arch/ive/ief (2000 - 2005)

Les antimondialistes et la récupération
by Frans De Maegd Wednesday January 09, 2002 at 11:43 AM

L'attaque d'un groupe d'anarchistes contre quelques banques et contre un bureau de police pendant la manifestation des antiglobalistes le 14 décembre était totalement inopportune et la destruction de quelques voitures de luxe était totalement stupide. Ces agissements ont nui à l'image du mouvement. Mais ceux qui prétendent qu'il s'agissait d'une provocation de la police visant à discréditer et à criminaliser le mouvement n'ont pas compris la tactique de la bourgeoisie et de l'appareil de l'Etat.

L'attaque d'un groupe d'anarchistes contre quelques banques et contre un bureau de police pendant la manifestation des antiglobalistes le 14 décembre était totalement inopportune et la destruction de quelques voitures de luxe était totalement stupide. Ces agissements ont nui à l'image du mouvement. Mais ceux qui prétendent qu'il s'agissait d'une provocation de la police visant à discréditer et à criminaliser le mouvement n'ont pas compris la tactique de la bourgeoisie et de l'appareil de l'Etat. Il est fort probable que des flics aient participé à cette action violente, mais des incidents comparables lors de la manifestation anarchiste du 15 décembre et l'absence de ce genre d'actions lors de la manifestation de paix de ce même 15 décembre, démontrent que cette politique et ces formes d'action sont le fait des anarchistes. J'estime que les anarchistes doivent être critiqués sévèrement, mais qu'il ne faut pas oublier qu'ils appartiennent au mouvement.

Il n'est pas exact non plus d'affirmer que le comportement des anarchistes (et soi-disant de la police) a eu pour conséquence que les médias n'ont pas parlé des objectifs et du contenu du mouvement. Dans les télévisions publiques, on a clairement fait la distinction entre le caractère général pacifique, combatif et ludique de la manifestation, d'une part, et les actions isolées et inadmissibles des anarchistes, d'autre part. La RTBF a même très bien fait ressortir le contenu du mouvement et elle a montré le présence du Che et de Marx. Les "idéalistes anticapitalistes qui se battent de manière pacifique pour la justice sociale, la liberté et pour un autre monde, un monde meilleur" ont été présentés d'une manière sympathique.

Dans la déclaration que Solidaire a diffusée le 15 décembre à la manifestation pour la paix, il est question de "provocation policière" liée à une autre tactique de sabotage de la bourgeoisie: "les discussions épuisantes durant des semaines sur le parcours de la manifestation". La question qu'il faut se poser à cet égard est celle de savoir si les organisateurs de D14 ne se sont pas épuisés eux-mêmes en menant de telles négociations. N'ont-ils pas, ce faisant, oublié l'objectif initial de la manifestation qui était de (tenter de) bloquer le sommet européen (comme à Seattle et à Prague) ou de (tenter de) pénétrer dans la zone rouge (comme à Gênes)?

Sous la pression du mouvement antimondialiste et la sympathie de l'opinion publique, la bourgeoisie a changé de tactique. Elle a constaté que la répression aveugle renforçait le mouvement et qu'il était possible de le diviser en distinguant les bons et les mauvais antiglobalistes. Elle est obligée de faire des concessions, en autorisant des manifestations pacifiques à proximité des zones rouges. Elle est contrainte d'engager le dialogue, de négocier et même de formuler sa sympathie pour la manifestation des antiglobalistes. En ce moment, la bourgeoisie est obligée d'abandonner sa politique de criminalisation et de provocation. Mais derrière cette victoire des antiglobalistes et de l'opinion publique, se cache l'énorme danger de récupération et d'affaiblissement du mouvement par la bourgeoisie. Dans la période qui précédait le 14 décembre et le jour du 14 décembre, la bourgeoisie a autorisé toutes les actions dans les limites qu'elle avait posées. Elle a renoncé aux interventions ouvertement répressives. Par rapport à l'intervention des forces répressives à Seattle, Prague, Göteborg et Gênes, l'intervention de la police à Bruxelles, même lors des incidents, a été très réservée. L'intervention de la police à Tour&Taxis était stupide du point de vue tactique et elle constituait une aubaine pour nous, révolutionnaires, car elle permettait de lever un coin du voile et de montrer le vrai visage des forces répressives de la bourgeoisie. Une tache donc dans la tactique de "dialogue", de "conciliation" et de "sympathie" de la bourgeoisie.

Le déroulement pacifique de la manifestation des antimondialistes à Gand le 19 octobre était important. Cela permettait de rectifier l'image criminelle qui collait au mouvement après la manifestation de Gênes. Mais beaucoup s'étaient néanmoins attendus à ce que la manifestation de Bruxelles soit plus vigoureuse en qu'on essaye au moins de pénétrer dans la zone rouge. Probablement, cela n'a pas été possible, car il fallait préserver l'unité au sein du mouvement. Il faut pourtant admettre que la lutte au sein du front conduira tôt ou tard à une rupture entre les "modérés" et les "radicaux". C'est ce qui s'est également passé dans le mouvement de solidarité pour le Vietnam dans les années septante. Un concession? Sans doute, mais alors il faut aussi considérer qu'il s'agit d'un pas en arrière dans la dynamique du mouvement. Ce n'est pas un problème si on le reconnaît comme tel, et que ce pas en arrière sert à faire rapidement deux pas en avant. Mais je ne peux pas me défaire de l'impression que pour D14 il importait avant tout que le mouvement reste dans les limites de la légalité et du peace-keeping.

Pas du tout d'accord
by Arnaud Wednesday January 09, 2002 at 01:26 PM
arnaudleblanc@swing.be

Je ne suis pas du tout d'accord avec ton idée de blâmer les bris de vitrine. Et je vais même jusqu'à dire : "Merci les anarchistes car sans vous, Bruxelles aurait été une morne plaine où les gens n'aurait même pas remarqué que l'Europe en construction pose problème".
A Nice, l'année passée et juste après ma première rencontre avec ce qu'on appelle communément et souvent abusivement le "Black Block", nous avons interviewé (avec un autre collaborateur Indymedia Belgium), à côté d'une voiture de la ville retournée, un niçois de près de 70 ans qui promenait son chien. Cet homme, qui adulait pourtant les Etats-Unis, disait comprendre ces jeunes car la société actuelle est invivable (insécurité physique, sociale...).
En quelque sorte, il ne comprenait pas comment les habitants occidentaux, jeunes et moins jeunes, ont pu rentrer dans une telle passivité face à la société qui les oppriment. Dans les années soixante, alors que les conditions de vie étaient supérieures, la population s'affirmait bien plus radicalement.
A présent, on crie au drame quand une vitrine est brisée (sur le week-end, il y en a peut-être eu six ou sept). D'autres, plus réfléchis acceptent ces formes d'actions mais ils pensent que l'impact dans les médias va nuire au mouvement.
En un an et demi pendant lequel j'ai suivi divers sommet en Europe, les quelques fois où il n'y a pas eu de bris de vitrine ou d'affrontements, la presse n'a pas parlé des manifestations ou alors de manière anecdotique. Par exemple, souvenez-vous de l'impact médiatique des 15.000 manifestants de Gand le soir. Aucun média n'a parlé du rassemblement du soir mais certains ont quant même exprimé les inquiétudes des autorités face à un groupe de quelques anarchistes (dixit).
Mais il faut bien faire attention quand on parle média, il faut aussi aborder la proximité des différents médias avec l'évènement. Les médias belges ne se sont certainement pas amélioré en décembre. Mais l'évènement étant plus proche d'eux et de leur audience, ils ont envoyé plus de journalistes et d'émissions spéciales pour couvrir les évènements. Pendant la présidence espagnole, ils ne parleront pas des manifestations ou uniquement, comme d'habitude, selon l'œil sensationnaliste des agences de presse internationale.
En ce qui concerne D14 (et attention, j'estime qu'il y a une différence entre D14 et le réseau Un autre Monde), j'estime qu'ils ont fait du très bon boulot et s'était leur devoir de montrer qu'une partie de la population s'opposait officiellement au sommet. D'autres part, ils ont offert une liberté totale aux participants à la manif d'exprimer leur opposition à la zone rouge. Le panneaux rouge Place Boekstael était là pour le dire (« Sommet tout droit, trajet légal à droite ») . Eux, par la position officielle qu'ils endossaient ne pouvaient pas dévier du parcours, la répression aurait été trop rapide pour s'abattre sur les représentants de la coordination.
Cependant, il faudrait se demander comment ça se fait qu'il n'y a pas eu de groupes qui décident de faire une action (même de désobéissance civique non violente) pour contester la zone rouge. Pour faire un parallèle avec Gênes, le GSF n'a jamais décidé d'envahir la zone rouge. Ils ont décidé de laisser leurs composantes s'exprimer librement, les groupes se sont alors chargés du reste.
Je ne pense pas que c'est à la coordination hôte de décider des actions mais c'est bien à elle d'en permettre l'exécution.
Je suis évidemment d'accord avec toi concernant l'infiltration de la police. La police était partout mais certainement pas pour commettre des délits comme à en Italie ou en Espagne.
Dans la manif pour la paix que je suivais, la Legal Team a dénombré près de 20 policiers en civil (avec foulard et oreillette -attention à ne pas confondre avec le service d'ordre de la CNT-). Quand j'ai interrogé avec un autre média activiste, le chef des policiers en civil (c'est comme ça que je l'appelle, on le voit souvent, en civil, aux devants des manifs à Bruxelles), il a avoué sans le vouloir qu'il y avait beaucoup de jeunes recrues (18-19 ans pour certains).
Il n'est pas étonnant que les policiers aient infiltré la manif anar, pas plus étonnamment qu'une autre.

Réactions à chaud!....
by mag Wednesday January 09, 2002 at 04:47 PM
mgilkens@hotmail.com

A chaud, en réponse à Frans De Maegd, comme en réponse à Arnaud.

La question de "La Bourgeoisie"

J'aimerais que l'on ne s'embarque peut-être pas trop vite dans des clichés éculés sur la bourgeoisie. Il est facile d'englober dans ce terme - qui a pris au cours des années une connotation de plus en plus négative - toute la majorité silencieuse accusée de lâcheté, de compromis et de soumission au pouvoir.

Il y a "bourgeoisie" et "bourgeoisie". A l'époque des Lumières (je sais, je remonte loin), les idées les plus révolutionnaires provenaient de ce que j'appellerais la bourgeoisie "éveillée" (si le terme ne vous convient pas, soit, prenons-en un autre...). Marx était un bourgeois, Proudhon aussi, Bakounine un aristocrate, Guevara n'était pas un ouvrier mais bien un médecin ...

C'est l'émergence de la bourgeoisie qui a fait refluer les acquis de l'aristocratie...

Bien sûr, les autres "bourgeois" non pas "éveillés" mais "bien-pensants" décriés par Brel ont repris la suite, hélas. Et c'est cette phase -là à laquelle il faut être attentif. Mais avant cela, il y a encore beaucoup de choses à faire!

Nous sommes donc face à 2 types d'interlocuteurs (en gros et pour shématiser). D'une part ceux qui craignent par-dessus tout le "qu'en dira-t-on", le regard des autres et le jugement des autorités... ceux que j'appellerais les "bons moutons"...

... mais il y a aussi les autres qui ont vécu leur révolte, ont une place dans cette société et y tiennent, mais qui n'arrêtent pas pour autant de penser, réfléchir et s'interroger.

Ces derniers, qui font toujours partie de la majorité silencieuse, sont pourtant nos alliés! Ils se taisent par manque d'informations, ou pire : par désinformation! Ils se retrouvent dans un quotidien pressant, stressant qui agit comme un lavage de cerveau, qu'ils se doivent pourtant d'assumer parce qu'ils ont des enfants, parce qu'ils ont des acquis, parce qu'ls sont pris dans un certain engrenage et que tout, finalement, est pris en otage par une société qui se veut "égalitaire dans l'indifférence".

Ils croient ne pas avoir d'impact et mais en ont un! Enorme!! D'abord l'impact financier mais qui demande une solidarité et une convergence d'action. Ils peuvent paralyser un pays aussi sûrement que les travailleurs.
Hélas, ce sont les bien nommés "indépendants" pour la plupart.

L'impact aussi d'une certaine formation, d'une certaine capacité d'adaptation et, même si cela peut paraître absurde : une capacité d'inertie fondamentale pour nos gouvernants.

Bouger cette bourgeoisie-là et vous faites basculer le rapport de force!

Pour la bouger, il faut lui apprendre, ou plutôt lui réapprendre à regarder, à écouter, à entendre. Il y a des tas de barrages, des tas de "somnifères" mis en place pour garder la bête très calme. Si les ouvriers sont la force vive d'un pays, la bourgeoisie en est l'épine dorsale, que cela nous plaise ou non. Nous ne nous débarrasserons de ce clivage absurde qu'en changeant de regard les uns sur les autres! Et je crains bien que ce n'est pas demain la veille :-((

Les médias sont les armes les plus pernicieuses, les lois les plus puissantes. Et comment leur expliquer que les medias mentent sans leur présenter d'autres arguments dans un langage qui leur est familier? Comment leur démontrer que tout être est au-dessus des lois qui ne sont là que pour aider à s'entendre et non s'empêcher de vivre comme cela devient le cas?

Obscurément, ils le savent. Mais ils ont tout à perdre! Et nous devons leur apprendre qu'ils ont beaucoup à gagner car cela, ils ne le savent pas encore.. Mais cela implique que d'autres sont prêts, eux, à tout mettre en jeu. Tout!

Alors, ils bougeront et rien n'arrêtera le mouvement.

A ce moment, un autre phase critique s'ouvrira : la mise en place d'une nouvelle inertie. Et là, les révolutionnaires généralement se cassent pour d'autres combats. Seuls ceux qui désirent gagner quelque chose restent... Toute la différence entre Guevara et Castro.

Dommage qu'ils ne bougent que parce qu'ils auraient quelque chose à gagner? Arrêtez! Nous bougeons tous pour quelque chose! Si ce n'est pas matériel, c'est pour une reconnaissance, pour se faire entendre, pour se faire voir.
Nous sommes humains et les humains ne sont pas des saints : cela se saurait ;-)


La question des casseurs

Je comprend la réaction d'Arnaud. Il est malheureusement vrai que les medias "officielles" et également le lecteur en général ne s'arrête que lorsqu'il y a atteinte au matériel. Toucher au veau d'or, et vous serez reconnu.

Soit.

Passer pour des "neuneu" en manifestant poliment, gentiment dans les sentiers balisés n'apporte que peu de chose. Finalement on passe pour des clowns.

Soit

Avoir la sympathie et la larme à l'oeil des "bien-pensants" ne nous aide pas. Au contraire, ils vont nous bouffer, nous diviser et nous récupérer pour leur petit bien-être..

Soit

Des actions plus vives et plus vindicatives permettent de nous faire entendre... peut-être aussi d'imposer un respect par la crainte et d'affirmer notre engagement?

Soit...........Mais...

Au Nova, entre les sorties et les articles, nous avons souvent discuté de Gandhi. Comment a-t-il fait? Pourtant, sans actions vindicatives, il a bien réussi là ou les autres ont échoués?
Un secret : la désobéissance civile!! OK.

Comment appliquer une désobéissance civile sans casser? Comment désobéir en se faisant éminemment remarquer? En marquant les esprits? En forçant le respect? En mettant les rieurs de notre côté??

Gandhi avait résolu ses peurs : il ne craignait ni la mort, ni la perte matérielle, ni la perte d'identité sociale : il était centré, fondant son identité intrinsèque dans ses opinions.

Et nous?

Ces dernières années, toujours sous l'exemple de Gandhi, nous avons inventé, réinventer les actions pacifiques. Nous devons aller plus loin.

Peut-être pour les arrestations arbitraires, trouver des menottes, se menotter entre nous et se jeter au sol avec les autres... que les policiers n'aient pas 10 ou 30 personnes appréhendées mais 100 et plus!!! Cela signifie être prêt pour les coups, être prêt pour la nuit au poste, être prêt pour ce risque -là... non plus envisagé, mais imposé par nous!!

Peut-être refuser de courir devant eux lorsqu'ils chargent et les forcer à nous écraser. Reprendre le jeu en main et imposer notre présence et notre calme.

Peut-être emmerder le capital dans ce qu'il a de plus cher : son image. Tagger au lieu de casser. Mais alors, solidement, que cela laisse des traces longtemps.

Peut-être trouver des slogans, des chants, non plus virulents mais ironiques.. des pamphlets que chacun retienne et fredonne. Que cela deviennent in leitmotif aussi ancré que les jingle des pubs!

Fouiller, chercher, analyser, présenter des arguments, des preuves, des images des dessins ... Revendiquer une intelligence des dossiers, imposer une analyse, un regard, non plus seulement une révolte. Nous sommes déjà dans le chemin...

Se battre pour être représentés aux conférences de presse, aux débats, aux tables de négociations, aux discussions.

Et entre nous, surtout, accepter que la "communication" n'est jamais une "confrontation", mais un échange libre de points de vue..

Décrypter la foule d'infos des officiels, l'expliquer à tous


Tout à fait d'accord
by Arnaud Wednesday January 09, 2002 at 09:57 PM

Alors là, je suis tout à fait d'accord avec ta contribution.
Evidemment, laissons la diversité des tactiques s'exprimer, il y a des moyens et des moyens pour rendre la vie des grands insupportable.
Et dans ce sens, après la mobilisation, c'est des tactiques que la Belgique doit apprendre. Tu parles de Gandhi, je rajouterais Martin Luther King, les activistes écologistes en tout genre, les jeunes de Gand (jnm), la combativité des Tute Bianche, le Black Block américain... Il faut s'inspirer de ceux qui ont animé et fait bouger le passé pour le rendre meilleur et ce contre le système qui les opprimaient.
Seattle, Prague, Gênes n'ont pas frappé les esprits pour rien, il y avait des gens, et tous y étaient prêts, qui se sont fait arrêter dans les même conditions que tu viens de décrire et qui avalent une conscience aussi forte qui les poussaient au-delà de leur peur.