arch/ive/ief (2000 - 2005)

les faux affrontements des tute bianche
by traduction (posted by Arnaud) Tuesday August 21, 2001 at 02:41 AM
marx@engels.com

traduction d'un article paru en italien comment les tute bianche organisent des fausses bastons avec les flics, uniquement pour les médias

G8, la peur de la violence et la disparition des molotov.
Les affrontements virtuels des Tute Bianche.
par Luigi Manconi.
in la Repubblica du 14 juillet 2001

(L. Manconi, ex-leader du SO de Lotta Continua dans les années 70, porte-parole des Verts jusqu'en 2000, actuellement sénateur du Centre Gauche et sociologue).

Depuis 1989, en Italie il n’y a pas un seul cocktail molotov qui n’ait été lancé (si ce n’est par des bandes de suporters organisés). Et depuis une décennie, en Italie, il n’y a plus d’affrontements de rue, (ou presque) : en tout cas, il n’ a pas d’affrontements de rue comparable en intensité de violence à ceux des années 70. Ce sont plutôt des représentations de batailles urbaines et des affrontements simulés. Plus exactement, ces performances beliqueuses, grâce aux figurations télévisées et photographiques, apparaissent comme réelles. Mais à part de rares exceptions, il s’est agi exclusivement de représentation. Je peux l’affirmer car j’ai participé à quelque unes d’entres elles — je me réfère ici au 5 dernières années et non pas à la décennie 67/77— avec des rôles divers, mais tous relatif à une activité que l’on peut qualifier de négociateur : avant et pendant les manifestations. Cette œuvre de médiation ne constitue une nouveauté que relative : dans les années 60 et 70 aussi, dans les affrontements de rue, il y avait une composante jouée qui permettait la négociation et favorisait l’activité de négociateurs. Mais avec le temps et la réduction du quota de violence exercée — et parallélement avec la croissance du quota de “simulation militaire” — le rôle de la médiation a augmenté. Le fait est assez positif relativement à une considération de psychologie sociale qui précède et de beaucoup tout les calculs politiques. En d’autres termes les mouvements sociaux sont porteurs (en dehors de valeurs et de fins) d’une charge d’agressivité qui est le signe de leur “antagonisme” : ou plus exactement de la volonté de “changer les choses” et d’”imposer” ce changement à ceux qui s’y opposent. Cette agressivité n’est pas entièrement éradiquable ni entièrement gouvernable : mais elle n’est pas destiné par nécessité à ce traduire en violence contre les personnes ou les choses. Cette agressivité peut être “contenue” et soumise, justement, à médiation.
“Contenir la viloence” est la formule utilisée par le Ministre des Affaires Etrangères, Renato Ruggiero, et possède deux signification : la réduction du quota de violence efectivement excercée ; l’administration de ce même quota avec le moins de dommage possible pour tous. Durant la dernière décennie c’est cela exactement qui a été mis en œuvre grâce à la “combination virtueuse” de deux facteurs : le dévellopement d’une intense activité négociatrice autour de la gestion des manifestations et la diffusion d’un usage contrôlé de la force de la part de certains secteurs des manifestants. Le discours est, évidemment, délicat mais doit être affronté sans hypocrisie.
Quand à l’intérieur des régimes démocratiques se manifestent des mouvements collectifs de contestations, un quota de violence est physiologique et constitue un coût incontournable. Il s’agit de décider si il faut le réprimer de manière indiscriminé, ce quota, au risque de radicaliser la violence et de l’étendre ; ou alors justement “de la contenir”. Les Tute Bianche et ces secteurs de manifestants, qui participent aux cortèges avec un “équipement d’autodéfense”, qui excercent une pression physique et ont recours à l’usage contrôlé de la force, remplissent un rôle ambigu. Mais, et c’est ce qui est important, ils jouent un rôle positivement ambigu a mon avis. celui-ci offre a l’agressivité dont nous parlions un canal à travers lequel s’exprimer et en même temps un schéma (rituel et combatif) qui le canalise. Il propose un débouché - et donc, dans une certaine mesure, risque d’encourager la violence - mais exerce un contrôle et pose (tente de poser) des limites. L’activité des Tute Bianche est donc, littéralement, un exercice sportif (et le sport est, classiquement, la poursuite et la codification de la guerre par des moyens non sanglants),qui affaibli et désamorce la violence, au moins en grande partie. Certes, ceci présupose une vision de la violence de rue comme une espéce de flux prévisible, dirigeable, contrôlable . Mais c’est justement en ces termes que celle-ci se trouve traitée par de nombreux responsables de l’ordre public et par de nombreux leaders du mouvement. Que cela soit clair :le problème de la violence de rue est une chose bien plus complexe et possède des racines profondes, mais, pour une fois, la considérer sous l’aspect essentiellement technique peut s’avérer utile. Je m’explique. La très grande majorité du mouvement anti-globalisation italiens est sur des positions de pacifisme integrale ; une partie assez réduite est favorable à la radicalisation de l’affrontement (je me refère aux casseurs et à des petits groupes autonomes luddistes et anarchistes, qui croient et investissent dans la “violence en soi” et dans sa fonction symbolique) ; une partie bien plus grande entretient avec l’exercice de la forçe un rapport uniquement instrumental (finalisé à un but). Les Tute Bianche representent bien cette dernière composante, mais n’en ont pas le monopole : autour d’eux mais différents d’eux, opèrent les “groupes affinitaires”, les associations provenant d’expérience de non-violence classique et de désobeissance civile, et également des associations de chrétiens radicaux. Les “entrainements“ mis en acte et en scène ces derniers jours - des jeunes qui interprètent les policiers, faisant semblant de malmener des jeunes qui interprètent des manifestants - font penser à une activité de “formation” (et de véritable entrainement) à la non-violence. Les Tute Bianche portent à son point extrème - très proche de celui de rupture - le même discours de non-violence , décliné sous des formes bien differentes, et la disponibilité a recourir a la force pour conquérir des “possibilités” : tout du moins des lieux et des occasions de présence et de discours.
A y regarder de plus près, l’économie et la géometrie des manifestations de ces dernières années ont eus, tous, cet enjeu : les espaces à occuper. Pour rejoindre au moins l’objectif (approcher telle zone, entrer dans tel espace, participer a telle initiative), le mouvement vérifie sa propre autonomie et sa propre “autorité”. La valeur éminement symbolique d’une telle mobilisation saute aux yeux: et il est nécessaire de se rapeller que les conflits à plus haute intensité symbolique sont ceux qui contiennent le plus grand risque de rupture. C’est exactement pour cette raison que le rôle de la médiation (capable de prémunir les investissements symboliques des deux adversaires) est aussi cruciale. Dans ce cadre, l’usage du corps et l’instrumentalisation de l’”auto-protection” de la part des tute bianche constituent, comme nous l’avons dit, un précaire equilibre entre offensive et defensive : entre protection de sa propre integrité et usage de son propre corps (et de ce qui le “revêt” : boucliers de plexiglass, casques de chantiers, gilets de sauvetage…) comme objet contendant. Il s’agit d’un risque mis en lumière également par un leader des “groupes d’affinités” (“hausser le niveau de protection personnelle peut-être dangeureux, cela peut élever le niveau offensif et répressif”). Mais comme on s’y attendait, jusqu’à présent les resultats ont été, même si c’est contradictoirement, positifs. Et pour en donner preuve, je cite à nouveau le fait que depuis 1989 en Italie aucune bouteille incendiaire n’a été lançée. Ca vous semble peu ?
Ceci, me dira-t’on, ne constitue pas une garantie suffisante par rapport au G8 de Gênes: la fraction des casseurs, negligeable et contrôlable parmi les manifestants italiens, sera plus redoutable quand elle se renforcera grâce aux apports étrangers). Certes, même durant la derniere decennie on a pu constater des violences de rue, mais les dommages provoqués - en particulier ceux envers les personnes - ont été limités (même quand, comme dans le cas de la manifestation contre la visite de Haider au Vatican, et dans d’autres occasions aussi les affrontements ont été âpres) : et ceci a empéché que s’amorce une spirale de represaille et de retorsion. Le mérite d’une administration non sanglante de l’ordre public lors de la derniere décennie reside justement dans ce “cercle vertueux” entre gestion controlé de l’agressivité de la part des manifestants et capacité de médiation de la part des responsables de l’ordre public. A ce propos, des témoignages directs peuvent se révéler utiles. Il y a un an et demi, au cours d’une réunion à la préfecture d’une ville du Nord, les responsables de l’ordre public et certains leaders du mouvement discutèrent pointilleusement et enfin convinrent minutieusement tant du trajet que de la destination finale du cortège. Et nous nous sommes mis d’accord sur le fait qu’il y avait une limite, matérialisé par un numéro de rue, atteignable avec le consensus des forces de l’ordre, et un autre point délimité par un autre numéro de rue plus élevé, non “consenti”, mais “toléré”. L’espace entre ces deux lignes imaginaires - une centaine de métres - fut ensuite le “champs de bataille” d’un affrontement non sanglant et presque entiérement simulé (mais il n’apparaissait pas ainsi sur les retransmissions télévisées) entre les manifestants et la police.
Dans une situation tout a fait diverse (la Gay-Pride 2000 a Romes) où les hypothéses de violences étaient peu propables, la négociation sur le trajet du cortège fut méticuleuse par dessous tout. Un nombre incalculable de réunion à divers niveaux et dans divers sièges traitaient de l’itinéraire - durant des mois - et le Colysée en tant que destination a revétu bien vite une forte signification symbolique. La solution à laquelle nous sommes parvenu fut ensuite celle d’un cortège qui frôlait le Colysée en en traversant une partie du terrain extérieur. Par rapport à cela, et dans d’autres circonstances, de nombreux dirigeants du centre-droit, alors dans l’opposition, dénoncérent la trouille des responsables (politiques et techniques) de l’ordre public. Les plus échauffés (ou les plus idiots) parlèrent du “caractère subalterne du gouvernement par rapport aux Centres Sociaux”.
Il y a de cela moins d’un an, et le centre-droit semble avoir appris que la gestion pacifique de l’ordre public et la stratégie de “contention” de la violence sont non seulement question d’intelligence et de rationalité, mais ausi de bonne gouvernance. Pour résumer, le mot d’ordre est : négocier sans se faire mal.