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Les politiques sont-ils encore responsables?
by Claire André Saturday December 15, 2001 at 06:27 PM
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A quoi sert de se comporter en citoyen(ne) si les responsables politiques ne nous écoutent pas?


Bruxelles, le 15 décembre 2001.

Monsieur le Bourgmestre de la Ville de Bruxelles et
Messieurs, Mesdames les «Politiques».

Monsieur,


C'est une citoyenne en colère qui vous écrit. Je prend ma plume car je veux comprendre comment fonctionne votre police et vous informer du comportement de votre police à mon égard lors de la manifestation du 14/12/01 et vous faire part de quelques réflexions.

Je ne peux pas accepter la fouille injustifiée que j'ai dû subir hier par votre police. Il s'agit là d'un manque évident de respect. Je n'ai rien d'une terroriste. Je n'étais pas masquée. Je suis une femme et mon apparence ne pouvait en rien être confondue avec quelqu'un de violent. Je leur ai dit que mon sac ne contenait que des papiers. J'ai essayé d'expliquer ça à vos robocops. Ils n'ont rien voulu entendre. Ils ont ouvert mon sac qui se trouvait sur mon dos. Au lieu de le refermer, ils l'ont laissé ouvert. Quand j'ai voulu le retirer de mon dos (pour le refermer), le contenu est évidemment tombé par terre. Ils m'ont dit que c'était de ma faute. Je leur ai répondu que ce n'était pas moi qui l'avait ouvert. Je leur reproche de ne pas m'avoir laissé le temps de retirer mon sac de mon dos et qu'ils auraient pu au moins le refermer. J'ai essayé de dialoguer avec eux. Ils n'ont rien voulu entendre. J'appelle cela de la violence et un refus de dialogue. Cette fouille était totalement injustifiée. Je ne peux ni comprendre ni accepter ce viol de ma vie privée.

Après ça un robocop m'a traité de folle. Je lui ai répondu que je ne savais pas lequel était le plus fou des deux... Heureusement, j'ai pu discuté avec un responsable plus aimable qui me comprenait et trouvait injustifié et incorrect cette insulte. Plus loin (deuxième rangée de policiers, j'ai parlé à un robocop en français, il a feint de ne pas me comprendre; je lui ai parlé en néerlandais, il a répondu qu'il ne comprenait pas mon néerlandais... de qui se moque-t-on...?

Bref, j'ai, apparemment, eu à faire à plusieurs policiers qui ne réfléchissent pas et qui obéissent à des ordres sans penser plus loin que le bout de leur nez et en outre, peu respectueux des citoyen(ne)s et du débat démocratique. Je ne trouve pas normal que des êtres humains n'aient pas le droit de réfléchir et de penser et qu'ils obéissent à des ordres aveugles sans distinguer les «terroristes» des «citoyens respectueux de la démocratie» qui ne veulent que le débat.. Les gardiens de la paix devraient avoir plus de «jugeote», sinon j'estime qu'ils ne sont pas dignes de ce métier, pourtant et malheureusement - je le constate comme vous - nécessaire. Etonnez-vous alors qu'ils se sentent mépriser par le public...

Je veux comprendre dans quelle société je vis, quels sont les enjeux en présence et pouvoir participer au débat.
Je suis d'autant plus en colère que je suis une militante engagée depuis de longues années. Depuis plus de 6 ans, j'essaie plus particulièrement de défendre les droits des plus pauvres (sans emploi, s.d.f., précaires, ...etc.). J'ai essayé de développer une formule de lieu de parole qui allie citoyenneté, information et convivialité sans pour autant rencontrer l'intérêt des plus favorisés... De plus, j'ai assisté, cette semaine, à l'assemblée européenne des chômeurs, chômeuses et précaires (il faudrait ajouté les s.d.f.) au Vlekho à Bruxelles. Je peux vous dire que j'y ai vu là un modèle exemplaire de démocratie et ce... avec de très - trop - maigres moyens...

Alors, vous comprenez quand je vois: le luxe, la gabegie dans laquelle nos «chefs d'Etat » européens se vautrent pendant ce «Sommet» (jusqu'à exiger tel fromage machin ... très cher, etc. ... que beaucoup ne pourront peut-être jamais se payer et apprécier...), comment vos policiers traitent une citoyenne pacifique qui ne veut que faire entendre sa voix, je suis d'autant plus scandalisée par ce comportement non démocratique de votre police. Vos policiers ont-ils le droit de réfléchir et de se faire leur propre opinion ou ne sont-ils là que pour répondre à des ordres sans nuance... ?

Je me comporte correctement et j'estime que les responsables politiques ont le devoir de respecter les citoyen(ne)s. J'ai le sentiment que les hommes politiques méprisent les citoyen(ne)s. Ils se croient tout permis parce qu'ils ont le pouvoir... Alors que le pouvoir doit se partager! N'est-ce pas cela une vraie démocratie?

Je vois tous les jours un monde qui va mal car je le vis quotidiennement ... Mon frère s'est suicidé il y a trois ans et moi-même, je me relève doucement d'une dépression grave: j'ai failli moi-même, par désespoir, mettre fin à mes jours. Je fréquente suffisamment de pauvres pour mesurer la distance qu'il y a entre vous «hommes politiques » et les «citoyens». Marre de cette société qui ne favorise qu'une minorité élitiste!

Je vois Noël et le Nouvel an approcher, et... je ne me sens pas vraiment le coeur de faire la fête. Et pourtant, j'aime la vie! Il y a trop de souffrance sur cette terre! Que faites-vous pour changer ça?

Le pouvoir est à remettre en question. J'ai vu trop de gens se sentir tout permis parce qu'ils étaient devenus «chefs». Ce n'est pas pour rien que le harcèlement moral est un problème profond qui mine notre société. Comme disait le créateur de la compagnie des intrigants , il y a en chacun de nous «un petit président»; il y a, en nous, le pire et le meilleur. Celui qui n'en est pas conscient , est dangereux ... il prépare le fascisme. Je pense que notre société va devenir, si on n'y prend pas garde, de plus en plus fascisante. Elle en détient déjà les germes .

Il est temps de réagir! Que faites-vous?

Les responsables politiques nous vantent à la télévision une société de liberté mais ne voient-ils pas que cette liberté n'est réservée qu'à une minorité. Les plus pauvres eux n'ont pas le droit de se déplacer, de s'exprimer, d'apprendre, de choisir librement leur activité, etc.; autrement dit de vivre et d'exprimer leurs talents. L'Etat actuel ne propose actuellement que ce fameux «Etat social actif» sans contrôle démocratique tel le projet Van De Lanotte du «revenu vital ». Les plus pauvres eux n'ont pas leur mot à dire. C'est les politiques qui décident ... «que les pauvres ferment leurs gueules...» pensent-ils. Ils ne sont pas suffisamment intelligents. Détrompez-vous! Quel mépris! «Ya basta!» «Cela suffit!»

Nous les plus pauvres d'Europe, nous avons pu, ces 11, 12 , 13 décembre constaté, toute la distance entre les paroles de nos gouvernants et leurs actes. Je pourrais vous citer des chiffres, des faits concrets qui attestent de la véracité de mes propos. Mais sans doute, les connaissez vous vous-même. Si tel n'était pas le cas, je me ferai un plaisir de mieux vous informer!

Je ne veux pas d'une société qui entretient le mensonge. Les médias, troisième pouvoir ne se comportent pas toujours correctement. Il suffit de voir comment la R.T.B.F. a retranscrit le déroulement de la manifestation du 14 décembre. Elle s'est focalisée sur quelques casseurs qui n'étaient qu'une toute petite minorité, sans doute pas plus d'une cinquantaine de personnes. Elle n'a pas fait beaucoup de place aux mouvements citoyens présents hier et aux milliers de manifestants pacifiques marchant hier dans un très grand froid! Quelle place accordent-ils à ces gens courageux? Pas très grande, on dirait!

Je suis scandalisée. Télé-Bruxelles a lui raconté beaucoup plus correctement les faits. Nous vivons dans un contexte de criminalisation des luttes et certains médias jouent un rôle dangereux dans ce sens. On dirait qu'ils veulent faire peur à la population et leur faire croire qu'avoir des opinions politiques équivaut à devenir un terroriste si on n'est pas dans un parti. Il est temps que la démocratie ne soit plus seulement une affaire de parti mais elle doit être la question de tous, des citoyens!


Nous sommes tous responsables par rapport à la société dans laquelle nous vivons. Cette responsabilité n'est pas «que» l'affaire des «politiques». «La politique» est une chose noble. Je vous demande pourquoi «les politiques» à la recherche du pouvoir à tout prix continuent quotidiennement à la salir et à refuser de démocratiser au maximum le savoir et les responsabilités? Que faites vous de notre droit de choisir, d'être libre et de vivre? Quand consulterez-vous vraiment la population?

Ce que je veux, Monsieur, c'est vivre! J'ai quarante ans et je veux un avenir et être utile. Nous sommes des millions en Europe à attendre le respect de nos droits fondamentaux! Qu'attendez-vous pour le faire respecter, vous qui avez le «pouvoir»?

J'aimerais savoir, Monsieur, dans quel monde vous voulez vivre?

Moi, je sais que je veux vivre dans un monde où tout le monde a le droit de vivre, de comprendre les enjeux qui le concernent et qui ont le droit de réfléchir et de faire des propositions concrètes, de débattre. Je ne sais pas quand je serai à nouveau capable de retrouver un «emploi» dans ce «système capitaliste». Je souhaite seulement trouver ma place dans une société ouverte à tous et retrouver la santé que j'ai perdue, apprendre à mon rythme et être responsable, accéder à un certain bonheur (ce qui n'est pas le cas actuellement!) en toute convivialité.

Quelle doit être cette société? Je n'ai pas toutes les réponses. En tout cas, ce dont je suis sure c'est que je ne peux pas accepter une société «où le fric est un Dieu» et à deux vitesses qui veut imposer un rythme «fou» où les plus faibles ne savent plus suivre... et meurent à petits feux. La solidarité ne se décrète pas: elle doit se vivre au quotidien. Je vois des gens qui courent... sans avoir le temps de réfléchir et de poser des actes concrets de solidarité et de chaleur avec leurs proches. Ce monde devient de plus en plus inhumain. Est-ce normal? Je vous le demande!

Notre société me semble contenir actuellement un intégrisme grave. N'est-il pas pire que celui de Ben Laden. Je me pose la question. Ils me semblent tous les deux aussi inacceptables! Je veux être responsable mais je n'accepte pas la culpabilité aveugle de mes gouvernants. Je les trouve irresponsables. Ils parlent beaucoup mais leurs actes ne me semblent pas suivre.

Aujourd'hui, 15 décembre, je n'irai pas manifester parce que je pense qu'il est important que les esprits se calment mais ce n'est pas pour ça que je n'irai plus, dans l'avenir. «Manifester est un droit démocratique» et «votre devoir est de le faire respecter». J'attend de vous, Messieurs les politiques plus de démocratie et de lutte contre les inégalités! Les plus pauvres ont des solutions à vous proposer. Ecoutez les!

Je crois encore et toujours au débat démocratique plutôt qu'à la violence. Je suis une pacifique convaincue. Combien de temps encore les plus pauvres devront-ils attendre d'être entendus par vous, messieurs les politiques, attendez-vous que leur colère légitime déborde en plus de casse qu'hier. Les jeunes veulent un avenir. Les plus pauvres aussi! Prenez garde, Messieurs les politiques, votre comportement génère la colère. «Qui sème la misère, récolte la colère...» disaient hier les manifestants. N'ont-ils pas raison? Qu'attendez-vous pour réagir? Faudra-t-il que les morts... sortent de leur tombe et... viennent vous demander des comptes?

Malgré tout, je reste attachée à l'idée de non violence et vous fait part de mon désarroi ... (Il ne vient pas de nulle part!). Je vois trop de militants généreux se décourager, s'habituer de plus en plus à fermer leur gueule (question de survie...). J'en vois d'autres se suicider. L'assemblée européenne des chômeurs, chômeuses et précaires était, d'ailleurs, dédiée à deux personnes qui se sont découragées et suicidées cette année: Jipy et Barbara: deux personnes des plus respectables, Monsieur. Si cela ne vous interpelle pas, je ne comprend plus rien à votre démocratie et j'aurais toutes les raisons de me désespérer à mon tour... Je suis courageuse mais j'ai mes limites... d'être humain.

Je vous adresse mes respects, en attendant que vous preniez vos responsabilités, Monsieur. Sachez que je reste vigilante! Salutations.


Claire André
Tél. : 02/479.39.82.

Ne pas se taire
by "Tolérance zéro" pour les citoyens. Sunday December 16, 2001 at 12:25 AM

Juste un petit mot, Claire, pour te dire que tu est loin d'être la seule "simple citoyen(ne)" à te poser des questions. Sur ce qui s'est passé ces derniers jours et sur le monde en général.

Il ne faut pas avoir peur, ni honte, de se les poser. Tu le fais avec une grande humanité, sincérité et respect de l'humain. Ta lettre faisait, pour cela, plaisir à lire. Bien loin des déclarations haineuses ou cyniques de certains.

Tu as raison de les poser. Car, même en étant pas un(e) activiste, la manière dont nos autorités ont voulu "traiter" la contestation de ce sommet pose question. Ce climat de peur, de criminalisation, d'intimidation, de fichage à l'égard tant des quelques groupes violents, mais surtout de l'ensemble de ceux qui voulaient protester pacifiquement, est très inquiétant sur la manière dont nos gouvernants envisagent le fonctionnement futur de nos démocraties.

Je suis sur que nombre de gens auront hésité à venir. Parce qu'intimidés. Parce qu'effrayés à la perspective de se trouver confrontés à une police suspicieuse. Parce qu'ayant peur de se trouver fichés sans raison, ou de retrouver en arrestation "administrative" pour être passé au mauvais endroit. Comment ne pas les comprendre?

Mais c'est cela qui est inquiétant. On tolère de moins moins la contestation. Surtout spontanée. Surtout individuelle. Surtout sincère. Le lobby du pouvoir ne veut en voir d'autre qu'organisée. Encadrée. Délimitée. Raisonnable. Fichable et maîtrisable. Contestez, citoyens. Mais, surtout, ne remettez rien d'important en cause. Voilà le message.

Enfin, je ne suis pas là pour te faire un grand discours. Juste pour que tu sache qu'on te lit et que tu n'est pas seule. Très loin de là.

J'ai senti comme une pointe de désespérance dans ta lettre. Il ne faut pas se décourager. La police, les gouvernements, les financiers, ne sont pas le monde. C'est peut-être parce qu'ils le savent qu'ils ont peur. Mais nous allons vers un "mieux". Ils ne peuvent déjà plus ignorer les voix de la rue. C'est grâce à nous tous. Il y a encore pas mal de chemin à faire. Bah, et alors? On le savait, non?

Claire. Tu as raison. Ils sont de plus en plus nombreux à le faire savoir. Alors, ne te tais pas. Et, surtout, prend soin de toi.

Sympathies amicales

La voix