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"Symboles", nouveau texte d'Eduardo Galeano sur la guerre
by zumbi500 Sunday October 28, 2001 at 09:13 AM
zumbi500@hotmail.com

Nouveau texte de l'écrivain urugayen engagé Eduardo Galeano.

Symboles

Eduardo Galeano

Commerce. " Cette guerre sera longue ", a annoncé le président de la planète.
Mauvaise nouvelle pour les civils qui sont en train de mourir et qui mourront,
excellente nouvelle pour les fabricants d’armes.

Peu importe que les guerres soient efficaces. Ce qui importe c’est qu’elles soient lucratives. Depuis le 11 septembre, les actions de la General Dynamics, Lockheed, Northrop Grumman, Raytheon et d’autres entreprises de l’industrie belliqueuse ont monté en ligne droite à Wall Street. La bourse les aime.

Comme cela eut déjà lieu durant les bombardements de l’Irak et de la Yougoslavie, la télévision montre rarement les victimes :

Elle est occupée à exhiber le " top 50 " des nouveaux modèles d’armes. A l’ère du marché, la guerre n’est pas une tragédie mais une foire internationale. Les fabricants d’armes ont besoin de guerres, comme les fabricants de manteaux ont besoin d’hivers.

Hollywood. La réalité imite le cinéma : tout explose, les enfants reçoivent des missiles du film Atlantis dans les charmantes petites boîtes de Mc Donald’s, et il devient chaque fois plus difficile de distinguer le sang du ketchup.

Maintenant le Pentagone a chargé plusieurs réalisateurs de cinéma et des experts en effets spéciaux d’aider à deviner les nouveaux objectifs terroristes et à imaginer aussi la manière de se défendre. Selon la revue Variety, l’un d’eux est le réalisateur de Dur de tuer.

Vêtement. Dans une de leurs images les plus diffusées, le dur de tuer Osama Bin laden porte un turban, mais porte un treillis de l’armée des Etats-Unis, et à son poignet brille une montre Timex, made in USA.

Lui aussi est made in USA, comme les autres fondamentalistes islamiques que la CIA recruta et arma, dans 40 pays, contre le communisme athée en Afghanistan.

Quand les Etats-unis célébrèrent leur victoire dans cette guerre, la présidente du Pakistan, Benazir Bhutto, avertit Bush Père en vain : " Vous avez créé un monstre comme le docteur Frankenstein ".

Et il a été prouvé, une fois de plus, que les créatures se retournent contre leurs créateurs. Mais le sponsor continue à les utiliser. Maintenant, les fanatiques servent d’alibi parfait pour faire la guerre contre qui ils veulent et comme ils veulent et pour consolider sa domination universelle. Et aussi pour donner des explications indiscutables. Durant le mois de septembre, les entreprises étasuniennes mirent à la rue quelques 200.000 travailleurs : " Téléphonez à Bin laden ", leur a dit la secrétaire du travail, Elaine Ghao.

Une paire de semaines avant que soient détruites les Tours, l’économie mondiale étaient en train de plonger, et la revue The Economist conseillait à ses lecteurs : " prenez un parachute ". Depuis que se passa ce qui se passa, celui qui n’avait pas acquis un parachute peut trouver au moins un coupable fabriqué sur mesure.

Panique. L’humanité entière est en train de sentir les symptômes d’une attaque à l’anthrax, [chuchos], mals de tête, tâches à la peau qui ressemblent à un hématome... Tous, nous avons peur d’ouvrir les enveloppes, non parce qu’elle contiennent des factures impayables, ou la nouvelle fatale que " nous sommes dans le regret de devoir nous passer de vos services ".

Les militaires d’Ukraine étaient en manoeuvre quand un missile SA-5 détruisit un avion de ligne et tua 78 personnes. Est-ce que ce fut par erreur ou parce que les missiles intelligents savaient que les avions de lignes sont des armes ennemies ? les missiles intelligents attaqueront-ils maintenant les bureaux de poste ?

Armes. Un porte-avion étasunien, le Nimitz, était pour un jour dans les eaux uruguayennes. La visite me préoccupa, parce que dans mon quartier, il y a un bâtiment qui a tout de l’aspect d’une mosquée, et avec les missiles intelligents, on ne sait jamais.

Heureusement, rien ne se passa. Ou plutôt quasi rien : quelques politiques uruguayens furent invités à connaître le porte-avion, ville flottante de la mort, et quasimentt ils se tuèrent. L’avion qui les transportait fit un mauvais atterrissage et resta avec une aile dans l’eau.

Merci de la visite, nous apprenons que ce porte-avion a coûté 4.500 millions de dollars. Selon les calculs de l’UNICEF et d’autres organismes des Nations Unies, avec trois porte-avion comme le Nimitz, on pourrait nourrir et soigner, durant un an, tous les enfants du monde malades et soufrant de la famine, et qui sont en train de mourir à un rythme de 36.000 par jour.

Main-d’oeuvre. Le terrorisme islamique n’est pas le seul à avoir ses éléments " dormants " : le terrorisme d’Etat aussi. Un des protagonistes du Plan Condor, durant les années de dictatures militaires en Amérique du Sud, le colonel Manuel Cordero, a déclaré que la guerre sale " est l’unique manière " de combattre le terrorisme, et que les séquestrations, la torture, les assassinats et les disparitions sont nécessaires. Lui a l’expérience et offre son service.

Le colonel dit qu’il a écouté les discours du Président Bush, et que c’est ainsi que sera la troisième guerre mondiale qui s’annonce. Malheureusement, il a bien écouté.

Antécédents. Comme le colonel, l’ambassadeur aussi a de l’expérience. John Negroponte, représentant étasunien aux Nations Unies, menace de porter la guerre " à d’autres pays ", et il sait de quoi il parle.

Il y a quelques années, il porta la guerre en Amérique Centrale. Negroponte fut le parrain du terrorisme des Contras au Nicaragua et des paramilitaires au Honduras. Reagan, président de l’époque, disait lui-même ce que disent maintenant le président Bush et son ennemi Bin Laden : tous les moyens sont bons.

Victimes. Cette nouvelle guerre, se fait-elle contre la dictature des Talibans ou contre le peuple qui en souffre ? Combien de civils les bombes assassineront-elles ?

Quatre Afghans, qui travaillent pour les Nations Unies, furent les premiers " dommages collatéraux de ceux dont on a eu vent. Tout un symbole : ce sont ceux qui se consacrent à déminer le terrain.

L’Afghanistan est le pays le plus miné du monde. Sous le sol, il y a 10 millions de mines prêtes à tuer ou à mutiler ceux qui marchent dessus. Beaucoup furent installées contre les Russes, comme donation du gouvernement des Etats-unis aux guerriers d’Allah.

L’Afghanistan n’a jamais accepté l’accord international qui interdit les mines anti-personnelles. Les Etats-Unis non plus. Et maintenant, les caravanes de fugitifs essaient d’échapper, à pied ou sur un âne, aux missiles qui pleuvent du ciel et aux mines qui explosent au sol.

Déchirures. Rigoberta Menchu, fille du peuple maya, peuple de tisseurs, avertit que " l’espérance tient à un fil ".

Et c’en est ainsi. A un fil. Dans l’asile d’aliénés global, entre un monsieur qui se prend pour Mahomet et l’autre pour Buffalo Bill, entre le terrorisme des attentats et le terrorisme de la guerre, la violence est en train de nous désunir.

 

Traduction : Zumbi500

[Remarque : cette traduction n’est pas officielle. Etant donné la qualité de l’auteur de ce texte, il est difficile de le traduire d’une manière à garder le haut niveau littéraire d’Eduardo Galeano]

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