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La fin des Tute Bianche?
by Casarini Wednesday August 22, 2001 at 04:18 PM
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Les Tute Bianche (les "combinaisons blanches", leur signe distinctif) ont été l'un des moteurs du Genoa Social Forum, la coordination de plusieurs centaines de mouvements et organisations qui a élaboré la mobilisation gênoise contre le G8.

La fin des Tute Bianche?
Entretien avec Lucas Casarini

Les Tute Bianche (les "combinaisons blanches", leur signe distinctif) ont été l'un des moteurs du Genoa Social Forum, la coordination de plusieurs centaines de mouvements et organisations qui a élaboré la mobilisation gênoise contre le G8. D'inspiration néo-zapatiste et pratiquant la non-violence active selon les principes de la désobéissance civile, les Tute Bianche se servent de leur corps, protégés par des mousses et des boucliers en plexis, comme d'une "arme" non-offensive, notamment dans le but, de par leur masse et leur cohésion, de briser des cordons policiers. Ce mouvement a rassemblé, ensemble avec les Giovani Comunisti (l'organisation de jeunesse du Parti de la Refondation communiste) près de 15.000 jeunes le vendredi 20 juillet à Gênes dans le but de forcer la "zone rouge". Leur cortège, pris dans une souricière, a été très violement réprimé par la police, imposant par là à une bonne partie des Tute Bianche une réaction d'auto-défense légitime (constitution de barricades et jet de projectiles) face aux assauts policiers. C'est dans ce secteur, où ont eu lieu de très durs affrontements, que le jeune Carlo Giuliani a été tué. Lucas Casarini, leur porte-parole, tire le bilan des événements.


Lorsque tu vois une voiture blindée des carabiniers qui te fonçe dessus, ou tu t'enfuis, ou tu réagis de la même façon que si on te pointait une arme. Nous, à Gênes, dans la Via Tolemaide, nous avons construit des barricades pour protéger notre intégrité. Pendant trois heures nous, et beaucoup d'autres, avons dû réagir contre les attaques de la police. Carlo est mort en se défendant des attaques des carabiniers. Il était là, avec des milliers d'autres, hommes et femmes, pour affirmer qu'un autre monde est possible."

Lucas Casarini, porte-parole du réseau des centres sociaux du nord-est, figure charismatique des Tute Bianche, l'un des moteurs du Genoa Social Forum (GSF), n'y va pas avec le dos de le cueillère lorsqu'il parle des journées de Gênes: "Il y a une différence abyssimale entre ceux qui construisent une barricade pour se défendre et ceux qui décident de supprimer militairement un mouvement large et articulé comme le nôtre contre la globalisation économique. Les premiers affirment leur droit à changer une réalité qui produit la misère et l'exploitation. Les seconds défendent le G8, une instance illégitime qui prétend régir le monde en ignorant les désirs et les espérances en une vie meilleure des peuples de ce monde." (...)
Nous avons toujours tenté d'analyser la question du gouvernement mondial. Nous avons parlé de la logique impériale du gouvernement du monde. Tous cela signifie une érosion de la souveraineté nationale. Non la fin de cette dernière mais plutôt sa reconduction vers un système global, impérial. A Gênes, nous avons vu que cette logique se manifeste sous forme de guerre. Comment affronter cette forme qu'adopte la logique impériale?, telle est la question à laquelle nous n'étions pas préparés.

N'est-ce pas la fin des Tute Bianche?
L.C: La fin? C'est un peu fort de le dire ainsi. Exténués, peut-être. Nous avons sans doute achevé un cycle. Les Tute Bianche ont été une expérience qui cherchait à rendre de nouveau légitime l'idée du conflit. Voyez le GSF, là étaient réunis des chrétiens, Arci, les Cobas, Rete Liliput, Drop the Debt, la Fiom, nous autres, etc. Un mélange puissant. Nous avons fonctionnés comme un centre propulseur, sans que cela signifie que qui que ce soit n'impose aux autres ses priorités. Comme Tute Bianche, nous acons accompli un long chemin en nous interrogant ce que nous avions accompli. Ce fut une expérience positive mais qui me semble aujourd'hui inadéquate pour affronter le système impérial que nous avons en face de nous et dans lequel la politique est la continuation de la guerre et non l'inverse comme l'écrivait Clausewitz.

Beaucoup de gens estiment que l'automne verra une phase délicate pour les luttes sociales (...). Plusieurs facteurs m'amènent à affirmer que la phase de la désobéissance civile est épuisée. Il est nécessaire aujourd'hui de passer à la désobéissance sociale. Que l'on continue à faire des Forum sociaux dans toutes les villes est positif; qu'il se forment des alliances, c'est fondamental. Mais je préfère penser non pas en termes d'alliances mais bien en un processus social à travers lequel le mouvement se transforme en un pôle d'attraction pour les tous les types de figures et de réalités sociales qui nous entourent. Regardez ce qui s'est passé à Gênes avec les avocats et les médecins volonaires. Ces avocats étaient évidement des démocrates, bien qu'éloignés du GSF. Mais après avoir pas mal discuté, ils ont décidé de mettre des blouses avec l'inscription "Union des avocat démocrates" et de rejoindra ainsi les manifestations.
Après les brutalités policières, ces avocats se sont unis à ceux de Gênes pour écrire un document très dur sur l'attitude du gouvernement. Voyez également l'expérience des médecins et des infirmiers volontaires qui ont assisté les blessés, les gens tabassés, et qui ont été eux-même frappés par les forces de l'ordre. Il s'agit là d'exemples positif du type de liens et de réseaux qui se constituent, attirés par la thématique du mouvement. Et ils se créent en partant de leur travail spécifique, qu'ils mettent à la disposition de ce mouvement.

Cela ne veut pas dire que tout marche comme sur des roulettes. Nous nous trouvons en face d'une réalité difficile, qui doit être de nouveau comprise et analysée. Il ne s'agit de fascisme, mais bien d'un changement dans la forme de l'Etat qui ratifie une transformation profonde des modalités de production des richesses et de la subjectivité. Et cela à une échelle globale. Je pense que ce qui s'est passé dans les rues de Gênes ressemblait plus à une "riot" (une révolte") qu'à une manifestation. Cela doit être compris et analysé. Je ne parle pas ici des Blacks Bloc mais bien de tous ceux qui ont dû exercer une résistance. Le dénomé Black Blok est un phénomène qui ne doit pas être criminalisé. Il s'agit de personnes qui croient que pour combattre le capitalisme il suffit de détruire une vitrine. De là leur slogan "Smash Capitalism!" Nous pensons autrement, nous pensons dans le cadre d'une processus social de transformation à travers lequel le "réseau des réseaux" se transforme en un pôle d'attraction qui favorise la naissance d'autres réseaux sociaux.

Est-il exact d'affirmer qu'après Gênes, rien n'est plus comme avant? Pour toi, qu'est-ce que cela a changé?
L.C: Revenons sur les journées du vendredi 20 et du samedi 21. Par exemple sur la photo qui montrait que, dès la Via Tolemaide, bien longtemps avant que que Carlo soit assassiné, les carabiniers avaient sortis leur armes pour nous viser. Cela témoigne de la logique militaire menée par le gouvernement. Les carabiniers ont chargé avec violence. Nous avons résisté et je revendique cette résistance comme un acte politique. Cependant, si nous adoptons la logique militaire de l'affrontement, cela serait une pure folie et un suicide politique. A Gênes étaient présentes toutes les forces de l'ordre, l'armée, les services secrets des huit principales puissances de la planète en termes économiques et militaires. Notre mouvement n'est pas de taille à se mesurer avec ce pouvoir militaire. Ils sont capables de nous anéantir en quelques mois. Nous devons donc trouver une troisième voie.

Certains affirment que la Via Tolemaide était un piège dans lequel vous êtes tombés...
L.C: Y-a-t'il eu ingénuité de notre part? Peut-être. Mais je le vois autrement. Comme Tute Bianche, nous avions souscrit un pacte avec le GSF et nous l'avons respecté. Dans la réunion préparatoire à la journée de désobéissance (le vendredi 20 juillet), à aucun moment nous n'avons occulté notre intention de violer la zone rouge.
Nous avons clairement indiqué les moyens que nous utiliserions. Nous ne voulions prendre aucun bâton ni autre instrument d'attaque. Nous avions même décidé de ne pas porter nos combinaisons blanches, une décision prise après de longues discussion dans le stade Carlini - c'est dans ce stade que se trouvaient rassemblés sous tente quelques milliers de Tute Bianche, Giovanni Communisti, les grouoes Grecs et Basques et d'autres groupes et individus étrangers décidés à pratiquer la désobéissance civile, NDT).
Je crois que ce fut une bonne décision car lorsque l'on baigne dans un tel mouvement, l'élément important n'est pas l'affirmation d'une appartenance mais la "contamination" entre groupes différents qui, malgré tout, ont des objectifs communs. Si nous avons été ingénus, alors là réside notre "ingénuité": maintenir fidèlement le pacte en respectant ceux qui ne pensent pas comme nous. S'il s'agissait d'une piège, alors il visait tout le mouvement.
Cela fait deux ou trois ans que nous nous consacrons à réflechir de manière approfondie sur la façon de travailler le conflit sans que celui-ci ne devienne destructif. Nous avions décidé d'utiliser de nouvelles techniques: nous annonçions publiquement ce que nous comptions faire, en prévenant toujours que si la police nous entravait, nous nous défendrions avec des boucliers et des protections en mousse. Telle était notre règle parce que nous considérions comme essentiel de créer le conflit et le consensus sur les objectifs que nous nous donnions.
A Gênes, nous espérions que les choses soient plus ou moins dans cet ordre des choses. Mais ils nous ont trompé. Il suffit de rappeler les rencontres entre le GSF avec Scajola (ministre de l'Intérieur, NDLR) et Ruggiero (chef de la police): ces derniers n'ont respecté aucun des accords. La police a utilisé des armes à feu alors qu'ils avaient affirmé ne pas le faire. Le droit de manifester, qui avait été reconnu par Ruggiero comme inaliénable, a été écrasé sous les roues des voitures blindées de la police.

Et maintenant?
L.C: Pour moi, il est essentiel de recommancer quelque chose en partant de ce que l'on a appelé le "laboratoire Carlini". Une expérience intense. Qui m'a beaucoup appris. Par exemple, comment construire un espace public où la multitude ne soit pas seulement un mot, mais une construction partagée, une construction politique des "désobéissant(e)s". ?

Interview publiée par le journal "Il Manifesto", 3 août 2001. Traduc: Ata