la proposition "3 portes, 3serrures"

Association internationale People's Rights Watch (PRW)- Observatoire des droits du peuple
Mardi 22 janvier 2002

Du 13 au 15 janvier 2002, PRW a mené sa 8ème mission en Turquie. Les sénateurs Jean Cornil et Josy Dubié tenaient à se rendre sur place pour mieux comprendre la situation dans les prisons turques et la gigantesque grève de la faim qui s'y déroule depuis 15 mois.
85 prisonniers politiques ont déjà perdu la vie dans un silence assourdissant…
300 grévistes de la faim ont été réduits à l'état de morts-vivants suite à des interventions médicales forcées ( pourtant condamnées comme une forme de torture et interdites par le Traité de Malte et la convention de Tokyo (syndrome de Wernicke-Korsakoff).
142 poursuivent la grève de la faim au finish et sont, à très court terme, condamnés…

Depuis le coup d'Etat militaire de 1980, la Turquie est une République avec une démocratie de façade. En réalité, le gouvernement d'Ankara est sous la tutelle d'un conseil de sécurité militaire, lui-même à la solde des Etats-unis d'Amérique dont il est dépendant politiquement, économiquement et militairement. Ce sont d'ailleurs les Etats-unis qui ont imposé à la Turquie la construction des prisons type-F, selon le modèle des quartiers de haute sécurité américains. Pourquoi ? Pour briser la résistance des prisonniers politiques.
Ils sont encore près de 10000 en Turquie aujourd'hui…La moitié d'entre eux n'a pas encore été jugé, ils attendent en général 4 ans avant de comparaître.

Dans les prisons de ce pays, les prisonniers politiques ne font pas la grève de la faim pour protester contre le pillage par les multinationales de la Turquie sous les directives du FMI et de la banque mondiale qui appauvrissent chaque année un peu plus l'immense majorité de la population, à coups de privatisations. Ils ne font pas la grève de la faim pour s'opposer à la guerre en Afghanistan et les bombardements qui s'effectuent depuis les deux bases militaires américaines en Turquie. Les prisonniers politiques ne résistent pas par la grève de la faim à l'absence totale de démocratie, à l'injustice et à la misère qui règnent en Turquie. Non, ce n'est pas pour tout cela qu'ils mènent leur grève de la faim, c'est pour toutes ces raisons qu'ils sont considérés comme des terroristes et qu'ils sont incarcérés. En effet, depuis 1980, l'article 10 de la convention européenne des droits de l'homme qui garantit la liberté d'opinion et d ‘expression n'existe plus dans ce pays. Le seul crime de plus de 90% des prisonniers politiques est d'appartenir à une organisation politique. Depuis 1980, date du coup d'Etat militaire, 1 million d'hommes, femmes et enfants ont été torturés en Turquie.

Non, si les prisonniers politiques résistent par la grève de la faim, c'est pour s'opposer aux cellules d'isolement absolu dans les prisons type-F. Pour rappel, l'isolement est interdit par l'article 3 de la convention internationale des droits de l'homme, pour la protection contre la torture et les traitements inhumains et dégradants. Juliette Béghin, Présidente de l'Observatoire international des prisons(Belgique) explique pourquoi : « L'isolement ne fait qu ‘aggraver dramatiquement les effets pernicieux de l'emprisonnement. Tout d'abord, l'isolement détruit progressivement la personnalité et le sens de la dignité du détenu, en raison de l'abandon de la victime à elle-même. Prolongé, il cause irrémédiablement de véritables lésions psychologiques, de vives souffrances physiques et morales ainsi que des troubles psychiques aigus conduisant à des actes de désespoir extrême, l'automutilation ou le suicide. L'isolement absolu crée chez les victimes un profond sentiment de peur, d'angoisse et d'infériorité propre à les humilier, à les avilir et à briser définitivement leur résistance physique et morale ».
L'isolement n'est pas une création turque… Il y a quelques mois, la ministre allemande de la justice déclarait « soutenir la construction de telles cellules en Turquie, vu les remarquables résultats obtenus chez nous à l'époque contre les membres de la RAF ». L'Allemagne a évidemment hérité de cette forme de détention des…Nazis. Aux Etats-unis, la pratique est très répandue dans les « quartiers de haute sécurité », dans l'ensemble des pays européens, des cellules d'isolement ont été construites également. En Belgique, on les nomme « Quartier de sécurité renforcée ».

La Turquie souhaite adhérer à l'Union européenne. Certains pensent qu'une fois admise au sein de l'UE, les problèmes de démocratie et de droits de l'homme en Turquie s'amélioreront petit à petit. People's Rights Watch craint au contraire que l'harmonisation se fasse dans l'autre sens. Depuis le 11 septembre, on assiste à de plus en plus de restrictions des droits démocratiques, l'intervention des tribunaux dans les conflits sociaux comme dans le procès des 13 délégués de Clabecq, les astreintes contre les piquets de grève, la comparution immédiate…PRW est donc très inquiet pour la situation de l'Etat de droit en Belgique mais nous aurons l'occasion d'y revenir.

En ce qui concerne la Turquie, PRW soutient la proposition « 3 portes, 3 serrures » des 4 bâtonniers d'Istamboul, d'Ankara, d'Antalya et d'Izmir. Cette proposition de réforme des prisons typeF qui vise à ouvrir 3 serrures pour permettre à 3 cellules de communiquer et donc de briser l'isolement a été accepté par les grévistes de la faim. Elle est soutenue par le monde associatif, les principales ONG's, les confédérations professionnelles de médecins, d'avocats, d'ingénieurs, d'architectes, les syndicats et plusieurs partis d'opposition.
Jusqu'à présent, le ministre de la justice SAMI TURK persiste dans son inflexibilité criminelle. Il prétexte des problèmes techniques et de sécurité. Notre mission sur le terrain a constaté qu'il n ‘en était rien… Il est urgent que la pression internationale s'intensifie pour imposer au gouvernement turc d'accepter dans un premier temps la proposition « 3 portes, 3 serrures » qui mettrait un terme au régime inhumain de l'isolement, ainsi qu' à la grève de la faim.

Rapport de la mission du 13 au 15 janvier 2002

Dimanche 13, 17h00 : Accueil au comité TAYAD, association de soutien aux prisonniers politiques et aux grévistes de la faim, rencontres avec les familles, des avocats, médecins et victimes d'interventions médicales forcées.
Lundi 14, 9h00 : Accueil chez le Consul de Belgique pour les autorisations officielles
10h00: Visite du quartier populaire de Kuçuk Armutlu, que les forces spéciales de l'armée ont attaqué le 5 novembre 2001. Bilan 4 morts
14h30 : Rencontre avec un architecte de prisons
16h00 : Rencontre avec le bâtonnier d'Istamboul, Yuçel Seyman
18h00 : Rencontre avec une association de 500 avocats progressistes

Mardi 15, 9h00 : Entretien avec le ministre de la justice Sami Turk
14h00 : Visite de la prison type F d'Izmit-Kandira
Conclusion de la mission : Aucun obstacle juridique, technique ou sécuritaire ne peut justifier le rejet par les autorités turques de la proposition « 3 portes, 3 serrures ». Il s'agit d'une décision politique, contraire à toutes les conventions européennes des droits de l'homme.

Pour l'association internationale People's Rights Watch- Observatoire des droits du peuple
Oliver Rittweger de Moor ( orepo@hotmail.com )