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Libérez les prisonniers albanais du Kosovo
by Ismaël Kadare (posté par Predrag Grcic) Wednesday January 16, 2002 at 07:08 AM
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Dans une lettre ouverte au président de la République française, l'écrivain I. Kadare s'émeut de la situation sans issue des otages kosovars en Serbie. On se souvient de la libération de la poétesse Flora Brovina (1), mais un grand nombre de personnes sont toujours détenues en Serbie. Albin Kurti a été libéré récemment mais il s'agit là d'une politique du compte-gouttes. Kadare se réfère au témoignage de Besim Zymberi, homme de valeur membre du Conseil pour la défense des droits de l'Homme et des Libertés (association affiliée à la FIDH), section de Ferizaj, arrêté et torturé en 1998 et détenu depuis lors (2). Puisse-t-il être entendu. (1) http://www.liguedh.org/bruxelles/bruxelles.html (2) http://www.fidh.imaginet.fr/lobs/oh41.htm

Monsieur le président de la République, je m'adresse à vous pour que la France intervienne en faveur des personnes encore détenues dans les prisons serbes.

Libérez les prisonniers albanais du Kosovo


Par Ismaël KADARE
Ismaïl Kadaré est écrivain.

Le mardi 15 janvier 2002

«Nous, les prisonniers albanais du Kosovo, nous sommes les derniers juifs détenus dans les camps hitlériens de Milosevic.»

Monsieur le Président, je ne pensais nullement devoir m'adresser de nouveau à vous, à propos d'un problème que la communauté internationale, et en particulier l'Europe occidentale, l'Alliance atlantique, la France et vous-même avez longtemps tenté de résoudre avec sérieux et intensité: le drame du Kosovo. Je comprends très bien qu'il faut prendre la mesure des choses et que le monde actuel traverse de nouveaux problèmes dramatiques; je ne dois donc pas m'offrir le luxe de revenir sans cesse sur les préoccupations d'un peuple, y compris lorsqu'il existe des raisons de le faire. Je suis conscient de tout cela, cependant un fait scandaleux me fait passer outre cet argumentaire et vous adresser la lettre ci-jointe.

Voici quelque temps, un prisonnier politique albanais, nommé Besim Zymberi, est parvenu à faire sortir de la prison de Sreme en Serbie, un témoignage écrit, et ce au nom des prisonniers politiques encore détenus dans les prisons de Yougoslavie. Il m'a adressé publiquement ce témoignage, en me demandant instamment, qu'en tant qu'écrivain, je le fasse connaître à l'opinion européenne, voire mondiale.

«Moi, prisonnier albanais d'un camp de concentration serbe, je vous demande de faire la lumière sur une souffrance ignorée des institutions internationales».

C'est ainsi qu'il commençait sa lettre, dont voici la conclusion: «Nous, les prisonniers albanais du Kosovo, nous sommes les derniers juifs détenus dans les camps hitlériens de Milosevic, même après sa déroute... Et le monde est aveugle!»

Monsieur le Président, voilà le fond de la question: sur notre continent européen, part de l'espace occidental, à l'avant-garde de la lutte pour un nouveau monde démocratique et moral, il existe un pays nommé Yougoslavie, où se trouvent des hommes encore aux fers, simplement parce qu'ils aspiraient à la liberté. Et ce pays se prétend démocratique, on lui ouvre grandes les portes, en oubliant qu'il a le devoir d'en finir avec cette barbarie.

Pour éviter tout malentendu, je voulais d'abord vous dire que les Albanais ont été et sont reconnaissants envers l'Europe et les Etats-Unis pour avoir libéré la moitié de leur nation. Par ailleurs, contrairement à ce que claironne la propagande anti-albanaise, c'est un peuple patient et mesuré dans ses demandes. Mais on a abusé de cette patience et on continue de le faire avec cynisme. Pour s'en convaincre, il suffit de rappeler certains faits consignés dans la lettre déjà citée:

Le 10 juin 1999, tout de suite après la prise de Kumanova, qui a marqué la fin du conflit entre l'Otan et Milosevic, près d'un million d'Albanais du Kosovo sont rapidement revenus sur leur terre dont ils avaient été chassés dans des conditions odieuses. Ce jour-là, le 10 juin 1999, les troupes serbes quittant le Kosovo, ont emmené de force 2 050 Albanais pour les emprisonner. S'il est vrai que tout emprisonnement est une tragédie, être fait prisonnier le jour de la libération de votre pays, c'est une tragédie infinie.

L'homme qui m'a envoyé cette lettre est l'un des personnages de ce drame. Il pose à juste titre la question suivante: comment se fait-il que la Croix-Rouge internationale, le Haut-Commissariat aux réfugiés, le Conseil de l'Europe (Comité contre la torture) se désintéressent des prisonniers albanais du Kosovo? Serait-ce le cas si ces prisonniers étaient américains, allemands ou français? Comment se fait-il que le président déclaré démocrate, Kostunica, de surcroît juriste de son état, fasse preuve d'insensibilité, de cruauté et même de racisme envers ces prisonniers?
Finalement, comment se fait-il que personne ne dénonce cette situation?

Après avoir opprimé et massacré un peuple des années durant, après avoir égorgé quelque 1 000 enfants de moins de cinq ans, comme l'a admis elle-même la presse serbe, après le viol de centaines de filles et jeunes femmes, après la déportation sauvage de près d'un million de gens, la provocation continue. La détention de prisonniers politiques albanais fait partie d'une stratégie systématique, poursuivie avec cynisme. Ce système pousse les Albanais à la faute, pour justifier ultérieurement les coups portés contre eux. Un jeu macabre qui dure depuis très longtemps dans les Balkans.

L'année dernière, une insurrection albanaise s'est produite en Macédoine. Sa cause proclamée était le combat pour l'égalité des droits, et en premier lieu, ceux à la scolarité et à l'usage de sa propre langue. A première vue,
l'événement paraît grotesque: une insurrection en Europe, au XXIe siècle, pour une question de langue? Mais tout de suite après vient la question: on peut qualifier les Albanais de fous qui prennent les armes au nom de leur langue, mais comment appeler ceux qui poussent les Albanais de Macédoine à ces actes désespérés? Car le premier conflit a éclaté voilà quelque temps, lorsque les Albanais ont demandé l'ouverture de leur université à Tetovo et qu'en réponse, la Macédoine a envoyé ses chars. Parce que depuis longtemps, la Macédoine, encourageait seulement la création, pour les Albanais, d'écoles coraniques, avec l'objectif de les islamiser pour mieux les «démoniser». Lorsque le débat pour une école albanaise laïque a commencé, la Macédoine a répondu par les armes.

Monsieur le Président, vous le savez, ce n'est pas la première fois que je pose à votre intention la question des prisonniers politiques albanais du Kosovo. Je sais que durant votre visite à Belgrade, un seul prisonnier a été
libéré, monsieur Albain Kurti. Mais combien d'autres, dont le nombre demeure inconnu, y restent encore? Combien sont morts? De temps à autre, on les transfère d'un camp à l'autre, on en libère un ou deux, au compte-gouttes...
Parmi eux figure Ukshin Hoti, leader de premier plan, ministre des Affaires étrangères du Kosovo autonome, philosophe, politologue...

Il est difficile d'accepter qu'on laisse subir aux Albanais du Kosovo, des tortures d'un autre âge épargnées aux autres peuples d'Europe. Cela fait craindre la montée d'un nouveau racisme sur notre continent.

L'idée d'Europe, sa réalité ne peuvent désormais être liées à aucune sorte de racisme. La conscience européenne ne peut plus ignorer ce genre de scandale à l'intérieur de ses frontières. La liberté de l'Europe ne peut se réaliser pleinement sans la liberté des peuples.

Pour ces grandes souffrances de mon peuple, et en particulier pour la tragédie des prisonniers, raison de cette lettre, je me suis adressé à vous, Président d'un pays sans lequel on ne peut comprendre l'histoire de la liberté humaine. Bénéficiant d'influence en Albanie, comme en Yougoslavie, la France a les moyens d'entreprendre une action décisive pour ces gens enfermés, dont les heures sont interminables, comme celles des esclaves. Je m'adresse à vous, avec l'espoir, Monsieur le Président, que vous entreprendrez une démarche, qui donnera le signal d'une action plus ample pour pacifier l'atmosphère lourde de la douloureuse péninsule balkanique.

Avec ma haute considération.

I. Kadare

komaan, fans van Milosevic
by herman Wednesday January 16, 2002 at 08:00 AM

dit mag gelezen worden door de clowns en de afgerichte hondjes van het circus PRO Milosevic

Vraiment?
by red kitten Wednesday January 16, 2002 at 10:13 AM
redkitten@skynet.be

"[...]après avoir égorgé quelque 1 000 enfants de moins de cinq ans, comme l'a admis elle-même la presse serbe". On nous prend pour des con(nes?

De Staline à Chirac, l'inimitable Kadare
by Georges Thursday February 21, 2002 at 07:35 PM

Rassurez-vous, M. Kadare, le nombre de prisonniers albanais en Serbie est parfaitement connu par la Croix-Rouge internationale qui les visite régulièrement dans leurs 'camps hitlériens de Milosevic'. En attendant que vous vous renseigniez à la Croix-Rouge, sachez déjà que l'été dernier, leur nombre était évalué à une centaine par Mme Husarka, passionaria de l'International Crisis Group (in Herald Tribune du 1/08/01), un "think tank" promouvant les interventions US aux 4 coins du monde et dont le président d'honneur est le général W. Clark, celui qui dirigea le bombardement aérien du Kosovo et du reste de la Serbie en 1999. Pour compléter votre information, sachez aussi que les quelques dizaines de Kosovars albanais encore détenus aujourd'hui ont tous été condamnés pour participation à des meurtres avant ou pendant les bombardements de l'OTAN.

A propos, pourquoi n'interviedriez-vous pas également auprès de la Belgique, qui emprisonne (pour divers motifs futiles, en particulier drogue et proxénétisme) un bien plus grand nombre de Kosovars albanais que la Serbie ? Je vous suggère également d'user de votre influence morale auprès de vos frères du Kosovo pour faire la lumière sur le sort des (au moins) 1500 civils serbes et roms enlevés par l'UCK (cette milice armée et formée par les réseaux Al-Qaeda et les services secrets allemands et US, et financée par le trafic d'héroïne), depuis la fin des bombardements et le déploiement des soldats de l'OTAN au Kosovo. Ces "disparus" ne sont visités ni par la Croix-Rouge ni par personne, et nul ne les a revus, morts ou vifs, depuis leur enlèvement.

Enfin, Mr Kadare, je me réjouis que vous fassiez preuve de tant de confiance envers notre bon président Chirac. Après avoir incommensurément vénéré Enver Hoxha, Staline, Mao, et votre spectaculaire reconversion pro-américaine peu avant la chute du mur de Berlin, cette correspondance réchauffe notre âme ouest-européenne et francophile. Et comble de l'habileté, vous parvenez à publier votre lettre, louant "l'espace occidental, à l'avant-garde de la lutte pour un nouveau monde démocratique et moral", sur le principal site "altermondialiste" de Belgique ! Vous êtes vraiment très fort, M. Kadare. Ceux qui vous traîtent d'opportuniste de bas étage ne sont décidément que d'irrécupérables goujats.

commentaire
by Fatos Z. Tuesday February 26, 2002 at 02:31 PM
Fatos_z@yahoo.fr

Je voudrais réagir par rapport à cet article et partager l'inquiétude de Monsieur Kadaré sur le sort des prisonniers politiques ou pour mieux dire des otages de guerre kosovars enfermés par le pouvoir fasciste de Milosevic, un pouvoir qui, faut-il le rappeler, a détruit pendant plus d'une décennie les Balkans. Il est étonnant de constater que ceux qui ont remplacé ce pouvoir fasciste, ne fassent rien pour la libération de ces gens enlevés de leurs familles de façon scandaleuse. En les gardant enfermés, le nouveau pouvoir de Belgrade, soi-disant démocratique, continue l'oeuvre de Milosevic et montre que si sa politique n'est pas aussi sanglante que celle de Milosevic, elle n'est pas moins nationaliste et moins méprisante envers les autres peuples de la région.