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Quel avenir pour les nouvelles formes de contestation en Europe?
by Collectif Sans Nom Tuesday October 23, 2001 at 12:14 PM

Au début de l'année 1998, au sortir des derniers frimas de l'hiver, le Collectif Sans Nom, regroupant un cinquantaine de personnes, inaugurait à l'occasion de l'occupation d'un bâtiment laissé à l'abandon depuis plus de 9 ans le Centre Social.

Quel avenir pour les nouvelles formes de contestation en Europe?

 

Au début de l’année 1998, au sortir des derniers frimas de l’hiver, le Collectif Sans Nom, regroupant un cinquantaine de personnes, inaugurait à l’occasion de l’occupation d’un bâtiment laissé à l’abandon depuis plus de 9 ans le Centre Social.

 

Ce premier acte de désobéissance civile collective visait à créer un espace d’expérimentation politique autonome. Deux problèmes pratiques nous animaient, et nous animent toujours. Premièrement : repenser la question d’un engagement innovant en dehors des formes classiques du parti ou du syndicat, qui soit susceptible de créer de nouvelles formes d’expression et de coopération. Deuxièmement : comment créer du lien, de la transversalité entre les différentes luttes que nous menons (chômage, sans-papier, transport, OGM...).

 

Pas de programme clairement établi ni de grands discours. Pas de grand ennemi à abattre, en première ou en dernière instance, ni de rêve de Grand Soir qui sélectionnerait définitivement le bon grain révolutionnaire de l’ivraie réformiste. Plutôt partir de situations concrètes d’injustice et tenter de transformer ces situations en vue d’un plus de liberté, avec une attention particulière portée à la fois sur l’émergence d’une parole souvent confisquée, celle des gens qui sont directement en prise avec les dispositifs du pouvoir (sans-papiers, chômeurs, usagers des transports publics, malbouffe, etc.), sur l’analyse des processus de construction collective et sur la question des savoirs et de la contre-expertise.

 

A partir du Centre Social ont été menées différentes actions, allant de la manifestation à l’occupation de certains édifices (centres fermés, ministère de la justice, bureau de l’Onem, trains, champs d’expérimentation illégale d’OGM). Ces actions ont eu pour effet de mettre sur la place publique certains problèmes sociaux jusque là laisser à la discrétion des spécialistes et des administrations, un début de réappropriation, donc, par les citoyens, de la res publica.

 

La réaction du pouvoir ne s’est pas fait attendre. Outre les intimidations et autres détentions administratives, la plupart des membres du CSN ont à faire face aujourd’hui à toute une série de procès, portant sur :

bris de clôture et trouble  à l’ordre public, à propos des occupations et actions menées tant par le Collectif Contre Les Expulsions (CCLE), que par le CAGE (Collectif d’Action GènEthique) ou le CACH (Collectif Autonome des Chômeurs) et Chômeurs Pas Chien !.

Deux nouveaux procès se sont ajoutés à la liste (non exhaustive) : ceux portés contre le Collectif Sans Ticket par la SNCB (sur base d’un loi de 1895) et par la STIB. Cette dernière entend faire peser des astreintes sur 18 personnes et empêcher de ce fait nos interventions. Si les demandes d’astreintes sont de plus en plus fréquemment utilisées dans le cadre de conflit de travail, il s’agit sans doute d’une première dans le cas d’un conflit social. Une victoire de la STIB constituerait un précédent grave.

 

Les événements de Göteborg , et plus récemment de Genova ont donné à ces procès un dimension supplémentaire. En effet, le 27 août, la Police Fédérale menait une perquisition dans les locaux des CST de Bruxelles et de Liège, sur base d’une plainte au pénal introduite par la STIB. L’instruction du dossier au pénal était le motif officiel. Le motif, officieux, mais bien réel, à en croire les déclarations d’un des agents qui menait la perquisition était bien différent : « tout ce qui concerne l’antimondialisation nous intéresse ».

 

Le premier signe est donc donné sur le climat qu’entend mettre en place le pouvoir à l’approche du sommet de Laeken : criminaliser et neutraliser tous les groupes qui, en Belgique, pratiquent la désobéissance civile, interviennent de façon intempestive dans l’espace public.

 

Nous craignons qu’il ne s’agisse là que d’un premier coup de semonce, et que les différents procès et instructions en cours  ne soient à nouveau instrumentalisés par le ministère de l’intérieur et servent de prétexte à de nouvelles perquisitions, établissements de listes de personnes « dangereuses », et mise au frais de ces dernières.

 

Tous les actes que nous avons posé jusqu’ici l’on été en connaissance de cause. Nous savons qu’en pratiquant la désobéissance civile, en occupant un bâtiment ou en refusant de payer un billet de train, nous faisons un pas de côté par rapport aux normes et lois qui régissent l’espace public. Ces modes d’intervention nous ont amené et nous amèneront  encore, dans les mois qui viennent, devant les tribunaux. Si dans la plupart des cas ces procédures relèvent d’une volonté de judiciarisation des questions sociales et politiques que nous soulevons et d’intimidation des personnes et des collectifs, nous estimons qu’elles sont des moments importants dans nos luttes, et pour les luttes à venir.  Le tribunal constitue en effet pour nous un espace publique et politique à part entière où se joue, à coup de jurisprudence, l’évolution de certaines liberté fondamentales. A ce titre, nous attendons des magistrats qu’ils prennent leur responsabilité, et ne se contentent pas d’appliquer les codes de manière mécanique. 

 

A l’occasion de ces procès, c’est à chaque fois de démocratie dont il est question, de la capacité de réaction, inventive ou non, des institutions publiques. Poser un acte politique  « illégal » exprime dès lors la volonté de créer une situation limite, qui mette en tension les libertés fondamentales garanties par la constitution et l’ensemble des lois et dispositifs qui constituent très concrètement des entraves à l’exercice de ces libertés. La désobéissance civile fait apparaître une figure particulière du citoyen : à la fois sujet politique concret et usager de la justice.

 

Au travers de nos actions et de notre travail de terrain quotidien, plus silencieux, nous contribuons, modestement, à la création de nouvelles formes de participation et de coopération ainsi qu’à l’élaboration d’une pensée politique susceptible de trouver des réponses positives et innovantes au problème de la « crise de la représentation ».

L’« anti », qui qualifie dorénavant et quasi naturellement l’ensemble des mouvements sociaux, a trop vite fait d’éluder les modes de socialisation inédits qui s’ébauchent et se construisent dans les luttes et autour d’elles.  

 

Les événements récents et malheureusement tragiques nous amènent aujourd’hui à poser publiquement la question de l’avenir de ces constructions émergentes.

Face à un mouvement de contestation qui ne cesse de prendre de l’ampleur depuis Seattle, les différents niveaux de pouvoir ne cessent de nourrir une stratégie de la tension. La mise en scène surdéterminée des affrontements entre manifestants et policiers se combine à merveille avec les discours les plus sécuritaires qui parcourent les partis politiques, les tribunaux, les corps de police, et légitime l’établissement de dispositifs de surveillance et de punition « proactifs ».

 

Dans le cadre des prochains sommets qui se dérouleront à Laeken et ailleurs en Belgique, nous sommes tous virtuellement les cibles de ces dispositifs de criminalisation.

 

En vue de garantir concrètement à la fois les libertés fondamentales d’expression et de manifestation et de protéger le travail des différents collectifs et associations qui parient sur d’autres possibles,  nous vous proposons de réfléchir avec nous sur les quelques problèmes que nous avons exposé et d’imaginé ensemble les dispositifs pertinents qui pourraient être mis en place (comité de vigilance, p.e.).

 

Au-delà de l’urgence de Laeken, nous voudrions également constituer un groupe de réflexion et d’intervention autour des questions (politiques, sociales, économiques, urbanistiques) que suscite la décision de faire de Bruxelles, à partir de 2004, le siège des futurs sommets européens. Ce travail pourrait se faire dans le cadre d’une sorte d’« observatoire ». 

 

 

 

 

 

 

                                                                                              Collectif Sans Nom

                                                                                               Bruxelles 14-09-01