le guérillero urbain transformé en vendeur by Cynthia Colson Tuesday October 09, 2001 at 12:40 AM |
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FR & EN - sorry, geen NL Le guérillero urbain transformé en vendeur - refléctions sur le terrorisme Urban guerilla turned salesman - reflections on terrorism
Le guérillero urbain transformé en vendeur
« Joschka Fischer - nous l'appelions "l'homme au bâton". Il se plaçait dans le fond de la salle pendant les réunions et distribuait des bâtons à la sortie pour casser les vitrines pendant les manifestations ». Voilà ce que me confia, il y a deux ans, un socialiste allemand. Fischer était alors ministre des affaires étrangères allemand et ne cachait pas son enthousiasme pour le bombardement de la Serbie et du Kosovo par les avions de l'Otan dont les bombes contenaient de l'uranium enrichi.
Je suppose que cette histoire concernant Fischer était quelque peu exagérée, comme le sont souvent les meilleures histoires. Les nouvelles d'Allemagne datant du mois passé suggèrent toutefois qu'elle recèle peut-être plus de vérité que je ne l'avais pensé. Fischer comparaissait comme témoin lors du jugement d'une personne accusée d'attaque à main armée contre une réunion de ministres de l'Opep à Vienne il y a 25 ans. Pendant les débats, une photo était apparue dans la presse montrant Fischer, à l'époque, coiffé d'un casque et en train d'attaquer un policier au cours d'une manifestation. Cette photo suscita, dans les rangs de la presse allemande favorable à l'opposition démocrate-chrétienne (conservateurs), des cris d'indignation contre le « passé violent » du ministre des Affaires étrangères, comme si quelques bleus infligés à un policier il y 25 ans étaient comparables aux atrocités auxquelles ce ministre avait récemment participé en Serbie et au Kosovo.
Son passé devrait toutefois intéresser les personnes impliquées dans les mouvements anticapitalistes aujourd'hui, car les expériences qui l'ont radicalisé à un moment de sa vie étaient très similaires à celles qui ont influencé les gens depuis Seattle. Fischer raconta à la cour comment il avait été partisan de la non-violence avant de changer d'avis au cours d'un rassemblement organisé à Pâques en 1968. Cela se passait immédiatement après la tentative d'assassinat du leader des étudiants allemands Rudi Dutschke. Fischer, couché sur le ventre s'était alors demandé : « Pourquoi faudrait-il toujours se laisser frapper ? ». Après cela, déclara-t-il, « Nous avons décidé de nous défendre ».
Sa réaction a été en fait très similaire à celle de milliers de jeunes gens du monde entier à l'époque. Les progressistes, les sociaux-démocrates et les pacifistes, témoin d'horreurs telles que la guerre du Viêt-Nam ou l'assassinat de Martin Luther King aux États-Unis, se proclamaient en masse « révolutionnaires ». Toutefois, le débat sur ce que signifiait le fait d'être révolutionnaire se posait partout.
Certains d'entre nous affirmaient que la seule riposte efficace contre le système consistait à élargir le milieu relativement étroit des personnes qui constituaient le mouvement protestataire existant, afin de s'implanter dans la masse des gens de tous pays, victimes du système dans leur vie quotidienne, plus particulièrement dans la population sans cesse croissante de la classe ouvrière mondiale.
La réponse la plus populaire consistait souvent à ne considérer les choses qu'en terme de radicalisation accrue des mouvements existants. C'était la voie choisie par Fischer qui ne mena toutefois pas cette idée jusqu'à sa conclusion logique, comme le firent ceux qui décidèrent de placer des bombes ou d'abattre des personnalités de la classe dirigeante : le groupe Baader-Meinhof en Allemagne, les Brigades rouges en Italie et les Weathermen aux Etats-Unis. Il préféra plutôt rejoindre les rangs de ceux que l'on appelait « Frankfurt Spontis ».
Ce groupe, dont la figure principale était Dany Cohn-Bendit, combinait la croyance selon laquelle la Chine était socialiste avec une hostilité envers les organisations « Léninistes ». Dans les faits, cela signifiait que toute tentative d'introduire le débat politique dans une classe ouvrière organisée était rejetée. Le groupe préférait glorifier la « spontanéité » d'une minorité déjà radicalisée dont les manifestations s'étaient transformées en bagarres avec la police. Cette approche ne faisait qu'exacerber une tendance pré-existante dans l'Allemagne de la fin des années 1960 et du début des années 1970. Les révolutionnaires avaient tendances à se retrouver dans de petits ghettos « rouges », confinés aux universités de villes telles que Frankfort et Berlin. Les Spontis n'ont fait qu'étendre un petit peu les ghettos pour accueillir des groupes tels que les « squatters ».
Les gens ont très vite compris que, dans les faits, des combats de rue menés par une minorité d'activistes isolée ne suffisaient pas pour faire tomber le capitalisme allemand. Ils se mirent à penser que quelque chose d'autre était nécessaire. Des groupes tels que la Fraction Armée Rouge de Baader-Meinhof émergèrent et furent considérés avec respect par de nombreux groupes de guérilla urbaine, car ils semblaient prendre au sérieux la notion de confrontation avec le système. Mais c'est bien parce qu'il s'agissait là également d'une minorité que l'État n'eut aucun mal à les détruire. La Fraction Armée Rouge, les Weathermen et les Brigades Rouges furent tous écrasés sans pitié.
De nombreux leaders Spontis autonomistes adoptèrent une approche différente. Convaincus que la minorité qu'ils formaient était incapable de changer la société par la violence, ils décidèrent de se lancer dans ce que Rudi Dutschke appela « la longue marche à travers les institutions ». Il était temps pour les guérilleros urbains vêtus de cuir et de jeans de se transformer en candidats parlementaires Verts, organisés de manière « non-hiérarchique ». Après s'être rendu compte qu'ils ne pourraient jamais atteindre les 5 pour cent des voix nécessaires pour obtenir des sièges au parlement allemand, Fischer les exhorta à abandonner leur « fondamentalisme » et à devenir des « Verts réalistes ». Ils adoptèrent une forme d'organisation hiérarchisée, renoncèrent à toute hostilité résiduelle envers le capitalisme, optèrent pour le costume-cravate, collaborèrent avec des sociaux-démocrates de droite et, finalement, participèrent à des gouvernements prêts à utiliser le type de violence impérialiste qui les avait jadis révoltés.
Cette histoire est pertinente aujourd'hui car nous pouvons voir apparaître les mêmes tendances au sein des nouveaux mouvements anticapitalistes. Ceux qui ont été tabassés et asphyxiés par les gaz lacrymogènes de l'État doivent à nouveau se demander comment une minorité active peut agir efficacement. Il serait facile, une fois de plus, de répondre qu'il suffit d'être prêt à utiliser des tactiques plus militantes lors des manifestations.
Aux États-Unis, le « Bloc Noir », composé d'anarchistes durs (presque tous blancs), a tenté de donner l'impression, lors des manifestations qui ont suivi Seattle, qu'il constituait la force la plus sérieuse, alors qu'en Europe, l'organisation néo-autonomiste « Ya Basta! », dont la tenue lors des manifestations fait penser au bonhomme Michelin, se présente comme le modèle à suivre.
Aucun de ces groupes ne comprend réellement ce que veut dire manifestation, c'est-à-dire le fait de manifester notre hostilité au système. La manifestation agit comme un catalyseur de mécontentement, comme une manière de rassembler des gens aux motifs de mécontentement divers. Elle ne peut en aucun cas prétendre briser l'étreinte du système, quel que soit le degré d'activisme et d'organisation déployé, à moins que le mouvement ne parvienne à impliquer la grande masse des travailleurs qui sont, à ce moment là, encore sur les trottoirs ou qui, plus probablement, nous regardent sur leur téléviseur.
L'idée du « Guérillero Urbain » peut sembler héroïque, mais seuls des individus rassemblés dans une organisation de masse sont capables de faire front contre le système.
Chris Harman
Février 2001
Traduit de l'anglais par Jean-Marc Benderade
Street fighter turned salesman
« Joschka Fischer - we knew him as the stick man. He'd stand at the back of meetings and hand out sticks for breaking windows on demonstrations. » So a German socialist told me two years ago. By then Fischer was German foreign minister, and enthusing over the bombing of Serbia and Kosovo by Nato planes using bombs that were tipped with depleted uranium.
I assumed the story about Fischer was, to say the least, somewhat exaggerated - as the best stories often are. But then last month reports from Germany suggested there might be more truth to it than I first thought. Fischer was a witness in the trial of someone accused of an armed attack on an Opec ministers' meeting in Vienna 25 years ago, and in the course of the trial a photo appeared in the press, supposedly showing him as a helmeted demonstrator attacking a policeman. This produced screams of outrage about the « violent past » of the foreign minister from those sections of the German press sympathetic to the opposition Christian Democrats (Tories) - as if somehow the few bruises to a policeman a quarter of a century ago are in the same league as the horrendous deaths he helped cause in Serbia and Kosovo recently.
His past should, however, be of interest to people involved in the anti-capitalist movements today for the experiences which radicalised him at one point in his life were very similar to those which have been radicalising people since Seattle. He told the court how he was committed to non-violence until an Easter 1968 rally. This was immediately after the attempted assassination of the German student leader Rudi Dutschke. Fischer was lying on the ground and asked himself, « Why always let yourself be hit? » After that, he tells, « We decided to defend ourselves. »
His reaction was very similar to that of many thousands of young people across the world at the time. Progressives, social democrats and pacifists saw horrors like the war in Vietnam or the assassination of Martin Luther King in the US, and proclaimed themselves « revolutionaries » en masse. There was, however, an argument everywhere about what it means to be revolutionary.
Some of us argued that the key to fighting back successfully against the system was reaching out from the relatively narrow milieux involved in the existing protest movement to sink roots among the great mass of the world's people who suffered from the system in their everyday lives - especially the rapidly expanding ranks of the world's working class.
The often more popular response was to simply see things in terms of the existing movements becoming more militant. This was the path Fischer followed. He did not carry the idea to its logical conclusion, as did those people who took to planting bombs or shooting prominent ruling class figures - the path of the Baader-Meinhof group in Germany, the Red Brigades in Italy and the Weathermen in the US. but he did opt to join the ranks of what was known as the Frankfurt Spontis.
This group, whose leading figure was Dany Cohn-Bendit, combined the belief that somehow China was socialist with a hostility to « Leninist » organisation. In practice this meant it rejected attempts to carry revolutionary socialist political argument into the organised working class. Instead it glorified in the « spontaneity » of an already radicalised minority whose protests turned into street fighting with the police. Its approach exacerbated an already existing trend in Germany in the late 1960s and early 1970s. Revolutionaries tended to inhabit « red » ghettos confined to the universities of cities like Frankfurt and Berlin. The Spontis simply extended the ghettos a little to encompass groups like squatters.
People soon found in practice that street fighting by an isolated radical minority could not budge German capitalism. They began to feel something more was needed. Groups like the Baader-Meinhof Red Army Fraction emerged - and were regarded with respect by many of the street fighting milieux. They seemed to be the ones who were taking seriously the notion of confrontation with the system. But precisely because they too were a minority, the State found it easy to destroy them. The Red Army Fraction, the Weathermen and the Red Brigades were all crushed mercilessly.
Many of the leading Spontis and autonomists followed a different path. They minority, they reasoned, could not change society violently, and therefore it had to pursue what Rudi Dutschke called « the long march through the institutions ». The street fighters in leather jackets and jeans had to become the Green parliamentary candidates in leather jackets and jeans, organised in a « non-hierarchical » fashion. and when they found they could not get more than about 5 percent of the vote (the level needed to get parliamentary seats in Germany), Fischer told them that they had to break with « fundamentalism » and become « realist Greens ». They embraced a hierarchical form of organisation, abandoned any residual hostility to capitalism, donned suits or took to power dressing, collaborated with right wing social democrats, and, finally, joined governments prepared to engage in the sort of imperialist violence that had once so enraged them.
The story is worth telling today because we can see some of the same trends at work in the new anti-capitalist movements. People beaten and teargassed by the State are having again to think through how a radical minority can act effectively. And again the easy answer can be that of simply being better prepared to use more militant tactics on demonstrations.
In the US the misnamed « Black Block » of hardline (almost all white) anarchists has tried to give the impression that it is the most serious force on the successor demonstrations to Seattle, while in Europe the neo-autonomist organisation Ya Basta!, with its Michelin man like demonstration gear, presents itself as the model others should follow.
Both fail to understand that demonstrations do exactly what the name implies - they demonstrate our hostility to the system. They act as a focus for discontent, as a way of drawing together people with differing discontents. But they cannot in themselves break the hold of the system, however militant and well organised they are - unless, that is, the movement finds ways of involving the vast mass of working people who, at the moment, are still standing on the sidelines (or, more likely, watching us on television).
« Street Fighting Man » may look heroic. But it is only « Mass Organising Person » who can really take on the system.
Chris Harman
February 2001