Deux opposants camerounais décrivent la situation de leur pays. Il faut que le by Antoine Renard Thursday January 17, 2002 at 03:15 PM |
Eric Nguemaleu Njenta et Joseph Nana Nitcheu appartiennent tous deux à l'asbl-Libéral de Saint-Gilles, association défendant les droits de l'homme du peuple camerounais ainsi que ceux des peuples africains contre l'oppression occidentale. Quand je les rencontre, ils ont l'air préoccupés. La situation politique du Cameroun est grave et ils tiennent absolument à avertir l'opinion publique. D'autant plus que le Collectif National contre l'Impunité au Cameroun dont ils sont tous deux membres de la section belge vient de porter plainte contre le gouvernement.
Récemment, le CNI a porté plainte contre le régime de Paul Biya. De quoi s'agit-il ?
Depuis 1982 et jusqu'à nos jours, ce régime commet des crimes à travers des exactions et des arrestations extrajudiciaires. Nous voulons recenser ces crimes et faire en sorte que les auteurs soient amenés devant les instances internationales compétent car au Cameroun, il n'y a pas d'issue quant à leur jugement. Les trois pouvoirs ne sont pas séparés. Le pouvoir judiciaire est contrôlé par le pouvoir exécutif donc, il n'y a pas de jugement possible.
Comment Paul Biya a-t-il pu accéder au pouvoir ? A quelle tendance appartient-il ? Et pourquoi le peuple n'en veut-il plus ?
Biya est le successeur de l'ex-président Ahidjo. Il a été nommé par lui. Les deux hommes étaient issus de l'UNC. Donc, il y a eu passation de pouvoir, presque de main à main.
Malheureusement, il a très tôt installé une dictature tout en prétendant que son pouvoir était démocratique. C'est un modèle calqué sur le l'Occident. D'ailleurs la France a toujours un droit de tutelle énorme sur le pays. Rien ne lui échappe et elle est donc de connivence avec Biya et sa politique dictatoriale. Evidemment, la France ne fait rien pour mettre fin à l'état de répression du pays car ce type de gouvernement l'arrange.
Aujourd'hui, le peuple ne veut plus de lui car, depuis qu'il est au pouvoir aucun résultat sérieux n'a été escompté. Il arrive en 1982 dans un contexte favorable (économiquement) mais, le peuple est fatigué de 25 ans de pouvoir de Ahidjo et se réjouit du changement de pouvoir. Car il voit en lui un homme nouveau (et considère la venue de Monsieur Biya comme "une ère de renouveau démocratique"). Mais, les espoirs sont vites déçus. En 1984, après le putsch manqué (de Ahidjo) tous ceux qui appartenaient à son ethnie (musulmans du Nord) risquaient d'être persécutés. Il y eut des centaines de morts et de nombreuses arrestations arbitraires injustifiées parmi cette population. Le temps n'améliora rien à l'affaire et les dérives de Biya se sont faites de plus en plus graves dans les années 90. Lui prétend qu'il n'y a rien eut, mais en disant ces mots, il marchait sur des cadavres dans la rue. Depuis, au Cameroun, aucune manifestation pacifique n'est tolérée.
En février 2000, on assiste à la mise sur pied du C.O. (commandement opérationnel) dans les rues de Douala. Quel est le but ?
Effectivement, Douala étant plongée dans une grande insécurité, le gouvernement mis sur pied cette force spéciale appelée à lutter contre la grande criminalité. Mais très tôt, le CO se révèle être très répressif, même vis-à-vis d'innocents et le nombre de victimes est estimé à 1000 tués. En 1997, le problème anglophone fait déjà beaucoup de morts. En 2001, ce sont des hommes en tenue qui tirent à bout portant sur la population civile à Kumbo et à Bamenda. Et le Messager parle de nombreuses personnes tuées et disparues dans cette partie de la région du Nord-Ouest et Sud-Ouest du Cameroun durant cette période.
Il y a aussi l'affaire des coupeurs de route dont on a parlé dans la presse ?
Oui, d'abord, ce problème a réellement existé dans une zone enclavée du Nord, là où les routes sont vraiment dans un état précaire. Des brigands (ex-combattants du Tchad) sortant de la savane arrêtaient et attaquaient la population. L'idée était bonne d'envoyer des soldats là-bas mais ensuite, on a profité de cette situation pour assassiner des innocents qui s'opposaient au régime. Le déploiement de soldats dans le Nord visait alors à contrer les ONG qui osaient contester le gouvernement. Le cas de M. Abdoulaye Math Président du MDDHL (Mouvement de Défense des Droits de l'Homme pour le Nord du Cameroun) en est patent, dans la mesure où il est constamment harcelé et intimidé ainsi que sa famille par le gouverneur de la province du NORD Cameroun.
Quelle est la volonté du peuple actuellement ?
Le peuple souhaite la liberté, la justice et la démocratie véritable. Nous luttons contre un système politique mauvais qui a été imposé au peuple camerounais, l'entourage de Paul Biya et tous ces soldats sont mauvais. Par contre, le SDF (Front Social Démocrate) de John Fru-Ndi est plus proche du peuple et nous exhortons les dirigeants de ce parti à refuser d'entrer dans le jeu du pouvoir de M. Biya en acceptant de participer aux élections législatives repoussées en juillet 2002. Le SDF a gagné les élections de 1992 mais comme celles-ci étaient truquées, le peuple fut perdant à nouveau.
Que comptez-vous faire dans les jours à venir pour avertir l'opinion publique en Belgique ?
A chaque manifestation importante en Belgique, nous voulons montrer à l'opinion combien notre gouvernement est dictatorial au Cameroun. Pour cela, il nous faut recenser les gens qui ont vécu des difficultés au Cameroun et pouvoir les exposer ici en Belgique. Nous militons pour les droits de l'homme à cet effet nous poursuivrons notre combat qui sera long ! Le problème du Cameroun n'est pas un problème Biya mais un problème politique. Nous lui demandons d'arrêter les beaux discours et de joindre la parole aux actes. Le combat sera long et difficile car le changement ne peut pas survenir d'un seul coup et que tous les Camerounais sont concernés. Les Camerounais ne doivent compter que sur leurs propres forces.