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Une heure de la vie de Maria Vindevoghel, déléguée Sabena
by marco van hees Thursday November 08, 2001 at 04:24 PM

Plusieurs centaines de travailleurs de la Sabena sont présents dans le hall des départs,ce 8 novembre, les larmes sont sèches mais les dents grincent de plus belle. Presque tous les regards sont tournés vers une tête blonde qui dépasse légèrement les autres: Maria Vindevoghel.

Plusieurs centaines de travailleurs de la Sabena sont présents dans le hall des départs, ce 8 novembre, amassés entre les rangées 4 et 5 de l'enregistrement des bagages. Aujourd'hui, les larmes sont sèches mais les dents grincent de plus belle. Presque tous les regards sont tournés vers une tête blonde qui dépasse légèrement les autres. Juchée sur un tas de bacs pour bagages, Maria Vindevoghel, déléguée CSC, s'égosille dans un mégaphone qui ne la quitte presque jamais.

Sa voix éraillée a manifestement quelques heures de vol, depuis l'annonce de la faillite. C'est elle qui, avec Patrick Willeputte (FGTB-métal), a introduit une plainte contre la Sabena, à laquelle s'associent de plus en plus de membres du personnel.

Des actions prévues? Pour l'instant, le plus important est d'encore grossir les rangs, explique-t-elle, de faire venir un maximum de travailleurs dans le hall de l'aéroport. Elle appelle donc chacun à faire fonctionner son GSM pour rameuter les collègues. Pas seulement les Sabéniens, d'ailleurs. "Tous les travailleurs de l'aéroport doivent venir nous soutenir, gueulophone la déléguée. Si vous en connaissez, dites-leur de se rappliquer. Ils risquent aussi d'être touchés par la faillite. Les prépensionnés vont aussi y perdre. Appelez-les également."

Maria alterne français et néerlandais pour répéter qu'il n'est pas question d'accepter sans broncher la faillite de cette société dans laquelle "nous avons beaucoup investi". Se faisant le relais des premiers rangs, elle ajoute: "Il y a des gens qui disent ici que le gouvernement peut tomber car c'est lui le responsable". Une tonitruante vague de "ouais" lui répond.

Entre les prises de paroles, les travailleurs qui ne cessent de l'apostropher et les appels réguliers sur son GSM, la déléguée n'a pas un moment de répit. Son foulard vert semble lui donner de l'urticaire. La chaleur? Plutôt l'attitude des syndicalistes en chef, CSC comme FGTB, qui négocient un mal nommé "plan social" alors que le feu de la résistance ouvrière brûle ici pour sauver la compagnie aérienne. Pas la moindre nouvelle d'eux, se plaignent les travailleurs.

Une équipe de la RTBF harponne Maria. Le journaliste s'étonne presque: que font-ils donc encore tous ici? La faillite est prononcée, l'enterrement c'était hier, semble-t-il suggérer. Pour elle, c'est pourtant évident: "Nous ne pouvons pas accepter que d'un jour à l'autre on supprime ces milliers d'emplois. Nous allons faire pression sur le gouvernement, faire venir des gens de tout le pays."

Un travailleur lui glisse une nouvelle idée d'action: "On pourrait aller au match de football, samedi. Toute la Belgique regardera". Elle lui demande des précisions sur l'heure et inscrit mentalement la suggestion parmi la masse des choses à retenir. Puis elle reprend le mégaphone: "Huit mille C4, c'est une catastrophe, c'est inacceptable. Il n'y a encore de nouvelle société. Ceux qui sont appelés pour travailler ont tout juste un contrat temporaire, mais ils recevront aussi leur C4".

Un pilote vient la mettre en garde: "Attention pour les actions à décider, ça grouille de flics en civils ici". "Oui, répond-elle, il y en a un qui vient de me demander qu'on se charge du maintien de l'ordre. Il faudra qu'on donne des brassards."

Voilà une délégation de VW-Forest. Elle les accueille, ravie. Puis ce sont des délégués étudiants, des syndicalistes d'Aviapartner. Elle remonte sur son estrade improvisée: "J'ai téléphoné à Biac (la société qui gère l'aéroport) pour leur demander qu'ils annoncent aux hauts-parleurs une minute de silence pour tous les travailleurs qui sont ici." Elle annonce ensuite la présence de l'avocate Riet Vandeputte, qui s'est chargée de la plainte contre Sabena. "Vous pouvez aller lui demander des informations sur la plainte".

Puis elle donne la parole aux délégations de solidarité. "Les sept mille travailleurs de VW sont derrière vous, nous sommes toujours prêts pour venir vous aider", lâche un syndicaliste de l'usine automobile sous une pétarade d'applaudissements. "En tant qu'étudiants, nous sommes aussi touchés par la privatisation", explique un jeune de l'ISIB (ingénieurs industriels, Bruxelles). "Il faut une commission d'enquête pour examiner ce qui s'est passé", ajoute un délégué d'Aviapartner.

A trente mètres de là, quelques personnes ont placé un stand pour accueillir les travailleurs qui veulent encore se joindre à la plainte contre Sabena. Ça marche? "J'ai arrêté de compter, répond le délégué Patrick Willeputte. C'est comme si nous vendions des hot dogs. Nous avons déjà dépassé les 250". Pour lui, l'affaire Sabena doit créer une prise de conscience: "Il faudrait que les syndicalistes s'en servent pour lancer un mouvement national afin que de telles choses n'arrive plus. Cela n'a pas été fait lors de la fermeture de Renault-Vilvorde, faisons-le maintenant!"

Pendant ce temps, l'avocate Riet Vandeputte explique à un nouvel intéressé que l'action en justice a été introduite avec les éléments dont ils disposaient alors, mais que toute nouvelle information sur la manière dont la Sabena a été gérée peut toujours être envoyée au juge d'instruction.

De l'autre côté, Maria rebranche le mégaphone pour répercuter un fait qu'on vient de lui raconter. Une Sabénienne, appelée par téléphone pour reprendre le boulot, a demandé si sa copine était également concernée. Non, lui a répondu son interlocuteur car elle a fait des déclarations à la radio. Sous une huée, le mot "dictature" remplit le hall de l'aéroport.

Quelqu'un vient aussi expliquer le cas d'hôtesses japonaises travaillant à la Sabena: certaines perdent non seulement leur job mais aussi leur permis de travail, devant rentrer à leurs frais au Japon. Nouvelle huée et c'est désormais un sonore "tous ensemble" qui retentit. Maria reprend la parole: "Dans mon service, il y a des francophones, des néerlandophones et des gens de toutes les nationalités. Ça marchait très bien. C'était une des beautés de la société. Qu'on ne les laisse pas tomber!" - "Oooouuuaaais".