arch/ive/ief (2000 - 2005)

Crise en Argentine: Témoignage
by François Soltic Saturday December 22, 2001 at 05:18 PM
f.soltic@voila.fr

Témoignage déjà daté mais intéressant de quelqu'un sur place.

Je vous ecris (sans accents) de l'Argentine ou j'etais venu passer les fetes et pour presenter ma fille a ses grands parents.

Maintenant, je suis coince dans une maison dans un quartier de la ville de Rosario ville de Rosario et les informations qui passent a la tele sont tres contradictoires.
Nonobstant, je vais essayer de donner un rapide survol de la situation.

L'Argentine se trouve dans une recession economique sans precedent depuis environ 1998, mais les choses se sont beaucoup aggraves au cours de derniers mois, au point ou le president de la Rua, qui avait remplace en 1999 le tres corrompu Carlos Menem a rappele le ministre de l'economie de ce dernier, Domingo Cavallo, un vieil ami du FMI, forme a Harvard et Chicago. Au cours des derniers semaines les mauvaises nouvelles se sont multipliees. Le FMI a soumis des nouveaux prets a des conditions draconiennes et la parite Dollar-Peso, decretee par le meme Cavallo en 1990, semble de moins en moins soutenable, d'autant plus que le FMI, l'un des principaux promoteurs de la Dollarisation, ne semble plus y croire.
Il faut savoir que la Dollarisation est desequlibree: les dettes et credits sont en Dollars, mais les salaires sont en Pesos. Malgre son nonsense economique la fin de la parite pourrait avoir des consequenses sociales - surtout pour la classe moyenne, deja tres affablie - desastreuses. Pour eviter la course aux epargnes, le gouvernement (en fait, le ministre Cavallo) a decide de geler les avoirs et de limiter les retraits a 250 US-S par semaine. Par ailleurs, il est quasiment impossible de retirer de l'argent ou que ce soit, vu les queues interminables. Le secteur public ne paie pas de salaires depuis des mois. Dans la province de Buenos Aires (la province autour de la capitale), le secteur public paie depuis des mois en monnaie parallele: des bons de tresor en pesos qui sont desormais acceptes pour tout achat.

La situation des populatios plus pauvres est plus critique encore. Face a des taux de chomage record, la situation alimentaire est desastreuse et l'insecurite augmente tous les jours. Nous avons passe les trois premiers jours a Moreno, a trente kilometres de de Buenos Aires, repute être un point "chaud": la nuit on entend regulierement des tirs et les envois de forces de repression vers les bidonvilles.

Le 18 decembre, les forces de l'ordre ne reussisent plus a contenir les populations des quartiers defavorises qui `s'attaquent aux supermarches. Les grands supermarches, comme Carrefours ou Auchan (et oui, la globalisation), n'ont rien a craindre grace aux pots de vin payes a la police. par contre, les petits commercants et les supermarches asiatiques (oui, il y a du racisme) et certains hypermarches ont ete pilles. Parfois les proprietaires ont essaye de negocier ou ont eux-memes vides leurs supermarches pour eviter les destructions materielles. Les images sont desolantes et degradantes.

Le 19 decembre, apres des pillages, des heurts et des morts dans tout le pays, a 18h30, le president a signe un decret declarant l'etat de siege et un second decret concernant des "aides d'urgence". Cependant, jusqu'a 21 h, cette information n'etait pas confirme officiellement et le Congres (qui peut s'opposer) n'etait pas informe.
A 22h45, pour la premiere fois, le president prenait la parole a la television pendant 5 minutes. Immediatement apres la Plaza de Mayo (la place devant le palais presidentiel, ou avaient deja manifeste les "madres de la Plaza de Mayo") etait remplie de gens manifestant leur desapprobation. A Rosario, des milliers de gens convergaient vers la place centrale.
La repression policiere ne s'est pas fait attendre et l'on comptait ce matin 15 morts, dont 5 seulement a Rosario: lance-eaux, balles en caoutchouc et tabassage systematique, ainsi aue quelques "balles perdues" rappellent les meilleures epoques de la repression militaires.

Entretemps, le ministre Cavallo presente sa demission vers 1.30 h du matin, suivi pendant la nuit et la matinee suivante par la plupart de membres du gouvernement. De la Rua n'ayant plus fait d'apparition publique, un porte-parole a annonce la formation d'un gouvernement d'union nationale, dont les membres seraient connus vers 15h (20h a Paris). Cavallo aurait quitte le pays fuyant aussi la justice pour des accusation de traffic d'armes.

Ce matin la Plaza de Mayo s'est reremplie defiant l'interdiction l'etat de siege. La repression policiere a ete denoncee ce matin par la juge federale Servini de Cubria, qui a annonce des poursuites judiciaires. Nonobstant, vers 10h du matin et encore une fois en ce moment-meme (transmission en direct par la tele), la repression a repris au gaz lacrimogene, aux balles en caoutchouc et des camions lance-eau. La police ne controle pas beaucoup et les manifestants, meme blesses reviennent a leur place des que les forces policiers se retirent. Actuellement la police federale essaie de boucler la place par la force, mais ne semble pas y parvenir. Le nombre de blesses est difficile d'estimer, mais les images sont extremement violentes.

Des analystes comparent ceci a 1989, quand Alfonsin etait contraint de demissioner 6 mois avant le terme de son mandat face aux manifestations et l'hyperinflation, pour laisser la place a Menem, deja elu successeur.
Aujourd'hui, il n'y pas de remplacant. Selon un journaliste locale, le president aurait baigne dans le ridicule hier soir lors de son allocution televisee "et c'est un endroit dont on ne revient plus" disait-il en paraphrasant Peron.
C'est la sans doute le danger de cette situation: le president a perdu toute credibilite, le Congres est controle par l'opposition peroniste et les gens ne veulent plus ni des uns ni des autres. Dans ce chaos a peu pres tous les scenarios sont egalement pertinents ou fantaisistes. Les demandes de demission du president se multiplient, mais celui-ci evite les medias.
Seul point positif: la presse opere librement, pour l'heure, de sorte que les exces de la repression sont retransmis en direct en permanence par plusieurs chaines.

Je vous tiendrai au courant au fur et a mesure.