Syndicalisme & (anti)mondialisation néolibérale by Ataulfo Riera (La Gauche) Wednesday October 10, 2001 at 02:48 PM |
plantin@skynet.be |
Avec le développement du mouvement contre la mondialisation capitaliste & néolibérale, on assiste à un décalage entre cette remontée des luttes impulsées par une nouvelle génération radicalisée et les organisations syndicales, affaiblies par plus de 20 ans d'austérité ainsi que par la paralysie de ses directions face aux défis actuels.
De temps
à autres, les travailleurs sont victorieux, mais leur triomphe est éphèmere.
Le vrai résultat de leur luttes, ce n'est pas le succès immédiat, mais
l'union de plus en plus étendue des travailleurs. (Karl Marx, Le Manifeste
du parti communiste, 1848) SYNDICATS
ET (ANTI)MONDIALISATION NEOLIBERALE Avec le
développement du mouvement contre la mondialisation capitaliste et néolibérale,
on assiste à un décalage important entre cette remontée des luttes impulsées
par une nouvelle génération radicalisée et les organisations syndicales,
affaiblies par plus de vingt années d'austérité ainsi que par la paralysie
de ses directions face aux défis actuels. Pourtant, le potentiel le plus
riche de ce jeune mouvement réside en sa possible et nécessaire jonction
avec la classe ouvrière. Des expériences concrètes d'une telle jonction
sont déjà à l'oeuvre dans certains pays et démontrent que la survie du
syndicalisme passe par de telles alliances. Par Ataulfo
Riera, plantin@skynet.be Le syndicalisme,
à l'échelle internationale, est en crise. Cette crise se traduit en chiffres
éloquents: ces 20 dernières années, les organisations syndicales des pays
développés (Etats-Unis, Japon, Europe occidentale) ont perdu près de la
moitié de leurs adhérents. Les causes sont évidemment multiples et renvoient
toutes à la dégradation générale et internationale des rapports de forces
entre le capital et le travail. Avec l'introduction
des mesures d'austérité et des premières politiques néolibérales au tournant
des années '70 et '80 du siècle passé comme "réponse" de la bourgeoisie
à la crise de surproduction ouverte depuis 1974. Avec la chute du Mur
et l'effrondrement des pays du bloc "socialiste" au début des années '90
- disparition qui a permis aux bourgeoisies d'amplifier leur offensive
dans un esprit revenchard. Avec, surtout, l'émergence d'un nouveau régime
d'accumulation capitaliste régi par des politiques de type néolibérales,
le tout accompagné de bouleversement technologiques, culturels, sociaux
et politiques plus connu sous le nom de "mondialisation". Cette "mondialisation"
néolibérale et ce nouveau régime d'accumulation du capital sapent les
bases objectives du syndicalisme. Le prolétariat et son unité de classe
est fragmenté et atomisé par l'introduction massive des emplois précaires
(intérimaires, mi-temps) et la multiplication des statuts. Il est dispersé
par le développement de l'"entreprise en réseau" et la sous-traitance.
L'individualisation du rapport salarial, la concurrence acharnée imposée
entre les travailleurs, le poids du chômage de masse, les nouvelles pratiques
managériales et les nouveaux processus productifs, face à tous ces phénomènes
nouveaux, les syndicats n'ont pas su, ou alors de façon incomplète et
inadéquate, apporter de réponses satisfaisantes pour les travailleurs.
Dans les entreprises nouvelles - de par leur organisation du travail et/ou
de par leur type de production: industries des nouvelles technologies,
call-center, etc.- qui se sont créés ces dernières années, la présence
syndicale est pratiquement inexistante et elle a reculé partout ailleurs.
Les syndicats ont également les plus grandes difficultés à représenter
réellement des nouvelles couches entières de travailleurs précaires (femmes,
jeunes, immigrés), pour ne pas parler de leur refus d'organiser les chômeurs.
Si certains syndicats (en Belgique par exemple) ont su maintenir des effectifs
imposants sur le papier, sur le terrain, la vie syndicale active et militante
est plutôt en régression. Car pour
assurer une base militante large et active aux syndicats, un certain degré
de conscience de classe et d'unité, même minimum, est nécessaire. C'est
cette conscience qui a été fortement affaiblie suite aux évolutions décrites
plus haut. De plus, une certaine confiance en la force et l'utilité du
syndicat est également vitale. Dans ce cas-ci également cette confiance
a été fortement ébranlée de par l'incapacité générale du mouvement ouvrier
organisé à parer et à contre-carrer efficacement les mesures d'austérité
et les offensives néolibérales. Cette incapacité est flagrante en ce qui
concerne la lutte contre la mondialisation néolibérale. Face à
la mondialisation... Cette impasse
dans laquelle se trouvent bien des syndicats aujourd'hui peut entre autres
s'expliquer de par le poids des spécificités nationales: si le syndicalisme
a une dimension universelle, il est surtout fortement imbriqué dans les
lois et les réglementations nationales. Le blocage de toute action syndicale
internationale efficace et durable provient également pour une large part
de leur analyse sur l'actuelle mondialisation néolibérale ainsi que de
leur orientation à l'égard des mouvements qui l'a contestent. Plusieurs
organisations syndicales considèrent la mondialisation actuelle comme
un processus quasi "naturel", inéluctable, qu'on ne peut "qu'accompagner"
tout en essayant autant que possible de corriger ses effets les plus négatifs
pour les travailleurs. Ce type d'analyse
est évidemment le plus répandu parmi les syndicats dont le degré d'intégration
aux Etats bourgeois est le plus fort et/où lorsque les liens entre les
directions syndicales et les partis "ouvriers" chrétiens ou sociaux démocrates
restent importants. C'est en tous les cas l'analyse officielle de la principale
organisation internationale ouvrière; la Confédération internationale
des syndicats libres (CISL) qui compte 221 organisations syndicales présentes
dans 148 pays et qui rassemble 156 millions de travailleurs. Si peu après
Seattle, Bill Jordan, président de la CISL se félicitait de la "victoire
de la société civile sur les méfaits de la mondialisation" c'était pour
ajouter aussitôt qu'"il serait faux de présenter notre campagne comme
une croisade contre la mondialisation et contre l'OMC. (...) La mondialisation
est là pour de bon et elle a le potentiel de créer un monde meilleur." ...et
aux "antimondialistes" Le développement
récent du mouvement contre la mondialisation néolibérale et capitaliste
est en général vu d'un très mauvais oeil par les bureaucraties syndicales.
La méfiance est grande envers les ONG et les mouvement sociaux de tous
types: leurs représentativité ou leur légitimité est souvent mise publiquement
en doute. Mais derrière ces "arguments", c'est la vision de ces mouvements
comme des "concurrents" dans l'encadrement de la contestation des travailleurs,
dont les syndicats auraient en quelque sorte le "monopole", qui prédomine.
La CISL en a toujours ainsi toujours voulu aux ONG pour leur campagne
victorieuse contre l'AMI (Accord multilatéral sur les investissement)
en 1998. Cet Accord était en effet négocié avec discrétion depuis 1995
dans le cadre de l'OCDE. Or, c'est là une des rares instances internationales
où les organisations syndicales disposent d'une reconnaissance permanente
à travers une Commission syndicale consultative (CSC-OCDE). Plutôt que
de mettre en lumière publiquement la teneur de l'AMI et informer et mobiliser
leurs adhérents, les syndicats ont privilégié les négociations discrètes
et le lobbying de salon dans le vain espoir "d'améliorer le projet". Lors d'importantes
mobilisations comme à Prague contre le FMI et la Banque mondiale en septembre
2000, à Genève peu avant à l'occasion d'une mobilisation au moment du
sommet "social" de l'ONU ou à Bangkok lors d'une assemblée de la CNUCED
ou encore à Nice contre le sommet de l'UE en décembre 2000, l'implication
des syndicats était soit inexistante, soit minime, soit en total décalage
avec le mouvement antimondialisation néolibérale. Alliances
réussies au Sud... Mais ce sombre
tableau est heureusement contrebalancé par des expériences réussies dans
une série de pays où la jonction entre le "nouvel internationalisme" et
des syndicats a été effective et durable. Plusieurs syndicats du Sud jouent
même un rôle décisif dans ce type d'alliance. Au Brésil, le grand syndicat
CUT (Centrale Unifiée des travailleurs) faisait partie du comité d'organisation
du premier Forum social mondial de Porto Alegre en janvier 2001 auquel
participaient également de nombreux syndicats d'Amérique latine, notamment
ceux regroupés au sein de l'ORIT, la branche de la CISL dans les Amériques.
L'ORIT a notamment signé l'Appel des mouvements sociaux issu du FSM. Cette
situation d'avant garde s'explique de par le fait que les luttes contre
le néolibéralisme sont particulièrement massives en Amérique latine. Il
y existe même une structure permanente depuis 1998: l'Alliance sociale
continentale en lutte contre la ZLEA (Zone de libre échange des Amériques)
impulsée par les Etats-Unis. Cette structure rassemble d'importants mouvements
sociaux, Via Campesina, des ONG et même l'ORIT. En Corée
du Sud, le puissant syndicat KCTU (500.000 membres) participe régulièrement
aux rendez-vous internationaux et a envoyé des délégations à Seattle en
novembre 1999 contre l'OMC ou à Washington contre le FMI-BM en avril 2000.
En Corée, au sein de l'alliance "Kopa", il relaie systématiquement les
grandes campagnes internationales. En Afrique du Sud, la COSATU joue également
un important rôle de relais. ... et
au Nord En ce qui
concerne les syndicats des pays du Nord, c'est tout d'abord là où le syndicalisme
était le plus affaibli ou désorienté (Etats-Unis, France, Italie) que
des solutions novatrices ont été trouvées à travers une accumulation d'expériences
d'alliances et d'ouverture et/ou la constitution de "nouveaux syndicats".
C'est le cas en France qui connaît une des taux de syndicalisation les
plus bas d'Europe (6%) mais qui est contrebalancé par un militantisme
syndical plus actif. De ce fait se sont créés des syndicats contestataires
tels que SUD - syndicat de combat né en 1989 à la Poste et dans les Télécoms
à partir d'équipes syndicales exclues de la CFDT - ou la FSU -syndicat
de l'enseignement public née en 1993 après l'exclusion de plusieurs syndicats
par la FEN. Avec des
secteurs de la CGT, ces syndicats ont été en phase et ont soutenu souvent
très activement la plupart des mouvements sociaux de ces dernières années:
de la lutte étudiante contre le CIP en 1994, aux Marches européennes contre
le chômage et à AC! (Agir contre le chômage) en passant par la lutte du
DAL (Droit au logement), Droit devant ou les sans papiers. Ces syndicats
ont été les seuls à être présents au côté des mouvements antimondialisation
néolibérale lors de la manifestation de "blocage" du sommet de l'UE à
Nice. Aux Etats-Unis,
le mouvement syndical a opéré un véritable tournant en direction des jeunes,
des immigrés, des mouvements sociaux et des ONG. Il existe ainsi depuis
plusieurs années les "Jobs with Justice", une organisation militante contre
le travail précaire, les bas salaires etc. Créée par 10 syndicats nationaux
elle agit comme un pont entre ces derniers, les mouvements étudiants et
les autres mouvements sociaux (chômeurs, immigrés...). Autre succès vis-à-vis
des étudiants: les United Student against sweetshop. Des campagne d'affiliation
soutenues sont également menées pour syndicaliser les nouveaux migrants,
dont de nombreux travailleurs sans papiers (l'AFL-CIO demande la régularisation
de tous les travailleurs "illégaux"). Ce tournant
a été renforcé depuis que le principal syndicat, l'AFL-CIO (16,5 millions
d'adhérents), a connu un important changement de direction en 1995 avec
l'élection de John Sweeney comme président et ce contre l'avis de l'équipe
droitière sortante. Des syndicats tels que le CWA (du secteur des télécommunications),
les Teamster ou les Steelworkers (sidérurgistes), sans nul doute le plus
à gauche ont eux aussi amorcé le tournant. Tous ces syndicats ont été
activement présents à Seattle contre l'OMC et à Washington contre le FMI-BM
ensemble avec le mouvement antimondialisation néolibérale car, comme dans
le cas de la France, leur expérience accumulée d'alliances et d'ouverture
leur a permis de saisir l'importance des enjeux de s'intégrer pleinement
dans ce mouvement global. Dans sa convention
de juillet 1997, une résolution des Steelworkers résume bien l'orientation
nouvelle: "L'argument qui justifie la formation de ces alliances stratégiques
se résume en une déclaration: "nous ne pouvons pas gagner toutes ces batailles
(contre les multinationales et la mondialisation) tous seuls. Nous sommes
un mouvement, pas une simple organisation. A travers son histoire, le
mouvement ouvrier a hardiment proclamé qu'une attaque contre un seul d'entre
nous était une attaque contre nous tous. En créant ces alliances stratégiques,
nous ferons revivre ces mots". Il ne faut
évidemment pas mythifier cette évolution positive car les dérives nationalistes
du syndicalisme étasunien ne sont pas totalement conjurées. Les attentats
du 11 septembre aux Etats-Unis le démontrent dans leurs lourdes conséquences.
Teofilio Reyes se demande ainsi dans la revue syndicale de gauche "Labor
Notes": "Continuerons-nous à nous battre contre la globalisation capitaliste
et à nouer des liens plus étroits avec les travailleurs d'autres pays
ou tomberons nous dans une attitude définie comme "l'Amérique d'abord"?
La réponse n'est pas encore définitivement tranchée, poursuit-il, mais
la politique d'alliance avec le mouvement "antimondialisation" en a déjà
souffert. Les organisations syndicales ne participent pas aux manifestations
actuelles contre la guerre, dont la plus importante, celle de Washington
le 29 septembre dernier. Pire, l'AFL-CIO,
tout comme les Teamsters, a apporté son soutien aux actions du président
Bush. Par contre, les Steelworkers ont fait entendre une voix nettement
plus critique: ils ont demandé justice pour les victimes (parmi lesquelles
de nombreux travailleurs "illégaux" sud-américains), mais en précisant
que les Etats-Unis ne devaient pas frapper des civils innocents et que
la pauvreté et l'injustice fournissent des "recrues pour les armées de
l'intolérance". Le tournant
de Gênes En Europe,
où la position de la CES (branche européenne de la CISL) est nettement
à droite, la jonction la plus importante entre le nouvel internationalisme
et le syndicalisme a lieu sans doute aucun en Italie depuis Gênes. Si
les trois grandes confédérations (CGIL, CISL et UIL) étaient absentes
en tant que telles, les syndicalistes formaient au moins un tiers des
300.000 manifestants. Etaient présents la gauche syndicale des confédérations
comme la tendance "Alternative Sindicale" de la CGIL, les COBAS - "Comités
de base", né en deux phases: des coordinations des grèves du secteurs
publics de la fin des années '80 et de la lutte dans l'industrie en 1992
contre l'abandon de l'échelle mobile des salaires par les confédérations
- et, surtout, la FIOM, le puissant syndicat des métallos de la CGIL.
Ces syndicats étaient partie intégrante du Genoa social forum (GSM) et
étaient déjà présents à Porto Alegre, son véritable lieu de gestation.
Cette rencontre entre ces secteurs syndicaux et la radicalisation massive
de la jeunesse a complètement bouleversé la situation sociale italienne. Nécessité Pourquoi
de tels succès sont-ils possibles? Dans tous les cas où la jonction a
été effective et durable, c'est parce que les syndicats ont commencé à
muer, à s'ouvrir aux questions de société - en-dehors de celles qui ne
concernent strictement que le rapport capital-travail dans l'entreprise
- et à rompre avec une certaine tradition du "monopole" la représentativité
en pratiquant des alliances locales, nationales et internationales avec
d'autres mouvements sociaux dans le cadre de campagnes de type "front
uni". Cette "mutation" (ou "refondation") syndicale est vitale pour stopper
et inverser le déclin du mouvement ouvrier organisé. L'influence de SUD
est ainsi passée en 10 ans à France Télécom de 4% à 28% et de 6% à 24%
à La Poste. Aux Etats-Unis, le déclin régulier du taux de syndicalisation
n'a été stoppée qu'en 1999 - l'année de Seattle - avec plus de 265.000
nouvelles adhésions, la plus forte augmentation depuis 20 ans! Car la
jonction avec le nouvel internationalisme est, partout où elle est opérante
et systématique, bénéfique pour les luttes et les organisations du mouvement
ouvrier. En comparaison, les syndicats belges sont clairement à la traîne:
pour combien de temps encore? ?