USA: Barbara Lee, la députée qui dit non! by L'Humanité/ Protesta Thursday October 04, 2001 at 10:20 AM |
" J'ai voté comme ma conscience me le dictait (...). Je suis convaincue qu'une action militaire n'empêchera pas de nouveaux actes du terrorisme international contre les Etats-Unis (...) ", affirme Barbara Lee, la seule à avoir voté contre la résolution autorisant Bush à recourir à l'usage de la force.
518 pour, 1 contre. La résolution 23 autorisant le président Bush à recourir à l'usage de la force militaire sans accord préalable du Congrès a été adoptée la semaine dernière à l'unanimité des parlementaires présents au Capitole (sénateurs et représentants réunis) moins une voix. Et cette voix, c'est celle de Barbara Lee, cinquante-cinq ans, démocrate, noire, californienne (1).
Dans une déclaration explicitant son vote, elle a notamment avancé : " Oui, je suis convaincue qu'une action militaire n'empêchera pas de nouveaux actes du terrorisme international contre les Etats-Unis (...). Certains d'entre nous doivent dire, prenons du recul et pensons aux implications de notre action."
Le Washington Post lui a consacré un long article dans son édition du 19 septembre dernier (2). Elle persiste : " Nous sommes actuellement en deuil. Nous devons prendre du recul et être sûrs que nous ne faisons aucune erreur."
Dans le Landerneau politique washingtonien, ce vote a fait grand bruit, dépassant vite les murs marbrés du Capitole. Depuis, le téléphone de son bureau n'arrête pas de sonner : des milliers d'appels en quelques jours, des messages de
désaccords, parfois d'insultes, l'accusant d'être " communiste " (aux Etats-Unis, même dix ans après la chute du mur de Berlin, il s'agit toujours d'une injure). Elle
a également reçu des menaces de mort et, depuis samedi dernier, des gardes du corps ne la lâchent pas d'une semelle.
Des messages de soutien lui sont parvenus, notamment en provenance de la 9e circonscription de Californie, dont elle est l'élue. Un district électoral regroupant les villes de Oakland et de Berkeley (dont l'université fut
l'épicentre de la contestation étudiante en 1968) et considéré comme l'un des plus à gauche du pays.
Cette femme habituellement souriante porte un air plus grave, et adopte un ton plus empreint de solennité : " Dans des moments comme ceux-là, il faut des élus qui disent: "Ayons le sens de la mesure". Je suis une Américaine et je suis aussi patriote qu'une autre personne", ajoute-t-elle, en soulignant qu'elle a voté
deux résolutions, l'une condamnant les attaques du 11 septembre, l'autre débloquant 40 milliards de dollars (environ 280 milliards de francs) pour la lutte contre le terrorisme. Pour que personne ne se méprenne sur ses intentions, elle insiste : " Je veux emmener ces terroristes en justice comme tout le monde.
"
Barbara Lee tient à préciser également qu'elle ne s'oppose pas à une éventuelle action militaire mais à la prise de décision par le seul président des Etats-Unis, et donc à l'abandon par le Congrès de ses responsabilités.
Mais, pour elle, la guerre n'est pas le moyen le plus efficace de combattre le terrorisme. " L'action militaire constitue une réaction unidimensionnelle à un problème multidimensionnelle ", estime l'élue californienne.
Elle avoue volontiers avoir angoissé " à propos de ce vote toute la semaine.
J'ai interrogé ma conscience, j'ai parlé à beaucoup de gens (...). J'ai voté comme ma conscience me le dictait ". Une angoisse d'autant plus grande que sa directrice de cabinet, Sandre Swanson, a perdu son cousin dans le crash de l'avion d'United Airlines en Pennsylvanie. Mais sa principale
collaboratrice a soutenu sa décision. Elle s'en explique : " Le principe sur lequel elle s'est fondée est que quelqu'un doit se lever et dire que seul le Congrès possède le pouvoir de déclarer la guerre. Des gens disent que son vote est antipatriotique. Je pense, au contraire, que c'était vraiment patriotique. "
A sa manière, Barbara Lee est une récidiviste. Déjà, en 1999, durant la crise du Kosovo, elle était la seule membre de la Chambre des représentants à avoir voté contre les bombardements de la Serbie. Elle inscrit son vote de la
semaine dernière dans les pas des sénateurs Wayne Morse et Ernest Gruening qui, en 1964, avaient été les deux seuls membres du Congrès à voter contre la résolution dite du golfe du Tonkin, accordant les pleins pouvoirs au Président Lyndon Johnson pour intensifier la guerre au Vietnam.
Barbara Lee cite d'ailleurs Morse : " Je crois que l'histoire retiendra que nous avons commis une énorme erreur en subvertissant et contournant la Constitution des Etats-Unis. " Puis d'ajouter : " Le sénateur Morse avait
raison, et je crains bien que nous ne refassions la même erreur aujourd'hui."
(1) http://www.house.gov/lee/ http://www.house.gov/lee/
(2) http://www.washingtonpost.com http://www.washingtonpost.com
Source: L'Humanité