"Bien que vous
ayez enregistré le nom de domaine disputé il y a plus de cinq mois, à ce
jour, vous ne l´utilisez toujours pas en rapport avec une offre sérieuse de
biens et services, et vous n´en faîtes pas non plus un usage non-marchand
légitime ou juste. Votre enregistrement et votre incapacité à utiliser le
nom de domaine disputé confirment votre intention d´utiliser ou d´exploiter
le nom de domaine disputé d´une façon qui violerait la Politique unifiée de
Résolution des Disputes de Noms de Domaines (UDRP) de l´ICANN."
C´est en ces termes étranges que les avocats de Vivendi Universal aux
États-Unis ont intimé l´ordre au propriétaire du nom de domaine
vivendiuniversalsucks.com (vivendiuniversalcraint.com) de rendre
immédiatement cette adresse à la multinationale. Comme si elle lui
appartenait, une sorte de "marque dérivée". Et comme si le simple
fait de prendre du temps pour développer un site s´apparentait à du
cybersquatting. Dans ce courrier, daté du 26 juillet, David Sallen, le
jeune chômeur de Brookline, dans le Massachussetts, est accusé de violation
de marque commerciale et de concurrence déloyale. Le cabinet
Brown & Raysman le menace d´un procès avec des sanctions
financières aggravées du fait que le tort (lequel ?) causé à la marque
serait intentionnel.
Des lettres terroristes
Mais Sallen ne se laisse
pas impressionner par cette lettre à vocation terrorisante de la catégorie
des désormais bien connues Cease and desist letters (cessez et
renoncez). La frénésie start-up s´est accompagnée d´une mode des courriers
juridiques menaçants, envoyés par les géants de l´économie à des PME ou des
individus gênants. Elles visent à faire peur plutôt qu´à annoncer un vrai
procès, parce personne n´est jamais sûr d´avoir raison devant un juge.
C´est ainsi qu´ont procédé les majors du disque et du cinéma pour effrayer
les spécialistes du MP3 ou les universités qui autorisaient le
téléchargement des fichiers musicaux ; c´est ainsi que l´Amérique du
big business étouffe la contestation. David Sallen, l´homme mis en cause
par Vivendi, se réfère au juge Eric Grimm, qui s´est publiquement demandé
"si les lettres de cease and desist qui contiennent
volontairement de mauvaises interprétations de la loi, envoyées avec
l´intention de forcer à transférer les droits sur une adresse, ne
constituent pas un courrier frauduleux." Auquel cas le
destinataire de la lettre pourrait se retourner contre l´émetteur. Sallen
n´a pas l´intention de se lancer dans une telle procédure pour l´instant,
mais s´enthousiasme pour une telle idée : "Je crois, comme M.
Grimm, que si l´on pouvait exiger des sanctions pour ce genre d´actions à l´encontre
de ces pirates corporate, le soi-disant "cybersquatting"
disparaîtrait miraculeusement." Selon lui, en effet, "les
grandes entreprises sont engagées dans une lutte rationalisée de ce
qu´elles considèrent être un vol de propriété privée."
OMPI vs Free speech
Les juristes, eux, font
référence à la jurisprudence de l´Organisation mondiale de la propriété
intellectuelle (OMPI), qui a permis à plusieurs grandes entreprises de
récupérer des noms de domaines susceptibles de leur appartenir. "Il
suffit de lire la litanie de décisions honteuses prises par les juristes
des marques déguisés en délégués impartiaux de l´OMPI pour comprendre
pourquoi le problème est si fréquent", critique David Sallen.
"Si les juristes de l´organisation internationale étaient un peu
plus cohérents, poursuit-il, ils auraient sanctionné Vivendi pour
avoir "cybersquatté" plein de noms de domaines qu´elle n´utilise
pas, dont certains en ".org" qui n´ont rien à voir avec les
activités commerciales d´une multinationale." Mais au-delà de ces
pratiques, la jurisprudence américaine protège les créateurs de noms de
domaines de type unemarquecraint.com, comme en témoigne la fédération de
nombreux sites "sucks" sur le portail Sucks500.com. "Les
cours américaines ont jugé que l´utilisation d´une marque commerciale dans
un site Internet pour relayer des commentaires de consommateurs et des
critiques ne violait ni n´affaiblissait cette marque", argumente
le jeune homme. Cette attitude des tribunaux américains, on la doit
essentiellement à l´existence du premier amendement de la constitution
américaine qui garantit la liberté d´expression. Vivendi ne serait-elle que
ce "voyou multinational" dénoncé par David Sallen ?
Ou bien la défaite juridique de Jeboycottedanone aurait-elle convaincu
l´entreprise que le modèle français est exportable aux États-Unis ?
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