Lettre à Didier Hamann et la rédaction de La Nouvelle Gazette by Myriam Dely Friday August 24, 2001 at 09:56 AM |
Dans votre éditiorial, vous commencez par salir la mémoire de Carlo, que vous accusez d'être un " agresseur de policiers ", " masqué et violent ". Carlo était l'une de ces 300.000 personnes venues à Gênes pour affirmer qu'un autre monde est possible.
Charleroi, le 22 août 2001.
A Monsieur Didier Hamann et la Rédaction de La Nouvelle Gazette
Je voudrais réagir à votre Coup de plume de ce mardi 21 août.
Lundi 20 août, un peu partout en Belgique et dans deux cents (200 !) villes du monde entier, des centaines de personnes appartenant à divers mouvements se sont rassemblées devant les ambassades et consulats d'Italie pour rappeler qu'il y a un mois, un jeune, Carlo Giuliani, mourait à Gênes sous les balles de la police. A Charleroi, 61 personnes se sont également rassemblées devant les portes du Consulat d'Italie.
Dans votre éditiorial, vous commencez par salir la mémoire de Carlo, que vous accusez d'être un " agresseur de policiers ", " masqué et violent ". Carlo était l'une de ces 300.000 personnes venues à Gênes pour affirmer qu'un autre monde est possible. Son père, syndicaliste et ex-secrétaire de la Fédération des fonctionnaires du syndicat CGIL, témoigne que son fils " n'était pas un violent. Il était avant tout animé d'une énorme soif de justice et il a vécu ces évènements, d'un côté le G8, de l'autre la pauvreté dans le monde, comme quelque chose d'inacceptable " (témoignage publié dans le journal français Libération).
Vous n'êtes pas sans connaître le climat de violence que les autorités ont fait régner à Gênes avant, pendant et après les manifestations. D'abord, la ville a été entièrement militarisée. Le centre de la ville à été vidé de ses habitants, que l'on a remplacés par quelque 18.000 militaires et policiers. Avant les manifestations, on a créé une psychose de l'attentat à la bombe. Des milliers d'autres personnes venues de toute l'Europe ont été retenues à la frontière. Les libertés démocratiques ont été suspendues. Des dizaines de provocateurs de la police se sont mêlés aux manifestants, munis de battes de baseball et affublés de passe-montagnes, afin de provoquer la violence et d'ainsi discréditer le mouvement. Des unités spécialisées de la police ont organisé des ratonnades au siège du Forum Social de Gênes (la coordination qui organisait les manifestations) ainsi que dans les centres de presse indépendants et ce, dans la seule intention de faire main basse sur les preuves des violences et provocations policières. Six cents personnes ont été blessées, dont certaines sont toujours dans un état grave, plus de 200 ont été arrêtées et, un mois après les faits, on déplore toujours plusieurs disparus !
En ce qui concerne l'homicide sur la personne de Carlo Giuliani, un film d'amateur montre ce qui s'est passé juste avant que Carlo soit abattu. Sur ces images, on voit des policiers entrer en bloc, violence extrême à l'appui, dans un groupe de manifestants. On les voit également lancer des projectiles en tous genres et, entre autres, le fameux extincteur que Carlo Giuliani aurait relancé dans leur direction.
Vous ne dites pas un mot de cette violence organisée à Gênes par le pouvoir et les forces de l'ordre (en parfaite concertation avec le G8, cela va sans dire), mais vous vous permettez de salir la mémoire de ce jeune manifestant alors qu'il ne faisait que se défendre et réclamer un autre monde.
Vous dites dans votre éditorial que les jeunes, les travailleurs et les progressistes n'ont nul besoin de s'unir contre la mondialisation.
Les 300.000 personnes descendues dans la rue à Gênes voient les choses d'un tout autre oeil. " Vous êtes le G8, nous sommes six milliards ", disaient-elles, en stigmatisant la dictature économique et politique exercée par les pays riches sur leurs propres populations et celles des pays pauvres. La moitié de la population mondiale a faim, un humain sur quatre ne dispose pas d'eau potable, deux sur trois ne savent ni lire ni écrire, quatre sur cinq sont mal logés. Les 300.000 manifestants de Gênes ont fait savoir qu'ils ne peuvent plus supporter cette situation.
Vous dites que la mondialistation permet d'augmenter notre pouvoir d'achat. Précisons : elle a certes permis d'arrondir confortablement les grosses fortunes mais assurément pas le revenu des travailleurs !!! En tout cas, le rapport du Bureau international du Travail de 1999 disait " qu'en pourcentage du Produit Intérieur Brut (PIB), les salaires ont diminué presque partout dans le monde ". L'Union européenne a ponctionné très sévèrement les salaires, les petits et moyens revenus afin de satisfaire aux fameux critères de Maastricht.
La mondialisation et l'actuelle construction de l'Europe ont apporté à la population : délocalisations, licenciements, flexibilité, horaires scindés et prolongés, travail de nuit et du week-end, menaces sur les pensions, contractions toujours plus fortes de la sécurité sociale, privatisations etc. Elles ont apporté encore davantage de chômage et d'exclusion.
Vous essayez de ridiculiser les " antimondialistes " en insinuant que nous nous opposons au progrès et aux nouvelles technologies. Eh bien ! Monsieur Hamann, loin de là. De Seattle à Nice, de Prague à Bruxelles, de Göteborg à Gênes, en passant par Davos, Internet et les nouveaux médias indépendants comme Indymedia ont permis aux jeunes et moins jeunes de se mobiliser. La mondialisation a au moins ceci de bon, c'est qu'elle nous a permis de nous rencontrer et de lutter ensemble pour un autre monde.
Vous affirmez qu'il n'y a pas d'alternative à la mondialisation, qu'on ne peut pas retourner au protectionnisme, au communisme ou à l'interdiction d'exporter des capitaux. Les 300.000 de Gênes pensent autrement. La devise qui unissait le gros millier de mouvements et associations composant le Forum Social de Gênes était : " Un autre monde est possible ". Nous y croyons. Et laissez-nous le choix, laissez le choix à ceux qui luttent pour cet autre monde de réfléchir ensemble, de développer un débat démocratique afin de savoir de quoi cet autre monde sera fait.
Enfin, vous tentez de diviser notre mouvement en disant que certains manifestants présentent des " revendications raisonnables " et que d'autres ont des " prises de position extrémistes ou fanatiques ". Je peux vous répondre, en ce qui concerne les manifestations futures qui auront lieu en Belgique, et surtout à Bruxelles, lors du sommet européen, que les Comités D14 (manifestation du 14 décembre lors du sommet Européen) qui se créent dans le pays s'unissent, tout comme se sont unis les manifestants de Gênes. Et ceci autour d'une même plate-forme se prononçant pour une autre Europe, celle de la justice sociale, et condamnant l'Europe des grands groupes financiers, de la répression, de la guerre.
En espérant que vous publierez cette lettre dans votre journal, je vous prie de croire en mes sentiments les plus antimondialistes et courtois.
Myriam De Ly, rue des Combattants 65, 6020 Damprémy.
Tél : 071 70 32 23 GSM : 0473 28 63 75 e-mail : myriam.dely@brutele.be
publiée ? by JF Saturday September 01, 2001 at 10:22 PM |
Bravo pour votre lettre.
"La Nouvelle Gazette" l'a-t-elle publiée ?