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Besoin des OGM pour sauver le monde?
by Thierry Warmoes Sunday November 04, 2001 at 04:03 PM
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La technique de la modification génétique est une technique véritablement révolutionnaire. Elle permet à l'homme de toucher à l'essence de la vie, de modifier des organismes ou même de créer de nouvelles formes de vie. De là découlent toutes les potentialités, mais aussi tous les dangers de cette technique. Alors les OGM, pour ou contre? Quelques réflexions.

A la "Manifeest" à Gand, le 19 octobre, j'ai été frappé par les nombreux slogans contre les OGM. En tant que biologiste, activiste d'organisations pour la sauvegarde de l'environnement, le débat m'interpelle. Car peut-on à ce point être contre les progrès de la science? Les nouvelles techniques ne peuvent elles pas signifier un progrès pour l'humanité? Alors je me suis mis à fouiller, à lire les analyses des uns et ces autres, pour arriver au résultat qui suit. Ce n'est qu'un point de vue,parmi d'autres, peut-être le début d'un débat fructueux. Toute réaction est la bienvenue!

La technique de la modification génétique, qui a été développée sur des micro-organismes dans les années '70, puis appliquée aux plantes et aux animaux depuis la fin des années '80, est une technique véritablement révolutionnaire. Elle permet à l'homme de toucher à l'essence de la vie, de modifier des organismes ou même de créer de nouvelles formes de vie. De là découlent toutes les potentialités, mais aussi tous les dangers de cette technique.

Ainsi, la biotechnologie a permis de produire à grande échelle des médicaments essentiels tels l'insuline (utilisée dans le traitement du diabète), en incorporant chez des micro-organismes le gène responsable de la production d'insuline dans le corps humain. De manière analogue, on produit aujourd'hui des antibiotiques et des hormones. La technique permet également d'améliorer la qualité des cultures agricoles en augmentant leur rendement, la résistance à la sécheresse ou aux maladies, par exemple. On peut également améliorer la qualité des aliments, en augmentant leur conservation, leur teneur en vitamines ou en diminuant la proportion de graisses saturées (qui augmentent le taux de cholestérol dans le sang). Face au changement climatique et à la raréfaction du pétrole et du gaz naturel, les combustibles biologiques (production d'énergie à base de matériel végétal) ont un grand avenir. Ici aussi, la biotechnologie a un rôle à jouer. Enfin, on a développé des bactéries qui nettoient la pollution et aident ainsi à assainir l'environnement.

Mais dans la société capitaliste, la biotechnologie n'est en général pas développée en fonction des intérêts de l'humanité, mais avant tout en fonction de la soif de profit. C'est ainsi que naît un semblant de contradiction entre la science de la biotechnologie et le peuple. Je dis clairement "semblant de contradictions" parce qu'à mon avis il n'y en a pas. En fait nous nous opposons seulement à l'utilisation qui est faite actuellement de cette technologie, et plus particulièrement dans le domaine agricole.

De deux à cinq fois plus de pesticides

L'utilisation actuelle des OGM (organismes génétiquement modifiés) montre bien qu'ils ne profitent qu'aux monopoles agro-alimentaires et, peut-être, aux couches paysannes les mieux loties. Ainsi, les plantations commerciales d'OGM se situent actuellement quasi exclusivement dans trois pays (les Etats Unis, le Canada et l'Argentine) et ne concernent que quatre cultures industrielles majeures: le soja, le maïs, le coton et le colza. Trois quarts de la surface est couverte de plantes tolérantes à un herbicide total. Chaque compagnie produit en effet des plantes résistant à ses propres herbicides. Ainsi, Monsanto produit du soja résistant à son herbicide phare, le Roundup, ce qui lui permet de vendre et l'herbicide, et les semences du soja génétiquement modifié. La caisse sonne deux fois chez Monsanto (qui - soit dit en passant - détient 94% du marché des OGM) , mais l'intérêt pour la société est nul. Au contraire, des études universitaires ont démontré que le soja génétiquement modifié nécessitait de deux à cinq fois plus d'herbicides que les variétés non modifiées, alors que le rendement était inférieur de 6,7%.

Une déclaration de guerre contre les fermiers du tiers monde

Une autre aberration de la recherche biotechnologique sous le capitalisme est le développement, par la société Delta & Pine Land en partenariat avec le Département américain de l'Agriculture (!) d'un gène que l'on a nommé le "Terminator". Le but est en effet d'obtenir des semences qui, quoique elles-mêmes fertiles, produisent des plantes dont les semences s'autodétruisent une fois arrivées à maturité. Du coup, les agriculteurs seraient obligés d'acheter chaque année leurs semences chez les monopoles capitalistes au lieu de garder des semences pour le semis de l'année suivante. Or, aujourd'hui, trois quarts des fermiers procèdent encore de la sorte, surtout dans le tiers monde. C'est pourquoi la technologie du "Terminator" est considérée comme une déclaration de guerre contre les fermiers du tiers monde.

Biopiraterie et vol des ressources génétiques

Depuis l'introduction des brevets sur les organismes vivants, décidée par l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC), nous avons connu une véritable mainmise des monopoles agro-industriels sur bon nombre de formes et de processus de vie: rien qu'aux Etats Unis, trois millions de demandes de brevets - tous concernant des matières biologiques - ont été introduites depuis 1999. Monsanto s'est adjoint les services de détectives privés qui prennent des échantillons des cultures afin de coincer les agriculteurs qui utilisent les semences Monsanto sans en payer les droits. Des centaines de paysans ont déjà été condamnés à payer de lourdes amendes. Or, les plantes génétiquement modifiées étant fertiles, elles se répandent naturellement des parcelles cultivées vers les champs avoisinants. C'est ainsi qu'au Canada le fermier Percy Schmeiser a été condamné pour avoir illégalement cultivé des variétés de Monsanto, alors que son champ avait été colonisé par les cultures de son voisin. Lorsqu'une culture génétiquement modifiée apparaît quelque part, les fermiers avoisinants sont mis sous pression pour la cultiver également, au risque de se faire traîner devant les tribunaux pour "piraterie intellectuelle".

Il faut interdire les brevets sur les organismes et les processus de la vie car ils menacent la sécurité alimentaire et les droits des peuples. Ils récompensent la biopiraterie et le vol des ressources génétiques et des connaissances séculaires des peuples. Bon nombre de brevets ont en effet été octroyés sur des applications connues depuis longue date par les peuples indigènes. La biodiversité, les ressources génétiques, appartiennent aux peuples et ne peuvent être appropriées par des monopoles en quête de profit.

OGM aux dangers multiples

De par leur nature d'êtres vivants en état de se multiplier et contenant du matériel génétique étranger, les organismes génétiquement modifiés présentent des dangers et demandent à être surveillés de près. Les variétés adaptées aux pesticides peuvent devenir de mauvaises herbes tenaces. Les plantes contenant des toxines contre des insectes nuisibles peuvent aussi tuer d'autres espèces, utiles comme les abeilles, tandis que les insectes visés peuvent, eux, devenir résistants. La résistance aux antibiotiques étant fréquemment utilisée comme marqueur des plantes génétiquement modifiées, on redoute que ces gènes pourraient atteindre des agents pathogènes et, ainsi, les rendre résistants aux antibiotiques. Enfin, on ne connaît pas encore les conséquences de la dissémination dans la nature, par une reproduction naturelle, des gènes modifiés - créés de toutes pièces dans les laboratoires, souvent à partir d'agents pathogènes.

Il faut donc être extrêmement prudent avant de répandre un organisme génétiquement modifié dans l'environnement. Mais cette prudence est incompatible avec la soif de profit des capitalistes. La mise au point d'un OGM exige un investissement considérable en recherche et développement. Dès lors, une fois le résultat obtenu, cet investissement doit être rentabilisé et la commercialisation ne peut attendre de longues années de recherche sur les effets "secondaires".

Pour le principe de précaution

Il en fut de même avec l'introduction de produits chimiques dangereux comme l'asbeste et les PCB. Au temps de leur invention, ces produits furent considérés comme une aubaine à cause de leurs propriétés spécifiques (la résistance au feu pour l'asbeste par exemple). Lorsqu'on se rendit compte de leurs dangers, il était trop tard car leur utilisation était déjà généralisée. Le même phénomène risque de se produire avec les OGM. Le principe de précaution veut qu'avant de commercialiser un produit, il faut tout d'abord une évaluation de son utilité, puis plusieurs années de recherche afin d'en connaître tous les effets sociaux, environnementaux, économiques et sur la santé. A ce sujet, la très officielle British Medical Association a demandé en mai 1999 un moratoire indéterminé sur la commercialisation d'OGM, en attente de plus d'étude sur les nouvelles allergies et la dissémination de gènes de résistance aux antibiotiques.

Un élément important pour garantir que la technologie génétique reste sûre est de maintenir la recherche dans le secteur public, ou tout au moins d'assurer un contrôle publique sur toute recherche dans ce domaine. Depuis 1994 les fonds alloués par le secteur privé à la recherche agricole ont dépassé ceux du secteur public. Ils croissent à un rythme de 5% par an, contre seulement 1,7% pour les fonds publics. Or, la recherche privée est quasi exclusivement orientée vers les grandes cultures industrielles de pays riches et le secteur de la transformation agro-alimentaire. Contrairement à la recherche publique qui s'oriente surtout vers les pratiques agricoles, dont celles des pays tropicaux.

Nous ne pouvons pas laisser la vie et l'avenir de la planète aux mains d'un petit groupe de technologues qui prétendent être les seuls à savoir ce qui est bien pour l'humanité, mais qui entre temps se sont fixés le profit maximal comme objectif.


Pas besoin des OGM pour combattre la faim

Un argument souvent avancé par les promoteurs des OGM dans l'agriculture est que leur introduction dans les pays du tiers monde permettrait de combattre la faim par de meilleures récoltes. Bien sûr, des variétés avec un meilleur rendement ou mieux adaptées aux climats tropicaux peuvent accroître la production. Mais, selon le programme alimentaire des Nations Unies, nous produisons suffisamment de nourriture pour nourrir une fois et demi la population de la terre. Même en 2030 la production sera encore suffisante pour nourrir la population mondiale, et ce sans tenir compte de l'apport biotechnologique. Et pourtant, aujourd'hui, un milliard d'être humains ont faim. C'est le contrôle croissant des monopoles sur la production agricole qui est responsable de cette situation. Ils ont transformé le bien fondamental qu'est la nourriture en une marchandise, tandis que de plus en plus d'agriculteurs de par le monde sont contraints à l'abandon, voire au suicide. Les OGM ne combattront pas la faim, au contraire ils renforceront l'emprise des monopoles sur l'agriculture, et ainsi l'inégalité d'accès à la nourriture.
Un exemple bien connu concerne les Philippines. Les multinationales Coca Cola et Pepsi y achetaient de grandes quantités de sucre. Toute l'agriculture philippine étaient orientée vers ces commandes géantes. Jusqu'au jour où des chercheurs ont découvert un enzyme qui permet d'extraire du sucre de plantes qui n'en contiennent presque pas, comme le maïs ou la pomme de terre. Ainsi Coca Cola et Pepsi n'étaient plus dépendants de la canne à sucre, mais pouvaient aller à la recherche de matières premières meilleur marché. Le maïs par exemple, dont les agriculteurs américains produisent des surquantités. Le prix du sucre s'est effondré, les plantations de canne à sucre ont été abandonnées et des dizaines de milliers de travailleurs agricoles philippins ont perdu leur gagne-pain, ce qui les a mené à la famine.