Insurrection populaire en Argentine by Jean-Philippe Divès Friday January 04, 2002 at 02:34 PM |
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La colère accumulée face à la catastrophe économique et sociale a donc fini par exploser. Par leurs grèves et manifestations, en s'affrontant durement aux forces de répression, les travailleurs et le peuple viennent en l'espace de dix jours de chasser deux présidents et gouvernements, d'abord radicaux, puis péronistes.
Début décembre, le gouvernement radical procède à un nouveau tour de vis: baisse des salaires des fonctionnaires et des retraites, gel partiel des comptes bancaires signifiant une confiscation des maigres revenus des travailleurs. Le 14, au lendemain d'une grève générale massivement suivie, des milliers de sans-emploi commencent à s'approprier la nourriture dans les supermarchés. Le président De La Rua répond à ces "atteintes à la propriété privée" par l'état de siège. Suivant l'exemple des "piqueteros" (travailleurs au chômage dont la principale forme de lutte est le blocage de routes et avenues), la population entre en insurrection. Dans la capitale, elle déferle vers le palais présidentiel. Les 19 et 20 décembre, les affrontements de rue imposent la démission du gouvernement puis du président.
Nommé par l'Assemblée législative (députés et sénateurs), le péroniste Rodriguez Saa tente de calmer la révolte par des promesses démagogiques et frauduleuses. L'intégration dans son équipe de personnages hypercorrompus issus des gouvernements précédents et le maintien du gel des comptes bancaires conduisent le peuple à redescendre dans la rue. Tandis que grèves, occupations et autres mobilisations se poursuivent, de nouvelles manifestations et de nouveaux combats se déroulent devant les lieux du pouvoir. Le Congrès est partiellement incendié. Les manifestants exigent "qu'ils s'en aillent tous": radicaux, péronistes, députés et sénateurs, gouverneurs, Cour suprême de justice. Les ambitions concurrentes au sein du parti péroniste deviennent incontrôlables et Rodriguez Saa est contraint de démissionner à son tour...
Le fait que la faillite du "meilleur élève du FMI" constitue une condamnation du "modèle néolibéral" apparaît évident. Les causes structurelles plus profondes sont cependant moins connues. La catastrophe actuelle illustre tant les lois impitoyables de l'impérialisme capitaliste que celles du développement inégal et combiné: c'est parce que l'Argentine a été un pays relativement avancé, le plus prospère d'Amérique latine, que la mondialisation capitaliste a totalement détruit son économie. C'est pour cette raison que le parasitisme et la corruption de la bourgeoisie (et de ses agents politiques et syndicaux) s'y manifestent dans de telles proportions.
Personne ne voit d'issue à la crise. Le maintien de la parité dollar-peso interdirait toute sortie de la récession, mais la fin de la convertibilité et la dévaluation peuvent provoquer la ruine de milliers d'entreprises et de millions d'habitants endettés en dollars. La question du pouvoir est posée: tout le monde s'interroge, discute de quel programme, appliqué par qui et comment, pourrait sortir le pays et le peuple de la catastrophe.
Péronistes et radicaux ont maintenant investi Duhalde, ancien gouverneur de la province de Buenos Aires et candidat péroniste battu par De La Rua à la présidentielle de 1999. Son gouvernement aura des caractéristiques "d'union nationale" mais n'en apparaîtra pas pour autant légitime. Le plan est qu'il gouverne jusqu'en 2003. Si l'élection présidentielle initialement prévue pour le 3 mars a été annulée, c'est parce que pour la bourgeoisie, elle pouvait déboucher sur "n'importe quoi": un effondrement du bipartisme bourgeois péroniste-radical, peut-être au profit de la radicale dissidente Elisa Carrio qui, avec le soutien de la CTA, préconise un "capitalisme sérieux et moral"; et certainement un score très élevé du député socialiste révolutionnaire Luis Zamora.
Les responsabilités des marxistes révolutionnaires sont évidemment considérables. L'extrême gauche, principalement trotskyste ou d'origine trotskyste, est la seule force politique à avoir appelé et participé à l'insurrection, dont les centrales syndicales ont été absentes. Les listes de ces différentes tendances (l'une d'entre elles alliée au petit PC castriste) ont obtenu dans les dernières élections un million de voix, 7% des suffrages exprimés. Cette extrême gauche a pour tâche de favoriser l'indépendance et l'auto-organisation du mouvement populaire, tout en "expliquant patiemment" les tenants et aboutissants de la situation. Elle est confrontée au défi de s'unir autour d'un programme d'urgence susceptible de sortir le pays et le peuple travailleur de la catastrophe, ce qui implique d'ouvrir la voie à une transformation socialiste.
Pour soutenir cet effort, il nous revient ici, avant tout, de développer la solidarité avec les travailleurs et le peuple argentins, en commençant par dénoncer la répression d'Etat qui a fait 31 morts, des centaines de blessés et des milliers d'emprisonnés.
Jean-Philippe Divès, "Rouge", hebdo de la LCR
- Pour s'informer sur les positions des principales organisations marxistes révolutionnaires, on peut consulter leurs sites Internet: <http://www.mas.org.ar> (Mas), <http://www.pts.org.ar> (PTS), <http://www.mst.org.ar> (MST), <http://www.po.org.ar> (PO). Voir aussi <http://www.herramienta.com.ar> pour la revue théorique et politique du même nom.
Question by zumbi Friday January 04, 2002 at 04:10 PM |
fleveque@brutele.be |
Au fait, outre les organisations troskistes ou d'origine troskiste, y a-t-il d'autres mouvements ou partis d'extreme gauche en Argentine qui ont réalisé des résultats intéressants?