arch/ive/ief (2000 - 2005)

Débat sur le projet de loi concernant le droit à l'intégration sociale
by Bernadette Schaeck Monday October 29, 2001 at 11:08 PM

CONTRIBUTION AU DEBAT SUR LE PROJET DE LOI CONCERNANT LE DROIT A L'INTEGRATION SOCIALE TEL QUE VOTE AU CONSEIL DES MINISTRES DU 7 SEPTEMBRE 2001

CONTRIBUTION AU DEBAT SUR LE PROJET DE LOI CONCERNANT LE DROIT A L'INTEGRATION SOCIALE TEL QUE VOTE
AU CONSEIL DES MINISTRES DU 7 SEPTEMBRE 2001


Le projet de loi concernant le droit à l'intégration sociale remplace la loi du 7 août 1974 instaurant le droit à un minimum de moyens d'existence, elle-même modifiée par la loi du 12 janvier 1993 contenant un programme d'urgence pour une société plus solidaire. Dans beaucoup de domaines, le projet de loi se situe dans la continuité des lois de 1974 et de 1993. Mais il apporte aussi plusieurs modifications importantes.
La modification essentielle porte sur le fondement même de la loi de 1974 instaurant le droit à un revenu minimum.
Quelques modifications, peu nombreuses, sont positives.
Etant donné que le gouvernement répète à l'envi que le projet de loi se veut une refonte complète de la loi de 1974, notre analyse et nos propositions ne portent pas seulement sur les modifications apportées par le projet de loi, mais également sur l'ensemble de la loi de 1974, y compris ce que le projet de loi laisse inchangé mais que nous contestons.
Enfin, il existe différentes façons d'appliquer une loi. La manière dont sont traités les demandeurs varient très fort d'un CPAS à l'autre, voire même d'un assistant social à l'autre. Nous émettrons quelques propositions pour supprimer les différences de traitement et l'arbitraire.


La suppression du droit à un revenu minimum.

La loi du 7 août 1974 était axée sur le droit fondamental à un minimum de moyens d'existence.

Article 1er §1
« Tout belge ayant atteint l'âge de la majorité civile, qui a sa résidence effective en Belgique et ne dispose pas de ressources suffisantes et n'est pas en mesure de se les procurer soit par ses efforts personnels, soit par d'autres moyens, a droit à un minimum de moyens d'existence ».
Le projet de loi concernant l'intégration sociale est axé sur le droit à l'intégration sociale.
Nous analyserons plus loin les distinctions faites entre les plus de 25 ans et les moins de 25 ans de même que le contenu donné à ce droit à l'intégration. Mais avant cela, il est important de souligner l'enjeu fondamental de la suppression du droit à un revenu minimum.
Le terme même de minimex est jugé paternaliste par les ministres Vande Lanotte et Onkelinx. Le terme utilisé dans la deuxième mouture de l'avant-projet parlait de revenu vital. La formule finalement retenue est celle de revenu d'intégration.

Commentaires de l'article 2
« La loi met fin au modèle basé uniquement sur des prestations financières, indispensables, mais qui s'avèrent souvent être un instrument insuffisant d'insertion sociale ».
Exposé des motifs
« Par l'expression « revenu d'intégration », le législateur entend indiquer que le revenu est bel et bien la contrepartie de l'engagement de l'intéressé à s'insérer socialement dans la mesure du possible…
…Une existence conforme à la dignité humaine requiert en effet plus que l'attribution d'une aide financière ».
Le principe du droit à un revenu minimum sans contrepartie inscrit dans la loi de 1974 constituait un réel acquis social inexistant dans la plupart des pays de l'Union européenne. C'est ce droit fondamental qui est remis en cause et qui devrait constituer l'axe fondamental de notre opposition au projet de loi.
Bien sûr, le minimex n'a pas empêché l'existence de pauvres et d'exclus. Bien sûr, les montants accordés sont beaucoup trop bas et permettent tout juste de survivre, pas de vivre conformément à la dignité humaine. Bien sûr, toute une frange de la population vivant sur le territoire belge est exclue du droit au minimex. Bien sûr, les conditions d'octroi et de maintien sont très contraignantes.
Mais retirer de la loi la notion de droit fondamental à un revenu est un recul colossal.
Ni le terme minimum de moyens d'existence, ni le terme revenu vital ne sont paternalistes. Dans le terme mimimex, il y a minimum : une garantie de ressources minimum en-dessous de laquelle personne ne devrait tomber quelle que soit sa situation. Dans le mot vital, il y a vie. La vie elle-même devrait-elle se mériter ? La vie des uns aurait-elle moins d'importance que la vie des autres ?
Supprimer ce droit à un minimum de ressources garanties sous prétexte qu' « une existence conforme à la dignité humaine requiert en effet plus que l'attribution d'une aide financière » relève de la mauvaise foi la plus ahurissante et d'une manipulation de langage caractérisée. Nous affirmons quant à nous que le droit à un minimum de revenus est un droit fondamental non négociable, condition minimale de respect de la dignité humaine. Il n'est évidemment pas suffisant et doit s'ajouter aux droits au logement, à la culture, à la santé, à la formation, au travail, à la citoyenneté, à la vie privée de son choix, etc. On est loin du compte dans notre société!

Le contenu du prétendu droit à l'intégration.

Article 2
« Toute personne a droit à l'intégration sociale, soit sous la forme d'un emploi, soit sous la forme d'un projet individualisé d'intégration sociale, soit sous la forme d'un revenu d'intégration ».

Pour l'application de l'article 2, le projet fait une distinction entre les moins de 25 ans et les plus de 25 ans.


Les moins de 25 ans

Article 6 §1
« Toute personne majeure âgée de moins de 25 ans a droit à l'intégration sociale par l'emploi adapté à la situation personnelle du jeune et à ses capacités dans les trois mois de sa demande lorsqu'elle remplit les conditions prévues à l' article 3 et à l'article 6 §2 »…
« Le droit à l'intégration sociale par l'emploi peut faire l'objet soit d'un contrat de travail soit d'un projet individualisé d'intégration sociale menant, dans une période déterminée, à un contrat de travail ».

Article.11.§1
« L'octroi et le maintien du revenu d'intégration peut être lié à la conclusion d'un projet individualisé d'intégration sociale, soit à la demande de l'intéressé lui-même, soit à l'initiative du centre ».

Article 11 §2
Ce projet est obligatoire
a) lorsque le centre accepte, sur la base de motifs d'équité, qu'en vue d'une augmentation de ses possibilités d'insertion professionnelle, la personne concernée entame, reprenne ou continue des études de plein exercice dans un établissement agréé, organisé ou subventionné par les communautés ;
b) en cas de projet individualisé d'intégration sociale qui mène à une expérience professionnelle ou un emploi lié à un contrat de travail. »


Constats principaux :
Le droit à un revenu minimum n'existe pas pour les moins de 25 ans.
Le droit à un revenu minimum pour les étudiants est lié à la possibilité accrue ou non d'insertion professionnelle.
Le projet individualisé d'intégration peut être imposé par le CPAS comme condition d'octroi ou du maintien du revenu d'intégration.

Les plus de 25 ans

Article 13 §1
« Le droit à l'intégration sociale peut être réalisé sous la forme soit de l'octroi d'un revenu d'intégration, soit par un projet individualisé d'intégration, soit d'un emploi lié à un contrat de travail tel que visé aux articles 8 et 9 ».

Article 13 §2
« L'octroi et le maintien d'un revenu d'intégration peut être lié à la conclusion d'un projet individualisé d'intégration sociale visé à l'article 11 § 1 et 3, soit à la demande de l'intéressé lui-même, soit à l'initiative du centre ».


Constats principaux :
Le droit à un revenu d'intégration est une des 3 possibilités offertes.
Le projet individualisé d'intégration peut être imposé unilatéralement pas le CPAS


Analyse de ce droit à l'intégration.
Le projet de loi maintient la distinction entre les moins de 25 ans et les plus de 25 ans . Les moins de 25 ans n'ont tout simplement pas droit à un minimum de revenus. Ils ne pourront percevoir un revenu minimum qu'en attendant une mise au travail ou à condition de conclure un projet individualisé menant à une mise au travail. La finalité est donc bel et bien la mise au travail et rien que la mise au travail.
Les plus de 25 ans n'ont pas un droit automatique à un minimum de revenus, puisque c'est soit un revenu, soit…, soit… Le CPAS peut leur imposer de conclure un projet individualisé d'intégration.
La contractualisation du revenu minimum est affirmée pour tous, moins et plus de 25 ans. Voir à ce sujet le chapitre réservé à la critique de la contractualisation.
L'équation travail égale intégration sociale est affirmée. Il y aurait beaucoup à en dire ! Dans le cadre de l'analyse du projet de loi, nous nous contenterons de quelques réflexions qui nous paraissent fondamentales. D'une manière générale, le terme d'intégration est utilisé dans le sens de la nécessaire adaptation de l'individu à la société, et non pas de l'adaptation de la société aux besoins fondamentaux des êtres humains.
Quant à l'intégration par l'emploi, soyons plus que critiques.
Peu de travailleurs trouvent leur épanouissement par le travail. La dégradation des conditions générales du travail est impressionnante .
La motivation première et principale à chercher et prendre un emploi est la nécessité de disposer d'un revenu plus ou moins décent.
Ce qui est vrai pour l'ensemble des travailleurs l'est encore plus pour les minimexés mis au travail vu le type de boulots, le type de contrats qui leur sont « proposés » (voir ci-dessous).
D'une manière plus générale, la mise au travail plus ou moins forcée des minimexés peut être tout simplement catastrophique au niveau humain : inadaptation, sentiment d'échec, souffrance énorme. Il serait intéressant de rassembler les témoignages de personnes ayant vécu cette expérience.


Quel emploi ?

L'article 3 stipule que la personne doit « être disposée à travailler, à moins que des raisons de santé ou d'équité l'en empêchent ». Les commentaires de cet article précisent que cela signifie qu'il faut que « la personne donne suite à une offre d'emploi correspondant à ses capacités physiques et intellectuelles ».
L'article 8 stipule que cette mise au travail peut être concrétisée selon les dispositions de l'article 60 §7 ou de l'article 61 de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d'aide sociale. « Ce droit reste maintenu tant que l'intéressé n'est pas admis au bénéfice d'une allocation sociale d'un montant au moins égal au revenu d'intégration auquel il pourrait prétendre en fonction de sa catégorie ». Les commentaires de l'article 8 précisent que « pour certaines personnes, un travail sur le marché de l'emploi « traditionnel » est possible, pour d'autres il faut rechercher des emplois permettant un accompagnement dans des projets d'insertion spécifiquement créées à cet effet. Quelle que soit la formule retenue, il devra s'agir en tout état de cause d'un emploi à part entière dans le cadre d'un contrat de travail, dans le strict respect du droit du travail en vigueur (…). Il convient de noter que le jeune, engagé ainsi dans un contrat de travail, devra également bénéficier du revenu mensuel moyen garanti ».

Dans l'avant-projet, le Ministre avait osé proposer que les jeunes soient obligés d'accepter n'importe quel emploi, pour un salaire égal au revenu vital, sans pouvoir poser aucune exigence, et dans un contrat qui pouvait déroger aux législations en vigueur. Le gouvernement a donc opéré un certain recul et c'est tant mieux. Mais ne soyons pas dupes, il s'agit là d'une tactique habituelle. Le gouvernement propose d'abord des mesures ahurissantes ; « on » s'agite ; le gouvernement recule un peu ; « on » se tait. « On » dit qu'on a gagné parce qu'on a évité le pire.
Le recul opéré par le gouvernement n'empêche pas que le projet modifié reste totalement inacceptable.

L'emploi, dit le texte du projet devra être « adapté à la situation personnelle du jeune et à ses capacités » (article 6) et « correspondre aux capacités physiques et intellectuelles de la personne » (commentaires de l'article 8). Ces définitions floues ne correspondent pas à la notion d'emploi convenable applicable aux chômeurs demandeurs d'emploi.
Le « droit » à la mise au travail reste maintenu jusqu'à tant que l'intéressé n'est pas admis au bénéfice d'une allocation sociale d'un montant au moins égal au revenu d'intégration auquel il pourrait prétendre en fonction de sa catégorie. Un cohabitant pourrait être mis au travail à mi-temps jusqu'à ce qu'il aie droit à des allocations de chômage qui seraient supérieures au revenu d'intégration au taux cohabitant.

En fait, le projet de loi veut obliger les jeunes, et dans la mesure des emplois disponibles, les moins jeunes, à accepter tous les emplois au rabais déjà offerts ou imposés à certains minimexés aujourd'hui : mise au travail par le CPAS par le biais de l'article 60 &7, intérim d'insertion, PTP.

Article 60 &7
Cet article de la loi organique des CPAS permet au CPAS d'engager des personnes bénéficiaires du minimex ou de l'aide sociale financière. Depuis le Programme printemps, cet engagement peut se faire à temps partiel. Dans l'écrasante majorité des cas, les personnes engagées par le biais de l'article 60 le sont à durée déterminée pour une période suffisante pour avoir droit aux allocations de chômage. Bien que les personnes soient occupées au CPAS, le statut administratif et pécuniaire en vigueur pour le personnel du CPAS ne leur est pas applicable. Il n'existe aucune disposition légale ou réglementaire qui précise un barême à appliquer, si ce n'est le salaire minimum garanti. La brochure éditée par le Ministère de l'Intégration sociale conseille d'ailleurs que « Le Conseil doit dès lors, nous semble-t-il, veiller à ce que la personne n'ait pas un salaire prohibitif qui freinerait son insertion dans le marché du travail « traditionnel » dès la fin de son article 60 &7 ».
Le CPAS peut aussi mettre à disposition d'un organisme public ou privé le travailleur engagé par l'article 60 &7. L'entreprise privée qui s'est vue « offrir » gratuitement un travailleur doit en principe s'engager à garder la personne à son service après la durée du prêt. Mais comme il n'y a aucune sanction prévue, cet engagement ne se fait pas.
Enfin, de nombreux CPAS engagent des article 60 pour occuper les emplois normalement réservés au cadre du personnel. Cela représente des avantages considérables : personnel taillable et corvéable à merci, engagés à durée déterminée, largement sous-payés par rapport aux emplois occupés. Et au terme de leur contrat de travail, les personnes ont droit aux allocations de chômage et n'émargent donc plus au CPAS. Si on ajoute à tout cela les subsides très importants accordés par le Ministère pour chaque personne engagée par l'article 60, il est clair que la mise au travail rapporte et au CPAS et aux patrons. C'est cela l'objectif camouflé sous le verbiage de l'intégration sociale.

Intérim d'insertion.
Le programme Printemps a instauré l'activation du minimex et de l'aide sociale financière au profit de firmes d'intérim. Pendant deux ans, ces firmes intérimaires reçoivent 20.000 Bef par mois du CPAS, plus 10.000 Bef par mois pour la formation et l'accompagnement. C'est la firme d'intérim qui sélectionne le travailleur. Elle ne choisit évidemment que les plus performants !

Il faudrait faire une analyse détaillée de ces mises à l'emploi par les CPAS. En attendant, il est clair que ces mises au travail sont au service des CPAS et des patrons privés, pas des minimexés. Le programme Printemps le disait clairement : « Concrètement, ce plan d'action vise la réduction du nombre de bénéficiaires du minimex ou d'une aide financière dans les cinq prochaines années en augmentant le nombre de mises au travail (…) ».


Une transposition des directives européennes.

L'Agenda social des chefs d'Etats de l'Union européenne a décrété trois nécessités en vue de « favoriser une économie plus performante » :
Þ privilégier la souplesse des emplois ;
Þ moderniser la protection sociale ;
Þ lutter contre l'exclusion sociale.

L'UNICE (Union des confédérations de l'industrie et des employeurs d'Europe) demande que «La libération du potentiel d'emploi de l'Europe doit être un objectif premier de toutes les politiques de l'Union européenne, y compris la politique sociale. Le principe directeur devant guider tout Agenda social est d'assurer que la politique sociale constitue bien un facteur productif ».

Traduit en langage Vande Lanotte : « Actuellement, la loi sur le minimum de moyens d'existence de 1974 n'est plus suffisamment en adéquation avec (…) les mutations du marché du travail ».L'avant-projet était plus clair encore puisqu'il parlait de la nécessaire adaptation à la flexibilité du marché du travail !

Camouflées sous le verbiage de l'intégration et de la nécessité de modernisation de la protection sociale, les motivations sont clairement l'adaptation aux lois du marché du travail imposées par le patronat en premier lieu la flexibilité.

La société n'a jamais autant parlé d'intégration que depuis qu'il est patent qu'elle est incapable de donner une place sur le marché du travail « normal » à ceux qui le souhaitent et qui le peuvent.


La contractualisation du minimex.

La loi du 7 août 74 stipule en son article 6§1er, que « Pour l'octroi et le maintien du minimum de moyens d'existence, l'intéressé doit « faire la preuve qu'il est disposé à être mis au travail à moins que cela s'avère impossible pour des raisons de santé ou d'équité. Lorsqu'il s'agit de conjoints vivant sous le même toit, cette condition doit être remplie dans le chef de chacun ».

La loi du 12 janvier 93 modifie l'article 6 en ajoutant un paragraphe 2 qui stipule que « La preuve qu'il est satisfait à la condition du §1er peut notamment résulter de l'acceptation et du suivi d'un projet individualisé d'intégration sociale proposé par le bénéficiaire ou par le centre ». Le contrat est obligatoire pour les moins de 25 ans sauf pour des « raisons de santé ou d'équité ». Il doit être signé dans un délai de trois mois à dater de la demande initiale.

L'Arrêté royal du 24 mars 1993 (M.B. 26.3.93) fixe les conditions minimales et les modalités auxquelles doivent répondre les contrats.

Le projet de loi confirme et amplifie l'option de la contractualisation.
Pour les moins de 25 ans, « Le droit à l'intégration sociale par l'emploi peut faire l'objet soit d'un contrat de travail soit d'un projet individualisé d'intégration sociale menant, dans une période déterminée, à un contrat de travail ». Formulé comme un droit, il s'agit en fait d'une obligation de contracter à moins d'être mis au travail.
Pour les plus de 25 ans, l'article 13 §2 stipule que «L'octroi et le maintien d'un revenu d'intégration peut être lié à la conclusion d'un projet individualisé d'intégration sociale visé à l'article 11, §§ 1 et 3, soit à la demande de l'intéressé lui-même, soit à l'initiative du centre. ». La conclusion d'un contrat peut donc bien être imposée également aux plus de 25 ans, et dans ce cas la loi ne prévoit même pas d'exceptions pour raisons de santé et d'équité.

La contractualisation par le biais d'un projet d'intégration sociale est inacceptable dans son principe même.

Le contrat présuppose que le demandeur de revenu minimum est responsable de sa situation, qu'il lui revient de se secouer pour sortir de sa situation d'assisté. Dans son avis rendu le 19 février 1992, le conseil supérieur de l'aide sociale conclut que le CPAS doit pouvoir conditionner l'octroi du minimex aux jeunes de moins de 25 ans à un contrat d'intégration sociale. Il précise que le minimex ne doit pas constituer pour les jeunes de moins de 25 ans une possibilité d'être assistés toute leur vie, mais un levier d'insertion dans la société.
On ne compte pas depuis une dizaine d'années les déclarations de ministres, parlementaires ou responsables de CPAS répétant à l'envi qu'il ne faut pas « pensionner les gens à l'aide », ne pas « fabriquer des assistés », qu'il ne faut pas donner aux jeunes « l'envie d'être pauvres toute leur vie » ! Sous-entendu : est pauvre celui qui veut bien. Est sans travail celui qui n'en cherche pas.

Le contrat est inacceptable parce qu'il constitue une condition supplémentaire à l'octroi ou au maintien du minimum de moyens d'existence. Les conditions d'octroi énoncées par la loi sont déjà très contraignantes : âge, nationalité ou statut administratif du séjour en Belgique, résidence, revenus, preuve de la disposition à être mis au travail.

Le contrat est inacceptable parce qu'il est inégalitaire. Le terme même de contrat avait été critiqué par le Conseil d'état dans l'avis rendu sur l'avant-projet de loi Onkelinx en 1993. Le Conseil d'Etat aurait préféré le terme de « accord » ou « arrangement ». C'est logique vu que le terme de contrat suppose la liberté et l'égalité des parties contractantes. Passant outre cet avis, le terme de contrat a été maintenu et est inscrit dans la loi. La ministre Onkelinx déclarait à la Chambre que « le contrat, c'est reconnaître le citoyen comme sujet de droit, comme débiteur d'intégration ; c'est vouloir l'égalité entre le pauvre et le CPAS » ! . Cette « égalité » est évidemment un leurre. Le CPAS est en position dominante. L'assistant social lui-même est en position dominante. Une preuve parmi d'autres de l'évidence de cette inégalité, c'est que des sanctions en cas de non respect du contrat peuvent être appliquées aux seuls minimexés, pas aux CPAS ! Mais la raison première qui fonde cette inégalité réside dans le fait que la conclusion d'un projet est pour le demandeur la condition sine qua non de l'obtention d'un revenu minimum de survie. Le fait que la loi prévoit que le contrat peut ne pas être rendu obligatoire « pour des raisons de santé et d'équité » n'offre aucune garantie contre l'arbitraire. Au contraire. Ces raisons de santé et d'équité ne sont pas déterminées et ne peuvent être décrétées qu'à l'initiative du CPAS et/ou du travailleur social.

Le contrat est inacceptable parce que le non respect par le demandeur peut aboutir à des sanctions allant de un à trois mois de suppression du revenu minimum. Pour une personne bénéficiaire d'un revenu minimum, pareille sanction peut être très lourde de conséquences : perte de logement pour non paiement de loyer, impossibilité de se soigner, perte momentanée ou définitive du droit des visite des enfants, etc. Les représentants du ministre Vande Lanotte ont beau dire que depuis 1993 la contractualisation n'a pas fonctionné comme une machine à exclure. Le fait que la loi permet les sanctions est une épée de Damoclès constamment suspendue et augmente l'arbitraire dans le traitement des demandeurs. Chaque CPAS et chaque travailleur social est maître de la situation. Le risque de sanctions fonctionne comme une pression très forte à accepter les termes de la contractualisation, même en cas de désaccord du demandeur : tout plutôt que de perdre le revenu minimum de survie !

Le contrat est inacceptable parce que son objet est indéterminé. Il contient un projet d'« intégration sociale » dont la définition est vague à souhait. D'une part, il constitue la preuve par excellence de la disposition à travailler, condition importante d'octroi ou de maintien du minimex. D'autre part, son contenu peut comprendre tout et n'importe quoi. « Il ne se limite pas à la disponibilité au travail. Il peut concerner bien d'autres conditions que celles portant uniquement sur la formation et le travail. Il s'agit bien d'un contrat d'intégration sociale et pas seulement un contrat d'insertion sociale et professionnelle. En d'autres termes, il peut viser tout autant que l'insertion professionnelle, le logement, la santé, l'éducation des enfants… » .

Il fut dit aussi que le contrat pouvait viser « un vrai projet de vie » ! Cela n'a aucun sens. Un projet de vie ne peut évidemment faire l'objet d'un contrat écrit, ni être une condition d'octroi d'un revenu minimum, ni être susceptible d'aboutir à des sanctions sous forme de retrait du minimex en cas de non respect du contrat. De plus, conclure un contrat sur un « vrai projet de vie » constitue une intrusion inadmissible dans la vie privée des personnes.

Pour toutes ces raisons, la contractualisation du revenu minimum est inacceptable dans son principe même.


Les bénéficiaires du revenu minimum.

La législation actuelle accorde le minimex aux personnes suivantes :

Article 1er §1 - Tout Belge ayant atteint l'âge de la majorité civile, qui a sa résidence effective en Belgique et ne dispose pas de ressources suffisantes et n'est pas en mesure de se les procurer soit par ses efforts personnels, soit par d'autres moyens, a droit à un minimum de moyens d'existence.
Le Roi détermine ce qu'il faut entendre par résidence effective.
Le même droit est reconnu aux mineurs émancipés par mariage, ainsi qu'aux célibataires, ayant la charge d'un ou plusieurs enfants.
Arrêté royal du 20 décembre 1988 (M.B., 29 décembre 1988).

Le champ d'application de la loi du 7 août 1974 instituant le droit à un minimum de moyens d'existence est étendu, dans les conditions fixées ci-après, aux mineures d'âge enceintes (…).
Arrêté royal du 27 mars 1987 (M.B., 7 avril 1987).

Le champ d'application de la loi du 7 août 1974 instituant le droit à un minimum de moyens d'existence est étendu aux personnes suivantes :
1. celles qui bénéficient de l'application du Règlement (CEE) n° 1612/68 du 15 octobre 1968 du Conseil des Communautés européennes relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté;
2. les apatrides qui tombent sous l'application de la Convention relative au statut des apatrides, signée à New York le 28 septembre 1954 et approuvée par la loi du 12 mai 1960;
3. les réfugiés au sens de l'article 49 de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers.
Pour avoir droit au minimum de moyens d'existence, les personnes susvisées doivent remplir les mêmes conditions que les Belges, en ce compris la condition relative à l'âge de la majorité telle qu'elle s'applique aux Belges conformément à l'article 1er § 1, alinéa 1 de la loi du 7 août 1974 précitée, à moins qu'ils puissent se prévaloir, dans les mêmes conditions que les Belges, des dispositions de l'article 1er alinéa 3, de cette dernière loi.

Les personnes qui ne répondent pas à ces conditions ne peuvent prétendre au minimex. Elles peuvent demander une aide sociale financière qui ne relève pas de la loi du 7 août 74 mais de la loi organique des CPAS de 1976.

Cette loi déclare dans son article 1er : « Toute personne a droit à l'aide sociale. Celle-ci a pour but de mener une vie conforme à la dignité humaine » et dans article 57 que « Il (le CPAS) assure non seulement une aide palliative ou curative, mais encore une aide préventive. Cette aide peut être matérielle, sociale, médicale, médico-sociale ou psychologique ».

Cette aide sociale n'est absolument pas réglementée. Ni les montants de l'aide financière, ni les modes de calcul, ni les modalités d'octroi ne sont déterminés. Aucune disposition de la loi de 74 n'est transposée dans la loi de 76.

Les personnes qui ne remplissent pas les conditions d'âge et/ou de nationalité pour l'octroi du minimex sont donc potentiellement sans droits.

L'absence de réglementation de l'aide financière peut engendrer des discriminations importantes entre les ayants droit au minimex et les autres. En effet, même si beaucoup de CPAS accordent à ces derniers une aide financière équivalente au minimex , ils n'y sont nullement obligés. Les personnes n'ouvrant pas le droit au minimex n'ont pas droit au tarif social pour le gaz et l'électricité, ni à la prime d'installation, etc.

Le projet de loi étend le droit à l'intégration sociale aux étrangers inscrits au registre de la population (communément appelés les étrangers « établis », ceux qui sont porteurs d'une carte d'identité d'étranger).
C'est une proposition positive mais insuffisante.

Le droit au revenu minimum doit être étendu à tous les étrangers résidant légalement sur le territoire et qui remplissent les conditions générales d'octroi. Rien ne justifie le contraire, sauf la légitimation des discriminations.

Sauf dispositions dérogatoires, les étrangers qui ont obtenu la régularisation n'auraient toujours pas droit au revenu d'intégration même après l'extension de ce droit aux étrangers inscrits au registre de la population. Les étrangers régularisés seront en effet les premières années inscrits au registre des étrangers, pas au registre de la population. Il leur faudra encore prouver pendant de longues années leurs efforts d'intégration avant de mériter le droit légal à l'intégration sociale…


Montants du revenu minimum, les catégories et les taux.

Dans la législation actuelle, il existe 4 taux de minimex : ménage, isolé avec enfant à charge, isolé et cohabitant. Les montants et les taux correspondants sont les suivants :

Article 2. - § 1
« Le minimum de moyens d'existence annuel s'élève à :
1. 29.595-Frs par mois pour les conjoints vivant sous le même toit;
2. 29.595-Frs par mois pour une personne qui cohabite uniquement soit avec un enfant mineur non marié qui est à sa charge, soit avec plusieurs enfants, parmi lesquels au moins un enfant mineur non marié qui est à sa charge;
3. 22.196-Frs par mois pour une personne isolée;
4. 14.797-Frs par mois pour toute autre personne cohabitant avec une ou plusieurs personnes, peu importe qu'il s'agisse ou non de parents ou d'alliés.
Le Roi peut modifier les montants susmentionnés par arrêté délibéré en Conseil des Ministres ».

Article 2 - § 2
Arrêté royal du 30/10/1974, Article 13 – § 1. « En cas de cohabitation du demandeur avec une personne qui ne sollicite pas le bénéfice de la loi et avec qui il constitue un ménage de fait, doit être prise en considération la partie des ressources de cette personne qui dépasse le montant du minimum de moyens d'existence prévu pour la catégorie de bénéficiaires visés à l'article 2 - §§ 1 et 4, de la loi ».

Les montants prévus par le projet de loi.

Le projet de loi prévoit une augmentation de 4% du revenu d'intégration au 1er janvier 2001. L'augmentation supplémentaire de 6% prévue pour le 1er janvier 2005 au plus tard prévue dans l'avant-projet est à présent reportée aux tables rondes de la solidarité sociale. Dans sa notification, le Conseil des ministres a déclaré que cette augmentation de 6% est une de ses priorités. Prenons acte, mais l'augmentation n ‘est pas inscrite dans la loi et n'est donc nullement acquise.

Quand on dispose de revenus très bas, toute augmentation est bonne à prendre. Il faut toutefois redire avec force que même augmenté de 4 à 10%, le montant du minimex est très insuffisant. Toutes sortes d'études abondent pour le prouver, mais elles ne sont pas nécessaires pour savoir que le montant du minimex est un revenu de survie, pas de vie conforme à la dignité humaine. Le minimex accordé actuellement est largement inférieur aux normes fixées par le code judiciaire belge qui fixe à 34.000 Bef pour une personne isolée le niveau de ressources insaisissables. Il est aussi inférieur aux critères très minimalistes de l'Union européenne selon lesquels « est pauvre toute personne dont les revenus sont inférieurs à 60% du revenu médian », soit 27.000 Bef pour un isolé.

Le minimum de revenus (de même que toutes les allocations sociales) doit être lié au bien-être. Cette liaison, rejetée explicitement dans l'avant-projet, est à présent reportée aux tables rondes sur la solidarité sociale.
« La présente loi n'instaure pas la liaison au bien-être des allocations sociales parce que l'introduction d'un tel mécanisme exclusivement pour les allocations sociales minimales pourrait éroder l'un des 2 principes fondateurs de notre système de sécurité sociale, à savoir le principe d'assurance ». La liaison au bien être était inscrite dans la loi du 7 août 1974 mais n'a jamais été appliquée !

Suppression du taux ménage.

Le projet de loi supprime le taux ménage (équivalent à deux fois le taux cohabitant) pour le remplacer par le taux cohabitant pour chacun des deux conjoints. Financièrement parlant pour les couples, l'opération sera « blanche ». Il est toutefois à craindre que cette mesure soit plus restrictive que positive. En effet, des personnes ouvrent actuellement le droit au taux chef de ménage parce qu'elles sont mariées avec une personne qui n'est pas dans les conditions d'âge ou de nationalité pour bénéficier du minimex. Les conjoint(e)s qui ne sont pas inscrit(e)s au registre de la population perdraient de ce fait le droit au minimex que la législation actuelle leur reconnaît.
Soulignons l'écart de langage utilisé par le projet de loi qui parle à ce sujet d' « individualisation » des droits !

Droit à un taux majoré pour la personne qui paie une pension alimentaire.

Ce nouveau taux est intermédiaire entre le taux isolé et le taux ménage de la loi du 7 août 74. Il représente une différence de 3.700 Bef en plus que le taux isolé, et une différence de 3.700 Bef en moins que le taux ménage. Cette majoration est très insuffisante. Quand il y a plus d'un enfant, le montant de la pension alimentaire dépasse très vite le montant de 3.700 Bef, et c'est légitime pour le(la) parent(e) qui a la charge des enfants.

Depuis longtemps, « on » annonçait une révision de la loi qui accorderait le taux chef de ménage au minimexé qui paie une pension alimentaire.
Les chômeurs qui paient une pension alimentaire ont droit au taux chef de ménage. De plus, ils perçoivent ce taux chef de ménage quand ils paient une pension alimentaire pour un ou des enfants mais également à un(e) conjoint(e).

Il conviendrait d'appliquer les mêmes mesures aux minimexé(e)s. D'autant plus que le parent qui paie une pension alimentaire pour un ou plusieurs enfants a souvent le droit de visite pour ces enfants, ce qui nécessite des moyens financiers pour pouvoir accueillir valablement les enfants. La société ne permet guère aux plus pauvres de sauvegarder les liens familiaux élémentaires.

Ajoutons encore que le minimex est entièrement saisissable pour arriérés de pension alimentaire non payée. Raison de plus pour donner aux bénéficiaires du revenu minimum la possibilité de respecter leurs obligations alimentaires.

Droit à un taux majoré pour les parents qui ont la garde alternée.

L'avant-projet prévoyait dans ces cas l'octroi du taux famille monoparentale (équivalent du taux ménage). Le projet opère un recul en n'accordant que le taux majoré intermédiaire. Justification donnée par le cabinet Vande Lanotte : les chômeurs ayant la garde alternée n'ont pas le taux chef de ménage, mais un taux intermédiaire entre le taux isolé et le taux chef de ménage. Oui, mais, les chômeurs payant une pension alimentaire ont le taux chef de ménage, pas les minimexés. Le ministre Vande Lanotte aligne le droit des minimexés sur le droit des chômeurs quand ça l'arrange, et ne le fait pas quand ça ne l'arrange pas !

Le taux cohabitant.

S'il est une notion très élastique dans la loi de 1974, c'est bien celle de « cohabitation ». Chaque CPAS, ou à la limite chaque travailleur social, peut l'interpréter à sa guise. Une réglementation s'impose afin d'empêcher le plus possible l'arbitraire.

Le projet de loi n'apporte aucune amélioration à ce niveau. Au contraire. La notion de cohabitation risque même d'être étendue : « Il faut entendre par cohabitation le fait que des personnes vivent sous le même toit et règlent principalement en commun les questions ménagères ». Or, les conséquences peuvent être très importantes.

En effet, en matière de minimex, le statut de cohabitant, ne donne pas automatiquement droit à percevoir le montant complet du taux cohabitant (pourtant très bas). Le CPAS peut tenir compte dans certaines situations des revenus du (des) cohabitant(s).

Exemple. Si une personne cohabite avec un ascendant ou un descendant, le CPAS peut tenir compte des revenus de ces cohabitants. En clair, dans la législation actuelle, une personne qui cohabite avec un parent ou un enfant dont les revenus dépassent 30.115 Bef n'a droit à aucune aide financière. Le CPAS peut lui accorder le minimex cohabitant, mais il n'y est pas obligé. L'avant-projet ne résout nullement cette situation. Avant de connaître les arrêtés d'application, on ne peut qu'espérer que la même règle de prise en compte des revenus des cohabitants ne soient pas étendues à toutes les cohabitations.

Le recours aux débiteurs alimentaires.

Il est une disposition de la loi du 7 août 1974 qui est totalement inadmissible, peu connue et qui devrait être combattue avec vigueur.
Il s'agit de l'obligation qui peut être faite aux minimexés de réclamer une intervention financière à ceux que la loi désigne comme les débiteurs d'aliments.

Cette disposition est la négation même de l'individualisation du droit à un revenu minimum. Elle provoque des problèmes familiaux graves et rompt souvent le peu de liens sociaux qui existent encore chez des personnes bousculées par la vie. Cela se fait au nom de la prédominance de la solidarité familiale sur la solidarité de la collectivité !

L'obligation de faire appel aux débiteurs alimentaires est appliquée très arbitrairement puisque la législation actuelle stipule que le CPAS peut imposer à l'intéressé de faire valoir ses droits à l'égard des personnes qui lui doivent des aliments.

Certains CPAS l'imposent systématiquement, d'autres pas. Le CPAS a la compétence discrétionnaire d'examiner les raisons d'équité. Certains CPAS vont régulièrement jusqu'à la procédure judiciaire pour obtenir le paiement d'une pension alimentaire. Vous demandez le minimex ? Vous l'aurez à condition de traduire vos parents ou vos enfants en justice !

L'obligation du recours aux débiteurs alimentaires exerce un puissant effet dissuasif : beaucoup de personnes préfèrent renoncer au minimex plutôt que de devoir dépendre financièrement de membres de leur famille ou de traduire leurs proches en justice.

Les conséquences du recours aux débiteurs alimentaires sont extrêmement graves au niveau social et familial. Il n'est pas rare que des personnes pratiquent la délation à l'égard de la personne qui demande le minimex afin d'échapper à l'obligation alimentaire.


Que modifie le projet de loi en matière de recours aux débiteurs alimentaires ?

La loi du 7 août 1974 stipule en son article 6 Par 1er que pour l'octroi et le maintien du minimum de moyens d'existence « Il peut également être imposé à l'intéressé de faire valoir ses droits à l'égard des personnes qui lui doivent des aliments, ces dernières étant limitées à son conjoint et ses ascendants et descendants du premier degré ».

Le projet de loi va plus loin dans son article 4 & 1er puisqu'il ajoute aux ascendants et descendants du premier degré les débiteurs alimentaires « visés aux articles 364 alinéas 1er et 2ème du Code civil ».
Il prévoit en outre que « les conventions relatives à une pension alimentaire ne sont pas opposables au CPAS ». Pourquoi ? « Pour éviter que la personne ne renonce sciemment et volontairement à l'obligation alimentaire de l'ex conjoint, la loi prévoit que les conventions relatives à la pension alimentaire ne sont pas opposables au centre ».
Le CPAS va donc se substituer aux tribunaux compétents.
Enfin les articles 34 et 35 du projet de loi accentuent encore la pression pour le recours aux débiteurs d'aliments. En effet, l'article 34 prévoit que la subvention au CPAS sera majorée de 10% dans les cas où le CPAS qui accorde un revenu vital à un étudiant ne renonce pas à la récupération auprès des ascendants. Et l'article 35 prévoit que le CPAS conservera les montants qu'il récupère auprès des parents d'un étudiant bénéficiaire du revenu vital.
Ces deux mesures sont tout bénéfice pour le CPAS qui accorde le revenu vital à un étudiant. Au-delà des calculs mathématiques, cette mesure apparemment positive pour les CPAS risque en fait de décourager des jeunes étudiants à demander le revenu minimum.

L'ensemble de ces dispositions accentuera le recours aux débiteurs alimentaires. Il faut s'opposer avec force à cette atteinte supplémentaire à l'individualisation des droits.

Incidence des ressources.

Le chapitre III de la loi du 7 août 74 et l'arrêté d'application du 30 octobre 74 (modifié à huit reprises) déterminent quels revenus peuvent ou doivent être tenus en compte pour le calcul du minimex. Le projet de loi remplace ce chapitre III par l'article 16 qui tient en quelques lignes : l'incidence des ressources sur le calcul du revenu d'intégration est entièrement reportée aux arrêtés d'application. On peut comprendre qu'une loi ne reprenne pas dans tous les détails les modes de calcul. Mais elle doit indiquer au minimum les grandes lignes d'orientation.

Quelles sont les intentions du législateur ? Ces questions apparemment techniques ont une incidence extrêmement importante sur le montant des ressources et donc du niveau de vie des plus pauvres.


Un exemple : l'immunisation de revenus du travail.
L'article 23bis de l'arrêté d'application de la loi du 7 août 74 stipule que « En vue de favoriser l'intégration socioprofessionnelle du bénéficiaire du minimum de moyens d'existence, les revenus nets provenant d'une mise au travail ou d'une formation professionnelle (…) sont pris en considération sous déduction d'un montant de 6.000 FEB (7.314 FEB au 1.1.01) par mois prenant cours le premier jour de la mise au travail ou de la formation et se terminant trois ans plus tard».
Cela signifie qu'un minimexé qui travaille à temps partiel et dont le montant du salaire ne dépasse pas le minimex garde pour lui un « bénéfice » de 7.314 Bef.

L'application de cette mesure d'immunisation partielle est soumise à plusieurs restrictions non justifiées.
Þ L'immunisation n'est appliquée que pendant 3 ans. Au-delà des trois ans, la totalité des revenus est déduite du montant du minimex.
Þ La période de 3 ans commence au premier jour de la mise au travail et se termine trois ans plus tard même si entre-temps il y a interruption de l'activité professionnelle.
Þ Le forfait de 40 FEB l'heure accordé à titre de défraiement pour des formations organisées par le FOREM ou des associations privées entrent en ligne de compte pour cette période de 3 ans.
Þ L'immunisation n'est appliquée que si le minimexé commence à exercer son activité professionnelle après avoir été admis au bénéfice du minimex. S'il sollicite donc un complément minimex à son salaire partiel, l'immunisation de 7.314 Bef ne lui est pas appliquée s'il travaillait déjà au moment de la demande.
Þ Les CPAS interprètent à leur guise le début de l'article 23bis qui dit que l'immunisation de revenus est justifiée « En vue de favoriser l'intégration socioprofessionnelle ».
Þ L'immunisation n'est pas appliquée aux étudiants qui travaillent dans un job d'étudiant.
Au nom de cette justification, certains CPAS refusent l'immunisation des revenus du travail en firme d'intérim et le Ministère refuse l'immunisation pour les revenus de la cueillette des fruits.

De la manière dont est appliqué l'article 23bis, un minimexé peut voir ses revenus varier de 7.314 Bef. Ce qui est énorme. Quelles sont les intentions du législateur ?


Un deuxième exemple : les ressources des cohabitants.

L'article 16 Par. 1er de l'avant-projet stipule que « Peuvent également être prises en considération, dans les limites fixées par le Roi, les ressources des personnes avec lesquelles le demandeur cohabite ». Cette petite phrase permet dans le cadre de la législation actuelle d'exclure du droit au minimex cohabitant toute personne qui cohabite avec un ascendant ou un descendant du premier degré dont les revenus dépassent 30.115 bef par mois.

Exemple vécu.
Un homme âgé de 52 ans, petit indépendant, perd son logement suite à une faillite. Il est hébergé par sa mère. Celle-ci bénéficie d'une pension de 34.000 Bef, elle paie un loyer relativement élevé, et a des frais médicaux importants. Le CPAS refuse le minimex cohabitant à cet homme qui se trouve donc totalement à charge de sa mère. Après un an et demi de batailles juridiques (devant le Tribunal du Travail puis la Cour du travail, le CPAS ayant fait appel du jugement du tribunal du travail favorable au demandeur), cet homme a finalement obtenu le minimex cohabitant !
Ces situations ne sont pas rares.

Quelles sont les intentions du législateur ? Reporter toutes ces questions aux arrêtés d'application n'est pas admissible. Le projet d'Arrêté royal doit être mis sur la table parallèlement au projet de loi.

Pour de nombreux minimexés, l'incidence du calcul des ressources a des conséquences beaucoup plus importantes qu'une augmentation de quelques % du montant de base.

Le droit des minimexés à l'information, à être entendus.

La loi du 7 août 1974 prévoit dans l'article 8 & 3 que « Avant de prendre une décision accordant, refusant ou révisant un minimum de moyens d'existence, le centre est tenu d'entendre l'intéressé, si celui-ci le désire. L'intéressé peut, dans ce cas, se faire assister ou se faire représenter. »

Le droit à être entendu n'est accordé que avant la prise de décision. Cela n'a pas de sens puisque le minimexé ne connaît pas le contenu de la décision avant qu'elle ne soit prise. Le demandeur devrait pouvoir être entendu après la prise de décision. L'audition devrait faire l'objet d'un réel débat contradictoire et d'un PV écrit remis à l'intéressé, qui peut y apporter ses remarques écrites. A sa demande, l'assistant social en charge du dossier devrait aussi pouvoir être entendu et accompagner le demandeur si celui-ci le souhaite.

En cas de contestation de la décision, le demandeur peut introduire un recours au Tribunal du travail. Mais le recours n'est pas suspensif, et dans l'intervalle le demandeur est sans ressources. Les délais d'examen du recours sont souvent très longs. Il est donc indispensable qu'en plus du recours au Tribunal du travail, il existe une possibilité pour le demandeur d'être entendu par le Conseil sur la décision contestée.

La possibilité d'être entendu doit être appliquée à tous les bénéficiaires de l'aide sociale sans distinction, quelle que soit la nationalité, ce qui n'est pas le cas actuellement et qui ne le sera pas non plus si le projet de loi est voté par le Parlement (voir chapitre Les bénéficiaires).

Une autre question importante concerne l'information, non plus sur un dossier individuel, mais sur les décisions globales prises par le Conseil du CPAS et les instances qui ont une délégation de pouvoir.

Les CPAS sont des institutions peu transparentes.
Contrairement au Conseil communal, toutes les décisions y sont prises à huis clos. Or le huis clos n'est justifié que pour les décisions individuelles confidentielles. Toutes les autres décisions devraient être débattues publiquement : elles concernent la population la plus démunie, et dans certaines grandes villes, elles concernent directement un pourcentage important de la population.

La réglementation interne de l'aide sociale d'un CPAS donné n'est pas publique. Parfois elle n'est même pas écrite. Si elle l'est, elle est secrète. Il est interdit aux travailleurs sociaux de la diffuser à l'extérieur ! Les minimexés n'ont pas le droit de consulter la réglementation qui leur est appliquée. Les avocats qui les défendent devant le Tribunal du Travail non plus.

Réclamons un débat public sur les grandes orientations de la politique sociale des CPAS. Réclamons la publication de tous les règlements internes concernant l'aide sociale. Il s'agit d'un droit démocratique élémentaire.

Le droit au minimex pour les étudiants.

Le projet de loi permet (article 11) au CPAS d'accorder le revenu d'intégration aux jeunes de moins de 25 ans qui poursuivent des études de plein exercice. Le CPAS décide si le jeune peut ou ne peut pas étudier. Les études suivies doivent viser une augmentation des possibilités d'insertion professionnelle. Comme en beaucoup d'autres domaines, le CPAS dispose d'une compétence discrétionnaire qui ouvre la porte à l'arbitraire total et à la différence de traitement selon le CPAS dont le jeune dépend.

L'étudiant admis au revenu d'intégration devra obligatoirement signer un contrat d'intégration et faire appel à ses débiteurs alimentaires.

Enfin, le CPAS compétent pour lui accorder le revenu ne sera plus celui de la commune de sa résidence mais celui de la commune où il était inscrit au moment de sa demande (article 52 & 6). Par disposition transitoire, le CPAS reste compétent pour les dossiers d'étudiants en cours au moment de l'entrée en vigueur de la nouvelle loi et ce jusqu'à la fin de la durée des études, même si l'étudiant change de commune. (article 55).
Il s'agit d'une disposition particulière qui déroge à la règle générale selon laquelle le CPAS de la résidence habituelle est compétent. La justification avancée est la nécessité de « répartir équitablement sur le territoire le coût financier des étudiants qui ont droit au revenu vital ». Le fait de dépendre d'un CPAS qui n'est pas celui de la commune de résidence entraîne beaucoup de désagréments et de complications administratives, de même que des frais de déplacement qui peuvent être importants. On en voit les conséquences pour les demandeurs d'asile qui sont soumis à cette même mesure depuis plusieurs années. C'est par d'autres mécanismes que les charges financières des différents CPAS devraient se répartir, qu'il s'agisse des étudiants ou d'autres catégories de population.

La prise de décision, le paiement.

Le projet de loi stipule que le paiement doit se faire dans les quinze jours de la prise de décision, la décision devant, elle, être prise un mois après l'introduction de la demande.

Ces délais sont beaucoup trop longs. Les personnes dans le besoin attendent souvent le dernier moment pour introduire une demande d'aide au CPAS, parce qu'elles sont réticentes à se rendre au CPAS, ou parce qu'elles espèrent que la situation va s'arranger ou encore parce qu'elles apprennent tardivement l'élément qui les contraint à introduire une demande d'aide.
La loi devrait indiquer qu'il s'agit là de délais maximum et non pas de la norme habituelle.

Le projet de loi stipule que la date de l'octroi est celle de l'introduction de la demande (article 18).
La loi devrait indiquer que le droit au revenu minimum peut être accordé à une date antérieure à la date d'introduction de la demande dans les cas où l'état d'indigence est antérieur et peut être prouvé.

Exemple :
Un chômeur sanctionné qui n'a pas reçu la notification ou n'a pas retiré le recommandé. Il ne se rend compte que le mois suivant que les allocations de chômage lui sont retirées. Il introduit la demande à ce moment-là et devra attendre encore 6 semaines avant le paiement. Il y aura « un trou » d'un mois.

Ces situations sont très fréquentes. Permettre la rétroactivité de l'aide financière n'a rien d'un détail. Pour les plus pauvres, un manque à gagner d'un mois peut avoir des conséquences très graves comme l'expulsion du logement, l'impossibilité d'inscrire un enfant à l'école, etc.

Le projet de loi stipule enfin que dans son article 23 que « les paiements se feront par semaine, par quinzaine ou par mois au choix du centre ».
La loi devrait stipuler que le paiement mensuel et sur compte bancaire doit être la norme. Le paiement ne peut être fractionné que dans des cas très exceptionnels, soit à la demande de l'intéressé, soit pour des raisons sociales impérieuses et dans l'intérêt de la personne.

Le même article prévoit aussi que les avances accordées au demandeur seront défalquées lors du paiement de la période correspondante. Cette disposition ne figurait pas dans la loi de 1974. Pourquoi contraindre les CPAS à récupérer les avances consenties lors du premier paiement et en une seule fois ? A nouveau, cette question en apparence technique, revêt en réalité une grande importance pour les demandeurs du revenu minimum.
En effet, la demande est souvent introduite en toute dernière extrémité et le paiement se fait à terme échu. Si en plus de ce premier paiement, les avances sont défalquées en une seule fois, cela peut mettre la personne dans une situation intenable.

Financement des CPAS et normes de personnel.

Les CPAS récupèrent auprès de l'Etat une partie du minimex et de l'aide financière qu'ils accordent. Au cours de ces dernières années, le système de subvention du minimex et de l'aide sociale financière s'est considérablement complexifié et diversifié en fonction d'une série de critères (nombre total de minimexés aidés par un CPAS, catégories de population aidée, contractualisation, mise au travail par le biais de l'article 60, etc).

L'évolution va dans le sens d'une intervention toujours croissante de l'Etat. L'évolution la plus significative est l'augmentation substantielle des subventions pour les personnes mises au travail par les CPAS.

Le projet de loi apporte de nouvelles modifications dans le financement des CPAS. Une des plus importantes concerne le remboursement de l'aide accordée aux étudiants. Mais c'est au prix expliqué ci-dessus : obligation accrue pour l'étudiant de réclamer une pension alimentaire, désignation comme CPAS compétent un CPAS distinct de celui de la commune de résidence effective. Le plan de répartition des demandeurs d'asile a apporté à ces derniers beaucoup de désagréments, sinon de dénis de droits. Les étudiants risquent d'être confrontés à la même réalité, et d'autres catégories de population après eux.

Il faut absolument s'orienter vers un système de subsidiation unique à toutes les catégories de personnes aidées, à savoir le remboursement total par l'Etat de l'aide financière accordée à titre de minimex ou d'aide sociale financière.

Ce système enlèverait aux CPAS les prétextes pour se « refiler » les pauvres, ou encore pour stigmatiser une catégorie de population qui lui coûterait trop cher (une fois les SDF, une fois les étudiants, une fois les demandeurs d'asile).

Ce système enlèverait aussi les prétextes à tout plan de répartition des pauvres, en respectant pour chacun la liberté de s'installer dans la commune de son choix et d'y bénéficier des droits élémentaires reconnus par la loi.

Enfin ce système unique de subsidiation créerait les conditions pour réduire l'arbitraire et les différences de traitement entre les pauvres selon qu'ils dépendent d'un CPAS plus ou moins riche. Condition nécessaire mais non suffisante parce qu'il faut en plus que soit présente la volonté d'adopter une politique respectueuse des droits humains et des libertés fondamentales.

Le projet de loi prévoit aussi une subvention supplémentaire aux CPAS dans les frais de personnel. S'agit-il d'une réelle avancée comme c'est déclaré ? Cette subvention est très limitée (10.000 F par an et par dossier géré pendant une année complète) et ne modifie rien de fondamental.

Bernadette Schaeck 26.9.01

Plate Forme avec Talon
by talon Monday October 29, 2001 at 11:11 PM